La Couronne de Cuivre

La révélation de la jeune femme prit le paladin au dépourvu. Il ne s'était certes pas attendu à cette déclaration et s'il était touché qu'elle ait confiance en elle, et désireux qu'elle ne le regrette jamais, il ne savait pas bien quoi lui dire.
" Dame... Chandara. Ecoutez... Je n'ai pas peur que vous nous mettiez en danger. Je suis certain que... malgré cette peur... vous trouverez la force en vous et si vous voulez croire... que c'est moi qui vous la donne, et bien..."
Il se sentit rougir mais espéra que les nuages sombres le dissimulaient suffisamment.
" Je vous la donne volontiers."
Baissant les yeux, il réalisa qu'elle lui tenait toujours le poignet. Cela le fit sourire et un moment, il oublia ce qu'il avait eu l'intention de lui dire. Puis cela lui revint.
" Mais si vous désirez rester en haut... pour surveiller nos arrières... protéger notre retraite... vérifier que les Mélandiens n'approchent point ou vous faire messagère de notre... échec... Mon respect pour vous demeurera intact, soyez-en assurée, et vous n'aurez pas à rougir de ce que vous avez accompli aujourd'hui."
Elle allait refuser, bien sûr, mais il ne pouvait pas ne pas lui proposer.

Une fois de plus, Arthur ne la jugeait pas et s’attachait au contraire à la rassurer, à l’inciter à garder confiance, à trouver des ressources dont elle ne pensait plus disposer en elle. Il tentait même de lui offrir une porte de sortie honorable mais ce serait renoncer à affronter sa peur, et bien plus inconcevable encore, ce serait l’abandonner, lui et les autres, face à un danger mortel. Comment oserait-elle jamais se regarder en face s’il lui arrivait malheur alors qu’elle aurait décidé de rester en retrait. Non, elle n’avait pas changé d’avis. Où irait Arthur fut-ce dans les enfers de Baator ou les cercles des Abysses, elle le suivrait. Quitte à affronter ses propres démons pour le protéger comme il la protégeait. Un sourire se dessina sur ses lèvres à cette pensée un peu folle mais agréable et, sans lâcher le poignet du jeune-homme, elle releva les yeux pour lui répondre :

- Bien essayé, vraiment ! Mais on ne se débarrasse pas de ma présence aussi facilement ! Je serai forte, vous verrez. Et grâce à vous, quoique vous sembliez en penser. Vous inspirez les autres, même si vous ne vous en rendez pas compte. Cette mission, nous l'accomplirons ensemble, et ainsi nous n'échouerons pas. Je ne voudrai pas avoir à annoncer à vos proches, à votre dame, les dieux m'en gardent, que je vous ai abandonnée.

Il sourit, amusé. Il ne s'était pas attendu à autre chose. Elle était absolument irrécupérable. Charmante, au demeurant. Mais il ne s'habituerait jamais aux fleurs.
" Ne vous en faites pas, vous ne devrez annoncer de mauvaise nouvelle à personne... Nous rentrerons à Graëlon avec le livre. Lathandre y veillera."
Cette fois, sans en avoir l'air, il se dégagea de sa douce poigne et fit volte-face.
" Mais vous avez raison... Nous pouvons jeter un oeil sous la trappe... Je propose que... vous la souleviez pendant que je jette un oeil... Je crains que nos regards humains ne nous informent pas beaucoup de ce qui s'y terre, malheureusement, à moins que notre adversaire n'ait laissé des lampes à notre intention... Mais on ne sait jamais !"

Si Chandara avait remarqué que le paladin avait évité une question délicate par une pirouette tout à fait habile, elle ne lui en montra rien et se contenta de lui emboîter le pas, sans un mot de plus mais en arborant un sourire déterminé, apaisé, un peu amusé aussi. Mais comme elle se tenait un pas derrière Arthur quand il pénétra à nouveau dans le moulin, cela ne risquait pas de le déconcentrer.

La paladine ne passa devant lui, en faisant des efforts de discrétion qu’au moment de s’approcher de la trappe. Elle se plaça derrière, de manière à ne pas gêner Arthur s’il devait se défendre puis lui fit signe qu’elle était prête et un dernier sourire d’encouragement avant de soulever doucement le battant barrant l’accès à leur destin.

petite musique d'ambiance

La trappe donnait sur une échelle de fer d'aspect solide et nullement rouillée. Elle descendait sur une courte distance et avait l'air de déboucher sur un sol dallé. L'espace d'une seconde, une silhouette apparut juste en dessous d'eux, leur masquant la vue et leva les yeux dans leur direction avant de s'esquiver comme elle était venue. Si elle les avait vu, eux ne purent discerner qu'un chapeau à larges bords et un manteau trempés par la pluie.

Ils entendirent le bruit discret mais caractéristique d'une course.

Arthur poussa un juron tout à fait charmant (du type "marin d'eau de vaisselle !").
" Allons-y !" ajouta-t-il à l'intention de Chandara.
Oubliant toute prudence (mais n'écoutant que son courage), il s'engagea aussitôt sur l'échelle en fer, dans l'idée d'essayer, peut-être, de rattraper celui qui venait de s'enfuir, ou, a minima, d'aviser une fois en bas. En tout cas, si c'était le nécromant qu'ils venaient d'apercevoir, il n'avait pas l'air féru de boules de feu et autres baisers de goule, ce qui était une bonne nouvelle...

Dans l’action, Chandara n’avait aucunement le temps de se poser des questions d’autant que l’espace sous l’échelle paraissait suffisamment vaste pour ne pas être étouffant. Contrairement à Arthur, elle n’était pas encombrée par une armure lourde qui restreignait ses mouvements. Il n’eut donc pas à l’attendre en bas de l’échelle car elle sauta souplement près de la moitié des barreaux en ralentissant à peine sa descente à l’aide de ses mains. Dès qu’elle fut en bas, elle dégaina son marteau pour parer à toute situation. La silhouette au chapeau était-elle encore visible ?

Ils arrivèrent sans encombre au bas de l'échelle. Ils se rendirent compte qu'ils n'étaient pas plongés dans le noir complet mais qu'au contraire, une multitude de torches les éclairait. Ils purent alors se rendre compte du lieu. Sol dallées, colonnes d'albâtre montant à la rencontre d'un plafond bas mais parcouru de volutes. Quelques statues. Un temple. Mais en adeptes du bien qu'ils étaient, ils ne purent s'empêcher de ressentir un certain malaise. A bien y regarder, les statues étaient menaçantes et difformes, leurs visages tordus de souffrance. Les colonnes d'albâtre étaient parcourues d'incrustations d'un rouge malsain. La corruption et le mal régnaient en ces lieux, c'était certain.

"A votre place, je ne bougerais pas. Du moins, je lèverais mes mains et les tiendrais bien en évidence au dessus de ma tête. Et je ne me lancerais dans rien d'héroïque."

La voix venait de sur leur droite. Une voix de femme à n'en pas douter.

L’atmosphère de cet endroit était tellement malsaine, souillée et répugnante que Chandara sentait chaque fibre de son être se révolter à l’idée même de son existence. Le moulin avait-il été construit dans le seul but de dissimuler une pareille horreur ? Mais il fallait reconnaître que ce n’était pas à franchement parler le meilleur moment pour se poser des questions d’ordre architectural. Ils étaient en bien fâcheuse posture avec le net désavantage de ne pas voir leur adversaire. Elle devait impérativement gagner un peu de temps pour permettre à Arthur de corriger cette lacune et lui laisser le temps de riposter si elle venait à tomber.

- Euh, je ne suis pas du genre héroïque moi ! Vous me fichez même la trouille. Par contre, si vous étiez à ma place et que vous aviez une soudaine envie de faire pipi, vous ne lèveriez pas vos mains, si ?

Une fois de plus, elle racontait n’importe quoi mais après tout, c’était sa façon de gérer le stress. Cela ne l’empêcha pas de tourner légèrement la tête, l’air de rien, pour tenter de repérer la source de la voix.

Un paladin ne se rend pas.
Un paladin meurt l'épée à la main, et tant pis si ça gicle, et que ça fait mal, et que c'est ensuite le néant pour toujours.
Il n'était absolument pas question qu'il lève les mains et absolument pas question qu'il lâche son épée. Non. Il ferait écran de son corps pour protéger Chandara et s'il devait tomber, elle irait régler son compte à leur adversaire. Car elle était fière et forte et qu'il l'avait vue se battre, et qu'il lui devait la vie, et que chaque minute depuis l'épisode de la falaise était une minute en plus, gagnée sur la mort, à laquelle il n'avait droit que grâce à elle.
Ils ne pouvaient pas se rendre aux adeptes de ce temple. Ils devaient combattre et vaincre.
Telle est la loi.
Il adressa des mots obscurs à Lathandre et se déplaça vivement pour se mettre entre la voix et l'Helmite. Quant à ce que cette dernière proféra alors... son esprit concentré ne l'entendit heureusement pas. Il se serait peut-être posé des questions sur le bien-fondé de ce sacrifice...

"Pardon ?"

La femme parut quelques instants déconcertée. Elle s'avança à son tour. Sous son chapeau, elle était brune et avait l'air d'avoir une trentaine d'années. Ses yeux bruns foncés étaient maintenant surplombés par deux sourcils en accent circonflexe. Elle tenait une arbalète pointée sur eux. Du moins, jusqu'à ce qu'Arthur s'avance et qu'elle reconnaisse le symbole de Lathandre.

"Celle là, on ne me l'a jamais faite. Je ... suppose que vous êtes des Lathandrites égarés ..."

Elle abaissa son arbalète.

"Pas de danger.", murmura-t-elle.

"Tant mieux.", fit une autre voix derrière elle. Une voix qui avait pour Chandara quelques accents connus. Une autre personne coiffée d'un chapeau à large bord, engoncée dans son manteau. Mais à la différence de l'autre femme, elle n'était nullement armée et ne semblait ne pas voir.

Chandara avait failli se maudire d’être restée immobile à tenter de "parlementer" à son étrange manière quand elle remarqua le mouvement rapide d’Arthur. Sans aucun doute s'était-il voulu protecteur puisqu’il s’était arrêté juste devant elle : il avait cherché à la préserver, à faire rempart de son corps entre elle et l’arbalétrière. C’était logique compte tenu de son équipement plus adapté mais c'était scandaleux ; courageux, mais inacceptable ! Si attentionné mais… mais… Il n’avait pas le droit ! Il l’entendrait passer si jamais ils s’en sortaient ! Et, contre toute attente, il semblait qu’ils avaient encore une chance. La femme qui les menaçait avait baissé son arme, sans doute en notant le symbole gravé sur le plastron de son chevalier servant si mal inspiré. Une petite voix en Chandara avait envie de penser que sa remarque l’avait peut-être fait hésiter aussi… Mais elle n’avait pas le temps d’écouter cette petite voix, de tancer Arthur pour son geste héroïque mais révoltant ou même de soupirer de soulagement. Car l’étonnement le plus total la gagna quand elle porta son regard sur la deuxième femme. Etonnement tellement total qu’elle en bafouilla, n’en croyant ni ses yeux, ni ses oreilles, et pourtant :

- Eli… Eliessan ? C’est… C’est bien toi ? Ou alors mes yeux ne me servent qu’à me jouer des tours pendables ! Si je m’attendais à te trouver ici…

Oui, il n’y avait pas de doute possible, son cœur avait répondu à la question sans nul besoin de confirmation. Alors, elle s’avança vers la femme la plus âgée en adressant un regard apaisant à sa « complice ». Puis, elle eut une marque d’hésitation et resta plantée devant elle, ne sachant quelle conduite adopter :

- C’est moi… Chandara. Te souviens-tu de moi ?

"Chandara ... Je crois que je reconnaitrais ta voix entre mille ..."

Sous son chapeau, Eli avait souri et son regard bleu s'était soudain éclairci. Elle serra quelques instants la paladine dans ses bras.

"Mais que faites-vous ici tous les deux et en pleine guerre ? Et ici ... Ne me dites pas qu'on vous a envoyé le combattre."

A coté d'elle, la jeune femme croisa les bras autour du manche de son arbalète, sur ses gardes. Si elle ne disait rien, son angoisse était clairement palpable.

Arthur n'avait pas parfaitement suivi l'enchaînement des derniers événements, mais il avait quand même saisi le principal : une des deux nouvelles venues — car c'étaient des femmes — était connue de Chandara et elles semblaient même en bons termes, puisqu'elles venaient de s'étreindre sympathiquement. Cela n'en rendait pas le Temple plus accueillant, mais sans doute avaient-elles de bonnes raisons de s'y trouver, et s'ils pouvaient trouver des alliés, ma foi, il n'allait pas faire le difficile. Il était prêt à se fier au jugement de Chandara — en ces matières, du moins. Il demeura silencieux, l'épée baissée, et laissa la jeune femme faire les présentations et divulguer ce qu'elle estimerait nécessaire de leur mission.

Chandara avait rendu son étreinte avec d’autant plus d’enthousiasme qu’elle avait été à mille lieues de penser rencontrer une si chère amie dans ce temple maudit. Toutefois, ce n’était guère un endroit ni un bon moment pour prolonger les effusions aussi l’accolade ne s’éternisa pas. Elle se tourna vers Arthur pour constater que le paladin lui laissait l’initiative de la conversation. Chose naturelle puisqu’elle détenait une partie des réponses qu’il devait sûrement se poser. Elle entreprit donc, sans élever la voix, d’aller à ce qu’elle jugeait essentiel - à sa façon :

- Eliessan, j’ai grand plaisir à te présenter ser Arthur Maelwedd, paladin émérite de l’Ordre de l’Aster. Arthur, laissez-moi vous présenter mon amie barde Eliessan. C’est une personne de grande confiance comme vous pourrez en juger par vous-même. Pour répondre à ta question, Arthur, moi et trois autres personnes avons été envoyés récupérer l’ouvrage maudit gardé par Elios Boros. Nous sommes aussi chargés de tenter de le ramener à la raison, si nous le pouvons. Mais toi, que fais-tu ici ? Tu as l'air d'avoir des informations qui pourraient nous aider. Et surtout, qui est ton amie ? Je suis impatiente de vous connaître, dame…

"Maelys ..., murmura l'autre femme, ou plutôt Maé ... Pour aller plus vite."

Elle se tut et prêta l'oreille aux bruits alentours. Soulagée, elle haussa les épaules et laissa parler son aînée.

"Un livre ? Non, nous ne sommes pas venues pour qui que ce soit. C'est autre chose qui nous a emmenées là. Mais s'il y a en plus un artefact. Je serais prête à parier que votre homme n'a pas trouvé refuge ici par hasard. Et sa présence ici devient quelque peu problématique. Quel est donc ce livre ? J'ai la mauvaise impression que la situation va devenir vite problématique."

Ses yeux inquiets se portèrent approximativement vers Arthur.

"Chandara dit que vous êtes un paladin de l'Aster. Voila qui nous sera utile. J'aurais aimé faire votre connaissance en d'autres circonstances croyez-moi. Donc tu me disais que vous étiez quatre ? Et Elios Boros, où se cache-t-il ?"

Arthur s'inclina légèrement devant la femme, avant de réaliser qu'aveugle, elle pouvait le voir.
" Nous recherchons cet Elios Boros, Dame. C'est lui qui détient le livre maudit que son père nous a envoyés chercher. Il était supposé se trouver dans le moulin, mais sans doute cela signifie-t-il qu'il se trouve quelque part... par ici. Sa soeur, Luna, et notre compagnon, Brus, ont emprunté un souterrain et devraient nous rejoindre, du moins nous l'espérons. Notre cinquième camarade, Dame Tempérance, a malheureusement dû être rapatriée à Graëlon..."
Il ne voyait pas trop en quoi le fait qu'il soit un paladin de l'Aster allait pouvoir les aider, jeune et inexpérimenté comme il l'était, mais il craignait de le verbaliser. Il était plus ou moins certain que s'il osait mettre ses capacités en doute, Chandara bondirait pour le défendre et il atteindrait de nouvelles limites dans le cramoisi. Non, mieux valait ne rien en dire, et en penser tout ce qu'il voulait.

Chandara prit la suite d’Arthur quand il s’interrompit, lui dédiant un sourire de reconnaissance pour avoir si clairement résumé la situation à leurs deux alliées potentielles. Une ombre était passée sur son visage à la mention de Tempérance et de la façon dont elle les avait quitté, elle qui aurait été infiniment plus utile qu’une paladine sans pouvoir présentement. Mais les paroles d’encouragement de son compagnon étaient encore prégnantes et lui donnaient la force de ne pas s’apitoyer, de voir la situation sous un angle positif, avec espoir :

- Enchantée de faire votre connaissance, Maelys, vraiment. Je pense que même si nos objectifs ne semblent pas concorder tout à fait, nous aurions tout intérêt à nous entraider, non ? Vous êtes arrivées plus tôt que nous et vous semblez ne pas être venu dans ce temple par hasard, vous avez peut-être une idée de la configuration des lieux. Voilà qui pourrait nous permettre de retrouver plus rapidement nos amis. De notre côté, nous vous prêterons assurément main-forte si c’est dans nos capacités et si seulement vous pouviez nous en dire plus sur ce que vous cherchez. N’est-ce pas, Arthur ? Je ne voudrais pas préjuger et m’engager en votre nom, cela dit… Et il est très important que nous récupérions ce livre qui représente une bien noire menace.

Eli hocha la tête.

"Je pense en effet qu'il risque de devenir important de faire sortir ce livre d'ici. Ce n'est pas n'importe quel temple. S'il a été utilisé par les Loviates, ce n'est pas ce qu'il était à son origine. Son histoire est quelque peu obscure. Si je ne me trompe pas, nous sommes ici dans la demeure de l'un des Pères. Ils sont trois selon les légendes, tapis dans des maisons qu'ils ont fait ériger par un architecte fou. De leur vivant tout du moins ..."

Elle frissonna.

"Nous pouvons nous entraider. Et quelque chose me dit que nous ne serons pas trop de six."

La paladine était quelque peu perplexe devant cette avalanche de révélations qui ne faisaient que contribuer à complexifier leur mission déjà pas si évidente à l’origine… Cet odieux temple avait été occupé par d’infâmes Loviates en plus d’un nécromant fou possédé par un livre démoniaque. Et ce n’était pas le pire ? Si Chandara n’avait pas été du genre un peu téméraire, il se peut qu’elle eut pris peur de ces informations plus qu’inquiétantes. Mais elle n’était pas totalement dénuée de bon sens malgré ses évidentes lacunes en la matière. Et les situations un peu plus simples, par exemple avec un ennemi clairement identifié, la rassuraient davantage que toutes ces incertitudes et ces dangers cachés. Elle chercha le soutien du regard d’Arthur qui aurait certainement un avis intelligent sur la question et une idée précise de ce qu’il convenait de faire… En attendant, elle répondit tout de même à mi-voix pour ne pas passer pour une parfaire incompétente :

- Si nous nous mettons dans l’idée d’affronter tous ces ennemis en une seule fois, il se peut que nous ne soyons pas assez de six bonnes volontés. Sans compter que nous avons promis d’essayer de ramener Elios à la raison. Mon instructeur, maître Garath, avait coutume de dire que pour vaincre un ennemi puissant, il convenait de le diviser. Evidemment, quand on connait son goût pour le maniement de la hache et sa manie de foncer tête baissée dans la mêlée, on peut l’interpréter au sens littéral mais il y avait de la sagesse dans ses enseignements…

Décidément, parler de manière obscure devait être un trait dorrandin. Arthur n’était pas surpris que Chandara et cette dénommée Elliassan s’entendent bien : sans doute parvenaient-elles à se comprendre. Lui-même n’entendait rien à cette histoire de Pères qui vivent sous terre. Et s’il pouvait se fier à l’emploi du passé, les Loviates, a minima, étaient partis (à moins que la grammaire ne diffère aussi en Dorrandin, c’était possible après tout…) Quant aux Pères, bah… Arthur savait bien qu’avec eux, on n’était jamais tranquille.
Il écouta cependant la proposition de son homologue, sourcillant à peine lorsqu'elle parla de son ancien professeur. Décidément... Décidément. Il empêcha ses pensées d'aller plus loin.
« Chandara, ne vous inquiétez pas… A moins que votre amie ait décidé de ne point nous révéler ce qu’elle sait, nous ne savons toujours pas s’il y a quelqu’un d’autre qu’Elios dans cet endroit. Je suis d’accord avec vous que toute aide est bienvenue, et si nous pouvons nous aussi rendre service, ma foi… Mais nous devons d’abord effectuer ce pourquoi nous sommes venus. »

Eli prit le temps d'écouter Arthur et Chandara avant de répondre.

"Je ne pense pas qu'il y ait qui que ce soit d'autre dans ce temple sinon, nous l'aurions su. Pour ce qui est du reste, j'espère me tromper mais il me semble que ce que nous cherchons et ce que vous cherchez risque fort de se retrouver au même endroit. L'un se servant de la puissance de l'autre ... Je ne voudrais pas jouer les prophétesses de malheur, mais j'ai la désagréable impression que l'homme que vous recherchez est déjà perdu. Je suis désolée pour sa soeur."

Chandara commençait à s’impatienter, nerveuse. Ils devisaient tranquillement dans un temple maudit de sujets qui la dépassait au moins en partie, en tous cas, sans qu’elle se puisse s’en faire un tableau complet. Eliessan avait le goût des bardes pour les mystères mais, en l’occurrence, la paladine aurait voulu qu’elle aille à l’essentiel et qu’ils puissent enfin décider de se mettre en route plutôt que d’imaginer les pires scénarios possibles. Elle songea à Luna qui pourrait bien retrouver son frère décédé au pire au bout du chemin et répondit d’une voix affectée, et encore plus orientée par l’impérieuse nécessité de ne pas tergiverser outre mesure :

- Tu en sais manifestement beaucoup plus mais je ne suis pas certaine que nous ayons le temps d’en parler longuement. Il nous faut retrouver nos amis avant qu’ils ne risquent de faire une mauvaise rencontre sans qu’Arthur et moi soyons là pour les protéger. Puisqu’il ne s’agit pas d’une personne, quel est cet objet que tu recherches et en quoi il pourrait faire échouer notre mission ?

L'espace d'un instant, Maé leva les yeux au ciel mais se garda d'ouvrir la bouche. Eli répondit.

"Ce n'est pas un objet. Mais un esprit. Un spectre puissant en sommeil dans ces lieux, qui attend son heure ... Peut-être attendait-il le livre dont vous parlez. Et aussi un bon réceptacle. Mais tu as raison, mieux vaut se porter à la rencontre de vos amis. Rester divisés n'est jamais bon ..."

Elle s'interrompit interdite. Il lui semblait avoir déjà entendu ce poncif quelque part. Mais peut-être était-ce le fruit de son imagination.

"Par où doivent-ils arriver ?"

Un esprit puissant ?! Il ne manquait plus que ça. Arthur recommença à se demander si on ne l'avait pas envoyé dans cette mission tout spécialement pour se débarrasser de lui. A présent qu'il savait que Chandara était plus ou moins une paria, elle aussi, il y avait de quoi s'interroger sur ce qui avait présidé à leur désignation. Quantités négligeables, tout juste bonnes à être sacrifiées. Ou pire. Il frissonna mais décocha un sourire confiant à la jeune femme. C'était la moindre des choses qu'il pouvait faire pour elle.
" Nous ne savons pas par où ils doivent arriver, Dame. Ils ont emprunté un tunnel qui serpentait sous la terre. Ce sont des enfants morts-vivants qui nous l'ont indiqué... Seulement à moitié fiables, malheureusement..."
Il songea aux épouvantails brûlés.
" Nous étions censés faire diversion... mais nous sommes finalement arrivés les premiers."

HRP : je suis de retour le 27... D'ici là, ne faites pas de mal à mon paladin !

Chandara dut lutter contre une nouvelle vague de découragement à la mention du spectre qui était susceptible de posséder le frère de Luna. Même si Arthur était courageux, compétent, avisé. Même si elle-même n’était pas complètement malhabile malgré la perte de ses pouvoirs, de son énergie divine. Même avec l’aide de deux bardes en sus de Brus et de cette Maelys à la profession encore indéfinissable. Même en joignant leurs forces, elle sentait qu’ils étaient bien démunis face à une créature qu’on ne pouvait pas abattre en lui tapant suffisamment fort ou longtemps dessus. Une créature qui serait sans doute trop consciente de sa supériorité pour qu’on puisse lui faire rendre raison et la convaincre de retourner dans sa tombe bien sagement. Un peu pâle en sachant qu’ils avaient toutes les chances de ne jamais ressortir de ce temple souterrain, la jeune femme prit la suite de son compagnon :

- Connaissez-vous un passage qui pourrait mener ici depuis l’extérieur ? Sinon, je crains qu’il ne nous reste qu’à explorer discrètement les lieux. Nous ne pouvons pas simplement espérer que nos amis nous trouverons les premiers. C’est trop risqué pour eux. Maelys, Eli, savez-vous ce qui pourrait être susceptible d’affaiblir la créature si jamais nous la rencontrons ? Lui soustraire le livre pourrait-il suffire ?

Même si elle était parfaitement d’accord avec Arthur sur le fait que leur mission passait avant d’autres considérations, savoir quoi faire s’ils croisaient l’autre occupant des lieux lui paraissait être une chose sensée.

"Il y a vraisemblablement plusieurs passages. Une entrée principale même si très discrète du coté du torrent. Celle qui passe par le moulin et ensuite, celles plus risquées par certains tunnels. Toutes ne sont pas optimales. Mais ce qui nous intéresse se trouve dans les salles inférieures. Pour ce qui est de l'amoindrir, une légende apocryphe mentionne une arme capable de vaincre le spectre et cachée dans ces lieux."

Eli avait parlé avec son calme habituel. Maelys, quant à elle manifestait quelques signes d'angoisse.

Si la paladine comprenait correctement les indications de son ancienne amie, le temple avait tout du complexe souterrain avec de multiples issues, passages et même niveaux. Voilà qui n’allait pas faciliter son exploration tout comme la recherche de leurs amis. La paladine espérait néanmoins que Brus et Luna feraient preuve de suffisamment de bon sens pour ne pas s’engager dans les salles inférieures sans les attendre. C’était là que se terrait assurément Elios, le livre des Parques, l’esprit malfaisant d’un des Pères et seuls les dieux savaient quoi d’autre d’encore plus répugnant et vicié. Sentant le temps jouer contre eux à chaque seconde qui passait, la jeune femme répondit par une question directe, espérant ainsi donner le signal du mouvement et ne pas donner lieu à de nouvelles révélations qui ne feraient qu’accroître sa propre confusion :

- Sauriez-vous nous guider vers l’endroit où peuvent aboutir ces tunnels ? Sinon, je crains qu’il ne nous faille commencer par explorer cette salle.

Ce faisant, la paladine balaya les environs du regard pour tenter d’en appréhender la configuration.

Elle vit des couloirs donnant sur plusieurs pièces dont elle ne sut appréhender la fonction ni la largeur. Eli approuva la jeune paladine. Elle tatonna conte le mur et récupéra un bâton. Maelys quant à elle se porta à sa rencontre et lui prit doucement le bras.

"Je crois que nous n'avons effectivement pas le choix. Mais je ne vous ai pas tout dit à propos de ce temple."

A l'autre bout du couloir, une torche commença à trembloter. Maelys ne put réprimer un soupir d'angoisse. Eli serra doucement sa main.

"C'est dans le noir que l'esprit a le plus de pouvoir. J'ai l'impression qu'il a senti notre présence."

A ce moment, toutes les torches s'éteignirent, les plongeant dans la plus parfaite obscurité.

Chandara appréciait énormément son amie de longue date mais elle allait commencer à s’agacer de ses révélations au compte-goutte sur les dangers auxquels ils faisaient face. Et c’est cet instant que choisit quelque dieu facétieux pour lui donner raison, ainsi qu’à Eliessan : leur situation s’aggravait encore de manière substantielle, esprit dément amateur de pénombre ou pas.

Et il semblait qu’il faille justement composer avec ce dernier pour faire bonne mesure. Difficile de ne pas succomber au désespoir dans ces conditions… Sans la présence rassurante de son amie et celle, plus apaisante encore, du paladine Lathandrite dont elle sentait la présence toute proche, Chandara y aurait peut-être céder, les condamnant sans aucun doute à un sort terrible. La jeune femme inspira lentement à plusieurs reprises avant de rompre le silence oppressant qui s’était installé :

- Que tout le monde reste groupé surtout !

Elle joignit son injonction d’un geste guidé par la nécessité - et pas du tout parce qu'elle avait peur ou entendait profiter de la situation, non non ! - en s’emparant de la main non armée du paladin, la seule chance de ne pas le perdre dans le noir s'il devait se déplacer. Puis, fière de sa première initiative, elle enchaîna dans un murmure, songeant avec nostalgie au matériel qu’Arthur lui avait prêté un court instant pour lutter contre les épouvantails :

- Si l’un d’entre vous a de quoi rallumer une de ces torches ou une autre astuce pour nous apporter un peu de lumière, je crois que c'est le meilleur moment pour qu’il se manifeste !

La Couronne de Cuivre

[Quête] Guerre des plaines brûlantes : un certain goût pour la mort