[Quête] Dans les contreforts des Pics des Orcs

[Galathée]

Keyth parut songeur.
" Hum. Si nous avions été en automne, je vous aurais suggéré de remettre votre voyage, mais vous avez choisi la belle saison. Ça dépend un peu de vos aptitudes à coucher à la dure, mais vous m'avez l'air d'une femme solide. L'humidité, surtout, va être votre pire ennemie. Méfiez-vous de la pluie. Méfiez-vous de la grotte qui suinte et de la bergerie dont le toit fuit. Je vais vous prêter une tente, si vous voulez... Il doit m'en rester une en bon état. Je me dis toujours que je vais remonter un de ces quatre, chasser la chèvre sauvage dans les hauteurs. Mais on a l'âge qu'on a... et mes articulations supportent moins bien toutes ces averses... Même la rosée du matin me fait grincer des rotules."
Il haussa les épaules.
" Ce côté des Pics des Orcs n'est pas le plus facile. L'abord par le nord est beaucoup plus aisé, mais cela vous demanderait de les contourner complètement. Ici, vous allez vite vous retrouver au pied du Mur, comme on dit. Certains Montequins connaissent des passages pour atteindre des alpages élevés, mais ils sont peu partageurs, cette engeance..."

[Voyageuse]

Astrée grimaça.
- Bon, je verrai si j'arrive à les amadouer un peu alors... Sinon je risque de passer des jours et des jours à tenter d'escalader la roche sans aboutir nulle part...
Décidément, ces Montequins ne semblaient guère accueillants. Elle sentait qu'elle allait très rapidement regretter l'amabilité de Florence et du vieil homme. Pas étonnant que Reynald célèbre autant leur sens de l'hospitalité s'il y avait un tel contraste une fois passé le village. Pourtant, Margot ne lui avait pas semblé hostile. Solitaire, indépendante, à peine curieuse, mais pas hostile. Peut-être lui donnerait quelques pistes ? Elle semblait beaucoup crapahuter dans ces montagnes après tout... Ou peut-être saurait-elle la conduire aux bonnes personnes.
Elle sourit à Keyth.
- Et j'aimerais bien emprunter votre tente, si vous avez l'amabilité de me la louer. Et... j'avoue que je vous achèterais bien un peu de miel aussi. C'est sans doute trop tôt dans l'année, mais il vous en reste peut-être un peu de l'automne ?

[Galathée]

" Oh, pour la tente, j'aimerais autant que vous me l'achetiez. Ce n'est pas pour douter de vous, mais... on ne sait pas ce qui peut arriver et puis vous pourriez redescendre par un autre chemin. Si vous me la ramenez, je vous la rembourserai. Mais je n'en aurai plus l'usage, il faut que je sois raisonnable. Je vous la vends pour un prix modique... Disons une pièce d'or, cela vous irait ? Et je vous offre le miel. Il m'en reste quelques pots. Il se conserve très bien. Plus de bruyère, cela dit, mais le miel de rhododendron de l'année passée est particulièrement goûteux. Je dois avoir du tilleul, aussi. Et puis du miel des montagnes..."

[Voyageuse]

- Je prendrais bien le rhododendron. Je n'ai jamais eu l'occasion d'en goûter, du moins jamais du pur rhododendron.
Elle fouilla dans une poche en sortit sa bourse. Miranda avait été généreuse : elle avait largement de quoi subvenir à ses besoins et s'équiper à son gré pour l'expédition. il faudrait du reste qu'elle songe à garnir un peu mieux sa besace à provisions... ce qui n'était pas forcément compatible avec la nécessité de voyager léger. Tout dépendait, bien sûr, du relief qui l'attendrait. Si Prince pouvait porter ses bagages, elle pouvait se charger, mais sinon... Bah, Keyth saurait certainement lui dire.
Elle tendit la pièce d'or au vieil homme.
- Une pièce d'or, si c'est votre prix... mais je suis sûre qu'elle vaut plus. En tout cas, si je repasse par ici au retour, je vous la rendrai gratuitement. Peut-être n'en aurez-vous plus l'usage, mais vous avez sans doute des enfants ou petits-enfants qui pourraient l'utiliser, non ?

[Galathée]

" Mes enfants sont descendus dans la vallée. Ils n'ont plus l'usage de ce type de matériel, fit-il avec fatalisme, mais sans réelle tristesse. Quant à Ferdinand, il a déjà son propre équipement... Non, franchement, ne vous souciez pas de ça. Ça me fait plaisir de savoir que tout ce fatras va servir... Je dois avouer que je ne suis pas certain de l'avoir nettoyé la dernière fois que je l'ai utilisé, cela dit. Ça remonte et ma mémoire me fait parfois défaut... Au pire, vous devrez l'étaler un peu dans l'herbe pour remplacer les odeurs de vieux bouc par les senteurs suaves des fleurs des champs..."
Il sortit de la chaumière et l'entraîna vers le côté de la bâtisse, jusqu'à un petit appentis, dont il ouvrit la porte qui tourna sans bruits sur des gonds. Si la tente était aussi bien entretenue que les bâtiments, Astrée ne rencontrerait nulle mauvaise surprise en la dépliant. Il y fureta un moment et lui sortit un paquetage bien serré, de dimensions et de taille réduites.
" On peut y loger seul à l'aise, ou à deux si on est d'humeur romantique."

[Voyageuse]

Astrée sourit à cette dernière réplique, songeant un instant à Reynald qui s'était affirmé prêt à la rejoindre n'importe où, même en pleine montagne, et qui aurait certainement apprécié l'allusion... tout en préférant sans doute un lit moelleux. Bah, de toute façon il ne pouvait se téléporter que s'il savait exactement là où elle se trouvait, donc il n'aurait jamais l'occasion de tester le confort de la tente puisqu'elle l'utiliserait loin de tout point de repère. Bon, et puis de toute façon, Maedron avait bien affirmé qu'elle devait se rendre là-bas seule, donc il était stupide, absurde et insensé de songer un seul instant à ce genre de chose.

Elle saisit le paquetage avec précaution.
- Je vais prendre le temps de l'aérer un peu jusqu'à ce soir... Et ça ne me fera qu'un petit paquet supplémentaire à ajouter à mes bagages.
Qui étaient déjà bien lourds, elle en avait conscience. Et la tente avait beau être bien empaquetée, elle pesait son poids elle aussi. Il serait difficile de tout transporter seule sur une longue distance, du moins si elle y ajoutait trop de provisions.
- Vous qui êtes souvent allés par là-bas... J'ai une monture, un petit cheval, qui va m'aider à transporter tout mon fatras. Est-ce que les sentiers sont suffisamment praticables pour lui ? Ou est-ce que je dois absolument m'alléger au maximum et envisager de le laisser en arrière ? J'imagine qu'il pourra au moins me suivre jusqu'à Montequine, non ?

[Galathée]

" Oh, jusqu'à Montequine, il n'y aura aucun souci, pour autant qu'il ait le pied sûr. Ensuite, ça dépend de vous... Si vous comptez faire de l'escalade, alors, il ne pourra pas vous suivre, mais j'imagine que vous auriez pu le deviner toute seule !"
Il gloussa joyeusement tout en lui remettant deux pots de miel par dessus sa tente.
" Mais je ne vous conseille pas de grimper trop haut. D'abord il fait froid et humide, ça je vous l'ai déjà dit, mais en plus... Honnêtement, les montagnes ne sont pas si bien fréquentées. Les orques, on a dû vous le dire, il n'y en a plus beaucoup, et ils sont très très haut, à des endroits où les plantes ne poussent plus. Mais ce ne sont pas les plus dangereuses des créatures à arpenter les cimes. Si beaucoup sont craintives, d'autres aiment la chair humaine, croyez-moi. Et puis certaines zones n'ont pour ainsi dire jamais été explorées, ou presque... Non, il faut vous méfier des hauteurs."

[Voyageuse]

Astrée hocha la tête avec une grimace.
- J'espère que je ne ferai pas trop de mauvaises rencontres... Je n'ai absolument aucune envie de découvrir le genre de créatures aimant la chair humaine qu'on peut trouver par là-bas...
Ce n'étaient pas des ettercaps, Reynald avait dit qu'ils aimaient les régions plus chaudes. Mais elle n'avait pas envie de se retrouver à nouveau être une proie qu'un prédateur s'apprête à dévorer.
- Donc je retiens votre avertissement, j'éviterai d'aller trop en hauteur !
Sauf si cela devenait nécessaire... Mais pourquoi le serait-ce ? Elle cherchait des plantes, et un arbre étrange, or il n'y avait plus vraiment de végétation sur les hauteurs.
Sauf... sauf que ce n'était peut-être pas vraiment un arbre, qu'on ne pouvait pas en désigner l'emplacement sur une carte, qu'il apparaissait apparemment quand on avait besoin de lui et qu'on en était digne, alors que les légendes disaient qu'il poussait tout en haut de ces montagnes, avec même des descriptions du lieu... Autant d'informations contradictoires qu'elle peinait à comprendre, à analyser. La seule chose qu'elle pouvait faire, finalement, était de suivre le conseil de Maedron et s'en remettre au hasard, suivre son instinct... ce qui allait à l'encontre de ses habitudes et de son caractère. Cela dit, ces derniers temps, elle faisait beaucoup de choses qui allaient à l'encontre de ses tendances habituelles. Et elle s'était pourtant rarement sentie autant en phase avec elle-même.

Réalisant que, perdue dans ses pensées, elle demeurait un peu trop silencieuse, elle eut un sourire d'excuse.
- Merci pour le miel. Et pour la tente. Je vous promets d'en prendre grand soin !

[Galathée]

Le vieux Keyth la salua et lui souhaita bon voyage, avant de retourner vaquer à ses occupations. Astrée put en profiter pour découvrir la piste qu'elle aurait à arpenter dès le lendemain. Comme Maedron la lui avait décrite, elle avait une couleur rouge, due à une terre que la rôdeuse devina argileuse, propre à coller aux semelles de ses bottes. Elle serpentait tranquillement entre des buissons fleuris avant de s'élever brusquement dans l'herbe puis dans la rocaille. Elle semblait zigzaguer un moment à flanc de colline puis franchissait une éminence et disparaissait. Juste à sa droite se trouvait la fameuse chapelle de Chauntéa, un petit édifice de bois pimpant, aux formes végétales, sur lequel nichait un couple de pies qui jacassèrent en apercevant la jeune femme.
Mais Astrée dut mettre fin à sa contemplation car le ciel se mit subitement à cracher une de ces petites averses glaciales dont le printemps a le secret.

[Voyageuse]

C'était un sentier comme les autres, un simple chemin comme il y en avait des dizaines dans tout massif montagneux. Sans rien de particulier, finalement. Une belle couleur rouge, certes, indiquant une terre argileuse qui devait se transformer en boue collante à la moindre averse. Comme celle qui commençait juste à tomber...

Frissonnant sous la fraîcheur de l'ondée, Astrée se hâta de parcourir en sens inverse le village, pressée de retrouver l'abri chaleureux du toit de son hôte. Elle se dit qu'elle avait tout intérêt à savourer pleinement cette dernière soirée dans le confort d'une maison, avec un vrai matelas.... qui lui évoqua immédiatement le souvenir de la nuit torride qu'elle y avait passé avec Reynald, trois jours plus tôt. Qui sait, peut-être viendrait-il lui rendre visite ce soir, cette nuit... Après tout, elle lui avait fait savoir où elle était, il en avait sûrement envie autant qu'elle, et il était parfaitement capable de fausser compagnie à son beau-frère pour quelques heures, juste pour la satisfaction de défier ainsi son autorité... et surtout pour quelques heures de plaisir partagé. Ce serait assurément bien agréable de le revoir une dernière fois avant de s'aventurer dans ce territoire que Keyth lui décrivait passablement hostile... Oui, il viendrait s'il pouvait, elle en était certaine. Mais mieux valait qu'elle ne l'attende pas trop, qu'elle se prépare psychologiquement à une impossibilité. Après tout, Goran pouvait parfaitement avoir choisi ce soir-là pour organiser une fête durant jusqu'à l'aube. Ou lui assigner un garde qui surveille ses moindres faits et gestes. Ce serait vraiment jouer de malchance...
Elle se sentit sourire au souvenir de sa téléportation à l'étage de la vieille tour, qui avait entraîné, indirectement, tant de conséquences... Serait-il capable de se téléporter directement dans le grenier sans risquer de se tromper de pièce ? Hummm... Mieux valait ne pas l'imaginer.

Un coup de vent un peu plus violent la fit frissonner, lui rappelant qu'elle ferait mieux de se hâter de se mettre à l'abri au lieu de rêvasser stupidement comme une adolescente...

[Galathée]

Lorsqu'elle atteignit la petite maison, Florence l'installa d'autorité au coin du feu, à côté de la marmite d'eau bouillante qui frémissait au-dessus des flammes. Siméon était installé à table, penché sur un livre qu'il déchiffrait avec moult grimaces tandis que son père mettait la table en sifflotant. Clothilde était invisible mais Astrée entendit bientôt des pas à l'étage : l'aînée de ses hôtes était manifestement à l'étage.
" Alors, vous avez trouvé ce que vous cherchiez ?" demanda Florence en lui tendant une serviette d'allure prometteuse.

[Voyageuse]

Astrée répondit d'un hochement de tête souriant.
"Oui. Votre ami Keyth m'a confié sa tente, et j'ai obtenu toutes les informations dont j'avais besoin. Vous aviez raison, il connaît bien la montagne par là-bas... Et j'ai même eu deux pots de miel par-dessus le marché !", ajouta-t-elle en montrant fièrement les pots en question.
Elle sécha de son mieux ses cheveux trempés dans la serviette, tout en poursuivant.
"Mais je veux bien en échanger un contre quelques provisions pour le voyage. J'ai aussi de quoi payer en espèces sonnantes et trébuchantes, je vous rassure... Et je ne voudrais pas vous dévaliser. Mais si vous connaissez quelqu'un, dans le village, qui pourrait me vendre quelques légumes, du pain ou de la viande séchée pour la route, ce ne serait pas de refus. Même si je peux me débrouiller en chassant et cueillant ce qui me manque, c'est un peu tôt dans la saison pour la cueillette, et beaucoup moins varié comme régime alimentaire !

[Galathée]

" Ecoutez, allez dans le potager demain, et faites votre choix. Il est encore très tôt dans la saison, cela dit, et il me reste certaines choses de l'hiver. Rien de très spectaculaire, de vieilles carottes, des poireaux, des navets, quelques choux, mais je vous les offre avec plaisir. Si vous tenez à me les payer, nous conviendrons d'un prix, mais honnêtement, ce n'est pas nécessaire. Je peux aussi vous fournir des conserves, mais elles pèsent nettement plus lourd... Pour ce qui est de la viande, par contre, je vous conseille de chasser. La région est très giboyeuse, vous trouverez aisément ce qu'il vous faut. Et Hilaire, le meunier, pourra vous donner de la farine, si vous voulez vous bricoler du pain ou des galettes en montagne.
—*A table, mesdames !" s'exclama Geoffroy derrière elles.

[Voyageuse]

"Merci pour les légumes, ce n'est pas de refus. Mais je me passerai des conserves, ce serait vraiment trop lourd. Et je passerai voir le meunier pour lui acheter un peu de farine avant de partir demain..."
Du pain, sans four, c'était peine perdue, mais elle pouvait effectivement se cuisiner quelques galettes à l'eau. Et la viande serait bien meilleure fraîche...
Obéissant sans discuter davantage à l'appel de Geoffroy, elle s'assit à la place qui lui était attribuée, se découvrant une faim de loup. Les premiers haricots de la saison seraient certainement délicieux.
- Je tiens quand même à vous laisser un petit dédommagement pour les légumes... Je sais que vous avez pour tradition d'héberger les étrangers de passage, mais comme j'en suis à mon deuxième passage, j'ai un peu l'impression d'abuser de votre gentillesse...

[Galathée]

" Vous ne devriez pas vous en faire, Astrée. Les voyageurs s'attardent souvent aux Etourneaux, dit Geoffroy en leur servant à tous de belles assiettes de poulet et de haricots frais, agrémentés de blé cuit.
— C'est parce que vous essayez de les empêcher de repartir ! s'insurgea Clothilde.
— Tu exagères, Clothilde, fit Florence avec un sourire blasé. En vingt ans, trois voyageurs ont décidé de s'établir ici. On peut difficilement prétendre que nous essayons de kidnapper nos visiteurs. Et tu sais très bien que dans deux ans, tu pourras partir si tu le souhaites. D'ici là..."
L'adolescente soupira en levant les yeux au ciel, mais n'ajouta rien, et les deux adultes échangèrent un regard entendu.
" Les jeunes ne se satisfont plus des joies simples de la vie au grand air, commenta Geoffroy. L'excitation de la grande ville, par contre...
— Il n'y a personne de mon âge au village. Personne, personne, personne !
— Il y a Firmin, dit Siméon.
— Firmin ne compte pas ! s'offusqua Clothilde.
— Je crois qu'Astrée espérait un souper tranquille !" dit Florence en riant.

[Voyageuse]

Astrée écoutait d'une oreille distraite, vaguement amusée. Pourquoi donc les jeunes s'imaginent-ils que la ville soit si excitante ? Elle ne se souvenait pas avoir jamais ressenti cet attrait. Mais sa situation d'alors était certes différente. La seule ville qu'elle connaissait était Mélandis, et on ne peut pas dire que la ville lui ait inspiré la moindre envie d'y vivre. Et puis, son père était si obnubilé par son ambition d'y vivre un jour, que par réaction elle préférait se tourner vers l'exploration de la nature environnante.
L'intervention de Florence lui arracha un geste de dénégation.
- Ne vous en faites pas...
Au fond d'elle, elle appréciait de se retrouver ainsi mêlée à une soirée familiale ordinaire, dans un village tranquille. La révolte adolescente de Chlotilde lui rappelait la sienne, autrefois, même si elle jugeait cette dernière beaucoup plus justifiée - jugement objectif ou signe qu'elle vieillissait ? Non, c'était objectivement très différent. Mais elle savait que c'était le propre des adolescents de ressentir ce besoin de révolte et d'éloignement. Elle sourit donc à Chlotilde.
- Tu sais, moi aussi à ton âge j'avais envie de quitter ma famille pour vivre autre chose... Même si en l'occurrence c'était l'inverse, j'ai fui vers les montagnes. Mais je comprends bien que tu aies envie de rencontrer... quelqu'un d'autre que Firmin, dirons-nous ! Cela dit, tu n'as pas forcément besoin d'aller jusqu'à une ville immense pour ça...

[Galathée]

L'intervention d'Astrée relança la conversation de plus belle : Geoffroy était d'avis qu'une semaine à Borthéias suffirait à ramener Clothilde dans le giron familial, Clothilde estimait qu'elle ne renoncerait pas avant d'avoir vu Luménis, Florence menaçait (avec humour) de l'envoyer dans un temple d'Eredhun histoire de lui remettre les idées en place, tandis que Siméon ne comprenait décidément pas pourquoi personne n'aimait Firmin... après tout, il avait la collection de limaces fossilisées la plus impressionnante qu'il ait jamais vue ! Que demandait le peuple ?!
Bien qu'animé, le repas ne s'éternisa pas et, une fois les plats saucés, Astrée fut mise à contribution à la vaisselle, tandis que Geoffroy bottait les fesses de sa progéniture qui rechignait à aller se coucher.
Florence et la rôdeuse terminèrent de sécher les dernières assiettes puis Astrée fut invitée à partager une dernière tasse d'infusion avant de monter se coucher.

[Voyageuse]

Astrée savoura l'infusion en silence, savourant le calme après l'agitation du repas. Elle n'avait pas l'habitude... Ou du moins ne l'avait plus depuis belle lurette. Elle ne pouvait que constater que Florence et Geoffroy menaient leur petite famille d'une main de maître, avec un mélange d'autorité et d'humour complémentaires. C'était une famille bien agréable, en somme.
- je ferais bien de monter me coucher rapidement moi aussi, j'ai une longue marche demain, et les jours suivants également. Je vous souhaite une bonne nuit... Et encore merci pour l'hospitalité !
Reynald avait bien raison de la vanter, cette hospitalité.
Elle sourit à Florence, salua Geoffroy d'un signe de tête, avant de se diriger vers l'escalier. Elle se sentait plus fatiguée qu'après une longue journée de marche. Cela dit, il y avait de quoi vu son manque de sommeil récent et les lieues parcourues dans la montagne. Mais elle se demandait si l'agitation et les chamailleries de Chlotilde et Siméon n'étaient pas beaucoup plus épuisants que la montagne.

[Galathée]

Astrée gravit donc les escaliers menant jusqu'à la mansarde, une bougie à la main pour s'éclairer. Elle percevait la conversation étouffée de Geoffroy et Florence au rez-de-chaussée, entendit le soupir de quelqu'un se retournant dans son lit, dans une chambre au premier, puis le craquement des marches et le souffle du vent dans les tuiles du toit. Le ciel était manifestement un peu agité.
Le grenier était plongé dans l'obscurité, mais elle entendit tout de suite quelque chose bouger, quand elle y mit le pied.
" Ah, il était temps ! J'ai failli m'endormir !" murmura alors une voix familière, avec humour, dans la direction approximative du lit.

[Voyageuse]

Son coeur avait manqué un battement en entendant bouger, avant d'exploser de joie. Elle ressentit une subite envie de rire, de danser, de crier son bonheur... qu'elle réprima tant bien que mal pour ne pas inquiéter ses hôtes. Bon, elle les avait prévenus qu'il pouvait se téléporter, mais quand même... Décidément, si le voir enfin après trois jours la transportait autant de bonheur, dans quel état serait-elle à l'équinoxe ?
En quelques enjambées, elle parcourut la distance la séparant du lit, levant sa bougie pour le contempler. Pour être sûre de ne pas rêver peut-être...
- T'endormir, toi ? Manquerait plus que ça !, répliqua-t-elle avec un sourire radieux aux lèvres.
- Oh, c'est tellement merveilleux que tu sois venu...

[Galathée]

Reynald était tranquillement installé sur le lit, les deux oreillers en guise de dossier, et, hormis ses bottes, il n'avait encore rien enlevé. Un parchemin sur ses genoux indiquait qu'il avait trompé le temps en composant quelque chose. Il décocha un sourire tranquille à la rôdeuse, puis tendit la main pour l'attirer vers lui.
" C'est ma dernière opportunité de te voir avant longtemps, j'aurais été stupide de ne pas en profiter."
Il paraissait reposé, pareil à lui-même, le regard pétillant et l'expression mutine.
" J'ai pensé faire craquer les lattes du plancher pour t'envoyer un signal, mais Geoffroy aurait été fichu de partir à la chasse au rat, ou je ne sais quoi..."

[Voyageuse]

Astrée rit.
"oui, tu as bien fait de t'abstenir... Il aurait eu une attaque en te découvrant, et en plus tu aurais été contraint de venir chanter pour toute la tablée en bas !"
Elle se blottit contre lui, heureuse... et presque intimidée, étrangement. Elle s'était tant répétée qu'elle ne le verrait plus avant très longtemps qu'elle n'arrivait pas à croire qu'il soit là en chair et en os.
Elle l'embrassa légèrement dans le cou et avoua :
"J''ai l'impression de rêver... Tu n'étais pas de service ce soir ? Moi qui croyais que Goran ne te laisserait pas une minute de répit !"

[Galathée]

" Il est parti chasser l'antilope avec un cousin de passage. Ils dorment à la dure, ce soir, et reviennent demain. J'étais supposé les accompagner, mais le cousin prétend que mes chants font fuir le gibier. Ce qui n'est pas faux, en fait. Je suis de service demain soir pour le grand banquet du retour. Je ne pourrai pas m'attarder : je dois absolument grappiller quelques heures de sommeil, puis il me faudra du temps pour composer toute une série de grandes odes à la fièvre sanglante du traqueur borthéian... Mon thème préféré, tu le devines."
Il l'embrassa dans les cheveux, humant un instant son odeur champêtre.
" Mais Goran a deviné qu'il y avait anguille sous roche... Il n'était pas surpris que je sois ravi à l'idée d'avoir une soirée de congé, mais c'est un homme fin, sous ses allures de rustre... Oui, il a flairé l'affaire. Du coup, ma chambre est fermée à triple tour et sous bonne garde. Je ne me téléporte que depuis peu, ce n'est heureusement pas chose connue. Cela dit, j'ai échappé de peu aux chaînes... Mais j'ai prétendu avoir besoin de circuler pour faire venir l'inspiration, et j'ai pu conserver ma liberté... Cette fois. Si je rate mon retour en me téléportant hors de mes appartements, je suis foutu."
Il eut une grimace.
" Sans compter que je ne peux faire ce genre d'exercices qu'une fois par jour... Il faudra que je dorme un peu avant de rentrer."

[Voyageuse]

"Je te laisserai dormir un peu, c'est promis, juré !", énonça Astrée d'un ton grave.
Et puis, il valait mieux qu'elle aussi dorme un peu avant son expédition. Si elle parvenait à trouver le sommeil...
"Mais pas tout de suite !", ajouta-t-elle en riant avant de l'embrasser avec douceur.
Qu'il était bon de le retrouver, de sentir la chaleur de son corps contre le sien, de se blottir dans ses bras. Mais elle brûlait aussi de l'entendre lui raconter les derniers événements de ces quelques jours.
" Il faudra remercier ce cousin de ne pas apprécier tes chants à leur juste valeur... Et je croise les doigts pour que ta téléportation demain matin se passe au mieux ! Parce que l'idée de te voir enchaîné, brrr... tu crois qu'il irait jusque-là ? Quelle horreur... Bah, de toute façon, je suis sûre que tu feras ça à merveille, il n'y a qu'à voir comment tu es venu ici sans le moindre bruit... Et raconte-moi, que devient Tybert ?"
Question qui lui serra brièvement le coeur, malgré elle. C'était en partie à cause de Tybert que leur amour était impossible. Parce qu'il ne fallait pas le blesser... Même si c'était bien sûr plus complexe que ça, qu'il y avait sans doute aussi chez Reynald une peur ou du moins un refus de s'engager, une envie de garder sa liberté, de ne rien changer à sa vie... Et puis, au fond elle l'aimait bien, Tybert : ils avaient partagé des moments difficiles quand Reynald et Prince avaient disparu, ils avaient fait équipe de leur mieux, et elle ne pouvait pas en vouloir à Reynald de chercher à le ménager. Elle espérait juste de tout son coeur qu'il ne leur en tenait pas rigueur de leur escapade sans lui.

[Galathée]

" Tybert va bien, à vrai dire. Il s'est mis en tête de cartographier plus précisément les environs de Borthéias... Tu as déjà vu ses cartes, il est d'une précision redoutable, mais il est vrai qu'elles peuvent toujours s'améliorer. Au printemps, quand il pleut, mille et un ruisseaux surgissent à des endroits imprévus... Or, l'eau, c'est un peu sa marotte, tu l'auras deviné... Il arpente donc les prairies à pied, le nez sur son parchemin trempé, à tracer des parcours éphémères des petits rus de saison... Et quand il rentre, il aime que nous prenions du temps pour leur trouver des noms. Je le soupçonne de bricoler des petits sanctuaires de boue à sa déesse, chemin faisant... Mais c'est de bonne guerre !"
D'une main nonchalante, il avait entreprit de délacer la tunique de la jeune femme...
" Nous n'avons pas vraiment parlé de mon escapade. Je crois qu'il espère que les choses vont simplement rentrer dans l'ordre, désormais. Je n'ai pas eu l'impression qu'il faisait la tête. Peut-être cela lui a-t-il donné à réfléchir..."

[Voyageuse]

Astrée n'avait aucune peine à imaginer l'eldathien plongé dans sa tâche, concentré et paisible, savourant le calme et la tranquillité des lieux, sans se soucier, bien au contraire, de la pluie qui le trempait. Elle sourit à cette image.
"Il n'est jamais très expansif, de toute façon, fit-elle remarquer. Et l'essentiel est qu'il ne t'en veuille pas..."
Elle sentit les battements de son coeur s'accélérer tandis que Reynald délaçait sa tunique. Son corps s'emballait déjà, alors même que son esprit n'arrivait pas à réaliser pleinement qu'il était bel et bien là. Elle s'écarta un instant de lui pour le contempler, observant les reflets de la bougie dans ses cheveux roux, plongeant les yeux dans son regard clair, s'emplissant le coeur et l'âme de sa présence. Un petit miracle. Et qu'il était beau...
"Quelle chance que tu aies pu venir", murmura-t-elle avec un sourire d'extase, avant de l'embrasser, cette fois-ci avec fougue, retrouvant peu à peu la passion qu'il savait si bien allumer en elle.

[Galathée]

L'impatience d'Astrée fit rire le clerc à mi-voix, mais il lui rendit aussitôt son étreinte et son baiser, terminant d'ouvrir sa tunique pour lui frôler la poitrine d'une main d'abord timide puis plus aventureuse.
" Trêve de bavardages... souffla-t-il à mi-voix. Et ne fais pas grincer les ressorts du lit !"
Ils ne s'étaient pas réellement quittés, aussi n'eurent-ils aucun mal à retrouver leurs sensations et leur rythme. Reynald était affamé mais parvenait à tempérer son désir, redécouvrant le corps de la jeune femme avec bonheur. Ils se retrouvèrent rapidement nus l'un et l'autre et firent l'amour en silence, ou du moins l'espérèrent-ils. Personne ne vint frapper à la trappe du grenier pour s'enquérir de leurs activités...

[Voyageuse]

C'était comme s'ils ne s'étaient jamais quitté... Et en même temps plus grave, plus intense peut-être aussi. Elle savait que leurs étreintes allaient certainement devenir plus rares, trop rares, elle avait pleinement conscience des incertitudes de l'avenir, et elle s'immergeait d'autant plus dans le torrent de la passion, savourant pleinement chaque geste, chaque frôlement, chaque seconde de leur étreinte. Sa visite était un cadeau de Tymora, elle le savait, et même si sa présence n'était que pour une courte nuit, même s'il partirait beaucoup trop vite, elle ne voulait pas y songer. Simplement vivre l'instant de bonheur qu'il lui apportait.
Oui, décidément, il était un rayon de soleil dans sa vie. Même s'il se moquait de cette comparaison.

Elle resta blottie contre lui un long moment en silence. Et finit par pousser un soupir, un rien exagéré.
- Comment diable vais-je survivre si longtemps dans le froid des montagnes, sans toi pour me réchauffer ?
Elle tourna la tête pour lui sourire joyeusement, le regard rêveur. Oui, il allait lui manquer... mais savoir qu'elle le retrouverait au retour, et tout simplement se dire qu'il avait tenu sa promesse de se téléporter pour la revoir, tout cela lui donnait un élan d'optimisme irrationnel et bienvenu.

[Galathée]

Il l'embrassa sur le front puis poussa un léger soupir, lui caressant l'épaule du bout des doigts.
" Ah, Astrée... Le soleil te réchauffera et la lune veillera sur ton sommeil... Les oiseaux te réjouiront de leur chant, les fleurs de leur parfum, le printemps de ses mille couleurs... Tu goûteras à l'eau claire des torrents, tu courras avec les bouquetins, tu verras le monde et le monde te verra. Moi, par contre... Moi je devrai composer avec les humeurs massacrantes de mon irascible beau frère, lui inventer des chansons minables et m'empiffrer à sa table. Quand nous nous reverrons, je serai devenu un clerc ventru et triste, tu devras me reprendre en main !"

[Voyageuse]

Cette dernière phrase arracha un rire à Astrée, qui détailla ostensiblement son compagnon de la tête aux pieds.
"Non, décidément, je ne peux pas t'imaginer en prêtre ventru et triste. Mais je te promets, si tel était le cas, que je ne te laisserais pas moisir ainsi !"
Elle déposa un léger baiser sur ses lèvres, puis, plus sérieusement, elle ajouta :
"J'ai bien conscience que les veilles à venir s'annoncent sous de bien meilleurs hospices pour moi que pour toi."
Certes, on lui avait dépeint la région où elle se rendait comme particulièrement inhospitalière. Mais du moins était-elle libre comme l'air, avec Prince pour lui tenir compagnie et toutes les montagnes à explorer. Et, certes, une mission quasi impossible à remplir, mais qu'elle comptait bien mener de son mieux quand même.
"Mais je te promets de tout te raconter, même si je ne sais pas le faire aussi bien que toi, dès que je rentrerai à Bortheias. Histoire de te faire partager un peu la beauté des montagnes au lever du soleil, le souffle du vent dans les cimes, le bonheur d'être libre... Bon, ça va surtout te rendre jaloux j'imagine, mais ça te changera des récits de chasse et des vantardises de ton beau-frère ! Et puis, si la captivité te pèse trop, si Goran est trop insupportable, tu peux fuir, te téléporter ailleurs une nuit, peut-être même un jour me rejoindre si par miracle je suis à un endroit que tu connais... ou au moins échanger quelques mots..."
Elle grimaça, et lui prit doucement la main.
"Je n'aimerais vraiment pas être à ta place..."