[Quête] Le Refuge de Solossë

[Galathée]

" Allons-y, dans ce cas..."
Il leur fallut un peu plus de temps pour localiser leur prochaine étape et ils tombèrent d'abord sur les écuries où étaient entreposés chariots et chevaux endormis. Ils remontèrent ensuite un sentir plus large, marqué de nombreuses traces de pas, et parvinrent devant une nouvelle enceinte, gardée cette fois. Kerun fit signe à Taliesin de s'arrêter. Il y avait une tour, manifestement occupée car il y brillait de la lumière, et au moins deux hommes au sol, qui lorgnaient la nuit.
" Dommage que je ne sois pas un peu plus carré, j'aurais essayé de me faire passer pour l'un des leurs... fit Kerun en les observant. Ils ne sont que trois, mais celui d'en haut risque de voir que nous intervenons au sol... Je serais pour faire le tour de l'enceinte et tenter l'escalade plus loin. Je ne suis pas très doué mais je me défends et la palissade a l'air d'offrir des prises minimales. Nous neutraliserons ceux-ci en sortant au besoin."

[Taliesin]

-D'accord. Mais gardons bien à l'esprit que nous marcherons sur des œufs, une fois entrés : si nous laissons la moindre trace de notre passage, l'alarme sera donnée au mieux à l'aube, au pire bien avant. Et si nous sommes repérés, il nous faudra immédiatement faire taire le témoin... Bref, il y a de fortes chances pour que quelque chose cloche et qu'on se retrouve, au final, a devoir soit capturer, soit, plus probablement, éliminer tous les occupants des lieux.
Cette perspective, évidemment, ne lui plaisait guère. Mais s'ils n'avaient pas d'autre choix...
-Enfin, il me reste deux sortilèges d'invisibilité en réserve. Ça peut toujours servir.

[Galathée]

" Ils ne savent pas que tu as quitté l'enclave des elfes du soleil. Si c'était le cas, nous l'aurions déjà observé. Pour eux, cette nuit est comme toutes les autres : tranquille et sereine, sans dangers. Les seules équipes vigilantes surveillent les elfes, en veillant à ce qu'ils ne quittent pas leurs cages. Nous pourrions arpenter les chemins de terre sans que personne ne s'en émeuve. Tu es trop inquiet. Réserve cette angoisse pour le moment où la juste colère des nôtres provoquera un massacre que nous ne pourrons enrayer."
Il lui sourit, un instant, puis l'entraîna dans les taillis. Ils décrivirent une large volte autour de l'enceinte, jusqu'à un endroit où un chêne tortueux avait mené les constructeurs du rempart à infléchir sa trajectoire. Le reste se déroula sans difficultés : ils grimpèrent facilement dans l'arbre, se glissèrent jusqu'aux branches solides les plus hautes, puis s'agrippèrent au sommet de la palissade pour la franchir. Kerun jeta un coup d'oeil à l'intérieur, demeurant un long moment silencieux et immobile, avant de faire signe à Taliesin de le suivre. Ils se reçurent lestement dans l'herbe rase et restèrent contre les pieux de bois, observant les alentours.
Il y avait une grande maison aux allures d'auberge, dont les fenêtres inférieures étaient encore illuminées. Un peu plus loin, un second baraquement, beaucoup plus modeste, était plongé dans l'obscurité.

[Taliesin]

-Que fait-on ? s'enquit-il dans un souffle. On se coule le long de l'enceinte pour continuer à repérer les lieux et, qui sait, tomber sur un gars isolé, ou bien on s'infiltre dans la plus petite et la plus obscure des deux bicoques ? A moins que tu ne préfères attendre que toutes les lumières soient éteintes dans la plus grande ? Personnellement, je n'ai pas de préférence, et je me fie à ton expertise de l'infiltration !

[Galathée]

Kerun pinça les lèvres.
" L'obscure renferme à coup sûr les esclaves. Ils ne nous serviront à rien dans un premier temps. Nous aurions pu nous en user pour créer une diversion, mais ils en pâtiraient très certainement, et je doute que Maebryn se soit entouré de profils à risque pour effectuer du rangement et du nettoyage : il n'y a probablement aucun combattant dans leurs rangs. Ils sont humains de surcroît, ils n'y verront rien dans ces ténèbres. Laissons-les dormir pour l'instant, nous verrons ensuite."
Il se tourna vers la seconde des deux constructions.
" Je pense qu'il faut y aller maintenant. Nous ne savons pas quand ils iront dormir... et le bruit de leurs agapes couvrira nos mouvements. Si nous sommes aperçus en bout de couloir, ils nous prendront peut-être pour l'un des leurs... Enfin moi, en tout cas. Tu devras faire plus attention."
Il leva les yeux.
" Nous rentrerons par une fenêtre du premier étage. Encore un peu de grimpette en perspective, mais l'architecte a pensé à nous."

[Taliesin]

-L'un des gosses de l'enclave des solaires avait bâti une cabane dans un arbre, et j'y suis monté une fois pour lui faire plaisir et pour avoir un aperçu du Refuge. Si j'avais su ce qui m'attendait cette nuit, j'aurais répété l'opération à plusieurs reprises, en manière d'entraînement. Parce que franchement, l'escalade, ça n'est pas ma spécialité... Enfin, je devrais quand même m'en sortir. J'espère, en tout cas...
De toute façon, il n'avait pas d'autre choix : la solution proposée par Kerun était de loin la plus sensée.

[Galathée]

Kerun lui sourit.
" Tu as ce qu'il faut pour t'en sortir avec les honneurs, dit-il. Tu passeras devant et je te soutiendrai si certains passages sont plus difficiles. Une fois en haut, regarde si nous avons le champ libre... Nous viserons une fenêtre sans volets et sans rideaux, sinon nous pourrions avoir de mauvaises surprises... Je m'occuperai de débloquer la fenêtre si la pièce est déserte."
Il l'invita ensuite à définir sa trajectoire : la pelouse s'étendait sur une vingtaine de mètres avant d'arriver au pied de la bâtisse et il n'y avait que quelques buissons, sans doute ornementaux, pour dissimuler leur progression. En même temps, ils avaient le bâtiment entre eux et l'entrée de l'enceinte, seul endroit où ils avaient, jusqu'ici, détecté des gardes.

HRP : un peu de descriptif, que diable ! Je te laisse décrire ta progression jusqu'à "l'auberge" à ta convenance, péripétique ou pas

[Taliesin]

En temps ordinaire, Taiesin aurait utilisé la magie pour se dissimuler, ce qui aurait rendu cette tentative d'infiltration beaucoup plus aisée. Malheureusement, puisqu'il ne pourrait pas se reposer avant que le Refuge ne soit entièrement libéré, il devait ménager ses ressources et, par conséquent, adopter les méthodes de Kerun. Cela, ajouté aux dangers, aux enjeux de cette expédition, contribuait à le rendre très mal à l'aise.
Néanmoins, comme perdre du temps n'était pas envisageable. ils finirent par s'avancer. Courbés en deux, presque à quatre pattes, ils allèrent de buisson en buisson. A chaque fois qu'ils atteignaient l'un d'entre eux, ils s'immobilisaient, scrutant les environs pour vérifier qu'aucun demi-elfe ne s'aventurait dans le jardin et, surtout, pour scruter les fenêtres du bâtiment. Derrière celles-ci, les bourreaux discutaient, buvaient, jouaient aux cartes ou aux dés ; en un mot, ils s'amusaient, probablement sans éprouver le moindre remord, sans même songer aux actes ignobles dont ils étaient les acteurs et les complices durant la journée. Parfois, une silhouette se découpant plus nettement que les autres sur la lumière mouvante des chandelles poussait le barde à retenir son souffle : avaient-ils été repérés ? Non. Ce ne fut jamais le cas. Ainsi que l'avait dit Kerun, les fêtards se montraient si confiants que l'idée qu'un ou plusieurs prisonniers puissent se promener librement dans les alentours devait être, pour eux, purement inconcevable. A tel point qu'entrevoir une ombre furtive n'était probablement pas de nature à faire naître en eux la moindre once de suspicion.
Enfin, le duo atteignit le mur de l'auberge et Taliesin s'y plaqua, le cœur battant la chamade. Une étape de franchie... Malheureusement, le plus dur restait encore à faire.

[Galathée]

Kerun lui lança un sourire admiratif, puis prit quelques pas de recul pour choisir la fenêtre appropriée. Il la désigna à Taliesin : elle était étroite, obscure, et le chemin pour y parvenir plus ou moins direct. La bâtisse était cossue, presque élégante, et de nombreux croisillons de bois, rehaussés de clous de fer, ainsi que les aspérités du crépi, offraient des prises généreuses aux grimpeurs. Kerun aida Taliesin à attraper une première poutre qui dépassait légèrement de la façade en lui faisant la courte échelle, et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, le barde se retrouva sur l'appui de fenêtre. Il jeta un oeil à l'intérieur et découvrit une petite salle d'eau obscure, quelques seaux empilés sur le côté, une grande vasque apparemment pleine, des serviettes. La porte qui donnait sur l'hypothétique couloir était fermée, mais un fin rai de lumière se dessinait en dessous. Kerun le rejoignit. D'un geste d'habitué, il débloqua le mécanisme de la fenêtre, et la releva.
" Si tu cherches du boulot, au sortir de prison, tu peux me faire signe." dit-il à Taliesin, avec un clin d'oeil, avant de se glisser à l'intérieur.

[Taliesin]

-Écoute... murmura-t-il, d'un ton léger, après l'avoir rejoint. Si on me condamne à mort et si je deviens un fantôme suite à mon expédition, je serai heureux de travailler pour les services secrets. En revanche, si j'écope d'une peine d'emprisonnement et si elle est assez brève pour que ma compagne et nos enfants soient encore en vie à ma sortie... Je crois que je voudrais plutôt vivre paisiblement à leurs côtés, sans plus la moindre aventure.
Il examina la pièce avec attention.
-Tu m'en veux si je me lave pendant que tu t'en vas repérer les lieux ? L'enclave des solaires dispose d'un étang mais ça ne vaut quand même pas une vraie salle de bain...

[Galathée]

" On se baigne souvent, dans les services secrets, commenta Kerun en gagnant la porte. Dans les égouts. Mais l'eau est presque chaude, c'est agréable."
Il posa l'oreille sur le panneau de bois et demeura silencieux un instant.
" Mais méfie-toi. Je pourrais essayer de convaincre le jury de la nécessité de te faire condamner à mort, histoire de pouvoir profiter de ton fantôme."
Il avait dit cela avec humour mais une ombre passa sur son visage comme il réalisait que ce n'était finalement pas si drôle.
" Bon... Nos chances de tomber par hasard sur Trent sont maigres... Je peux essayer de le pister, je l'ai vu une fois, mais il faudrait que tu me dises tout ce que tu sais de lui... Impressions, sensations, tout et n'importe quoi. Je dois pouvoir m'imprégner de lui pour le retrouver."

[Taliesin]

-Je dirais que c'est quelqu'un qui a beaucoup d'aplomb, déclara-t-il après avoir décrit, le plus précisément possible, le physique de l'assistant. Il m'a menti de manière éhontée à ton propos, tout en paraissant se ficher complètement du caractère peu crédible de ses mensonges : soit il me pensait aussi embrigadé que les autres, soit il essayait de me tester, puisque Maebryn soupçonnait quelque chose, me concernant. En tout cas, ce qui est certain, c'est qu'il possède une très grande maîtrise de lui-même. Hier, quand il m'a fait part, avec culot et ironie, de ses doutes à mon propos, je l'ai pris de haut, jouant les elfes du soleil typiques et le renvoyant à ses origines. Il n'a pas apprécié, sa colère a été parfaitement visible durant quelques secondes. Toutefois, il s'est très vite repris, s'expliquant, déclarant posément qu'il ne partageait pas mes opinions sur les solaires. Il ne s'est pas excusé, néanmoins. Pas vraiment : il a prononcé une phrase du genre "Si je vous ai offensé, j'imagine que je m'excuse". Par ailleurs, il semble inspirer confiance et n'avoir aucune difficulté à tromper son monde. Du moins, à en croire le gamin à qui j'ai osé poser le plus de questions et que son jeune âge rend sans doute particulièrement naïf. Quoi qu'il en soit, il est tombé des nues quand je lui ai affirmé que Trent avait peut-être de mauvaises intentions. Ça l'a même choqué : le gosse avait gobé tous ses mensonges, jamais vu le moindre mal dans les tests qu'il subissait de la main de l'assistant, jamais entendu personne se plaindre de lui. Le seul élément troublant dont il m'ait fait part, sans vraiment y prêter foi, c'est l'affirmation de son amie, l'autre enfant de l'enclave, selon laquelle le demi-elfe venait parfois au cours de la nuit. Profitait-il de la mère de la gamine ? En la matière, je ne peux que supputer. J'ajouterai simplement qu'il ne m'a pas paru insensible à la gente masculine : il s'est permis quelques gestes équivoques avec moi, un jour où j'étais assis, torse nu, près de l'étang...
Ayant terminé d'exposer ce qu'il avait appris chez les solaires, Taliesin s'autorisa une brève pause pour respirer puis aborda ce qu'il avait découvert hors de l'enclave :
-Auprès de ses collègues, Trent à la réputation d'être un assistant hésitant ; Furvan l'a mis en garde contre les ennuis que cela pourrait lui attirer. De plus, ce dernier s'est moqué de sa sensiblerie... Notre homme est visiblement heureux de travailler dans un secteur aussi paisible que celui des elfes du soleil. Il s'attache aussi, dans une mesure très relative, à certains de ses cobayes : ainsi a-t-il été dépité en apprenant que la petite fille dont je t'ai parlé tout à l'heure n'irait pas directement à la chaîne, comme il se l'était imaginé, mais bel et bien à l'extraction. Enfin, comme tu le sais sans doute, votre rencontre constituait sa première incursion dans l'ignoble édifice : jusqu'ici, il s'était toujours refusé à y entrer, et il n'a cédé que face à l'insistance de Furvan, que face à sa volonté de t'arracher des informations sur mon compte.

[Galathée]

" Hum, dit simplement Kerun, pensif. Je me demande où Maebryn recrute cette engeance et comment. Des demi-elfes. Tu pourrais espérer qu'ils aient un minimum de compassion pour ceux qui sont une moitié d'eux-mêmes..."
Il pinça les lèvres.
" Il doit être relativement impopulaire parmi les assistants. Il a une attribution qui ressemble à la bonne planque : peu de conflits, peu de morts. Les autres le trouvent faible. Il a eu des soucis aujourd'hui, à cause de toi, qu'il soupçonne d'être davantage qu'un maître d'école itinérant. A cause de moi, qui ne lui ait rien dit et qui l'ait obligé à contempler quelque chose qu'il ne parvient pas à supporter. Il doit être encore plus mal maintenant. Sans réponse à ses questions, remis en face de ses limites. Il hésite à prévenir Maebryn. Son trouble, il peut le noyer dans l'alcool. Ou alors en solitaire dans sa chambre. Mais il veut en savoir plus sur toi avant d'aller vers le chef. Furvan l'a prévenu qu'il était en danger. Il ne veut pas changer d'affectation. Il prévoit de se lever tôt pour être dans l'enclave dès que possible. Donc il sera monté se coucher."
Il eut un sourire.
" Maintenant, à quel étage logent les assistants... Les extracteurs sont l'élite, ils seront sans doute au troisième étage. Les gardes sont plus nombreux, ils doivent beaucoup bouger, y compris la nuit, ils seront à cet étage-ci et probablement juste au-dessus. Je parie que les assistants sont tout en haut."

[Taliesin]

Le barde le dévisagea un instant puis hocha la tête.
-Impressionnant... fit-il d'un ton appréciateur. Si tes déductions se vérifient, et je ne doute pas que ce sera le cas, je ne partirai plus jamais en aventure sans avoir un agent secret luménien à mes côtés. Si elles se révèlent fausses, et bien... J'aurais prouvé à la face du monde mon incompétence en tant qu'informateur.
Il lorgna la porte.
-Je te laisse ouvrir la voie ? Mon orgueil de barde va en prendre un sacré coup, mais j'essayerai de n'être qu'une ombre à ta suite. D'être ton ombre, en fait.

[Galathée]

Kerun sourit au compliment.
" Je fais ce métier depuis près de trente ans. Certaines choses commencent à rentrer. Mais je peux me tromper. Crois-moi, je me trompe encore bien trop souvent."
Il entrouvrit la porte et jeta un oeil à l'extérieur.
" Nous formons une bonne équipe, voilà tout."
Il se glissa ensuite au dehors et fit signe à Taliesin de l'imiter. Le couloir était brillamment éclairé et le plancher craqua sous leurs pas légers, mais il n'y avait personne en vue et les éclats de rire et les conversations qui venaient de l'étage inférieur couvraient aisément le bruit de leurs déplacements. Ils trouvèrent très vite l'escalier et le gravirent rapidement, atteignant le second étage, puis le troisième. Kerun s'immobilisa alors et fit signe à Taliesin de l'imiter. Le barde entendit distinctement le bruit d'un pas se rapprochant : quelqu'un se dirigeait vers la cage d'escalier et allait tomber nez à nez avec eux. Si Kerun avait vu juste, il s'agirait d'un extracteur. Il était également trop tard pour incanter. Les doigts de l'elfe des bois s'étaient déjà refermés sur le manche de son arme, mais il ne l'avait pas encore dégainée.

[Taliesin]

Impossible de fuir. Impossible de se cacher. L'affrontement était donc inéluctable.
Instinctivement, Taliesin s'était raidi. Mais, l'instant suivant, il s'efforçait de respirer calmement, de relâcher tous ses muscles. Ce n'était pas à lui de prendre l'initiative : cette tâche incombait à Kerun qui saurait parfaitement quoi faire. Peut-être déciderait-il de tuer l'arrivant. Peut-être choisirait-il de le capturer. Dans les deux cas, le rôle du barde était de le seconder, en ombre fidèle, de se tenir prêt, selon les cas, à retenir le corps pour ne pas qu'il tombe sur le sol avec fracas, à étouffer un cri avant qu'il ne franchisse des lèvres, à immobiliser si l'on se débattait...
Telle était sa tâche. Et il l'accomplirait sans coup férir.
Il ne ferait pas défaut au Luménien.

[Galathée]

Kerun hésita une demi-seconde, Taliesin le perçut dans la tension qui l'habitait, puis dans un mouvement imprévu, il fit passer le barde devant lui et le poussa vers le haut de l'escalier. Ils débouchèrent sur le palier alors que l'extracteur y parvenait également. Taliesin vit immédiatement que l'homme était ivre.
" Ah non, hein... Tu peux pas le ramener en haut... T'as une chambre pour ça !" grommela le demi-elfe, cheveux noirs courts et yeux injectés de sang.
Il se campa devant le barde et le dévisagea, songeur.
" Mon voisin de chambre n'apprécie pas. Je cherche un coin tranquille. Tu veux partager ? demanda Kerun, contrefaisant l'intonation un peu rugueuse que le barde avait entendu dans la bouche de leur premier prisonnier.
— Hum. J'aurais préféré une fille.
— J'ai pris ce que j'ai trouvé."
L'extracteur jaugea Taliesin avec un regard désagréable, puis haussa les épaules.
" Pourquoi pas, après tout. Viens."
Il fit volte-face et Kerun décocha un regard déterminé au barde avant de le guider, main sur l'épaule, sur les pas de leur mauvaise rencontre. L'extracteur s'arrêta devant une porte qu'il déverrouilla consciencieusement puis entra dans une petite chambre. Kerun poussa Taliesin à l'intérieur puis suivit.
" Bon, par quoi..."
Il ne termina pas sa phrase. Kerun sourit en le rattrapant avant qu'il ne s'écrase au sol.
" On cherche Trent ou on essaie avec celui-ci ?"

[Taliesin]

Quoi que surpris par la manœuvre imprévue de l'agent secret, Taliesin s'était laissé faire docilement, confiant dans son initiative. Grand bien lui avait pris !
-Dans l'absolu, Trent conviendrait mieux : comme tu l'as dit tout à l'heure, c'est le plus fragile. Par conséquent, si nous n'arrivons pas à libérer une victime ayant compris ce qui l'attendait, il constituera notre meilleur chance de convaincre les solaires : ils le connaissent, ils se fient à lui, si bien que le voir avouer la vérité pourrait les conduire à remettre tout le système en cause...
Il observa l'extracteur inconscient.
-Mais celui-là va nous poser problème. On peut l'attacher, le bâillonner, le boucler dans sa chambre. Mais qu'adviendra-t-il s'il était attendu ? Si quelqu'un, inquiet, force la porte ?
Il secoua la tête.
-Laissons-le ici pour l'instant. Si Trent s'est enfermé et si nous ne pouvons crocheter sa serrure, ce type fera l'affaire. Dans le cas contraire... Nous aviserons. Dommage que je ne sois pas assez costaud : nous aurions pu les embarquer tous les deux...

[Galathée]

Kerun acquiesça puis souleva l'extracteur inconscient et l'étendit sur son lit. Il souleva l'oreiller, dénicha une tunique de nuit et déshabilla rapidement le demi-elfe, avant de le changer. Ensuite, il lui lia les chevilles et les poignets, le bâillonna, l'installa sur le côté et le recouvrit de ses couvertures.
" Je crois qu'il était un peu fatigué, c'est tout... Il ne devrait de toute façon pas s'éveiller avant plusieurs heures."
Il repartit vers la porte.
" Désolé pour la méthode, mais c'était la meilleure manière de ne pas être entendus..."
Une fois dans le couloir, Kerun hésita une seconde puis opta pour ne pas verrouiller la porte. Les deux elfes repartirent ensuite en arrière et après un rapide coup d'oeil dans la cage d'escaliers, grimpèrent prestement jusqu'au dernier étage. Celui-ci était semblable aux trois autres : un long couloir sur lequel s'ouvraient des portes, toutes closes. Taliesin et le Luménien quittèrent les marches trop exposées, puis Kerun lui fit signe d'attendre. Il alla de porte en porte, posant l'oreille contre l'huis, quelques secondes chaque fois, s'immobilisa une première fois, puis une seconde, revint en arrière, écouta à nouveau, et retourna jusqu'à Taliesin.
" Il est éveillé. Nous allons frapper... Peux-tu contrefaire la voix de Furvan ? Il faut qu'il vienne ouvrir si nous voulons l'attraper par surprise."

[Taliesin]

Le barde se fendit d'une moue dubitative.
-Mes imitations sont tout juste bonnes à faire rire les mômes, et je me suis toujours bien gardé de m'y essayer sur scène. Enfin, espérons que contrefaire l'accent de Vys m'aura servi d'entraînement...
Sans chercher à comprendre comment le Luménien avait identifié la bonne chambre, il se dirigea vers celle-ci. Parvenu devant la porte, il prit une profonde inspiration, se remémora le ton, l'accent, les expression de Furvan. Puis il toqua.
-Trent, c'est moi, dit-il sans hausser la voix. Faut que tu viennes, mon vieux, il y a du nouveau.

[Galathée]

Kerun s'était plaqué contre le mur juste à droite de la porte et fit signe à Taliesin d'en faire de même de l'autre côté. Il y avait du mouvement à l'intérieur, le bruit d'une chaise qu'on repousse, quelques pas.
" J'arrive, qu'est-ce qui se passe ?" fit la voix étouffée de l'assistant.
Kerun eut un sourire mauvais tandis que la porte s'ouvrait.
" Furv..."
Trent ne put aller plus loin dans sa phrase car le Luménien jaillit et lui plaqua une main sur la bouche dans le même temps qu'il lui tordait le poignet dans le dos. Les yeux du demi-elfe reflétèrent son épouvante comme il était bousculé à l'intérieur de la chambre et qu'il reconnaissait, dans le même temps, Taliesin.

[Taliesin]

Taliesin referma doucement la porte derrière lui.
-Salut, Trent, fit-il en lui adressant un sourire aussi faux que ceux dont l'assistant gratifiait ses "patients". Tu me manquais énormément, tu sais ? Alors, j'ai décidé de venir te rendre une petite visite... Tu ne m'en veux pas, dis ?
Il jeta un regard circulaire à la chambre.
-Ouah, c'est joli, chez toi... Tu permets que je jette un coup d’œil ?
Après avoir récupéré de quoi ligoter et bâillonner le demi-elfe, il entreprit de le saucissonner consciencieusement.
-Fais pas cette tête, vieux ! lui souffla-t-il. C'est pour ton bien, tu sais. Calanon, moi et tous les autres, nous avons décidé que le temps était venu de remercier Maebryn et ses collaborateurs pour les bienfaits qu'ils nous ont si généreusement dispensés... C'est vrai, quoi, ce serait injuste que nous ne prenions pas soin de vous, à notre tour. Et comme je t'aime énormément, Trent, tu seras le premier à bénéficier de notre gratitude. Tu ne vas pas le regretter, je te le jure !

[Galathée]

L'assistant avait tenté de se débattre pendant toute la procédure, et il paraissait clair qu'il hurlerait dès qu'on lui en donnerait l'opportunité. Son front était baigné de sueur, ses yeux exorbités de terreur, et Taliesin décela rapidement l'odeur caractéristique de l'urine. Kerun s'était contenté de maintenir l'assistant tandis que le barde le restreignait, conservant un air indifférent sur le visage. Une fois Trent complètement impuissant, il prit cependant son compagnon à l'écart un moment, abandonnant le prisonnier à même le sol.
" Il va falloir jouer serré, lui souffla-t-il. S'il est persuadé que tu le tueras quoi qu'il arrive, il ne lâchera rien ou il beuglera dès qu'il en aura l'opportunité. Je vais le garroter pour qu'on puisse l'interroger sans qu'il ne puisse donner de la voix. Nous allons peut-être devoir le torturer réellement, il faut que tu sois prêt à le supporter."

[Taliesin]

-Est-ce que ça ne vaudrait pas mieux de l'interroger ailleurs ? A l'extraction, par exemple ? Ici, nous pouvons être surpris à tout instant...
Cette question posée, il ne pouvait plus éviter le vif du sujet.
-Pour le reste... Kerun, j'espère vraiment que nous ne devrons pas le torturer. D'abord parce que si nous le malmenons, son témoignage ne sera plus crédible auprès des elfes : ils croiront que nous l'avons contraint à raconter n'importe quoi. Ensuite, parce que... Jouer la comédie, mimer les psychopathes sadiques, je peux. Mais passer à l'acte, ou assister à ça... Je ne suis pas certain d'en être capable. Bien sûr, s'il n'y a pas le choix, il n'y a pas le choix. Mais après... Je crains qu'il ne faille me ramasser à la petite cuiller. Cela me rappellerait trop...
Il déglutit péniblement.
-Bref. Je vais essayer de le convaincre. Par des promesses, par des menaces. Je crois pouvoir m'en tirer. Et si ça n'est pas le cas, nous aviserons. Dis-moi juste si on le fait ici... ou ailleurs.

[Galathée]

Kerun hésita.
" Nous allons perdre un temps bête à le ramener jusque là, souffla-t-il, ennuyé. Sans parler de le faire sortir..."
Il pinça les lèvres, baissa les yeux sur l'assistant terrifié qui se tortillait dans ses liens.
" Mais tu n'as pas tort."
Il se dirigea ensuite vers l'armoire qui devait renfermer les vêtements de Trent et l'ouvrit. Il y dénicha deux ceintures, qu'il tendit au barde, puis retira le drap du lit. Le demi-elfe le suivait des yeux, son bâillon étouffant tout juste un gémissement.
" Nous allons l'interroger aux exports vivants. La perspective de mourir enfermé dans une caisse, sans eau ni nourriture, pourrait peut-être avoir un bon effet. Sans compter que les Ilmates ne nous dérangeront pas. Et s'il faut lui faire mal... Je lui ferai mal. Maintenant, nous devons le faire descendre par l'extérieur. Tu iras à la réception, je te le baisserai doucement."
Et sur ce, il commença à déchirer consciencieusement le drap en lanières.

[Taliesin]

-D'accord.
Pendant que Kerun achevait son travail, il alla se placer près de la fenêtre, fouillant la nuit du regard en quête d'un éventuel promeneur. Il n'en vit pas, mais ce n'est pas pour autant qu'il relâcha sa vigilance : à tout instant, l'un des fêtards ayant trop bu pouvait ressentir le besoin de respirer un peu d'air frais... L'elfe espérait cependant que cela n'arriverait pas : descendre le long de la corde sans passer devant les fenêtres et faire suivre le même chemin à Trent serait déjà assez difficile pour ne pas en rajouter...

[Galathée]

Aidé par la corde, Taliesin parvint à descendre aussi aisément qu'il était monté. La chambre de Trent surplombait une zone obscure du rez de chaussée, Tymora était avec eux, et le barde put faire signe à Kerun que la voie était libre. Le Luménien arrima solidement leur prisonnier et le laissa glisser le long de la façade. Taliesin put ainsi réceptionner l'assistant que la peur semblait faire tourner de l'oeil. Quelques minutes plus tard, Kerun l'avait rejoint.
Quitter l'enceinte s'avéra une autre paire de manches. S'ils gagnèrent aisément l'ombre de la palissade, ils ne pouvaient plus disposer d'un arbre pour en rejoindre le sommet. Kerun fit la courte-échelle à Taliesin pour qu'il puisse grimper, puis escalada à son tour les rondins irréguliers, et ils hissèrent ensuite leur fardeau, tant bien que mal, jusqu'au faîte des troncs. Trent y récolta sans nul doute un certain nombre de bleus, mais aucun des deux elfes ne s'en soucia.
Enfin, ils atteignirent la petite cahute des exports vivants. Kerun assit leur prisonnier sur une caisse, l'appuyant dos au mur, puis il lui noua un fin cordon de cuir autour de la gorge, qu'il serra jusqu'à ce que Trent change légèrement de couleur.
" A toi..." dit-il ensuite à Taliesin, restant cependant contre l'épaule de l'assistant.

[Taliesin]

Le barde prit une profonde inspiration puis plongea son regard dans celui du prisonnier.
-Avant que je ne t'ôte ton bâillon, Trent, tu vas bien m'écouter. Calanon sert juste assez pour te permettre de me répondre tout en t'empêchant de crier. Mais si tu essaies malgré tout... Il serrera plus fort. Parce que toute bêtise mérite punition.
Il croisa les bras.
-Et oui... Un professeur se doit d'être sévère. Sévère mais juste, toutefois. Or, c'est de ton attitude que dépend laquelle de ces deux facettes prendra le dessus. Fais la forte tête et je serai obligé de te taper sur les doigts. Métaphoriquement, du moins, parce que dans les faits, ça se concrétisera d'une autre manière. D'abord, on te torturera, pour obtenir ce qu'on attend de toi. Ensuite, on t'enfermera dans l'une de ces caisses où tu agoniseras des heures, des jours durant sans que personne ne vienne à ton secours. L'extraction serait une autre option mais... Nous ne sommes pas des barbares, nous.
Il sourit.
-En revanche, si tu es sage, tu seras traité équitablement. Certes, tu as menti aux solaires, tu as été le témoin et le complice des atrocités commises par Maebryn et ses autres serviteurs. Cependant, je ne t'ai jamais vu violenter toi-même quelqu'un. Si l'on excepte les tests soit-disant nécessaires à la guérison. Bon, je ne sais pas pour quelles raisons tu t'infiltrais la nuit dans l'enclave, c'est vrai ; je ne sais pas non plus ce que tu faisais exactement aux mômes, dans la Maison des Jeux. Mais je suis prêt à te laisser le bénéfice du doute, à te laisser une chance de compenser, un tant soit peu, tout le mal que tu as perpétré ou laissé perpétrer.
A nouveau, ses yeux se rivèrent aux siens.
-Bref, ton destin est entre tes mains, Trent. Est-ce bien clair ?

[Galathée]

L'assistant tremblait comme une feuille, à présent. Kerun échangea un regard avec Taliesin puis haussa les épaules et lui retira son bâillon. Le demi-elfe demeura silencieux, la respiration sifflante.
" Je ne dirai rien... dit-il finalement. Maebryn vous trouvera... Vous serez massacrés. Il a des appuis puissants dans les hautes sphères mélandiennes. Ils viendront et vous traqueront jusqu'au dernier. Me torturer n'y changera rien..."
Il manquait sérieusement de conviction, et son regard allait de Taliesin à Kerun, revenant ensuite au barde.

[Taliesin]

-Ah, l'omniscient, l'omnipotent Maebryn l lâcha-t-il, ironique. Franchement, mon vieux, tu n'as pas l'impression que la confiance absolue que tu places en lui est aussi dérisoire que celle que lui vouent vos victimes ? Si ton maître était si parfait, comment aurais-je pu sortir aussi facilement de l'enclave et libérer Calanon ? Comment aurions nous pu, à deux seulement, mettre hors d'état de nuire une demi douzaine de gardes puis nous infiltrer jusque dans ta chambre pour te capturer avant de te ramener ici ? Allons ! Soit Maebryn est trop confiant, soit il vous a sciemment floués, toi et les autres. Dans les deux cas, il vous a condamnés. Car, bientôt, nous serons bien davantage que deux. Nous sommes déjà plus, en fait..
Il sourit, paisible.
-Mais soit, admettons que notre insurrection se termine mal. Mieux encore, admettons qu'aucun d'entre nous ne puisse quitter le Refuge et que ses activités reprennent dès demain, comme si de rien n'était...
Il se rapprocha de l'assistant, au point que leurs visages se touchaient presque.
-Réponds-moi franchement, Trent. Pourras-tu continuer à agir comme tu l'as fait jusqu'à présent ? Même quand ils enverront Mevian à l'extraction, et non pas à la chaîne comme tu l'aurais si miséricordieusement souhaité ? Même en sachant que, si tu avais saisi ta chance, tu aurais pu lui éviter un tel destin ? Furvan t'a dit que tes hésitations te vaudraient des ennuis, tôt ou tard. Aujourd'hui, elles t'ont sauvé la vie et te permettent de faire un pas vers la rédemption... Alors, sois franc : tiens-tu vraiment à ce que notre plan échoue ? Tiens-tu réellement à agir pour qu'il échoue ?