La Couronne de Cuivre

Quête : le hasard fait bien les choses

"Oublies"

Un léger sourire. Elle n'aimait pas parler de ce qu'elle ressentait. Même pour Morgan, elle était restée longtemps une énigme. De tout temps, elle taisait. Et laissait percevoir quitte à passer pour insensible. Elle détestait dévoiler ses failles. Et devant Soren, elle n'avait pas envie d'avouer. Nommer, c'était faire exister. Se confronter à la réalité. Elle savait ... Elle se maudit d'avoir laissé parler ses yeux. Peut-être avait-il deviné.

"Ce n'est rien. Un reflet ... La fatigue ..."

Elle s'était sentie se recroqueviller, tenter de trouver un refuge. Un repli en elle-même. Elle ne savait pas mentir. Elle avait peur qu'il parle, et de ce qu'il allait dire.

Quête : Le hasard fait bien les choses.

Mais il ne dit rien, laissa son regard l'abandonner pour filer vers le plafond, la serra contre lui, en lui caressant distraitement le dos du bout des doigts. Il faisait bon, mais un gargouillis d'estomac explicite leur rappela qu'il était passé midi et qu'ils n'avaient rien mangé. Soren ne parut pas s'en soucier, demeurant alangui dans son lit. Ils entendirent le bruit de cavalcades dans le couloir proche, le murmure de conversations, des oiseaux vinrent chanter près de la fenêtre voilée. Le temps semblait suspendu, ils étaient lovés dans un cocon de tranquillité, à l'abri du monde. Seules demeuraient les questions de la paladine pour troubler la quiétude de la journée...

Quête : le hasard fait bien les choses

Une parenthèse. Elle se sentait en sécurité et au chaud. Loin du monde. Dans les bras de Soren. Peu à peu, elle entendit la cacophonie incessante de question qu'elle transportait toujours s'insurger, puis devenir murmures et se taire. Elle entendait les bruits du monde si proche, mais pourtant éloignés. Comme s'ils ne les concernait plus, pour le moment du moins. Le soleil réchauffait sa peau, dissipant agréablement les tensions. Elle avait faim, mais rien d'insurmontable. Pour la première fois depuis une éternité, tout lui parut plus simple. Les yeux fermés, elle sourit.

Quête : Le hasard fait bien les choses.

Une bonne heure passa ainsi, tranquille et oisive, entre veille et sommeil. Angèle réalisait que son escapade du baiser l'avait physiquement éprouvée, même si elle n'avait duré que quelques fragments de seconde dans la vie réelle. Soren ne disait rien, se contentant de la caresser doucement, apparemment heureux de ce moment de détente. Ce fut cependant lui qui mit fin à la pause en se redressant sur un coude à nouveau.
" Veux-tu manger ici ou allons-nous sortir ? demanda-t-il finalement. Je peux sans difficulté demander à un novice de nous porter quelque chose... C'est dans les usages du Temple. Mais tu n'as peut-être pas envie de passer trois jours au lit. Je ne sais pas comment sont taillées les Tyrites."

Quête : le hasard fait bien les choses

Angèle avait faim. Son dernier repas remontait à la veille au soir. Elle n'avait rien avalé depuis. Son voyage occasionné par le baiser la fatiguait d'autant plus. Son organisme n'allait pas tarder à lui faire payer une addition salée. Elle s'assit à coté de Soren, la tête lui tournait presque. Elle avait manifestement besoin d'air.

"J'ai vraiment envie de passer ces trois jours avec toi. Par contre, j'ai peur de n'être plus bonne à rien à rien si je les passe entièrement au lit."

Un léger silence. Un petit sourire mutin.

"Je n'essayerai pas de m'enfuir, promis. Au contraire, je serais sûrement plus en forme pour plus tard."

Elle caressa sa joue, le regarda avec un sourire amusé.

"Mais avant, nous ferions peut-être mieux de nous débarbouiller un peu. A nous regarder, j'ai l'impression que nous que nous avons passé notre temps à nous rouler dans la terre."

Elle se sentait faible et les papillons de lumière dansant devant ses yeux n'auguraient rien de bon.

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" Attends-moi là." dit Soren.
Il disparut un moment dans une pièce attenante, puis reparut avec une coupe remplie d'un liquide épais, de couleur orange vif, qu'il lui tendit.
" Ne t'en fais pas, ça va te requinquer."
Son sourire se fit malicieux.
" Et je te promets qu'il n'y a ni alcool, ni substances magiques dedans !"
Cela sentait effectivement le fruit et le légume mélangés, sans doute de la carotte, une pointe de tomate, certainement des pommes, et puis d'autres senteurs qu'Angèle ne reconnut pas. C'était délicieux, léger sur l'estomac mais frais et revigorant.
" L'élixir des courtes nuits." murmura le sculpteur en la regardant boire.
Il posa une main sur sa poitrine, comme pour sentir le passage du liquide dans sa gorge, puis sourit.
" Je t'ai mis de l'eau à chauffer. Je ne pense pas que tu aies envie d'aller jusqu'à la salle commune, te connaissant, et j'ai mon bain personnel, prestige de la fonction."

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"Tu ne me connais pas. Je ne te connais pas non plus."

Le ton était doux. Mais chaque mot qu'elle prononçait sonnait pour elle comme une claque. Après la malédiction, après le repos, c'était comme si sa lucidité mise en sommeil se réveillait d'un coup. Et le constat était douloureux. Elle regarda Soren.

"Tu sais ... Tout cela, je n'ai pas l'habitude. En fait, je ne sais pas pourquoi je fais tout cela. Je ... ne regrette pas. Mais je ne me reconnais pas. Ce n'est pas parce que je suis tyrite. J'ai perdu la personne avec qui je partageais ma vie depuis vingt ans il y a à deux ans à peine. Et j'allais à Lumenis pour lui dire au revoir. Et puis il y a eu cette malédiction. Et toi ... Je pense que tu me plais, c'est indéniable. Mais je ne te connais pas. Tu m'attires. Je ne sais pas ce que je ressens pour toi. J'ai crû quelques instants que j'étais amoureuse parce que je n'arrêtais pas de penser à toi. Mais ce n'est pas vrai."

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle ne fit rien pour les stopper. Les mots venaient. A présent elle pleurait.

"J'ai l'impression de me mentir. De te mentir aussi. Et plus j'ai l'impression de comprendre ce que je ressens plus je me sens perdue."

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Le revirement subit de la paladine parut prendre le sculpteur par surprise, et il pinça les lèvres, embarrassé, avant de l'étreindre doucement. Il la relâcha ensuite et lui prit les mains.
" Oh Angèle, je suis désolé, je m'y suis mal pris avec toi..."
Il eut une légère grimace.
" Malgré mon expérience de Sunite, je ne connais pas bien les paladines tyrites, il faut croire."
Son sourire s'était fait doux.
" L'idée n'était pas de te troubler davantage... Certainement pas. Et pas non plus te faire imaginer ou miroiter ou espérer des choses démesurées. Tu m'as eu l'air un peu perdue... et tu es très belle. J'avais envie... de te donner un peu de plaisir, de susciter un peu de désir... Je ne voulais pas... rendre les choses plus complexes. Je voulais que tu puisses vivre... autre chose... profiter un peu du soleil..."

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Les larmes se tarirent petit à petit. Et les mots exprimés cessèrent de lui faire mal. Elle finit par répondre au sourire de Soren.

"Tu n'as pas à être désolé. Au contraire. Tout ce que tu m'as donné ... Je me suis sentie vivante. Et cela, je ne croyais pas que c'était encore possible."

Elle parlait sincèrement, avec la difficulté coutumière de dire ce qu'elle ressentait.

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Le clerc acquiesça, sans lâcher les mains de la jeune femme pour autant, puis lui écarta les cheveux du visage.
" Et tu es toujours vivante. La perte d'un être cher... C'est quelque chose que je ne connais pas personnellement. Mais je sais que nous avons tous en nous de nous reconstruire et de repartir, quels que soient notre âge ou notre histoire... Angèle, tu es encore très jeune. Peut-être qu'un chapitre de ta vie se referme seulement, mais le récit continue. Tu pourras l'écrire comme tu le désires."
Il s'assit contre le mur, attrapant un coussin pour s'adosser.
" Y a-t-il une commanderie tyrite à Manost ? Un endroit où tu résides ?"

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Elle hocha la tête.

"J'ai entendu cela. Je me le suis même répété plusieurs fois. Certains jours, j'arrive même à le croire. Peut-être ais-je simplement besoin de temps pour le comprendre. Je ... ne me suis pas accordé un seul instant pour y réfléchir. Peut-être ais-je simplement peur."

Un autre constat difficile. Depuis la mort de Morgan, elle n'avait passé qu'un mois à Manost, le temps de préparer l'expédition à Melandis.

"Je n'ai pas remis les pieds chez moi depuis plus d'un an. J'habite au Coeur Radieux depuis des temps immémoriaux. C'est la commanderie des paladins à Manost, toute religion confondues. Les autorisés s'entend ... Je partage une chambre avec mon amie d'enfance."

Un temps d'arrêt, un instant pour se souvenir.

"J'ai hérité d'une maison. Une grande maison. Celle de mon amie. Je n'y suis plus jamais entrée depuis ... son départ. Il y a un jardin immense. Une roseraie. Maintenant il doit être en friche. Une grande maison pour moi toute seule. C'est idiot. Je n'ai pas envie de retourner là-bas."

Elle avait parlé d'une voix monocorde, comme s'il avait s'agit d'un simple constat.

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" Dans ce cas, peut-être ne le faut-il pas... Morgan, ton amie... Elle voulait sans doute le mieux pour toi. Elle t'a laissé sa maison. Mais si le mieux pour toi, c'est de la vendre et de refaire ta vie, c'est ce que Morgan aurait certainement voulu. L'amour, ce n'est pas s'enchaîner quelqu'un à jamais, même au-delà de la mort... C'est se réjouir de le laisser s'épanouir. Même si cela se fait loin... et autrement."
Il haussa les épaules.
" Mais tu ne peux pas vraiment retourner à la Commanderie, si ? Les Tyrites ont mauvaise presse, en ce moment..."

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Angèle regarda Soren avec perplexité durant quelques secondes.

"Je n'avais jamais envisagé de vendre sa maison ... C'est ..."

Elle se tut le temps de réfléchir. Elle sentit de nouveau les larmes lui monter aux yeux.

"Je ne sais pas."

Nouveau silence.

"Les tyrites sont interdits de séjour à Manost. Pour une durée indéterminée pour le moment. Ce qui est parfaitement illégal d'ailleurs."

La juriste se réveillait, mais elle ne savait pas si c'était bon signe. Entre la paladine, la femme et la tyrite, elle était déjà assez tiraillée.

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Soren parut sensible à son émotion, mais pas au point de se confondre en excuses. Peut-être estimait-il que c'était son rôle, en tant que clerc, de la pousser à aller plus loin.
" Je ne dis pas que tu dois vendre cette maison, si tu ne le sens pas... Mais je crois que tu dois davantage ouvrir tes possibles. Il n'y a pas de chemin tracé dont on ne peut s'écarter. Enfin... j'imagine que pour un paladin, ou toute personne de foi, la voie existe un rien. Mais il est des domaines de notre existence qui échappent à ces préceptes. L'amour n'est pas le registre de Tyr. Tu ne devrais pas te tourner vers lui pour trouver des réponses."
Il secoua la tête.
" Mais où en es-tu, dans l'univers tyrite ? Est-ce à toi de militer pour que ton dieu retrouve sa place ? J'ai l'impression que tout paladin s'engage de la sorte et qu'à ce niveau, ton parcours est déjà tracé. Tu ne peux pas rester en marge alors que tes droits et la parole de Tyr sont bafoués. Mais peut-être ai-je une vision très idéale des choses, tandis qu'au niveau humain, tout est plus complexe..."

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Angèle s'assit en tailleurs à coté de Soren. Après le flou des derniers jours, reprendre pied dans le concret la rassurait presque. Même si la réalité énoncée n'était pas foncièrement agréable. La manostienne remarqua qu'elle était entièrement nue, à parler de justice et du devenir de sa ville, ce qui n'était pas foncièrement sérieux. Et ce détail la fit presque sourire.

"Je ne peux pas vraiment. Il y a certes Tyr, mais aussi les intérêts de Manost. La ville n'a pas besoin d'un autre conflit, même minime pour se remettre après la guerre. Et il y a aussi mon frère, mon jumeau. Il est à la tête du Coeur Radieux, une des grandes instances de la ville. Je crois qu'il ne le supporterait pas."

Beaucoup de loyautés à gauche et à droite entre lesquelles elle se sentait constamment tiraillée.

"Peut-être ferais-je mieux de prendre ma retraite.", dit-elle avec un petit sourire.

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Soren parut sincèrement décontenancé.
" Prendre ta retraite ? Je ne savais même pas que les paladins y avaient droit. N'est-ce pas contraire à tes voeux ? Je veux dire... ce n'est pas exactement une profession comme une autre... C'est un engagement qui va beaucoup plus loin."
Il secoua la tête.
" Quant à Manost, excuse-moi d'être un Luménien idéaliste, mais un régime qui s'installe par l'illégalité me parait bien mal parti. La stabilité a bon dos, à ce prix. Les occasions de changer le monde sont rares et tant pis si elles s'accompagnent de remous. Mais tu es manostienne. L'ordre est une valeur de fond, chez vous. C'est quelque chose que je ne peux pas comprendre. Je préfère l'anarchie à une main de fer supplémentaire."
Il haussa les épaules.
" Les liens du sang, par contre, avec l'amour et la haine qui en découlent... C'est évidemment autre chose."

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"Je plaisantais pour la retraite ... je sais, ce n'est pas drôle, dit-elle avec un petit sourire contrit, chaos ou loi, la situation n'est pas simple comme tu peux le voir. Tu sais, j'ai conscience que la situation à Manost n'est pas idéale, surtout depuis mon passage ici. J'aime ma ville, et les gens qui y habitent. J'aimerais contribuer à la faire avancer dans le bon sens, vraiment. Mais j'ai peur ... peur de ne pas avoir d'assez solides épaules. Je suis juriste. Je connais les lois sur le bout des doigts et il paraît que je n'ai pas mon pareil pour déchiffrer les textes les plus ardus mais ... Je suis une gratte-papier, pas grand chose d'autre. Avant Melandis, c'était encore possible. Maintenant, je ne suis plus capable de plaider pour quoi que ce soit. Alors pour toute une cité ..."

Elle se sentait lâche mais elle ne mentait pas. Elle regarda Soren, sûre qu'elle allait le décevoir.

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Il n'avait pas l'air déçu mais bien surpris.
" Les paladins de Tyr peuvent être des... gratte-papiers ? Je pensais que tous les paladins étaient avant tout des soldats de leur dieu. Armure, épée, bouclier, ce genre de choses... Je dois dire que... nos juristes luméniens sont rarement autre chose que des juristes. Et je ne crois pas que nos paladins brillent par leurs études."
Il haussa les épaules.
" Mais l'avènement d'un nouveau régime nécessite l'intervention de personnes comme toi. Et la résistance ne doit pas passer par la violence. L'amour fonctionne bien, dans son genre."
Il lui sourit.

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"Je me défends plutôt bien avec une épée aussi, souffla-t-elle, la formation militaire est la base de tout paladinat. Mais il arrive que les adeptes de Tyr soient parfois sollicités en tant que juristes. Il y a aussi mon frère qui préférait que je ne marche pas trop dans la lumière avec lui. Les jumeaux n'ont pas vraiment bonne presse ... Lui combat, je réfléchis ... L'arrangement nous a toujours paru plus que raisonnable."

Elle sourit en retour à Soren.

"Il est vrai ... Surtout si ses représentants ont tous ton sourire ..."

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Le Sunite sourit au compliment, mais son expression redevint sérieuse presque aussitôt.
" La relation avec ton frère jumeau m'a l'air... complexe, pour dire le moins, dit Soren. Il ne me semble pas juste... mais je ne suis pas un spécialiste de la justice... que tu doives t'enfuir pour le laisser profiter du soleil. Tu as l'air de vouloir beaucoup le ménager... J'imagine que c'est normal, si vous êtes le reflet l'un de l'autre, mais... les liens du sang... ce ne sont pas toujours les meilleurs liens. Ce n'est qu'un hasard du destin."
Il leva les yeux au ciel.
" Ecoute-moi parler. Nous avions mentionné un repas. Allons nous laver, veux-tu ?"
Et il lui tendit la main, une expression apaisante sur le visage.

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Elle accepta la main qu'il lui tendait avec un sourire. La confusion de ses sentiments dissipée, elle se sentait mieux. Mais elle savait que les questions soulevées par Soren allaient la hanter d'ici peu. Manger aurait le mérite de les éloigner un moment.

"J'ai l'impression d'avoir beaucoup parlé aussi, dit-elle un peu surprise en le suivant jusqu'au bain, et toi, as-tu des frères ou des soeurs ?"

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Soren l'introduisit dans une petite pièce attenante à la chambre, où se trouvait un bassin à même le sol, équipé d'une pompe. Après l'avoir rempli d'un fond d'eau, il se déplaça vers un âtre qu'il alluma rapidement.
" Il va falloir attendre un moment que ça chauffe. Sauf si tu aimes l'eau froide, auquel cas... Tu peux déjà y aller."
Il pompa quelques litres d'eau supplémentaires, alimenta son feu, s'assit sur le bord.
" Et pour répondre à ta question, je n'ai absolument aucune idée de si j'ai des frères et soeurs. Peut-être. Peut-être pas. J'étais encore un nourrisson quand j'ai été abandonné, alors... Ma famille peut ressembler à tout et n'importe quoi, je n'en ai aucune idée. Peut-être suis-je le bâtard d'un homme puissant... ou le quinzième fils d'un porcher sans le sou... Je dois dire que je n'ai jamais cherché à savoir. Ça n'a pas grande importance pour moi. Je suis un fils de Sunie, que demander de plus ?"

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Angèle secoua la tête. Elle n'aimait pas spécifiquement l'eau froide. Mais elle observa le système avec une certaine attention. Etait-il possible que grâce à l'âtre, l'eau soit chauffée directement ? A Manost, on se contentait de chauffer l'eau dans des seaux et d'apporter le tout dans un grand baquet. Elle se souviendrait longtemps de la technologie luménienne.

Elle s'assit à coté de Soren, l'écoutant parler. Il n'avait pas de famille, hormis celle de Sunie. Et cela n'avait pas l'air de le perturber outre mesure. Elle n'aurait pas supporté de ne pas savoir. Pour elle, rien n'importait tant que ses racines, de savoir son appartenance, d'avoir un nom, un clan. Envisager le contraire était difficile. Bien sûr, la relation avec Guiguemar était difficile. Et c'était bien pour lui qu'elle vivait dans son ombre. Soren avait l'avantage d'avoir choisi où nouer ses racines.

Elle sentait la chaleur de l'âtre gagner peu à peu la pièce. La réchauffer.

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Soren testait la température de l'eau de temps en temps, puis en rajoutait de la froide, avant d'attendre à nouveau. Il expliqua à Angèle que l'âtre chauffait le bain via un réseau de canalisations circulant en-dessous des tuiles du fond. C'était un système très ancien que les Sunites avaient redécouvert puis perfectionné, et qu'on trouvait dans la plupart de leurs temples. Ils avaient offert de partager leur savoir avec d'autres, mais curieusement, les ablutions glaciales semblaient encore à la mode dans bien des sanctuaires, sans doute pour des questions de discipline parmi les novices.
Il invita ensuite la jeune femme à descendre dans le bain qui avait désormais une température agréable et lui donna le nécessaire pour qu'elle puisse se laver. Lui-même demeura hors du bassin, sans réellement la regarder, mais sans détourner les yeux pour autant.

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Pas amis, pas étrangers ... Et pourtant amants le temps d'une parenthèse. Angèle regardait aussi Soren, sans détourner le regard. Se demandant ce qu'il pensait, ce que voyaient ses yeux. Cela importait, quelque part. Pour elle, ce qui s'était passé n'était pas rien. La paladine s'en voulait. La femme avait heureuse de cette proximité, de cette chaleur. Quelque part se sentait presque blessée que tout s'arrête. Comme si elle avait simplement rêvé ce qui s'était passé. Et que cela ne signifiait rien pour Soren. Un simple tour entre ses bras. Elle n'était pas amoureuse. Et c'était quelque part ce qui la gênait le plus. Elle s'était crue plus solide. Elle se lava, silencieuse. Peut-être allait-il tout simplement la congédier, la laisser là. Après tout, que méritait-elle de plus ?

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Quand elle en eut terminé, il lui tendit une serviette épaisse et gigantesque, du genre qu'on ne trouvait certainement pas à la commanderie de Manost. Il la regarda en coin, parut hésiter, puis lui embrassa le front, tout en l'aidant à se sécher.
" Que veux-tu mettre pour partir en quête de nourriture ? Moi, je ne peux pas vraiment m'habiller, les gens trouveraient ça trop bizarre et je n'ai pas envie d'attirer les cancans plus que cela ne sera déjà le cas... Mais toi, tu es libre comme l'air... La tenue sunite que Moïra t'a dénichée était plutôt jolie, mais ce n'est sans doute pas complètement ton genre..."

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La serviette était moelleuse et épaisse à souhait. Rien à voir avec austères draps de bains manostiens fibreux et ascétiques. Chez les sunites, et peut-être par extension chez les luméniens, le bain était un art, un raffinement. Que les anciens helmites auraient qualifié comme un prétexte d'amollissement dangereux pour la rigueur de leurs âmes.

Le baiser sur son front la surprit et elle ne put s'empêcher de sourire. La prévenance de Soren la touchait, et faisait un peu mentir ses pensées.

Pour ce qui était des cancans, elle ne se sentait pas très à l'aise. A Manost, elle avait toujours tenté de s'en tenir éloignée, toujours discrète. Au temple de Sunie, sa présence n'était pas passée inaperçue. Et ce qui s'était passé avec Soren ... Elle devait l'assumer. Quant à la tenue, elle ne savait pas trop. La tenue de Moïra était un compromis entre ses vêtements austères et l'exubérance sunite. Dedans, la tyrite ne s'y retrouvait pas. Mais sa tenue austère ne serait pas discrète. Alors peut-être opter pour la couleur locale. En plus, la femme ajouta que si Soren la trouvait jolie ...

"Alors, ils te laissent te promener nu dans les couloirs, mais tu n'as jamais froid ?, demanda-t-elle un brin amusée, pour la tenue ... Peut-être aurais-je plus de chance de passer inaperçue en sunite."

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" On te prendra peut-être pour une prêtresse venue d'ailleurs." fit-il en souriant, puis en l'entraînant vers la chambre, le bras passé autour de sa taille.
Il retrouva ses vêtements et les lui rendit. Angèle constata que l'étoffe ne portait aucun stigmate de leurs ébats, comme si elle avait été tissée expressément pour ne jamais se froisser. La tunique et les chausses lui parurent particulièrement doux sur sa peau propre et Soren la regarda d'un air admiratif, avant de lui effleurer la taille puis l'épaule.
" Compte tenu de ce que nous avons échangé tout à l'heure... C'est toi qui devras prendre l'initiative, désormais. Je ne veux plus te déstabiliser." lui murmura-t-il à l'oreille.
Il recula d'un pas.
" Mais tu es paladine... Tu iras de l'avant."
Il lui décocha un clin d'oeil puis attrapa une robe de chambre de soie écarlate, suspendue à un crochet près de la porte.
" Et je n'ai plus le droit de me balader nu dans les couloirs pendant la journée, dit-il en la revêtant. Trop d'évanouissements."
Avec un sourire malicieux et un haussement d'épaules faussement désolé, il se dirigea vers l'atelier.

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Angèle suivit Soren, un léger sourire aux lèvres. Elle était cependant troublée. Prendre l'initiative ... Contrairement à ce que lui soufflaient ses pensées les plus sévères, Soren ne la rejetait pas. Peut-être était-ce ce qu'elle aurait voulu pour se donner raison. Mais il se montrait aimable, patient et prévenant. Charmant. Et elle se sentit vaguement honteuse. Elle avait l'impression de profiter de lui, de ne pas mériter l'attention dont elle faisait l'objet.

Alors, avant qu'il n'atteigne la porte de l'atelier, elle l'attrapa par la main.

"Attends."

Avant qu'il ait pu esquisser le moindre geste, elle le prit dans ses bras et le serra contre elle. Quelques secondes à peine.

"Je voulais te dire merci."

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" Il ne faut pas." répondit-il simplement, en lui ébouriffant les cheveux d'une main amicale.
Quant elle l'eut relâché, il la conduisit au travers de l'atelier, déverrouilla la porte puis jeta un coup d'oeil dans le couloir et s'y engagea. Il l'emmena dans le même réfectoire aux allures d'auberge que la veille. Contrairement à ce qu'aurait pu craindre Angèle, vu l'heure tardive, ils étaient loin d'être seuls, et personne ne sourcilla lorsqu'ils s'installèrent à table. Un novice vint s'enquérir de leurs desiderata puis repartit vers les cuisines.
" Bon, à quoi veux-tu occuper tes derniers jours à Luménis ? La ville offre bien des possibilités, en dehors des quatre murs austères du Temple de Sunie..."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Temple de Sunie