La Couronne de Cuivre

-C'est parfait. Et je suis curieux de voir ce que tu as choisi...
Il songea à lui laisser les pièces mais se dit qu'il pourrait, peut-être, donner un peu d'argent de poche aux deux garçons quand ils seraient à Togoria, histoire qu'ils puissent s'acheter quelque chose... Voire sur le chemin du retour, au moment où, de surcroit, il serait temps de songer à rassembler quelques souvenirs pour ceux qui avaient dû rester à la ferme.
-Allez, venez, on peut peut-être voir encore deux ou trois choses avant que n'arrive l'heure de rentrer à l'auberge...

Mais Rohan demeurait une cité peu propice au tourisme. Ils virent quelques temples, un dédié à Lathandre, un autre à Chauntéa, beaucoup de chevaux qui inquiétaient toujours autant Baptiste, vestige sans doute de son ancien accident, des cavaliers à la mine revêche en armure de cuir, bruns comme la terre. De temps en temps, des Dragons de Rohan passaient au petit trot, dans leurs uniformes poussiéreux, et la foule s'écartait sans broncher pour les laisser passer. Le ciel gris finit par lâcher un petit crachin qui les contraignit à regagner leur auberge. Mais les garçons avaient vu ce qu'ils voulaient voir et, globalement, Rohan ne les avait pas tellement impressionnés.
Le tenancier de l'auberge vint leur servir un premier verre — jus de fruits pour les enfants, bière légère pour le barde, et ils s'installèrent devant l'âtre pour faire sécher leurs bottes.

Il demeura un moment silencieux, sirotant tranquillement sa bière, le regard perdu dans le vague, les pensées tournées vers la suite de leur voyage.
-Alors, vous ne regrettez pas que nous repartions dès demain ? demanda-t-il finalement à ses fils, à Victor en particulier.
Il pensait connaître la réponse, évidemment. Mais c'était aussi un moyen pour avoir leurs impressions sur Rohan... Lui-même l'admettait volontiers : même s'il était probablement loin d'avoir découvert tout ce que la ville possédait d'intéressant, il n'aurait pas eu plus que cela envie de s'y attarder.

" Y'a rien d'intéressant, ici, dit Victor, franc comme à son habitude. Juste de la bouillasse et des chevaux. Non, je regrette pas.
— Parle moins fort, souffla Baptiste, gêné de sa véhémence alors qu'ils n'étaient pas seuls dans la salle.
— Ben c'est la vérité. Je crois que les gens d'ici le savent. Bon, si on aime les chevaux, on peut sans doute s'asseoir et les regarder passer... Mais pour le reste... Bah."

Le barde ne put s'empêcher de regarder furtivement autour de lui.
-J'admets que ce n'est pas... la cité la plus touristique qui soit, répondit-il posément. Mais il faut plus qu'une promenade de quelques heures pour se faire une idée juste d'une cité... Je suis sûr que nous sommes passés à côté de beaucoup de choses et que, quoiqu'il en soit, c'est un endroit où il fait bon vivre.
Pour diplomatique qu'elle soit, sa tirade n'était pas un mensonge.

" Si tu le dis." fit Victor d'un ton sceptique.
Baptiste soupira.
" Ils ont l'air d'avoir une gastronomie intéressante... assez... rustique..."
Il grimaça.
" Bon, après, y'a quand même beaucoup de chevaux. Et beaucoup de boue."
Son cadet se fendit d'un sourire.
" Je crois que dans le fond, on est tous d'accord."

-Je crois aussi.
Il sourit.
-Nous verrons ce que donne Togoria. En plus, ce sera une découverte pour nous trois.
Laquelle découverte marquerait leur véritable entrée dans la vallée du Nirvana.

Comme ils repartaient tôt le lendemain, ils passèrent une soirée tranquille à l'auberge. Le repas était, comme l'avait prévu Baptiste, rustique mais bon. C'était une sorte de ragoût de viande marinée aux tubercules, servi avec du pain frais, encore chaud du four d'où il sortait. Il se dégustait avec la bière brune, que le tenancier conseilla à Taliesin, ou de l'eau quand on n'y avait pas droit. Curieux, Victor finit par lui demander où il avait eu sa cicatrice impressionnante, et le tenancier, d'abord décontenancé par la franchise de la question, lui expliqua qu'il avait été Dragon de Rohan, démobilisé après avoir subi de graves blessures au cours d'une opération contre des brigands. Il lui montra au passage sa jambe de bois, ce qui épata encore davantage le gamin.
Après le repas, Baptiste s'abima dans une lecture, au coin de l'âtre de la salle de l'auberge, tandis que Victor défiait Taliesin dans divers jeux de carte ne nécessitant que deux joueurs. Ils gagnèrent leur chambre en milieu de soirée, et les deux gamins excités rejoignirent leurs lits en hauteur. Avec ça, ils avaient oublié de prendre un bain, mais ils promirent à Taliesin de se rattraper à la prochaine étape. Fidèles à leurs habitudes, Victor s'endormit comme une masse et Baptiste tourna un moment dans son lit avant de trouver le sommeil. Ensuite, leurs respirations s'égalisèrent et la nuit débuta...

Lui même ne fut pas long à s'endormir.
Mine de rien, les trajets en coche étaient fatigants par certains aspects. Et surtout, il n'avait pas la moindre pensée sombre à l'esprit : les premiers jours de voyage s'étaient bien déroulés, Victor paraissait content et Baptiste, quoiqu''il soit toujours craintif, semblait plutôt apprécier l'excursion...
Bref, aucun nuage à l'horizon, d'autant que le plus intéressant du périple était encore à venir...

Ils repartirent le lendemain, dans un nouveau coche, avec un nouvel équipage de chevaux, et un nouveau guide, qui portait le nom de Fédor. C'était un homme plus jeune que leur premier cocher, mais il semblait tout aussi compétent. Il y avait cette fois trois autres voyageurs, ce qui limiterait la place à l'intérieur du véhicule, mais comme pour le trajet jusqu'à Rohan, ils feraient des arrêts en cours de route pour se dégourdir les jambes.
Leurs premiers compagnons étaient un jeune couple un peu nerveux. La fille devait avoir une petite vingtaine et un ventre qui commençait à s'arrondir, à moins qu'elle n'ait un peu d'embonpoint, difficile à dire. Le garçon était à peine plus âgé, portait des vêtements de bonne facture, et avait les mains soignées de quelqu'un qui n'effectue pas de travaux manuels. Le troisième larron était un vieux monsieur vêtu de blanc, une couleur audacieuse vu le lieu, mais qui semblait peu s'en inquiéter. Il avait le regard un peu fixe, comme plongé dans des pensées profondes et personnelles.
Le soleil était au rendez-vous pour ce nouveau départ et ils partirent vers le nord alors que les rues étaient encore peu encombrées. Quitter la ville ne fut qu'une formalité rapidement expédiée et bientôt, le coche fila bon train sur la voie principale. Le cocher leur avait annoncé trois nuits en campagne avant d'atteindre Edhoras, peut-être quatre si la route était mauvaise.

Comme ils n'étaient pas particulièrement pressés, comme il préférait être économe, il avait opté pour le trajet passant par cette cité, plus long mais moins onéreux. Peut-être voulait-il aussi, inconsciemment, exorciser les terribles souvenirs attachés à cette partie de la Trouée... Car c'était au sortir de Rohan qu'ils avaient dû changer de coche, qu'ils étaient tombés dans une embuscade et... que Victor était passé à deux doigts de la mort. L'épreuve avait été terriblement rude et si l'enfant, après en avoir porté des mois durant les stigmates physiques, était désormais débarrassé de ces derniers, il se doutait qu'il lui en restait d'autres traces, moins visibles mais peut-être plus profondes...

Ainsi débuta leur périple sur la route principale de la Trouée. Les prairies étaient verdoyantes, constellées de fleurs, et depuis la fenêtre du coche, les deux garçons en contemplaient l'immensité, lieue après lieue. Les villages étaient plus rares, mais ils croisaient régulièrement des camps de nomades, installés avec leurs vaches, leurs chèvres et leurs chevaux à quelque distance de la route. Parfois, des chiens prenaient le coche en chasse, souvent ils voyaient passer des cavaliers dans l'herbe, lancés au grand galop. Les nuages étaient nombreux mais le temps était sec, on sentait un petit vent tiède souffler depuis les hauts plateaux. Au nord, du côté où étaient installés les garçons, on devinait les Monts Brumeux dans le lointain. Il n'y avait pas de rivière mais de temps en temps, ils croisaient un ruisseau que le coche traversait sans ralentir. Il y avait mille oiseaux qui s'envolaient sur leur passage, des créatures sauvages aussi, antilopes et cervidés, qui demeuraient à bonne distance. A la mi-journée, ils firent une halte sur le bord de la route, à la faveur d'un bosquet d'arbustes d'un beau vert tendre. Il n'y avait personne pour les accueillir, personne pour leur offrir à boire, mais le cocher avait de quoi dépanner ceux qui n'avaient pas prévu suffisamment pour se restaurer. Ce n'était pas le cas de la famille de Taliesin, car Baptiste leur déballa ce qu'il avait acheté la veille, pain, fromage frais et saucisson, ainsi qu'une belle livre de cerises.

Après maintes hésitations - et après l'avoir soigneusement emballé pour qu'il ne soit pas mouillé même si son sac prenait l'eau -, Taliesin avait emporté l'ouvrage offert par Tim pour en poursuivre l'étude s'il en avait le temps. Mais il ne l'avait pas plus ouvert ce matin-là que les jours précédents, préférant admirer le paysage qui défilait sous ses yeux.
Pour avoir vu des cartes, il savait Helonna plus petite que Dorrandin, et de loin. Cela n'empêchait pourtant pas l'île d'être relativement vaste et, surtout, d'offrir des panoramas d'une surprenante diversité. Irait-on imaginer, de prime abord, qu'il y avait pareilles immensités herbeuses à quelques journées de voyage de la capitale ? En tout cas, elles donnaient presque le tournis...
Elles ne coupaient pas l'appétit, cependant, loin s'en fallait ! Et après avoir félicité Baptiste pour ses choix judicieux, c'est à belle dents qu'il entreprit de se restaurer.

Les garçons purent ensuite se dépenser en courant dans les hautes herbes tandis que les adultes conversaient tranquillement autour d'une tasse de thé, judicieusement préparée par le cocher. Taliesin apprit ainsi que le couple se rendait à Bortheias, chez les parents du jeune homme, tandis que le vieillard tout de blanc vêtu allait jusqu'à Lunaros pour participer à une cérémonie dédiée au solstice estival, qui avait lieu une dizaine de jours plus tard. Concernant Taliesin, ils se contentèrent de sa profession pour déduire ses activités mais lui demandèrent également s'ils auraient l'honneur de l'entendre se produire lors de l'une ou l'autre étape. Le cocher l'assura que s'il lui en prenait l'envie, ils pourraient sans problèmes s'arranger avec les aubergistes qui les accueilleraient. De son côté, c'était loin d'être un homme taciturne, et il leur expliqua qu'ils logeraient sous dur cette nuit-ci, mais seraient accueillis dans un bivouac nomade la nuit suivante, ce qui était toujours une belle aventure pour les voyageurs. La troisième nuit les verrait à nouveau loger dans une auberge conventionnelle.
Les deux gamins revinrent essoufflés, couverts de brins d'herbe, et Fédor les invita à se frotter avant d'entrer dans le coche. Ils repartirent peu après et Taliesin eut la surprise de voir les deux garçons s'endormir de concert.
Le reste de la journée se déroula tranquillement. Deux fois, le cocher arrêta le véhicule pour leur permettre d'admirer des beautés de la Trouée. La première fois, il s'agissait d'un troupeau de chevaux blancs fort de plus d'une centaine de bêtes, accompagnés de leurs gardiens. Ils passèrent à une vingtaine de toises, sur leur gauche, et Victor s'éveilla juste pour les regarder galoper, comme un troupeau d'oiseaux blancs flottant sur la verdure. Plus loin, ce fut le passage d'une grande créature ailée, qui survolait le paysage, qui immobilisa le convoi. C'était un hippogriffe, selon le cocher, mais il disparut rapidement à l'horizon.
Il commençait à faire sombre quand ils atteignirent leur étape de la nuit, un petit village en retrait de la route, composé d'une trentaine de maison dont l'auberge. Il n'y avait personne dans les rues, mais quand ils s'immobilisèrent dans la cour, une nuée de halfelins surgit pour les prendre en charge. Ils étaient arrivés au Trou dans la Plaine.

Aux questions portant sur ses éventuelles représentations, Taliesin avait répondu par d'évasifs "Pourquoi pas ?". Il était en effet hésitant, balançant entre l'envie de rester encore un peu simple voyageur et celle de reprendre du service. Celle-ci, peu à peu, se faisait sentir, mais... Peut-être avait-il une légère appréhension. Après tout, depuis combien de temps ne s'était-il pas produit dans une auberge ?
Celles où ils venaient d'arriver, par son nom comme par son personnel, semblait gérée par des halfelins. L'ambiance promettait d'y être joyeuse et il eut une pensée pour Guéric, lequel voguait sans doute sur les mers...

L'auberge était effectivement halfeline et ils furent accueillis avec un enthousiasme qui semblait bien réel. Victor et Baptiste, en particulier, furent tout de suite adoptés par la nombreuse marmaille de l'aubergiste et ils avaient à peine posé le pied à terre, qu'ils furent entraînés dans des projets de visite du poulailler, du verger et aussi du grenier à foin. Victor embraya avec enthousiasme mais Baptiste demanda d'abord à Taliesin si ça ne le gênait pas. Les adultes furent installés dans la petite salle commune, très chaleureuse, aux jolies nappes colorées garnies de bouquets de fleurs. Le jeune couple reçut une table dans un coin, à l'abri des regards, le vieillard tout en blanc disparut dans sa chambre et Taliesin put profiter de tout l'espace pour lui tout seul. Fédor, comme son collègue avant lui, semblait ne pas se mêler aux clients.
L'aubergiste et son épouse furent immédiatement aux petits soins pour le barde, manifestement enchantés d'accueillir un elfe du soleil. Ils semblaient hésiter entre jovialité et réserve, mais Taliesin reçut rapidement un petit alcool maison, distillé à base de betterave, qu'il était prié de critiquer sans mentir (c'était très bon, en réalité).
" Ce sont vos apprentis, ces beaux garçons ?" finit par demander la petite halfeline, replète et rubiconde, le sourire franc, tout en lui posant pain et beurre sur la table.

Le barde, qui avait tout fait jusqu'ici pour les encourager à la jovialité - il n'avait jamais tiré orgueil de sa race - n'entendait pas s'arrêter en si bon chemin.
-Ce sont mes fils, dit-il, affable. Et j'ai la nette impression qu'ils vont autant apprécier que moi leur séjour en votre établissement : cela leur rappellera un peu notre chez nous, que nous partageons avec un ami et ses nombreux enfants...

Elle sourit.
" Vous avez adopté des petits humains ? dit l'aubergiste, surprise. Voilà qui est rare... et tout à votre honneur. Ils sont Luméniens, n'est-ce pas ? Vous n'avez pas l'accent, mais eux oui. Surtout le grand blond. Immanquable. Mon mari est de Luménis, lui aussi. Terrible chose, ce qui s'est passé là-bas. Rien que d'y penser..."
Elle frissonna, puis son sourire revint.
" Mais je vous ennuie, et je suis indiscrète, de surcroît. Je vais me faire disputer. J'espère que vous apprécierez votre nuit dans notre nid. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous pouvez demander à n'importe lequel d'entre nous. Nous nous efforcerons de vous satisfaire."

Il lui sourit chaleureusement.
-Merci beaucoup. Et ne vous en faites pas : il n'y a eu nulle indiscrétion, d'autant que les bardes n'aiment rien tant que bavarder... Et effectivement, Victor et Baptiste sont Luméniens.
Pas de doute : les lieux comme leurs occupants lui plaisaient déjà.

La halfeline lui tapota amicalement la main, puis disparut vers les cuisines.
Victor et Baptiste ne reparurent qu'une demi-heure plus tard, crottés et échevelés, relativement ravis.
" Est-ce qu'on peut prendre notre bain avec Pym, Jan et Tom ? Ils disent que l'abreuvoir est assez grand pour nous... puis ça évitera de devoir nous monter de l'eau.
— Elle est froide, mais on se séchera bien.
— Ils ont une maison à moitié souterraine, c'est incroyable. Avec une porte ronde.
— Et leur fromage est très bon."
Victor leva les yeux au ciel.
" Je vais t'appeler Monsieur Ventre.
— Et toi Monsieur Sans Cervelle."

Baptiste qui osait répondre à Victor ?! Bigre ! Soit il avait gagné de l'assurance en seulement quelques jours, soit l'atmosphère des lieux le mettait particulièrement à l'aise... Restait à savoir si l'échange ne s'envenimerait pas mais... Il ne s'en inquiétait guère, en réalité : non, il avait le sentiment que cela resterait bon enfant.
-Très bien, allez y. Mais je compte sur vous pour ne pas prendre froid et... pour être sages.

" T'inquiète... Ils sont très... détendus, ici, dit Victor.
— C'est un peu vrai." admit Baptiste avec un léger haussement d'épaules.
Puis ils filèrent, tandis que l'aubergiste revenait vers le barde.
" Est-ce que vous voulez un bain, vous aussi ? Chaud, celui-là, bien sûr. Je suis un peu désolée que mes enfants aient kidnappé les vôtres, mais nous avons tellement peu de visiteurs de leur âge et le village... n'est pas très grand. Du coup, c'est l'aventure quand d'autres petits sont à disposition... D'autant que vos garçons sont drôlement sociables."

-Oh, ils ont l'habitude d'être en groupe : comme je vous le disais, l'ami avec qui nous vivons a de nombreux enfants. Et vous ne devez surtout pas être désolée : tout est pour le mieux, vraiment.
Il sourit.
-Et effectivement, je n'aurais rien contre me laver. Néanmoins, ne vous mettez pas martel en tête non plus : du moment que je peux me débarbouiller un peu, ce sera parfait.
Il avait davantage l'impression d'être invité chez des particuliers que de loger à l'auberge - conséquence logique de la chaleur des lieux, sans doute. Mais du coup, il ne voulait pas donner trop de travail à ses hôtes.

" Oh, ne vous en faites pas, nous sommes assez nombreux pour que tout tourne ! dit-elle en riant. La salle d'eau est au sous-sol, cependant, comme les chambres. Nous sommes des halfelins, le trou est un trou !"
Elle lui fit un clin d'oeil.
" Mais si vous descendez d'ici un quart d'heure, l'eau chaude sera prête et vous pourrez vous détendre. Même en coche, on se couvre de la poussière de la route. Quoi qu'avec les averses des derniers jours, c'est plutôt de la boue, qu'on récolte, et ça, le coche en protège généralement bien. Ça me fait penser... Est-ce que vous voulez qu'on nettoie votre cheval ? C'est à vous, le noir, non ? Je peux mettre mes fils dessus, si vous voulez. Pas ceux qui sont dans l'abreuvoir, évidemment."

-Si cela ne vous cause pas trop de dérangement...
Il eut une pensée subite.
-Hum, et... Pensez-vous que je pourrais faire un peu de lessive ? Les garçons ont généreusement maculé de tâches d'herbe l'une de leur tenue dès notre premier jouer de voyage. Je comptais leur dire de la réserver pour les moments de détente mais voilà, si d'aventure il était possible de la laver...

La halfeline prit une mine sévère.
" C'est absolument impossible. Les invités n'ont pas le droit de pénétrer dans ma buanderie."
Son visage se fendit d'un large sourire.
" Arrêtez de dire des bêtises, vous voulez bien ? Déposez-moi ces vêtements sales devant la porte de votre chambre, et je vous les préparerai pour demain matin."

Vu l'état dans lequel il avait vu les garçons quelques instants plus tôt, ce serait sans doute deux et pas une seule tenue qu'il faudrait nettoyer pour chacun d'entre eux.
-Merci beaucoup, répondit-il.
Et de songer qu'il laisserait probablement, en repartant, un pourboire conséquent.

Taliesin put ainsi descendre au sous-sol quelques minutes plus tard. Bien qu'il n'y ait pas de fenêtre, l'endroit était propre, éclairé de lampes qui diffusaient un agréable parfum, et le tout dégageait une impression chaleureuse. En hiver, ce devait être le lieu le plus accueillant du monde. La chambre mise à leur disposition était vaste, avec son propre âtre, et des draps et du linge de toilette sur les lits, un pour chacun d'entre eux. Il y avait aussi des fauteuils confortables, un nécessaire pour préparer son propre thé, quelques biscuits dans une assiette et un grand vase de fleurs champêtres. Une petite bibliothèque reprenait des classiques de la littérature halfeline, traduits en commun, dont le célèbre Prince des Bagues, une saga que la plupart des amateurs d'épopées avaient lue.
Le barde fut invité à prendre son bain par un adolescent halfelin qui lui arrivait à la taille. La pièce était superbement équipée et en place de baquet, il trouva un bassin des plus agréables.
Ensuite, il fut l'heure de dîner, et Victor et Baptiste le rejoignirent enfin, autour de deux beaux lapins rôtis aux cerises sauvages...

Il les accueillit avec le sourire et s'enquit de leurs aventures, ne doutant pas qu'il y aurait déjà matière à alimenter tout le repas en joyeuses conversations. Il ne doutait pas, non plus, de voir reparaître sous peu le fameux carnet de Baptiste : il y aurait de quoi prendre des notes, ici, en matière de cuisine. Pour le reste, il était vraiment ravi du choix effectué au relai de coche : il aimait tant l'auberge que les aubergistes et était déjà certain de refaire étape en ces lieux sur le chemin du retour.

Taliesin ne s'était pas trompé : les deux garçons lui racontèrent leurs aventures dans l'abreuvoir, un vaste bassin de pierre aux allures de piscine, dans lequel ils avaient barboté un bon moment. Ils avaient aussi donné à manger aux poneys, ramasser les oeufs des cailles, et joué avec les chiens, des spécialistes de la chasse au lapin. Le lapin était d'ailleurs la seconde source de revenu de l'auberge, et Baptiste demanda la permission d'acheter quelques petits pâtés en bocaux pour la suite du voyage. Victor se lança ensuite dans un récit invraisemblable concernant le célèbre fromage de lapin que confectionnait l'aubergiste, avec une conviction telle que si Taliesin ne connaissait pas le gosse, il aurait peut-être pu finir par le croire.
Ils annoncèrent cependant le pire à l'elfe à la fin du repas :
" En fait... Hum. On a dit à nos copains que tu étais barde... et que tu racontais super bien les histoires...
— Oui, heu... Hum. Tu crois que... peut-être... enfin... tu pourrais imaginer de leur raconter une histoire avant d'aller dormir ?"

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Rohan