La Couronne de Cuivre

La favorite n’était visible nulle part. Louve ne vit pas d’avantage Malagate ou le Prince. Encore moins le loup blanc qui n’était peut-être même pas retourné jusqu’aux ruines. En revanche, elle repéra le fier Marag en vive discussion avec le discret Boniface. Plus loin, les deux brutes un peu idiotes avec qui la rousse avait eu brièvement affaire étaient en train de s’engueuler pour une obscure raison. Un sanglier garou des plus imposants aiguisait sa hache en songeant à des choses visiblement passionnantes. Les rumeurs allaient bon train et l’ambiance était plutôt festive. Après tout, la nuit avait été délectable !

Elle ne connaissait personne. Tant pis. Louve n'était pas du genre timide. Elle n'avait aucune envie de rendre visite aux deux brutes sans cervelle. La première entrevue suffisait amplement à son goût. Le sanglier garou avait apparemment d'autres choses à faire que de discuter. Alors , elle alla s'adosser à un arbre, les bras croisés observant sans se cacher. Droite, elle observait en montrant bien qu'elle n'éprouvait aucune crainte.

Son petit sourire aux lèvres indiquait que si quelqu'un avait envie de venir discuter, il serait le bienvenu.

Marag et Boniface s’approchèrent finalement de Louve. Le premier arborait un large sourire alors que le second avait la mine soucieuse.
« Il paraît que tu t’es bien amusé avec la Favorite, dit Marag. C’est bien. Il paraît aussi qu’on va bientôt pouvoir remettre tout ça. On a trouvé où se planquerait le chef des Lame d’Argent.
- La chef, rectifia Boniface. C’est une femme après tout.
- Les rats commencent à flipper. Les autres se réjouissent. Et toi, t’en pense quoi ? »

Louve écouta avec attention la conversation avant de demander.

"C'est qui cette chef ? Vous la connaissez ? Moi, je pense qu'en meute, nous sommes forts. Même en meute réduite. Honnêtement, si on réussit à s'en débarrasser, leur organisation risque d'être un peu ébranlée, non ? Donc je serais plutôt contente qu'on en découse. Une petite attaquer par surprise et ..."

Elle commençait à se sentir impatiente.

« Leur chef, c’est Christiane Bélan, un paladin, expliqua Boniface. Une espèce de femme de fer à la réputation de solide guerrière.
- Pas assez solide pour tenir tête à notre meute, déclara Marag, catégorique. Et oui, si elle tombe, les Lames d’Argent seront mal en point. Leur organisation n’est pas assez importante pour se remettre de la perte de leur leader. Il est grand temps de leur faire payer l’impudence de se croire des chasseurs.
- N’empêche que ce sera autre chose que de s’en prendre à des villageois sans défenses.
- Raison de plus pour y aller ! Moi, j’ai soif de vrai combat ! Leurs épées ne me font pas peur !
- En tout cas, c’est le Prince qui décidera. Il discute toujours avec Malagate et la Favorite est visiblement allée mettre son grain de sel. »

Louve écouta la conversation attentivement. Chacun des arguments était recevable. Mais elle était toute nouvelle dans la meute. Bien sûr, elle pouvait gagner en réputation si le chef des Lames d'Argent était tuée. Mais que se passerait-il en cas de fiasco. Elle préféra ne pas y penser. Aussi répondit-elle.

"Je serais plutôt d'avis qu'on attende les ordres. Même là, il y aura moyen de bien s'amuser. Ils risquent de faire une de ces têtes quand on leur tombera dessus."

Et elle voulait garder la Favorite dans sa poche, surtout si elle murmurait à l'oreille du Prince.

Les ordres ne tardèrent pas à arriver car voilà que la meute était appelée au rassemblement. Tous se retrouvèrent en demi-cercle autour des cendre du grand brasier. Le Prince faisait face à ses fidèles, toujours aussi imposant, toujours aussi impressionnant. À côté de lui se tenait la vieille Malagate. Elle semblait mécontente. La Favorite, pour sa part, avait rejoint les rangs. Il était peut-être mal vue qu’elle montre de trop son statut à part. La conseillère, en théorie, c’était Malagate.

« Un chasseur sait s’adapter ! commença le Prince d’une voix puissante. Un chasseur sait improviser ! De sa vivacité d’esprit dépend son succès ! Il se doit d’être rapide, de frapper là où il n’est pas attendu ! »

Court silence. Le Prince poursuivit :

« Hier soir, une Lame d’Argent séjournait à l’auberge de ce village misérable que nous avons rayé de la carte ! Nous l’avons prit et fait parler ! Nous savons où réside les principaux membres de ces individus qui ont l’audace de s’opposer à la Lune Noire ! Ils tiendront un Conseil de guerre dans un château, ce soir même. Nous pouvons y être à temps. Nous pouvons faire de cet endroit leur cimetière ! Ce sera la consécration de notre meute ! Le moment est propice, favorable à Malar ! Ce soir, nous livrerons un véritable combat ! Ce sera un test, pour nous tous ! Pensez-vous êtres de vrais chasseurs ?! »

Un rugissement d’assentiment enfla parmi l’assemblée.

Une grande bataille se préparait. Pas n'importe quelle bataille car s'ils réussissaient, l'organisation des Lames d'Argent risquait de péricliter. Louve sentit un frisson d’excitation l'envahir. Elle était impatiente mais respira lentement pour se calmer. Il fallait qu'elle soit pleinement maîtresse de ses moyens pendant le combat. La chasse était un art.

Quand Le Prince posa son ultime question, elle hurla à l'unisson avec les autres, saisie par une sorte d'euphorie.

Le Prince, apparemment satisfait, exhiba une épée en argent. Ce devait être celle du prisonnier qu’ils avaient fait au village. Il empoigna l’arme par le manche et la lame, prenant garde de ne pas se couper, puis il la brisa sur son genoux et jeta les morceaux dans la cendre. Nouveau rugissement de la part de la meute.

« Nous nous mettons en marche dès à présent ! Nous devons arriver à temps, reprit le Prince. Leur Conseil sera leur fin ! Allez ! »

C’en était terminé de la réunion. Chacun se mit à rassembler ses affaires car cette fois, il était probable, en raison de la distance, que la meute ne reviendrait pas dans les ruines.

Louve regarda le Prince briser l'épée avec une véritable admiration. Elle n'avait pas de bagages ou tout du moins très peu. Les vêtements que portait sa victime avant qu'elle ne rejoigne la guilde, ses bottes, son manteau. Plus tard, elle se constituerait surement un paquetage mais ça ne pressait pas. Elle s'exécuta tout comme les autres, suivant le flot, concentrée sur la bataille en approche. Elle chercha la favorite ou Boniface du regard histoire de voir si elle pouvait effectuer la route avec eux.

Autant montrer à tous les autres qu'elle était bien vue et renforcer son alliance avec celle qu'on appelait aussi La Louve.

La meute commença à se mettre en route en un groupe chaotique qui s’étirait en longueur. Le Prince se trouvait à sa tête, montrait la direction. Mais il envoya Marag et plusieurs autres garous assumer le rôle d’éclaireur. Il ne fallait pas que la meute soit vue, encore moins surprise. La Favorite trainait d’un côté de la colonne. Louve faillit ne pas la reconnaître car elle était chargée d’un sac volumineux et d’un manteau à capuchon. Boniface se trouvait vers l’arrière, avec pas mal d’affaire lui-aussi. La rousse avait le choix. Vers qui aller pour se tenir compagnie durant le rajet qui promettait d’être long ?

Louve se dirigea sans attendre vers la favorite. Que les autres voient son allégeance, elle n'en avait cure. Tant qu'elle n'était pas très loin du pouvoir. Elle marcha au même rythme qu'elle le temps qu'elle la remarque puis elle lui demanda.

"Besoin d'aide ?"

Il était agréable de cheminer en bonne compagnie, surtout pour un long voyage. Et la manière d'être de la favorite lui plaisait quelque part.

« Non », répondit simplement la favorite, sans animosité toutefois.

Elle garda le silence au début, perdue dans ses propres pensées. Elle ne semblait effectivement pas avoir besoin d’aide. Son sac était volumineux mais apparemment, pas très lourd. Puis, subitement, elle posa une question étrange.
« Dis-moi, tu as déjà vu l’océan ? »

"L'océan ?"

Louve mit plusieurs secondes à se souvenir de quoi il s'agissait. Une vaste étendue d'eau irisée de vagues quand le vent soufflait. Elle avait du mal à se le représenter, elle qui ne connaissait que les forêts. Elle demanda, curieuse.

"Et toi, tu l'as déjà vu ? C'est comment ?"

« C’est beau. Enfin je trouve. »
La favorite sembla se perdre dans des souvenirs lointains. Elle ajouta au bout d’un court instant :
« Il y a pas grand-chose de beau dans ce foutu monde, mais ça, ça vaut le coup d’œil, ça et certaines forêt profonde. Un jour, je te montrerai. Un couché de soleil sur la mer, ça s’oublie pas. Des fois, on a l’impression que le ciel et l’eau se mélangent. C’est peut-être vraiment le cas... Tu voudrais y voir ? »
Les grands yeux de la demoiselle avaient perdu cette ombre qui les rendaient vieux et inquiétant. La Louve semblait jeune pour la première fois.

"Bien sûr que je voudrais voir."

La voix de Louve s'était faite rêveuse. Oui, elle rêvait de découvrir, repousser les limites de son monde connu. Elle rêvait d'aventures, découvrir des paysages chaque fois différents, plus enchanteurs. Elle voulait conquérir tout ce qui se trouverait à portée de ses dents. Elle souffla admirative.

"Tu es donc allée partout. Tu voudras bien me raconter, dis ?"

« Ho non, pas partout. Le monde est vaste, ma chère. Mais je viens de par delà les mers. Ma contrée est lointaine. Un jour, j’y retournerai peut-être. Ce n’est pas qu’elle me manque. Personne ne m’attend là-bas. Mais j’aime changer d’horizon. Sinon... je me lasse. »
La meute commençait à s’approcher de l’orée de la vieille forêt. Le Prince obliqua afin de rester à couvert. La marche restait à un rythme soutenu. De ce que pouvait entendre Louve, la plupart des bavardages étaient tournés vers la soirée et le combat qui s’annonçait. Cette fois, les enfants n’allaient pas y participer. L’affaire était trop sérieuse. Cela n’empêchait pas les jeunes de protester. Ils se pensaient invincibles. La favorite reprit :
« J’ai du mal à comprendre ceux qui habitent dans la même maison, toute leur vie. Ces gens ne savent plus vivres justement. »

"Moi, je n'ai jamais eu de maison. Et j'aimerais bien découvrir.", répondit Louve songeuse.

Elle disait vrai. Elle avait voyagé dans la grande forêt mais le moment pour elle était venu de changer d'espace. Elle voulait conquérir le monde à force de coups de dent et de griffes. Et elle ne serait pas seule. Elle pensait même à découvrir les villes.

« Alors les filles, vous parlez chiffons ? » fit une voix derrière Louve et la favorite.
C’était une des deux brutes épaisses à l’air niais que la rousse avait croisé en venant aux ruines. La favorite lui lança un tel regard qu’il battit en retraite sans demander son reste.
« Tain, des fois, j’te jure... » cracha la favorite, l’hostilité et la défiance de retour sur ses traits.
Cela mis fin à l’échange au sujet des rivages lointains. Le trajet se poursuivit dans un calme relatif. Au sain de la meute, l’atmosphère demeurait fiévreuse. Le chemin s’était éloignée de la lisière pour replonger plus profondément dans les arbres. Vint un moment où Louve crut reconnaître la sensation d’oppression qu’elle avait ressenti sur le territoire de la sorcière, celle-là même qu’elle avait libérée. Peut-être que la meute s’approchait de la cabane de feu le druide.

Louve essaya de ne pas le montrer mais elle commençait à sentir les premiers symptômes de l'angoisse, voire même de la panique. Qu'adviendrait-il si le démon qu'elle avait libéré voyait d'un très mauvais œil la meute de loups garous arpenter son territoire ? Elle ne préférait pas penser à cette éventualité.

Le plus discrètement possible, elle regarda autour d'elle afin de vérifier que la vieille ne se trouvait pas dans les parages.

Non, nulle trace de la diabolique sorcière. Et pourtant, cela ne rassura guère Louve. L’atmosphère pesante lui rappelait ce qui s’était passé l’avant-veille. La mort horrible du druide, la voix désincarnée, le visage hideux, cette déferlante de puissance... Hasard ou pas, le silence se fit parmi la meute. Ne demeurait que quelques murmures. En cette occasion, la rousse entendit un sanglier garou se demander où était passé Loup Blanc. Il n’était vraisemblablement pas là.

Le silence lui pesait, tout comme les images. Louve tremblait sans même s'en rendre compte. Elle croyait apercevoir la vieille derrière chaque arbre, chaque buisson. Elle se sentait terrifiée.

Elle s'aperçut de l'absence de Loup blanc par hasard. Où se tapissait-il celui-là ? Curieuse, elle le chercha du regard parmi la foule. A l'instar de la favorite, elle ne l'appréciait pas vraiment.

Elle ne vit Loup Blanc nulle part. En laissant trainer ses oreilles, Louve apprit toutefois qu’il avait quitté la meute après une discussion avec le Prince. Certains disaient qu’il y avait eu engueulade. D’autres pensaient au contraire que le Prince lui avait confié une mission spéciale car, de tous les membres de la Lune Noir, seul lui possédait une couverture derrière laquelle se cacher. Quoi qu’il en soit, la rousse constata avec soulagement que la sorcière ne s’était pas montrée. À présent, le groupe sortait des limites de son territoire pour poursuivre plus loin, toujours plus loin, vers le vieux château des Lame d’Argent.

Louve avait senti la tension refluer pour laisser la place à la concentration. Ils approchaient du bastion des Lames d'Argent. La garou se sentait tendue, tous les sens en éveil, les muscles bandés. Elle respirait lentement, économisait ses forces. L'enjeu était de taille et chacun le savait. Une vraie bataille se préparait. Une des plus importantes et elle comptait bien s'illustrer pour regagner la confiance des autres.

Elle essayerait de rester à proximité de la Favorite pour s'en inspirer et lui prêter main forte si besoin était.

La meute parvint à sa destination une fois le soir tombé. Un jour de voyage pratiquement avait été nécessaire pour atteindre le rendez-vous fatidique. Alors que les lueurs du crépuscule mouraient peu à peu, la silhouette d’un vieux château se découpait au sommet d’une colline boisé. À la vue de l’édifice, l’atmosphère devint électrique. Le Prince finit par ordonner la halte.
« Reposez-vous ! déclara-t-il. On frappera une fois la nuit tombée, au cœur de leur réunion ! »
Il donna d’autres ordres, concernant les jeunes qui allaient rester en retrait. Puis le Prince s’éloigna quelque peu pour aller parler à Loup Blanc, mystérieusement réapparut. La favorite jeta un regard noir au noble avant de se tourner vers Louve.
« Je me demande parfois si cet aristo à la manque ne cherche pas à me piquer la place. »

Louve secoua la tête.

"Peut-être qu'en le surveillant, on trouvera un truc moche sur lui. S'il tente de te piquer ta place, on pourra le ressortir. Et puis, il n'a pas tout ce que tu as, toi. Je suis sure que le Prince le sait, lui. A mon avis, il ne fait pas du tout le poids par rapport à toi."

La favorite eut un sourire espiègle. Elle attira Louve légèrement à l’écart afin de pouvoir parler en toute discrétion. Les oreilles des garous étaient fines, il fallait d’autant plus s’en méfier.

« En fait, ma chère, ce qui serait bien, se serait que Loup Blanc ait un petit accident durant l’assaut sur le château. Je n’arrive pas à le cerner, je te l’ai dis, et ça m’exaspère à la longue. Tu voudrais bien m’aider ? Tu sais, faire en sorte que ce pauvre Loup Blanc périsse à cause d’une lame d’argent... Ce sera si, si triste ! »

Elle rit, amusée par la scène.

Louve eut un petit sourire. Voilà qui promettait d'être cocasse ... A condition qu'elles ne se fassent pas prendre. Sinon elles risquaient d'y laisser quelques poils et même la vie. En même temps, c'était l'occasion de sceller l'alliance avec la Favorite dont elle se méfiait tout de même. Celle-ci n'était pas en train de l'emmener dans un traquenard ? Il faudrait qu'elle reste sur ses gardes. Elle lui demanda sans rien laisser paraître.

"Tu as une idée un peu plus précise ? Comment est-ce qu'on pourrait s'y prendre ?"

« Ha ça, on verra bien. J’imagine que le moment propice sera lors de la bataille, si ces chiens de Lame d’Argent ont le temps de dégainer. Mais à mon avis, ils l’auront. Ce ne sont pas des paysans quand même. Tout ce qu’on a à faire, c’est de rester à côté de Loup Blanc et de frapper quand je te ferai un signe. Quel signe d’ailleurs ? »
La Favorite se mit à réfléchir. Pas longtemps, déjà elle reprenait.
« Ha, je sais ! Le signe ce sera quand je dirais : ce serait con d’avoir un accident. On fait comme ça ? »

Louve réfléchissait. Elle approuva mine de rien.

"D'accord on fait comme ça."

Ce serait surtout le signe qu'elle devrait se méfier. Elle n'aimait pas la tournure que prenaient les événements. Mais alors, pas du tout ...

La Couronne de Cuivre

[Quête] La Lune Noire