La Couronne de Cuivre

Comme ce fut le cas pour Bellatrix, Christophe sentit un air des plus froids filtrer dès lors qu’il eut ouvert la fenêtre pour atteindre les volets. Le vent déchainé dissuadait quelque peu d’aller plus loin. Mais, contrairement à la farceuse, il n’avait plus vraiment de précautions à prendre.

Il porta sa main au loquet bien huilé, l’actionna, commença à pousser sur les épais panneaux de bois puis, d’un coup, l’un d’eux pivota brutalement sous l’effet d’une bourrasque. Il claqua sur le mur et, dans le même temps, le garçon crut qu’il recevait une gifle de glace. Il en recula et l’instant d’après, les trois autres furent logés à la même enseigne.

Au dehors, il faisait largement sous zéro. Le crachin de la veille s’était mué en grésil. Il tourbillonnait en tout sens avant de recouvrir un sol totalement gelé. Il n’y avait qu’à jeter un coup d’œil à l’état des petites allées courant à travers le jardin pour comprendre qu’elles étaient devenues de vraies patinoires. Et encore, ça c’était en terrain entretenu.

En attendant, si personne ne refermait la fenêtre, la chambre allait ressembler à l’extérieur.

-L'Hiver vient... souffla Pierre tandis qu'un frisson le parcourait de la tête aux pieds.

Sans savoir pourquoi, il tendit l'oreille, s'attendant à percevoir, dans le lointain, le lugubre hurlement d'un loup. Puis il se ressaisit, rassembla son courage et s'avança, achevant d'ouvrir les volets puis s'empressant de refermer la fenêtre.

-J'étais sûr qu'un truc comme ça arriverait... articula le petit garçon - le froid auwuel il s'était brièvement exposé la fait littéralement transi. Monsieur Larouge va dire qu'il peut pas nous ramener à cause de la glace, on va devoir rester ici et... le cauchemar va continuer. C'était forcé que ça se passe comme ça.

Cela ne lui faisait pas plaisir, bien évidement. C'était même tout le contraire. Mais il n'était pas surpris, pas du tout.

Au moment précis où Piotr ferma la fenêtre, son attention fut attirée par quelque chose. Cricri, non loin de lui, put également le voir.

Pour Pierre et Christophe :

Pierre eut toutes les peines du mondes à réprimer un fou-rire, tant la manière dont avait dégringolé le pantalon de Christophe était cocasse. Cependant, il craignit que son ami ne se soit assommé, crainte qui l'aida à se maîtriser quelque peu.

-Ça va, Christophe ? Tu t'es pas fait trop mal ? s'enquit-il, avec une sollicitude sincère qui ne parvenait pas tout à fait à masquer son hilarité latente.

Constatant avec soulagement que l'intéressé était toujours conscient, il songea à ses autres amis, lesquels ne devaient pas bien comprendre ce qui s'était produit.

-On a vu un corbeau, expliqua-t-il en se tournant vers eux. Il s'est envolé pile quand j'ai refermé la fenêtre. Et on aurait dit qu'il nous regardait. D'accord, il était tout seul, là, mais sinon, c'était exactement comme quand ses copains nous regardaient, hier. Ils nous ont regardés, ils nous ont forcés à venir ici et maintenant, ils nous guettent. J'crois qu'on en a pas fini, avec eux. A moins qu'ils soient juste là pour nous empêcher de sortir. Mais alors, ça veut dire qu'il y a un truc au moins aussi dangereux dans le château.

Il repensa à la phrase étrange que Bellatrix avait prononcée la veille - disant que la mort viendrait du ciel - et il poussa un profond soupir. Il ne savait pas si cette déclaration avait eu une portée immédiate, soulignant juste le fait qu'ils auraient de gros problèmes s'ils restaient dehors, ou si, au contraire, elle concernait des événements non encore arrivés... Quoi qu'il en soit, l'heure n'était plus à la quiétude, et la peur rôdait plus que jamais.

Benoît se serait bien passé de ce réveil plus ou moins brutal surtout après la nuit écourtée que tous avaient passée. Il se rapprocha aussi de Christophe pour qui lui avait fait une belle frayeur à sa façon pour vérifier qu'il ne s'était pas fait mal. Puis il songea à des problèmes bien plus triviaux : le froid qui s'était introduit dans la chambre lui rappelait qu'ils ne pouvaient pas rester en pyjama mais la présence de Bellatrix le dissuadait de se changer. Une idée en appelant une autre, il songea aux petit déjeuners copieux que préparait sa maman et l'image de pains aux chocolats et d'un bol de lait chaud à la chicoré s'imposa à son esprit, déclenchant un gargouillement fort peu discret. Rougissant, il entreprit de faire diversion vis à vis de ses camarades en partie pour ne pas penser aux inquiétantes histoires de corbeaux évoquées par Piotr :

- Vous croyez qu'on peur sortir dans le couloir pour aller jusqu'à la salle de bains, maintenant qu'il fait jour ?

Les dangers du couloir et de la maison lui semblaient moins réels que ceux qu'ils auraient à affronter dehors, à commencer par ce corbeau. Benoît était certain qu'il s'agissait du tout premier, qu'il s'agissait de Jamais Plus qui venait pour se rappeler à son souvenir. Le gamin ressentit un frisson qui n'avait plus rien à voir avec le froid.

C'était moche, vraiment très moche. Mais elle sentait qu'ils allaient devoir rester encore ici. Et puis, les corbeaux avaient recommencé à les poursuivre. Ils les regardaient. Elle n'aimait pas du tout ça. Et le pauvre Christophe qui était tombé, le zizi à l'air. Peut-être que ça les décroasserait un peu.

"Vous croyez que Vincent est copain avec les corbeaux ?"

Elle avait posé la question juste au cas où. Parce qu'un autre sujet la préoccupait : elle avait vraiment très envie de faire pipi.

"Moi, j'aimerais bien. Parce que je dois aller aux cabinets."

Il n'avait pas envie de savoir comment il allait mourir, si c'était dévoré par des corbeaux sanguinaires ou attrapé par les fesses par un monstre alors qu'il était aux toilettes. Tout ce qu'il voulait, c'était... bon, déjà, remettre son pantalon en place, masser sa tête endolorie, et puis... tiens, oui, aller aux toilettes, justement. Après une nuit, rien de tel, normalement, pour se soulager tranquillement, mais les paroles de Bellatrix venaient lui mettre un doute affreux. Et s'ils se faisaient attaquer pendant qu'ils faisaient pipi, seuls chacun dans leur coin ? Il frissonna à l'idée de devoir aller jusqu'à uriner ensemble pour éviter pareille mésaventure.

"On ne va quand même pas y aller ensemble... ? Parce que comme depuis le début, vous dites tout le temps qu'il faut qu'on reste ensemble... enfin, faut pas exagérer, quand même."

-Non, je crois pas qu'on va aller faire pipi ensemble, intervint Pierre. Mais le mieux c'est qu'on y aille chacun à notre tour et que les autres restent pas loin. Comme ça, en cas de problème, ils pourront venir aider. Par contre, je sais pas vous, mais moi, je préfère m'habiller avant de sortir de la chambre. On sait jamais...

Aussitôt dit, aussitôt fait : il gagna son lit, ôta son pyjama et entreprit d'enfiler les vêtements qu'il avait soigneusement pliés la veille. En temps ordinaire, Pierre n'était déjà pas du genre à faire des manières, alors en plein cauchemar, après tout ce qui s'était produit, il se souciait comme d'une guigne que les autres le voient tout nu. Il avait à l'esprit des inquiétudes autrement plus importantes, comme les abominables monstres qui pouvaient surgir à chaque instant, les événement horribles qui pouvaient se produire à tout moment...

Benoît était d'accord avec les autres sur l'idée d'aller profiter de la salle de bain les uns après les autres. En revanche, il entendait emporter discrètement ses vêtements pour en profiter pour s'habiller dans l'intimité des toilettes. Sans un mot, il récupéra ses habits de la veille et annonça :

- Bon, eh bien il n'y a plus qu'à y aller ! Honneur aux filles !

Bellatrix avait voulu ouvrir la porte mais le piège la bloquait. Ce laps de temps suffit pour lui faire retrouver ses réflexes. Ceux qui partaient tous seuls devant ... Et puis, Piotr conseillait de s'habiller avant, ce qui n'était pas une mauvaise idée. Elle pouvait bien attendre, du moins un petit peu pour aller aux cabinets. Elle attrapa ses vêtements, et attrapa une couverture. Elle se cacha dessous et enfila ses vêtements les uns après les autres. Puis, toujours dissimulée, elle alla jusqu'à Christophe et lui chuchota dans l'oreille.

"Ouhouuuuuuuuuuuuuuu, est-ce que tu pourrais enlever le piège, s'il te plait ? ça fait mille ans que j'attends pour sortir d'ici. Ohouuuuuu."

Cette fois, il n'eut pas peur. Mais il aurait bien voulu pouvoir taper Bellatrix. C'était pas drôle, elle tentait tout le temps de lui faire peur alors qu'il n'y avait pas de quoi rire ! Il s'était fait mal, juste avant, il s'était retrouvé à moitié tout nu devant elle, et elle ne pensait qu'à se moquer de lui. Pour un peu, il aurait boudé, mais il n'en avait même pas envie tant la situation lui fichait la frousse.

"Bon, je vais faire ça. Mais faudrait que tu saches comment le défaire sans qu'il te tombe dessus. Parce que si jamais un monstre me mange, vous serez coincés ici."

Des pas dans l’escalier, des pas dans le couloir, quelqu’un qui arrivait. Puis, peu après, des coups sur la porte, trois petits coups fermes mais mesurés.
« Les enfants ! Faut se lever ! Le petit déjeuné est prêt en bas, dans la salle à manger. Je vous y attends ! »
C’était la voix de Vincent Larouge, toujours aussi aimable. Par chance, il n’ouvrit pas la porte. Le contraire aurait pu avoir de... fâcheuses conséquences. L’homme s’en retourna en bas sitôt après.

-Merci de nous avoir prévenus, monsieur ! On arrive tout de suite ! s'était exclamé Pierre avant que l'homme ne tourne les talons.

Après avoir rangé son pyjama sous son oreiller, il entreprit de dissimuler ses possessions les plus importantes, au cas où leur chambre serait fouillée durant leur absence : il mit Archimède dans la poche intérieure de son manteau et son épée dans son sac, sous ses vêtements propres.

-Bon, j'crois qu'il faut plus trop traîner... dit-il enfin à ses amis. Vaut mieux pas le contrarier, à mon avis... Alors, si vous êtes d'accord, un p'tit tour par la salle de bain puis on descend !

Christophe, quant à lui, peinait à se retenir. Les émotions suscitées par le corbeau et le fantôme qui était en réalité Bellatrix lui avaient accéléré l'envie de faire pipi, et il sentait que sa vessie était bien pleine...

"Ca vous ennuie si je passe avant ? Faut vraiment qu'je fasse pipi, là..."

En règle générale, il tenait un bon moment, mais à situation exceptionnelle... il essaya de penser à autre chose en s'habillant, en rangeant un peu ses affaires et en remettant les coussins qui constituaient son matelas de fortune comme il fallait pour rester pas trop inconfortable. Malgré tout... il espérait que Bellatrix n'allait pas trop traîner.

-Moi ça me gêne pas du tout, Christopne, avait répondu Pierre. J'irai en dernier, si vous voulez : je peux encore attendre !

Comme Bellatrix s'était ruée hors de la pièce sans attendre de voir si elle était suivie, et comme aucun des autres garçons ne semblait vouloir lui emboîter le pas, lui-même avait choisi de minimiser leur dispersion en se positionnant dans le couloir. Ainsi gardait-il ses amis en vue tout en étant en un point où il pourrait entendre la petite fille appeler à l'aide, si d'aventure elle était confrontée à quelque danger...

Si rien d'aussi fâcheux ne se produisait - ce qu'il espérait -, il ferait son séjour aux toilettes en dernier puis s'autoriserait un crochet par la salle de bain pour se donner un coup de peigne. Comme le brossage de dents de la veille, ce geste anodin, quotidien, l'aiderait à combattre un peu l'angoissante étrangeté de leur situation...

Aucune monstruosité ne surgit de la cuvette des toilettes. Aucune statue ne semblait avoir bougé. L’angelot était comme la veille. Voilà bientôt les enfants en route vers la salle à manger d’où provenait, comme la veille, la grandiose musique du tourne-disque.

Pour Pierre : Voilà la petite troupe en bas de l’escalier. La salle à manger n’était plus très loin. Ils allaient y trouver un petit déjeuné des plus appréciables en compagnie du jovial Vincent.

Vincent invita tout le monde à prendre place. Comme ce fut le cas la veille au soir, les enfants pouvaient s’installer par groupe de deux, face l’un à l’autre. Il y avait sur la table de quoi ravir les estomacs et la gourmandise de la petite troupe.
« Alors, avez-vous bien dormi ? » demanda l’aristocrate après avoir salué à son tour les invités.

Benoît avait envie de répondre non sans un certain sarcasme qu'il avait bien dormi étant donné les circonstances défavorables qu'étaient, pêle-mêle, la tempête, le grand froid, les bruits dans le couloir, les éclats de voix et de dispute, le fait de dormir par terre et qui plus est dans une maison inconnue après une série de phénomènes traumatisants. Mais la façon courtoise dont monsieur Larouge avait posé la question, la prudence et la politesse contribuèrent à ce qu'il réponde d'un ton neutre après s'être mordu la langue pour ne pas commettre un tel impair :

- Oh, oui moi j'ai très bien dormi en tous cas !

Evidemment, les paupières lourdes de sommeil qu'il devait arborer après sa nuit écourtée devaient proclamer tout le contraire. Par ailleurs, il aurait bien tenté une diversion en s'emparant d'un de ces triangles aux amandes qui lui faisait tant envie mais c'était très malpoli de se servir en premier et sans autorisation.

Pierre était embarrassé. D'un côté, il ne voulait pas trop en dire à Monsieur Larouge, puisqu'il doutait pouvoir lui faire confiance. De l'autre, si leur hôte était effectivement méchant, s'il tirait les ficelles du piège dans lequel ils étaient tombés, il devait savoir tout ce qui se passait ici et ne pourrait que s'étonner de leur brèves réponses : il en déduirait probablement qu'ils se méfiaient de lui, et ce ne serait pas une bonne chose. Non, décidément, mieux valait qu'il les prenne pour des naïfs inconscients du danger qui les menaçait. Par conséquent, le gamin choisit d'en dire un peu plus que Benny :

-J'ai très bien dormi aussi. En plus, j'ai fait des rêves supers ! Ils avaient l'air très très réels... C'était vraiment chouette.

L'avantage avec cette réplique, c'est qu'il ne mentait pas. Il avait simplement omis de mentionner leur réveil, la tempête qui faisait rage au dehors, les bruits étranges dans la maison...

Bellatrix avait hoché la tête avec un sourire.

"J'ai très bien dormi aussi. Et on a beaucoup rêvé."

Ses yeux se posèrent une nouvelle fois sur le portrait de celle qui ressemblait tant à Morticia. Elle aurait bien voulu la rencontrer. Avec un peu de chance, elle habitait peut-être ici. Peut-être qu'ils la verraient. Elle voulait vraiment savoir ... Alors, elle essaya de se montrer polie.

"Monsieur, la dame et la petite fille, sur le tableau, est-ce qu'elles habitent ici ? Elles sont très jolies."

Comme à l'accoutumé quand il n'était pas très bien réveillé, Benoît commit une petite bévue par excès de curiosité.

- Et pourquoi elles font la tête comme ça ?

Aussitôt que ses paroles avaient franchies ses lèvres, il se mordit la langue et baissa les yeux, rouge de honte. Décidément, il ferait aussi bien de se taire dans ce genre de moments... Le petit était en plus très mal placé s'il avait mis monsieur Larouge en colère car il avait décidé de se placer à ses côtés et en face de Pierre, comme la veille.