La Couronne de Cuivre

Dorian fut content en entendant les révélations d' Ailyn. Ainsi les forbans mélandiens comptaient leur donner une occasion de prendre le large. Car " s'éclipser était bien entendu beaucoup plus aisé en pleine nature qu' au milieu de cette mine isolée de tout et surveillée par toute la bande de Blanche-Mine. En attendant il fallait aviser : que faire exactement une fois le quatuor à l' air libre sur la piste du druide de la forêt avoisinante ? Si les pseudos déserteurs étaient " accompagnés " par des hommes de Blanche-Mine afin de les surveiller, faudrait-il se débarrasser d' eux ? Et sur l' essentiel Ailyn était dans le vrai : comment localiser le bourgmestre et ses enfants victimes des pillards ?

Avant toutes choses, Dorian révéla ce qu' il avait appris...c' est à dire eu de choses finalement.

" En fait Ailyn et Bellatrix, ce que j' ai appris ç' est la présence d' un associé de Blanche-Mine à proximité du tunnel menant aux cellules. Après avoir fait -brièvement- sa connaissance, je ne saurais dire si il sert volontairement les pillards volontairement ou sous la contrainte. Cependant il a un projet en cours et la présence d' intrus semble le gêner fort. Peut-être cela t il à voir avec les projets de Blanche-Mine concernant le druide. Par contre, je ne sais pas si il est au courant du sort du pauvre bourgmestre...Pensez-vous que nous devions-nous intéresser à lui...ou à sa chambre ? Si nous voulons fouiller sa chambre, il faudrait le distraire d' une manière ou d' une autre pendant que l' un d' entre nous opérerait...Sinon nous pouvons aussi fouiller le reste des mines mais nous risquons d' attirer les soupçons si nous posons des questions à tout le monde...Que pensez-vous de tout cela ? "

En fait peu d' options s' offraient aux luméno-manostiens pour trouver la trace du notable enlevé...

Ailyn essaya de faire travailler ses méninges... Vite... Vite, le plus vite possible... Mais elle avait l'impression de pédaler sur un cheval, ce qui n'avait évidemment aucun effet. Prise d'une soudaine lueur de génie, ses yeux s'allumèrent et elle demanda à Dorian de but en blanc :

"Attends, attends ! Il a une chambre pour lui tout seul ton bonhomme là ? Il ne dort donc pas aux dortoirs ? Mais c'est qui ? Un lieutenant de grande importance ?"

Encore un petit effort... encore, encore... Une goutte de sueur perla à son front et elle écarquilla ses grands yeux gris :

"Y avait quoi EXACTEMENT dans sa piaule ? Enfin... dans sa chambre, je veux dire..."

Réfléchir était fatiguant, du coup, Ailyn sentait revenir l'argot de la campagne profonde, ce qui avait quelque chose de rassurant pour elle.

Dorian avait remarqué la surprise dans la voix d' Ailyn. Effectivement un tel luxe au profit du père des deux garçons était surprenant au fond d' une mine qui n' était pas spécialement une auberge de luxe destinée aux bourgeois et aux noble, telle l' auberge du heaume et de la cape de la Porte de Baldur. Il y avait effectivement de quoi se poser des questions. Par ailleurs, Dorian venait de se rendre compte que l' home ne lui avait même pas confié son patronyme...I l tenait vraiment à sa discrétion celui-là...

" En fait Ailyn, je n' ai pas eu l' occasion de pénétrer dans ses quartiers privés. Cet homme en a bloqué l' accès tout le temps que nous parlions. Et il a attendu que je parle pour s' en retourner chez lui. Il était vraiment méfiant et secret et ne m' a même pas révélé son nom...Il a simplement affirmé être l' associé de Blanche-Mine. Ce n' est pas vraiment un lieutenant de Blanche-Mine donc. Encore une fois, impossible de comprendre ce que cela signifie réellement : prisonnier ou volontaire ? Ils sont 3 là-bas si nous voulons aller fouiller les quartiers de cet homme : lui-même et ses deux gamins. Comment proposes-tu de procéder Ailyn ? "

Et se tournant vers Bellatrix :

" Toute suggestion est le bienvenue pour infiltrer ces quartiers..."

Bellatrix fit mine de réfléchir avant de répondre.

"Personne ne se méfie des gens qui portent des assiettes. Parce que dans les assiettes, il y a à manger et qu'en général, les gens aimeent se remplir le ventre. Et puis ensuite, on peut toujours les lancer à la figure de qui de droit. En tout cas, si on continue de faire le service, on finira par nous laisser aller partout. Ensuite, on pourra faire caca dans le potage. Mais ça, ce ne sera à faire qu'en cas d'extrême nécessité parce que là, j'ai très faim."

Un petit silence et puis.

"Les hommes parlent toujours mieux le ventre plein"

Dorian releva la tête : il venait de se rappeler quelque chose tout d' un coup, un propos d' un des deux garçons qui pouvait avoir une importance capitale quand on y repensait. Mais comment cela avait-il pu lui échapper ,

Il regarda les deux magiciennes :

" Je me souviens d' encore une chose " fit le bon vampire, " un des deux gamins m' a dit être arrivé ici avec sa famille récemment, il y a quelques semaines seulement,après l' évacuation de leur village. Qui est à l' origine de l' évacuation de leur village ? Les villageois ou Blanche-Mine et ses hordes ? L' installation des deux gamins et de leur père a eu lieu quand leur père a rencontré Blanche-Mine...Mais dites-moi ? " Dorian s' interrompit devant l' énormité de sa découverte... Si seulement elle s' avérait juste...

" Dites-moi Ailyn et Bellatrix...Et si ce mystérieux père de famille n' était autre que le bourgmestre que nous avons pour mission de délivrer ? "

L' hypothèse paraissait folle de prime abord et pourtant...Si l' objet de leur quête, se trouvait là à quelques dizaines de mètres de l' endroit où il se trouvait ?

Ailyn se tapa le front violemment :

"Mais bien sûr ! Ca ne peut être que lui, j'étais justement en train de faire cette hypothèse... Mais pourquoi le bourgmestre se serait associé à Bmanche-Mine ? Il a massacré des tas de gens, comment a-t-il pu le tolérer auprès de lui avec deux bouches supplémentaires inutiles à nourrir ? Déjà qu'il ne veut pas de Zaïu, alors pourquoi voudrait-il de ces trois là..."

Elle prit une grande inspiration :

"Je crois que Bellatrix a raison : et si on continuait à servir tout ce beau monde et qu'on retournait mettre notre nez là bas sous couvert d'apporter des assiettes ? Ca pourrait valoir le coup d'essayer, pour comprendre ce qu'il se passe..."

Dorian opina du chef en entendant les propos d' Ailyn. L' idée de Bellatrix était bonne. Qui se méfiait de gardes portant la bonne soupe bien chaude ? Pourtant un problème demeurait :: comment vaincre la méfiance du père des gamins ? Les laisserait-il seulement passer ?


" L' idée de Bellatrix me paraît bonne " fit le guerrier sharessien. " Cependant, mieux vaut que je reste en retrait du moins au début. Je vous suivrais avec des assiettes pour donner le change dans les couloirs..;mais à quelques pas, hors de vue de notre bourgmestre. Par ailleurs comment comptez-vous le pousser à quitter ses quartiers sans éveiller sa méfiance ? Nous pourrions bien sûr l' assommer..mais ça risquerait d' attirer un peu l' attention sur nous...Il faudra vraiment jouer serrer surtout si l' homme était dans la mine de son plein gré ou bien si il agit sous la contrainte mais sil pense en toute bonne foi n' avoir aucune chance de s' évader " ajouta Dorian l' air pensif.

Ailyn passa sa main dans ses longs cheveux noirs, la planche à découper toujours sous le bras. Il fallait en effet aller jeter un oeil, c'était apparemment essentiel... Et ça ne servait à rien de passer du temps ici à se tourner les pouces.

"Bon, pour l'instant, on continue à distribuer les assiettes. Dorian, tu pourrais essaer d'approcher l'endroit ou Zaïu est détenu, sans forcément entrer en contact avec lui. Il faut rester discrets, mais en savoir plus est toujours plus sécurisant."

Elle poussa un soupir.

"Pendant ce temps, Bellatrix et moi on va essayer de servir à manger au brave associé de Blanche-Mine. Bellatrix a parfaitement raison, et j'ajouterai même : les hommes se méfient beaucoup moins avec le ventre plein..."

Dorian réfléchi aux paroles ' Ailyn. Effectivement aller enquêter du côté des geôles pouvait s' avérer intéressant. Cependant Blanche-Mine avait été très clair : il leur était interdit à tous les trois de s' approcher des cellules et si les aventuriers luméno-manostiens transgressaient cet interdiction, ils risquaient d' être arrêtés et mis au secret et comment accompliraient-ils leur mission ?

" Bonne idée que tu as eu là Ailyn " fit le géant " mais deux questions me viennent à l' esprit présentement : comment allons-nous retrouver ? Par ailleurs, si je m' approche des cellules, je risque de me faire repérer. Pensez-vous toutes les deux, que je doivent quand même prendre le risque de tenter une infiltration grâce à ma furtivité ? Si oui, je me met en route de ce pas une fois le problème résolu du rendez-vous...Sinon vous avez bien raison : le père des gamins sera un interlocuteur plus facile une fois l' estomac bien rempli " fit en riant le bon vampire...

Quelle que soit la décision d' Ailyn, il la respecterait...

Ailyn baissa encore la voix, histoire de ne pas être débusquée par leurs ennemis. Il serait judicieux de ne pas stationner plus longtemps dans le couloir.

"Tu ne vas pas jusqu'à Zaïu, mais tu pourrais servir à manger à son gardien par exemple ? On a fouillé tout le complexe avec Bellatrix, et le seul endroit où nous ne sommes pas allées lors de notre visite, c'est l'endroit duquel tu es sorti. Les geôles doivent donc se trouver non loin... Tu sers à manger au gardien, tu poses des questions pas trop indiscrètes, tu fais une blagues ou deux, et on se retrouve plus tard.... Ca marche ?"

Elle jeta un oeil inquiet aux alentours :

"Par contre, il va falloir se séparer rapidement et retourner en cuisine, si on reste plantés là trop longtemps, ça va devenir suspect, et on va croire qu'on prépare un sale coup..."

Dorian opina du chef. il approuvait la prudence d' Ailyn. Mieux valait ne pas donner aux forbans une raison supplémentaire de se méfier d' eux...

" D' accord " fit le géant à ses deux compagnes d' aventure, " retrouvons-nous tout à l' heure aux cuisines. bonnes chances à vous deux avec ce mystérieux père de famille ".

Puis tout en portant délicatement son assiette de soupe sur un plateau, Dorian s' en fut à travers les couloirs mal éclairés de la mine. Il se dirigea droit vers les cellules, s' aidant de son ultravision afin d' éviter pierres et aspérités. Ses yeux mobiles fouillèrent les semi-ténèbres avoisinantes en même temps qu' il pointait ses oreilles afin d' entendre la respiration de la sentinelle. Une fois celle-ci repérée, il s' avança vers elle en pleine lumière soucieux de montrer qu' il venait " en paix ".

" Bonsoir messire " fit le bon vapire, " c' est l' heure de la soupe paraît-il et le cuisinier m' envoie vous porter cette bonne soupe bien chaude. Permettez-moi de poser le plateau, là sur le muret à côté de vous. " Tout en parlant, le bon vampire s' était acquitté de sa tâche et avait posé le délicat et chaud chargement.

" Elle est particulièrement bonne ce soir cette soupe, vous m' en direz des nouvelles " fit Dorian l' air réjoui. il tenait à mettre en confiance le gardien, autant que possible...

Pour Bat
Pour Ailyn et Bellatrix

Bellatrix se tapa le front avec un petit sourire penaud.

"Mais oui, suis-je distraite ! Je suis sure que c'est l'ivresse des profondeurs. Encore quelques jours et il n'y paraîtra plus."

En même temps, servir dans les dortoirs leur permettrait peut-être de poser des questions mine de rien. Et encore et toujours de montrer qu'elles faisaient partie du llot. On souriait toujours à celui qui apportait les assiettes : surtout si on avait très faim.

Dorian fut étonné de la vitesse à laquelle se propageaient les nouvelles dans ce donjon. Ainsi Blanche-Mine le sinistre avait-il déjà fait part de sa décision aux sentinelles, en leur donnant tous les détails de l' affaire ? Dorian pensait notamment à l' attitude de son groupe lorsque le chef Orque à la crinière de neige avait exigé qu' ils tuent leur infortuné camarde Zaïu et qu' ils avaient refusé sous des prétextes plus ou moins habiles...

A présent, il fallait garder bonne contenance...tut en n' ayant pas l' air agressif.Il fallait encore et toujours profil bas.

" Toutes mes excuses messire " fit le bon vampire sur un ton mi-sérieux mi-ironique, " je ne fais qu' obéir aux ordres du maître-queue. il m' a envoyé apporter la soue à toute la troupe et non aux sentinelles spécifiquement. Et je ne savais pas que vous étiez deux voilà tout. il me semblait logique qu' une sentinelle suffise dans un tel endroit non ? "

Comme de coutume, Dorian laissa passer quelques secondes pour laisser son discours produire son effet puis reprit assez vite :

" Je m' en retire donc, n' étant ici que pour servir ce repas " fit encore le guerrier de Luménis avec toute la dignité possible. La discussion lui semblait trop mal partie pour qu' il tentât de gagner la confiance des deux cerbères par de belles paroles. aussi décida t il d' utiliser une autre approche...

Le bon vampire se retira à reculons de l' entrée des cellules tout en regardant les deux gardes bien en face mais avec un calme forcé. Puis une fois revenu dns le couloir, il regarda autour de lui, vérifiant que personne ne l' écoutait. Ensuite il tendit les oreilles afin d' écouter ce que les sentinelles diraient de lui leur surprenant visiteur...

Puis il agirait à sa manière...

Dorian - - -> ouïe ultra-aiguisée - - -> l' entrée des cellules

Pour Bat
Pour Ailyn et Bellatrix
HRP : en PJ, le plan des mines, tel qu'il vous apparaît à ce moment

Pour Bat
Pour Ailyn et Bellatrix

Ailyn était hésitante. Fallait-il jouer dans la catégorie des ingénues pour éviter les ennuis ? Sans doute. Cela ne l'amusait guère, mais comme elle l'avait proposé plus tôt, il était temps de passer à l'action. Elle se redressa, tâcha de prendre un air détendu, joyeux et même sympathique.

Elle s'approcha avec Bellatrix le plus près qu'elle put, et lança alors d'une voix douce :

"Bonjour, mon bon monsieur ! Nous servons la soupe ! Une petite assiette ?"

L'homme les avait entendues venir bien avant qu'Ailyn ne se décide à prendre la parole. Il était seul, attablé devant un livre ouvert où il semblait venir d'écrire un court paragraphe supplémentaire ; une sorte de journal de bord, ou de journal intime, peut-être. Blond, grand, une masse à la ceinture : c'était bien l'homme que Sorian avait croisé un peu plus tôt. Autour de lui, la pièce était bien rangée, et singulièrement plus meublée que les autres salles de la mine. Elle ne donnait pas l'impression de bric à brac hétéroclite que l'on trouvait dans les dortoirs ou la grande salle où Blanche-Mine les avait reçus. Derrière un rideau, on devinait une autre pièce en enfilade.

L'homme les dévisagea tandis qu'elles approchaient.Quand il prit la parole, Dorian entendit sans peine la conversation.

"Ah oui, je vous remercie, vous pouvez poser l'assiette ici. Je ne crois pas vous avoir jamais vues ici. Vous devez être de nouvelles recrues ?"

Satisfaite de cette formidable entrée en matière, Ailyn s'avança tranquillement et posa une assiette sur la table. Avec un sourire des plus sincères - bien normal, elle touchait au but ! -, la jeune femme répondit :

"Oui, on vient d'arriver ici. Nous avons fui les combats... servir de chair à canon, ce n'est pas vraiment notre truc, même si on ne se défend pas si mal !"

Ailyn se demandait ce que le bonhomme pouvait bien écrire dans ce livre... Ses péripéties avec les bandits ? Des messages codés ? Pourquoi était-il de mèche avec les brigands ? Pourquoi leur avait-on fait dit qu'il avait été enlevé et gardé en otage ? Tant de questions sans réponse...
Qui figuraient peut-être dans ces pages ?

La jeune femme redressa légèrement l'assiette de celui qu'elle soupçonnait être le fameux bourgmestre :

"J'ai l'impression que c'est le cas de pas mal de monde ici, d'ailleurs... C'est le vôtre aussi ?"

Dorian écoutait de toutes ses oreilles (effilées bien sûr). Ailyn après une entrée en matière de nature à rassurer l' associé des forbans tenait le même discours que lui-même tout à l' heure. fort heureusement grâce aux assiettes à soupe, elle paraissait à priori aux yeux de l' homme blond moins immédiatement suspecte que le bon vampire (qui ne passait dans les quartiers de l' homme mystérieux que " par hasard "). Mais ensuite...que se passerait-il ?

Il était évident qu' une partie des hommes de troupe des forbans ne se trouvaient sous les ordres de Blanche-Mine que pour échapper à tout prix aux combats entre belligérants. Mais l' associé lui semblait avoir un but très précis dans la tête et en tous cas paraissait terriblement déterminé à accomplir sa mission pour Blanche-Mine.

Une chose était toujours obscure : l' associé travaillait avec discrétion et motivation par conviction ou à cause d' une terrible contrainte ? Les deux motivations possibles pouvaient expliquer le comportement du père des deux garçons...Et puis il y avait la pièce inexplorée dont l' associé bloquait toujours l' accès.

" Pourvu qu' Ailyn et Bellatrix réussissent à endormir sa méfiance " se dit Dorian.

Il continua à écouter la conversation....

L'homme ne toucha pas tout de suite à la soupe, qui fumait encore en dépit de son relativement long trajet dans les galeries. Il se redressa et répondit calmement à Ailyn, mais sans la regarder. Son langage contrastait de manière évidente avec celui des autres hors-la-loi.

"Vous l'apprendrez sans doute assez vite, le noyau dur de ce groupe est constitué de déserteurs mélandiens qui se sont plus écartés de l'armée par indiscipline que par peur de combattre. D'autres les ont rejoints, pour les mêmes raisons que vous ou encore par goût pour la rapine. La troupe est hétéroclite et c'est un tour de force que de lui donner un semblant d'ordre. Pourtant, c'est bien de cette cohésion que dépendra notre survie à tous..."

Il referma machinalement son carnet, après avoir jeté et secoué un peu de sable pour faire sécher l'encre.

"Mon cas est différent, je n'étais pas soldat."

Il n'en dit pas plus, et ne le ferait visiblement pas spontanément. Le sujet semblait le déranger.

"J'imagine que vous étiez dans l'armée manostienne. Quelles sont les nouvelles ?"

Il évitait le sujet comme le chou évitait la chèvre qui évitait le chien qui évitait le loup qui évitait le bâton qui évitait le feu qui évitait l'eau qui évitait le veau qui évitait le boucher qui évitait Baine. Alors mieux valait aussi d'éviter. Peut-être fallait-il le distraire un peu tout en évitant de lui faire des guilis guilis pendant qu'il dormait.

"L'armée, vous savez c'est l'armée. ça vient, ça va, ça se déplace. Nous, on était dans le groupe des mages. Beaucoup de parlote et peu d'actes mais ça nous allait bien. Mais bon l'armée, ça n'a rien à voir avec une promenade de santé. Et puis, ils voulaient nous envoyer au casse pipe alors on leur a dit non."

Si l'homme avait espéré des nouvelles du front, des renseignements sur l'état de (dés)organisation de l'armée ou ses chances de succès, il était bien déçu. Mais après tout, ce genre de réponse n'avait rien de bien surprenant de la part de déserteurs ayant fui avant même les premiers combats.

"Si c'est vous qui faites la distribution aujourd'hui, pourriez-vous aller chercher deux assiettes supplémentaires ? C'est pour mes garçons, Jehan et Maheu. Pour l'heure, ils sont très occupés à jouer là derrière, mais je ne doute pas que l'appel de l'estomac ne les fasse promptement rappliquer", conclut-il avec un demi-sourire. Visiblement, il aimait ses fils.

Ailyn changea d'expression, se voulant la plus rassurante possible. Ils touchaient visiblement au but, mais aussi à un point sensible... Que trafiquait cet étrange bonhomme au milieu de la troupe des énergumènes de Blanche-Mine ? Etait-il "obligé" d'être ici ? L'avait-on menacé ? Se passait-il autre chose ? Blanche-Mine pouvait-il être un lointain de ses cousins ?
La jeune femme se retint de secouer la tête à cette pensée.
Non, à la place, ses lèvres esquissèrent un nouveau sourire et elle répondit avec bonne humeur :

"Mais bien entendu, ça ne posera aucun souci ! Bellatrix, allons donc chercher de quoi sustenter ces braves petits !"

Elle fit quelques pas en direction de sa camarade et lança :

"Nous revenons dans quelques instants !"

Ailyn ne se fit pas prier pour quitter la pièce, se maîtrisant de son mieux pour ne pas se frotter les mains. Entre le carnet et les révélations de celui qu'ils soupçonnaient d'être le bourgmestre disparu, les affaires reprenaient comme jamais.