La Couronne de Cuivre

-Les terres sauvages des Landes sont peuplées par ceux que l'on nomme les Paludiers, un ensemble de tribus très diverses, répondit tranquillement Tobias. Un petit nombre d'entre elles s'adonne au cannibalisme et joue du tambours pour annoncer ses chasses ou accompagner ses cérémonies. Cependant, ces barbares sont une minorité : la plupart des groupes sont composés de gens étranges, certes, mais tout à fait fréquentables, et mon épouse, Ygrid, vient de l'un d'entre eux. Bref, il ne faudra pas que vous preniez pour argent comptant tout ce que vous diront les habitants des villages côtiers, qu considèrent en général tous les Paludiers comme des monstres sanguinaires.

" Oh, très bien..." fit Albérich, gardant toujours un oeil sur le parchemin vierge de son voisin.
Hubert paraissait complètement paralysé. Il n'avait même pas écrit la date ou une simple salutation d'usage.
" Nous tâcherons de juger les gens que nous rencontrerons à l'aune de leurs actes et pas de leur réputation, reprit-il. Pour autant qu'ils ne jouent pas du tambour."
Le paladin avait évidemment pris des renseignements sur les peuples des Landes. En même temps, Albérich ne s'était pas vraiment fait d'illusions : Hubert avait parlé de réveiller sa vocation. Il allait chercher le danger et l'injustice, immanquablement, quoi qu'il prétende, et il faudrait s'en accommoder.
De toute façon, je n'ai aucun but, aucun objectif, aucune destination, rien, songea-t-il.
Laisser Hubert diriger l'expédition était la chose logique à faire.
Ce dernier releva alors brusquement la tête.
" Ecoutez Tobias, tant pis pour ce message. Vous êtes assez grand pour dire à Béranger ce qu'il a besoin de savoir. S'il n'y pense pas tout seul, suggérez-lui donc d'embarquer deux paladins et deux clercs, voulez-vous ? Je suis certain que vous arrivez à placer ça dans la conversation tout à fait naturellement, et que vous le convaincrez."
Et il reposa la plume près de l'encrier, un sourire un rien tendu sur les traits.

-Deux peintres et deux bardes, bien noté, messire. Comptez sur moi pour insister sur le point lors de notre conversation.
Nouveau sourire.
-Bon, plus sérieusement, vous n'avez aucune inquiétude à avoir. capitaine. Je parlerai des deux paladins et des deux clercs sans en avoir l'air, et je réitérerai l'opération jusqu'à ce qu'il ait enregistré le message. Je crois que je peux y arriver assez subtilement... Et si vraiment il ne veut rien entendre, et bien... Je le menacerai de suivre à mon tour le gouverneur et de faire passer le mot, en laissant entendre qu'il finira par se retrouver tout seul dans sa belle cité désertée.

" Pitié, ne faites pas une chose pareille." souffla Albérich sans pouvoir s'en empêcher.
Hubert eut un sourire incertain, comme s'il n'était pas complètement sûr que Tobias plaisantait.
" Ne t'en fais pas. Béranger est un homme raisonnable, il ne sera pas nécessaire d'aller jusque là."
Il baissa à nouveau les yeux sur son parchemin vide, comme s'il hésitait à faire une seconde tentative. Albérich devinait qu'il s'interrogeait sur la crédibilité du fermier, sur les chances que le seigneur solarcien écarte son témoignage comme le délire d'un farfelu. En même temps, Hubert avait eu l'air de sous-entendre qu'Ekhart était un homme respectable et reconnu... Le chevalier releva les yeux.
" Je sais que vous n'êtes pas insensé, Tobias, et ne prenez pas mal mes paroles mais..."
Il pinça les lèvres.
" Béranger est un homme qui tient à ce que les rôles et les statuts de chacun soient respectés. Je sais que... certains... trouvent cela dépassé... ou désolant... mais je vous enjoins à... une certaine retenue. Si vous voulez obtenir ce que vous cherchez."

-Si je m'écoutais, c'est une révolution que je chercherais, pour remplacer ce stupide droit du sang par le droit du peuple et celui de la compétence. Mais je ne suis pas assez fou pour me lancer seul dans une telle opération. Alors, sincèrement, vous n'avez rien à craindre. De surcroît... Sauf votre respect, messire, je suis né près de Solarcis et je connais quelque peu cette bourrique de Béranger : en tant que propriétaire de l'une des plus grandes exploitations agricoles de la région, j'ai été amené à le rencontrer quelquefois... Bref, je sais son goût pour les sociétés féodales archaïques et je sais me plier aux convenance qu'il aime tant. D'ailleurs... Demandez-vous pourquoi j'ai refusé que l'ancien capitaine du Rayon et l'ancien régent de Solarcis cèdent leur lits à de simples paysans.

Albérich lut sur le visage d'Hubert qu'il avait du mal à encaisser les vertes critiques du fermier envers celui qui, jusqu'à hier, était son maître. Il savait que le paladin avait été très proche de la famille de Solarcis, qu'il avait côtoyée dix années durant, qu'il y avait eu une réelle estime entre le capitaine et son seigneur, une affection sincère, et que même s'il avait décidé de quitter la cité, Hubert éprouvait toujours un profond respect, et une confiance intacte, envers Béranger. Mais les dernières paroles de Tobias l'empêchèrent de rester silencieux.
" J'espère sincèrement que vous l'avez fait parce que vous avez réalisé que j'étais une petite nature avec le dos en compote après une journée de cheval, dit Albérich, mortifié. Le contraire me rendrait trop malade."
Hubert était mal à l'aise, lui aussi.
" Vous savez que nous n'attendions rien de tel, Tobias, fit-il. Si j'avais un instant pensé que vous étiez un simple paysan et moi votre supérieur, je vous aurais ordonné de prendre le lit."

-Oh, je sais parfaitement que vous n'attendiez rien de tel, n'ayez aucun doute à ce sujet. Et si j'ai insisté pour que vous preniez les lits, c'est d'abord parce qu'humainement, il me paraissait normal que vous profitiez d'une nuit confortable, puisque vous êtes à l'aube d'un long voyage tandis que mes fils et moi, dès ce soir, aurons regagné nos pénates pour ne plus en bouger de tout l'hiver. Mais, effectivement, les convenances ont joué leur rôle : comme mes garçons vont vivre sur le domaine d'un seigneur très attaché à la hiérarchie nobiliaire et à toutes les vieilles traditions qui vont avec, il faut qu'ils s'habituent à les respecter, à se soumettre à la préséance, à admettre qu'ils sont des paysans, riches, certes, mais des paysans malgré tout, sans titre, sans blason, et que ça les poursuivra toute leur vie, à moins de partir pour des régions plus... libérales.

Albérich ne put que sourire, un peu désolé.
" C'est sage, effectivement." dit Hubert.
Le paladin paraissait toujours embarrassé et Albérich devinait qu'il aurait probablement aimé en dire davantage, mais Tobias était un adversaire de taille qu'il ne paraissait pas vouloir affronter, sur aucun terrain. L'ancien clerc ne pouvait le blâmer : à quoi bon se faire malmener de grand matin, alors que leurs relations semblaient s'être améliorées depuis la veille ?
" Je suis sûr que vous vous entendrez avec Béranger, ajouta-t-il finalement. J'aurai plaisir à apprendre comment vous avez vaincu la bête et ce que c'était."
Il rebaissa les yeux sur son petit déjeuner, espérant manifestement qu'ils en resteraient là sur ce sujet difficile.

-Si vous voulez des nouvelles, allez donc trouver le clan d'Ygrid. De même que Jonas a des visions des Landes, j'imagine que ma belle-famille en a de Solarcis... On dit le sang des Paludiers chargé de magie, et c'est encore plus vrai pour la famille de mon épouse, qui compte maints shamans dans ses rangs.
Il se leva.
-Bon, je pense que je ne vais plus m'attarder. Je ne voudrais pas qu'on s'inquiète, à la maison, et un peu de renfort pour s'occuper des petits ne sera pas malvenu, je gage... Ça a été un réel plaisir de vivre ces péripéties en votre compagnie, messieurs. Je vous souhaite bonne chance pour votre périple, et j'espère sincèrement qu'un jour viendra où vous pourrez me raconter vos aventures.

Albérich se leva à son tour et lui serra chaleureusement la main.
" Merci. Nous vous devons une fière chandelle, Maître Ekhart. Je vous souhaite un chemin de retour plus paisible, et un bel hiver. Nous ne manquerons pas de prendre de vos nouvelles... par magie ou par courrier."
Hubert l'imita ensuite.
" Je regrette de ne pas vous avoir rencontré plus tôt, Tobias. Vous êtes un adversaire à ma mesure."
Albérich eut l'impression que le paladin ne parlait pas que de leurs joutes verbales, mais il ne se posa pas davantage de questions.
" Vous saluerez vos fils de notre part. A ce sujet... Si l'un d'entre eux avait jamais envie de s'engager dans une autre carrière... Je connais un endroit où leur vaillance serait appréciée. Réfléchissez-y, peut-être ? Et je vous remercie pour vos nombreux conseils sur les Landes. Prenez soin de vous. La tête d'un dragon, même squelette, ne vaut pas n'importe quoi."

-Pour mes fils... Je compte leur laisser le choix : je n'ai pas envie de me brouiller avec eux comme je l'ai fait avec mon père, même si nous avons fini par nous réconcilier. Je réfléchirai donc à ce que vous suggérez, si l'un d'entre eux semble tenté par cette voie. Quant au dragon... Franchement, je ne suis pas inconscient, et je sais que le temps de l'aventure est pour moi chose à jamais révolue.
Il adressa un sourire aux deux hommes, un sourire qui n'était pas dépourvu d'un certain regret, puis alla chercher ses fils qui, sur un mot de lui, s'en vinrent faire leurs adieux à Albérich et Hubert - Jonas se montrant poli avec le premier, mais sans réussir à cacher sa rancune. Quelques instants plus tard, les quatre Ekhart avaient gagné l'extérieur.[/I]

Hubert lâcha un soupir qu'Albérich se garda bien d'essayer d'interpréter. Ils demeurèrent silencieux l'un et l'autre, un moment.
" Il faudrait que nous nous mettions en route, nous aussi, dit finalement le chevalier. Si tu montes préparer nos affaires, je me chargerai du ravitaillement... des informations sur le temps... les légendes locales... l'état des routes... Ce genre de choses."
Le Luménien sourit en se levant et posa une main amicale sur l'épaule du paladin.
" Ne t'inquiète pas. Je ne suis pas aussi échaudé que tu le crains. Si tu t'en tiens à ce dont nous avons parlé hier, nous nous en sortirons."
Hubert acquiesça, les lèvres pincées, et Albérich s'en fut vers leur suite où il rassembla rapidement leurs vêtements, le plateau d'Hermines — qui avait servi, il aurait pu le jurer : il ne rangeait jamais les Brunes de cette façon, par ordre de taille, dans leur écrin — et les quelques autres choses qu'Hubert avait cru bon de monter. Le reste devait se trouver rangé dans un coffre au rez-de-chaussée, c'était le genre de services qu'offraient les auberges. Il redescendit ensuite et se dirigea vers les écuries où, si le paladin ne se trouvait pas, il finirait bien par arriver.

Albérich constata immédiatement que leurs montures avaient été aussi bien traitées qu'eux-mêmes : placées dans de vastes stalles, abondamment nourries, elles présentaient l'allure fringante et la robe lustrée de chevaux que des palefreniers avaient passé des heures à bichonner.

De son côté, Hubert eut également droit à une surprise. Lorsqu'il le vit s'approcher, l'aubergiste, comprenant que l'heure du départ avait sonné pour ses clients, tira péniblement de sous le comptoir un volumineux paquet.
-Voici vos vivres, messire, annonça l'homme. Deux jours de produits frais, avec une bonne quantité de produits non périssables, comme des noix et des noisettes, de la viande séchée, du pain de voyage... Évidemment, j'ai inclus la boisson : une outre de vin et deux flasques du cordial de Beaupré qui, comme vous le savez, fait la réputation de notre charmant village.

Hubert resta stupéfait une seconde puis devina qu'il y avait du Tobias Ekhart là-dessous. Voilà qui n'allait pas arranger sa tentative d'apparaître un peu plus prévoyant... Sans doute, effectivement, aurait-il été plus malin de prévenir l'aubergiste la veille plutôt qu'au moment du départ... Mais il apprendrait, il apprendrait ! On se rouille à force de vivre dans une routine huilée où l'intendance est prise en charge par autrui. Dans son souvenir, son voyage de Luménis à Solarcis avait été complètement improvisé. La colère qui l'habitait alors ne laissait nulle place à la prévoyance. Mais il n'avait jamais rechigné à dormir sous un arbre, dans une grotte ou un coin d'étable. Ce n'était manifestement pas le cas d'Albérich. Il faudrait un jour qu'il l'interroge sur la manière dont il avait survécu à sa propre traversée estivale de la Vallée du Nirvana.
" Heu... C'est très aimable à vous et parfait... Nous allons effectivement nous mettre en route. Je vais donc vous régler."
Ce satané fermier n'avait pas intérêt à avoir payé pour eux. Oh non, il n'avait pas intérêt...

L'aubergiste fronça les sourcils.
-Maître Ekhart ne vous a pas prévenu ? Il a réglé la note ce matin : la suite, les repas, les vivres, l'écurie et la nourriture pour les chevaux... Vous ne me devez absolument rien, messire.

Hubert demeura de marbre et se contenta de sourire poliment à l'aubergiste.
" Il ne nous a pas prévenus, non. J'imagine qu'il voulait nous faire une bonne surprise."
Intérieurement, le paladin fulminait. Mais en même temps, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. S'il avait réfléchi, une petite seconde, un instant, entre le moment où Albérich avait offert de les accueillir dans la suite et le moment où Ekhart avait pris congé, il aurait su que les choses se passeraient comme ça. Mais voilà : il n'y avait pas songé une seconde. Remettons à demain ce qui se fera demain. Très lathandrite, tout bien considéré.
Il pouvait réagir, cependant : les Ekhart retournaient vers Fergast avec leur lourd chariot et Grand Vent galopait plus vite que n'importe quel cheval normal de la région. Même s'ils avaient déjà quitté le village, il ne lui faudrait pas plus qu'un quart d'heure pour les rattraper. Restait savoir ce qu'il pourrait alors faire : Tobias jouerait l'offusqué et refuserait d'entendre quoi que ce soit. C'était cependant extrêmement gênant : de bout en bout, ils étaient les débiteurs du fermier : survie, informations, maintenant intendance, ils n'avaient fait que profiter de ses largesses. Il y avait quelque chose de déséquilibré, là-dedans, qui allait le poursuivre s'il ne tentait pas d'y mettre bon ordre...
Le paladin prit le paquet, remercia et salua l'aubergiste, et gagna les écuries.
Albérich l'y attendait, sellant tranquillement sa jument. D'un geste réflexe, Hubert recula son tapis de selle pour dégager le garrot, puis resserra la sangle d'un cran. Le Luménien parut ne même pas s'en rendre compte.
" Ekhart a tout payé à notre place. Je vais le rattraper, je reviens.
— Oh..."
Il poussa la porte de la stalle de Grand Vent, lui passa la bride puis l'enfourcha et le guida vers l'extérieur, bien décidé à rattraper la petite compagnie.

C'est alors que le paladin remarqua un morceau de papier entortillé dans la crinière de son destrier. L'ayant attrapé et déplié, il constata qu'il s'agissait d'un court message, rédigé d'une écriture rude mais non dépourvue d'une certaine élégance :

Cher capitaine.

Ce matin, au réveil, je me suis rendu compte que nous n'avions rien parié lors de notre petite partie d'Hermines... Or, comme un jeu sans enjeu est moins amusant, j'ai décidé d'y remédier à postériori. Nous voilà donc quittes ! J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop...

Amitiés.
Tobias
PS : Si vous essayez de nous rattraper, je rebrousserai chemin pour dire au Régent que je vous ai laissé gagner et qu'il serait temps qu'il vous donne de sérieuses leçons, tant vous êtes mauvais. Il se peut même que je décide de vous servir de guide dans les Landes... Alors réfléchissez-y à deux fois avant de franchir la porte de cette écurie pour vous lancer à nos trousses !

Albérich entendit Hubert pousser un juron formidable, puis traiter son destrier de faux frère, et faire demi-tour.
" J'abandonne, déclara-t-il en immobilisant Grand Vent dans le couloir entre les stalles. Autant lutter contre le vent. Je m'avoue vaincu. Volontiers. Même les nécrophages des Landes seront moins... moins... Ah ! Maudit fermier !"
Interdit, le Luménien décida de ne pas se formaliser et continua à fixer leur paquetage sur le bât de Placide tandis que le paladin pansait sa propre monture avec une vigueur qui trahissait son énervement. Mais petit à petit, ses gestes se firent moins brusques, sa respiration se tempéra et son teint, surtout, retrouva des allures moins cramoisies. Albérich se promit néanmoins de ne jamais, jamais, jamais chercher à savoir ce qui s'était passé exactement. Ou peut-être dans quatre ou cinq ans, quand Hubert aurait eu le temps de décanter.

Ils quittèrent Beaupré vers le milieu de la matinée, en retard sur les prévisions d’Hubert, mais le paladin ne paraissait pas s'en inquiéter. Ils empruntèrent la route qui continuait à descendre vers le sud-est et le village suivant. La neige avait partiellement fondu, la piste était boueuse mais, bien entretenue, elle ne présentait que peu de pièges pour le cavalier avisé. Comme l’avant-veille, Grand Vent ouvrait la marche, Douce et Albérich suivaient à leur rythme plus lent, Placide derrière, se calquant sur le pas de la jument. Ils cheminèrent un moment avant que le chevalier ne les fasse s’arrêter à l'ombre rachitique d'un chêne endormi. Le Luménien ne posa aucune question, sauta à terre, retira son manteau et sa veste, puis alla décrocher son bouclier et sa masse du paquetage du hongre, et se plaça sur un petit espace dégagé, en bordure de la route. Hubert, toujours perché sur son destrier, le dévisageait, les yeux écarquillés.
« Ben ça…
— Allez, tu traînes, de Maleval ! Bouge tes fesses de grand seigneur ! »
Le paladin sauta au bas de sa monture, s’équipant pratiquement dans le même mouvement.
« Tu devrais retirer ton manteau, tu vas le salir, fit Albérich, en garde.
— Il faudrait que tu arrives à me toucher, pour ça, messire régent…
— Tu me cherches, Hubert.
— Dans l’espoir de te trouver, Albérich. »

Une demi-heure plus tard, Albérich avait perdu de sa superbe, mais il n’en était pas particulièrement affecté. En sueur, il cherchait un ruisseau du regard, sans succès.
« Il faudra attendre l’étape de ce soir, je le crains, lui dit Hubert, déjà en selle.
— Ah… Quelle plaie. Tu aurais pu mieux choisir ton endroit…
— C’est toi qui as choisi l’endroit, je te signale. Je voulais juste resserrer ma sangle. »
Le Luménien lui décocha un regard noir que le paladin accueillit d’un sourire espiègle.
« Honnêtement, je ne te savais pas si précieux, cela dit.
— Je ne suis pas précieux ! J’aime avoir un minimum de confort, c’est tout. Je ne suis pas… un sanglier, ou je ne sais quoi.
— Comme tu y vas.
— J’ai toujours détesté la route… Toute cette crasse, la boue, la poussière, les pierres ou les grosses mottes d’herbe juste à l’endroit où tu as déroulé ta couche, les moustiques… L’odeur monstrueuse de la sueur des chevaux… »
Grand Vent hennit à mi-voix et coucha les oreilles. Albérich s’interrompit.
« Il comprend ce que je dis ?
— C’est un destrier de paladin. Je surveillerais mes propos en sa présence, oui. »
L’ancien clerc se fendit d’une grimace éloquente.
« Mais c’est horrible !
— On s’habitue. » fit Hubert avec un haussement d’épaules.
Il gratifia sa monture d’une tape amicale sur l’encolure, attendant qu’Albérich enfourche la sienne, puis guida les animaux sur la route, et ils reprirent leur périple.

La région presque sauvage s'étendant entre Fergast et Beaupré n'était plus qu'un lointain souvenir. Autour d'eux, la campagne était civilisée, modelée par la présence des hommes, et la neige ne dissimulait guère ces nombreux aménagements. La route était bordée de champs et de prés enclos de haies, de barrières ou de murets ; ici et là, on voyait des fermes, voire de petits hameaux nichés au creux des vallons, au sommet des collines rondes ; parfois, les voix de leurs habitants parvenaient jusqu'à Albérich et Hubert, surtout les cris des enfants a qui le blizzard avait offert bien des motifs d'amusement. De surcroît, les deux compagnons n'étaient pas les seuls à s'être mis en mouvement : ils croisèrent d'autres cavaliers, des charrettes et même quelques piétons appuyés sur de lourds bâtons de marche.
Peu après midi, ils atteignirent un village un peu plus important que les précédents : une dizaine de maison massées autour d'un carrefour dont le centre formait une espèce de place centrale. Il y avait même une petite taverne d'allure modeste baptisée d'un nom fort peu original : "Au cheval blanc".

Comme ils avaient pris du retard, Hubert proposa à Albérich de manger en selle et ils traversèrent le hameau sans s'y arrêter. La densité de voyageurs sur la route avait quelque chose de réconfortant, le Luménien goûtait à ce semblant de civilisation dans la campagne, même s'il savait que ce n'était qu'un répit. Le paladin lui avait mentionné quatre ou cinq jours de périple avant l'arrivée à Grand Estuaire, où il leur faudrait à réfléchir à la suite de l'itinéraire. L'ancien clerc lui avait dit ne rien vouloir en savoir, mais si Hubert avait cédé, Albérich devinait que la conversation reviendrait sur le tapis. Même si le chevalier dirigeait l'expédition, il ne prendrait pas de grandes décisions sans avoir son aval. C'était sans doute normal. Albérich aurait aimé n'avoir rien à dire, peut-être pour pouvoir se dédouaner de toute catastrophe à venir.

Ils se restaurèrent donc au pas de leurs chevaux, un exercice d'adresse que le Luménien trouva particulièrement cruel, mais dont il s'acquitta sans trop de casse. Hubert avait ralenti l'allure de son destrier et ils cheminaient côte à côte, à quelques toises derrière une charrette, tranquilles.
« Tout à l’heure, sauf blizzard et dracoliche embusqué dans les buissons, nous arriverons à Valfrêne. Il y a à Valfrêne un peintre héraldiste d’un certain renom.
— Ah.
— As-tu déjà réfléchi à ce que tu voudrais voir figurer sur tes armoiries ?
— Mes… mes quoi ? Hubert, je ne suis pas noble, je pensais que nous en avions déjà discuté. »
Le paladin sourit.
« Mauvais choix de mots. Qu’allons-nous mettre sur ton bouclier ?
— Mon bouclier est très bien comme ça, non ?
— Gris fer. J’imagine que ça n’est pas complètement inadéquat, mais c’est quand même peu… peu épique.
— S’il y a bien un terme qui n’a rien à voir avec ma personne, c’est bien celui là.
— J’aurais dû être barde. Je suis certain que j’aurais trouvé quelque chose à chanter.
— Merci, tu m’as déjà gratifié de tes prouesses en la matière. »
Hubert rit de bon cœur.
« Tu es dur. Je ne chante pas si faux.
— C’est vrai. Mais je pense que tu fais un meilleur paladin.
— Dieux, j’espère. »
Le chevalier claqua de la langue, mettant Grand Vent au petit galop sur la route dégagée : la charrette venait de bifurquer vers une ferme voisine. Douce et Placide suivirent son allure sans demander son avis à Albérich. Pas qu’il se soit attendu à autre chose. Ils filèrent un moment en silence, contemplant la campagne enfouie sous son manteau déjà taché, puis reprirent le pas comme le terrain devenait plus accidenté.
« Bon. Disons que tu as jusqu’à demain matin pour décider alors. Passé ce délai, je devrai me prononcer à ta place.
— Te prononcer sur quoi ?
— Sur ton blason.
— C’est ridicule. Un bouclier sert à ramasser des coups. Rien qu’avec l’entraînement, toute la peinture s’écaillera, déjà ! A quoi bon aller dépenser de l’argent à ce genre de… de… trivialités !
— Tu n’es pas drôle.
— Je suis surpris que tu t’en rendes compte seulement maintenant.
— Un vieux hibou grincheux perché sur une pile de bouquins.
— Un oiseau de nuit, tu es vraiment charmant, Hubert, quand tu t’y mets.
— Une alouette ?
— Je ne suis pas barde non plus.
— Un soleil qui se lève sur la campagne ?
— Très spirituel. »
Le chevalier noua ses rênes sur le pommeau de sa selle.
« As-tu une devise familiale ? Un symbole ?
— Tu veux dire des Megrall ?
— Et bien… oui. De qui d’autre ? »
Albérich ouvrit des yeux ronds.
« Les Megrall sont des marchands d’armes. Ils n’ont ni armoiries, ni devise, Hubert. Il y a bien un symbole, qu’on grave sur les caisses et qu’on dessine sur les documents, mais c’est loin d’être un blason officiel.
— C’est quoi ?
— Mon frère aîné aime le faire évoluer tous les deux trois ans, en fonction des maîtres achats.
— C’est… très fin. Mais c’est quoi ?
— Dernièrement, je pense que c’était un fléau et une bâtarde croisés. Quelque chose du genre. Mais je ne suis pas certain… Je n’y connais pas grand chose. C’est peut-être une étoile du matin et un… espadon, ou je ne sais quoi. Mais honnêtement, je n’ai aucune intention d’être associé à cette famille. Je n’avais plus l’intention d’utiliser leur nom, déjà. »
Hubert parut sur le point de dire quelque chose, mais renonça. Albérich perçut son silence comme un désaccord.
« Je dois faire profil bas, Hubert. Les rumeurs délirantes que m’ont rapportées les novices du temple m’enjoignent à la prudence.
— Je sais, je ne dis rien. »
Il parut réfléchir.
« Et pourquoi pas quelque chose de très luménien ? Une licorne, un bateau, que sais-je ?
— Un champignon, une lyre, un lapin, une paire de bottes ?
— D’accord, je vois ce que tu veux dire. »
Il grommela.
« Comment as-tu choisi le tien ? demanda alors le Luménien. J’imagine que ta famille n’en avait pas.
— Effectivement. J’ai choisi en fonction d’une légende de mon coin. Une histoire de chamois blanc magicien, qui rend invulnérable celui qui en porte la peau.
— C’est riant, dis donc. Tu n’as pas eu peur qu’on te poursuive pour t’écorcher ?
— Très drôle. J’ai passé mon enfance à traquer le chamois blanc dans la montagne, avec mes frères. Quand j’ai dû me choisir un symbole, c’est venu tout naturellement. Je n’y ai pas mis tout un sens profond… J’étais jeune, loin de chez moi… J’avais besoin de rendre honneur à mes racines.
— C’est bien naturel. »
Hubert eut un léger sourire et acquiesça dans un soupir. Albérich devina que, mine de rien, le paladin avait le mal du pays. Mais il n’y avait désormais plus aucun obstacle à ce qu’il retourne à Maleval : il n’était après tout banni que de Luménis, à sa connaissance.
« Je n’ai pas d’équivalent à te proposer, cela dit.
— La truite eredhine ?
— Un poisson ?
— C’est bien, les poissons. C’est bon.
— Albérich, bon comme un bon poisson.
— La devise en prime. »
Ils rirent doucement. Un petit vent piquant s’était levé.
« Tu n’avais pas un surnom, dans ta jeunesse ?
— Un surnom ? »
Il ne manquait plus qu’il se retrouve avec un bœuf sur son bouclier. L’humiliation terminale.
« Aucun surnom.
— Quel désespoir. »
Le chevalier haussa les épaules.
« Nous en reparlerons ce soir. Un temps de réflexion fera peut-être émerger quelque chose. »
Alors qu’ils reprenaient leur route, Albérich songea à César et à sa véritable ascendance, aux Hautefaye d’Haradhar. Le vieil homme avait mentionné un blason, mais il ne se souvenait pas qu’il le lui ait décrit. Si ça se trouvait, Hubert était versé dans ces questions de noblesse et le connaissait. Mais Albérich ne se sentait pas encore prêt à exposer les complexités de sa généalogie au paladin. Peut-être un jour. Si nécessaire. De toute façon, jamais il n’aurait pu arborer les armoiries d’une famille que son père avait lui-même abandonnée. D’autant qu’il n’était qu’un bâtard. Et même s’il n’éprouvait aucune affection pour le vieux Megrall, il ne lui infligerait pas le déshonneur de revendiquer publiquement ses réelles racines. Il était trop tard pour cela. Ou trop tôt. Ou alors ça n’avait finalement que peu d’importance : quel que soit son nom, il était ce qu’il était.

Ils atteignirent Valfrêne au crépuscule, alors que la neige se parait de teintes cramoisies sous les rayons d'un soleil rouge sang. Le bourg, dont les maisons se comptaient par dizaines et occupaient les pentes et le sommet d'une petite éminence, était le plus important qu'ils aient atteint depuis leur départ de Solarcis. Dans ses rues illuminées par un grand nombre de flambeaux, l'approche de la nuit n'avait en rien atténué l'activité : des chalands entraient et sortaient des boutiques, des passants à pied, à cheval ou en charrette circulaient dans les rues, le marteau d'un maréchal-ferrant se faisait entendre par-dessus le brouhaha des conversations... L'animation était encore plus grande sur la place centrale du village, décorée d'une belle fontaine de marbre : là, divers baladins et artistes de rue donnaient leurs spectacles sous les applaudissement et les encouragements d'une foule dense.

" C'est la fête, dis donc..." fit Albérich tendit qu'ils démontaient, embarrassés par la foule.
Hubert avait l'air interdit, observant les artistes, songeur.
" Je dois dire que je n'en sais rien... J'espère juste que ça ne veut pas dire que l'auberge est pleine...
— Il doit sûrement y en avoir plus d'une dans un bourg de cette taille...
— Autant nous en assurer tout de suite. Tu pourras venir regarder les jongleurs ensuite, si tu veux..."
Le Luménien haussa les épaules et emboîta le pas du paladin.

Deux auberges aux façades engageantes donnaient sur la place : malheureusement, elles étaient combles. Idem pour une autre, de même niveau, installée dans la rue principale. Il fallut donc aux deux voyageurs s'aventurer plus avant dans les passages adjacents et se renseigner auprès des passants. L'un d'entre eux, une femme replète aux joues rubicondes, finit par leur indiquer un établissement appelé "La chope fêlée", à quelques distance de là, en les assurant qu'il y aurait de la place. De fait, en découvrant sa façade noircie et lézardée, au fond d'une impasse, ils comprirent que la plupart des clients potentiels devaient décider de passer leur chemin rien qu'en l'apercevant...

Albérich ne put s'empêcher de rire tandis qu'Hubert grimaçait.
" C'est intéressant. Un bouge. Personnellement, je vote pour, fit le Luménien.
— Il n'en est pas question, répondit le paladin. Je préfère encore voler une bourse et passer la nuit en prison. La nourriture sera sûrement meilleure.
— Un paladin, voler une bourse ?
— Je comptais sur toi pour agir, puis me dénoncer traîtreusement.
— Bien sûr. Mon âme à moi est pervertie, déjà, de toute façon."
Le chevalier le dévisagea et soupira.
" Albérich, tu sais bien que ce n'est pas ce que je sous-entendais.
— Non, c'est vrai. Excuse-moi."
Il était plus fatigué qu'il ne l'aurait cru. Il tenta de sourire.
" Allez viens. On va chercher encore un peu. Et s'il n'y a rien d'autre...
— On négociera avec un fermier pour passer la nuit dans sa grange.
— Ah, c'est toi le chef."

Un groupe de jeunes gens plus qu'à demi éméchés leur indiqua bientôt un lieu "avec des lits", qu'ils aperçurent peu après dans une artère secondaire. Certes, il y avait là, sans nul doute, des lits à louer, mais il était peu probable qu'on y dorme seul, puisque l'endroit s'appelait "Nuits câlines". Les deux compagnons durent donc continuer leurs déambulations dans des rues sans cesse plus bondées, à cause des baladins qui, leur représentation terminée, gagnaient leur auberge ou en cherchaient une. Albérich et Hubert croisèrent ainsi un montreur d'ours dont l'animal, fatigué, manifestait des signes de mauvaise humeur ; puis ce fut un vieillard à l'allure aristocratique portant un étui à violon sous le bras et un singe sur l'épaule, suivi par un petit garçon soutenant une harpe presque aussi grande que lui et par trois chiens de tailles diverses. En revanche, d'hostellerie où poser leurs bagages, point.

HRP / Après Belle et Sébastien, Rémi sans Famille... Tu es irrécupérable

Albérich percevait la tension d'Hubert, qui augmentait à chaque déconvenue. Le paladin avait cessé de plaisanter et tout dans son attitude reflétait une contrariété de plus en plus virulente. Sa colère, en fait, rayonnait comme une aura presque aussi palpable que son habituelle onde apaisante. Lui-même ne disait rien : bien sûr, il aurait aimé avoir un banc où s'asseoir et un lit où se poser, mais la mésaventure n'avait rien de dangereux et en cela, ne l'atteignait pas particulièrement. D'autant que rester calme offrait un contrepoint utile à la nervosité du paladin. Il devinait que s'il avait été absent, Hubert aurait été beaucoup plus philosophe. Peut-être devrait-il lui signifier qu'il n'était pas particulièrement déprimé...
" Si j'avais su, je nous aurais détournés par un village plus modeste, grommela finalement le chevalier. Pourquoi diable ces gens fêtent-ils la Fête de la Lune avec trois jours de retard ?"
Il se tourna vers le Luménien.
" Et ne dis rien. Je sais que j'avais promis de me renseigner. J'allais me renseigner. Mais l'initiative d'Ekhart m'a déstabilisé et ça m'est sorti de la tête. Je ferai mieux la prochaine fois."
Il faisait nuit, désormais. Leurs chances de trouver à loger s'amenuisaient. Albérich se sentait capable de faire une nuit blanche, il avait bien dormi la veille, mais Hubert ne l'accepterait jamais.
" Ne connais-tu personne qui pourrait nous héberger ? La garde, peut-être ?
— Je ne peux pas faire une chose pareille... A cette heure... Je sais que ma réputation n'a plus vraiment d'importance, mais... Ce n'est pas une auberge. Si je les avais prévenus à l'avance, cela passerait encore... Enfin, c'est trop tard. Je ne peux pas faire déranger le capitaine.
— Ne te justifie pas. Retournons à la Chope Fêlée...
— Misère. Nous allons être bouffés par les puces... sans parler du voisinage.
— Alors il faut quitter la ville et trouver une ferme. Mais à cette heure-ci, tout le monde dormira. Nous serons accueillis à la fourche. Et je sais que tu penses à un endroit de bivouac... mais il fait noir, et toi et moi ne jouissons pas des avantages de nos amis elfes.
— Je ne vois pas trop mal dans la nuit, en fait.
— Allons, ce n'est pas sérieux.
— Bon. Chope Fêlée ce sera. Pfff. Bougeons-nous."
Et ils repartirent en direction du bouge sinistre au fond de sa ruelle sale.

En parvenant près du bouge, ils se rendirent compte que certains des baladins les y avaient précédés. Le montreur d'ours, en tout cas, dont l'animal avait été enchaîné devant l'écurie minable. Si Hubert désirait mettre à l'abri leurs montures, il allait donc devoir passer à deux pas de lui, car aucun palefrenier ne se porta à leur rencontre. L'immense créature semblait cependant sommeiller : par conséquent, il y avait des chances pour qu'elle ne cause pas de problèmes... Restait à savoir si sa chaîne était solide et si on l'avait bien nourrie. Dans le cas contraire, qu'adviendrait-il si elle était prise d'une petite faim, au cours de la nuit, et tournait son attention vers les chevaux ?

Albérich suivit le regard d'Hubert et grimaça. Le paladin était pétrifié, il pouvait presque voir les rouages de son cerveau tourner à toute vitesse, sans lui offrir de solution satisfaisante.
" Allons camper dans la broussaille, proposa Albérich en faisant volte-face.
— Oui." répondit simplement Hubert, d'une voix sourde.
Les rues étaient désormais un peu plus dégagées, aussi purent-ils remonter en selle. Le Luménien avait le sentiment qu'ils n'étaient pas prêts de dormir... mais il n'aurait jamais osé le reprocher à Hubert. Après le fiasco du blizzard, il doutait que cette nouvelle tuile soit au goût de son compagnon.

Au moment où ils quittaient l'impasse, ils entendirent s'ouvrir la porte de la Chope Fêlée : peut-être avait-on - trop tard - remarqué leur présence, à moins que l'établissement ne soit lui aussi comble, obligeant d'autres voyageurs à renoncer à passer la nuit sous un toit... Quoi qu'il en soit, ils ne purent jamais en avoir le cœur net, ayant déjà tourné à l'angle.
Ils quittèrent Valfrêne, longeant la route qui allait plein sud, fouillant les environs du regard, en quête d'un endroit où installer leur bivouac. Ce fut Hubert qui le découvrit un gros quart d'heure plus tard : un sentier s'écartait, sur la droite, et grimpait paresseusement le flanc d'une petite colline. A son sommet, il crut distinguer des bancs et même une table au pied d'un arbre imposant. Peut-être s'agissait-il là d'un lieu de réunion en plein air, à la belle saison...

Hubert démonta le premier, partant inspecter les lieux, tandis qu'Albérich mettait pied à terre de manière moins élégante. Il avait mal aux reins et commençait à avoir franchement faim. Il fouina dans les fontes de Douce pour trouver un morceau de pain, en donna la moitié à la jument, puis flatta l'encolure de Placide et se mit en quête de la tente. Il savait que le paladin en avait une, mais n'était pas complètement certain de pouvoir la reconnaître : il y avait mille autres choses, là dedans. Il frissonna dans le vent piquant. Il faisait horriblement froid, il leur faudrait allumer un feu, rapidement, sous peine de geler. Mais en comparaison de la grotte de l'avant-veille, c'était un paradis. Il valait mieux ne même pas songer à la suite seigneuriale, en revanche...
Il se porta finalement à la rencontre du paladin.
" Ça convient ?
— Pas le courage de repartir, de toute façon."
Albérich pinça les lèvres : Hubert était de méchante humeur et sans doute cela ne s'améliorerait-il pas d'ici à ce qu'ils soient installés... Il chercha donc un endroit propice pour y préparer une flambée. Décidément, il faisait froid, et noir aussi. Il n'y voyait vraiment presque rien.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Dans la Campagne du Soleil