La Couronne de Cuivre

Ses bonnes résolutions furent cependant testées par ce qu'il découvrit derrière la porte : un grand bain fumant l'attendait, dégageant des volutes de fumée odorante, disposé sur un étrange socle de tubulures qui semblait relié à un âtre ronflant. L'eau était délicieuse et on avait disposé savon, serviettes et vêtements de rechange à portée de main. Une fois débarrassé de ses nippes puantes et plongé dans le bain, le barde sentit brusquement le contrecoup de la nuit le frapper. Il faisait incroyablement tranquille, incroyablement bon.

Taliesin - qui avait profité du bref trajet pour lever le sortilège lancé plus tôt à Perceval - fit un violent effort de volonté pour ne pas s'allonger, pour entreprendre de se récurer sans perdre un instant. Vu son état de fatigue, tant nerveuse que physique, baisser sa garde ne serait-ce qu'un seul instant risquait bien de lui être fatal. Or, il ne pouvait pas se permettre de paresser : il devait rentrer au plus vite chez les DouceChute, pour rassurer Galathée et lui faire part de toutes ces bonnes nouvelles. Auparavant, il lui fallait aller voir Kerun, pour essayer de le réconforter...
Mais laisser l'agent secret tranquille cinq minutes de plus ne ferait pas de mal, n'est-ce pas ?
Et puis, le bain était si agréable... Il avait bien mérité d'en jouir paisiblement quelques minutes, non ?
D'accord. Mais quelques minutes seulement. Cinq, disons. Pas plus.
Il suffisait de rester un minimum vigilant...
Soupir d'aise.
Paupières lourdes.
Volonté vacillante.
Esprit qui s'évade.
Moins de deux minutes plus tard, Taliesin s'était endormi.

" Tu as de la chance que le baquet n'est pas si grand. C'est comme ça qu'on se noie stupidement. Enfin... C'est ce qu'on appelle se noyer dans la félicité, je suppose." dit une voix sur sa gauche, l'arrachant à son sommeil.
Judicaël était assis sur le banc qui longeait le mur de gauche, en train de retirer ses bottes.
" Mais ça va être mon tour, maintenant."
Il lui décocha un sourire tranquille mais fatigué.
" D'autant que ça doit être glacé."
Ça l'était.

-Ah... Heu...
Il se redressa brusquement.
-Mille excuses. Je m'étais pourtant promis de...
Il grimaça, n'osant imaginer combien de temps il s'était assoupi.
-Tu as pu aller faire un tour dans le superbe appartement d'Arion et Meloenn ? s'enquit-il, pour changer de sujet.
Déjà, il avait quitté le baquet, se séchait avec énergie.

" J'en reviens. Iris m'y a conduit à pied, et je me suis téléporté pour rentrer. Je n'ai pas su tout emporter, évidemment. J'y retournerai demain, voir s'il reste quelque chose... et si Kerun me le permet. Je crains que le voisin du dessous n'ait des humeurs homicides, honnêtement."
Il actionna une pompe et remplit plusieurs seaux, puis bascula le bain sale de Taliesin dans une rigole.
" Mais ce que nous avons rapporté n'est pas négligeable... Je me vois juste mal revendre des divans."
Il haussa les épaules.
" Il faudra décider ce que nous faisons de Meloenn et Arion. Il y a encore moyen de ramener cette jeune femme à la vie, mais je ne sais pas si c'est utile. Quant à Arion... J'imagine que Kerun voudra l'interroger. Mais nous ne disposons pas vraiment d'installations prévues pour retenir des gens contre leur gré dans notre Temple. Ce n'est pas notre... mission. Et je sens que le destin de ces deux-là va semer la zizanie."

-Si nous arrivions à retrouver Sedanius vivant, ce serait à lui de décider de leur sort, puisqu'il est le chef de la Réunion, puisqu'ils en faisaient partie... Mais je comprends qu'on ne puisse pas attendre. Alors, à mon avis, le mieux est de s'en remettre à Kerun. C'est un représentant des autorités luméniennes, après tout...
Il s'habilla rapidement.
-Merci pour ton aide, Judicaël. Et encore désolé de t'avoir fait patienter... A plus tard !
Le clerc avait bien mérité de se délasser à son tour. Le barde, quant à lui, allait rejoindre la salle à manger. Et aviser.

La salle à manger s'était doucement dépeuplée : n'y demeuraient plus que Nominoé et Baptiste, qui luttait contre le sommeil. Quand Taliesin s'enquit du destin des autres, on lui expliqua que tout le monde était allé se coucher. Le petit garçon en avait manifestement l'intention, lui aussi, mais il avait préféré attendre le retour du barde avant de s'en aller. Le Lliran débarrassa la fin de la table puis les laissa en tête à tête. Le gosse bâilla derrière son poing.
" Je vais aller dormir mais... Il parait que tu ne vas pas rester ici..."
Il eut un sourire furtif.
" Tu reviendras ?"

Il opina aussitôt du chef.
-Bien sûr. Pas aujourd'hui, sans doute, parce que je dois limiter les allers-retours et parce que j'ai quelques devoirs à remplir envers mon hôte. Mais demain, je reviendrai. Et j'espère qu'on trouvera rapidement une solution nous permettant de rester tous ensemble. Avec Galathée. D'ici là... En cas de besoin, Judicaël peut me contacter par télépathie.
Il observa l'enfant.
-Est-ce que tu veux que je leur demande de te donner de quoi dormir tranquillement ?

Baptiste parut embarrassé, puis il finit par secouer la tête.
" Non, ça ira. Je crois que par sécurité... Gurvan m'a dit qu'Ismène, la prêtresse de Chauntéa, va venir me voir de toute façon. Il faut vérifier que j'ai rien attrapé... comme j'étais près de Guéric et puis que j'ai dormi sous ce pont, avec l'autre type bizarre... Je lui en parlerai à ce moment-là. Elle s'y connait en plantes, apparemment."
Il haussa les épaules, regarda un moment ailleurs.
" Mais j'en aurai sûrement besoin. Ça a été ces derniers jours, parce que je n'avais pas le choix, je crois. Mais maintenant, je sens que je suis fatigué."

[color=#FFFFF66]-On le serait pour beaucoup moins que ça...[/color] répondit l'elfe. Mais à présent, tu vas pouvoir dormir dans un bon lit, te reposer tant que tu le voudras... Ces lieux sont sûrs, tu n'as pas à t'en faire. Tous ceux qui en sortent, moi y compris, sont empêchés par magie d'en parler à quelqu'un qui ne les connaît pas. Si on essaye, il paraît qu'on dit... des choses originales. Il faudra que teste ça avec Galathée, tiens.
Il marqua une brève hésitation.
-Tu veux que je t'accompagne jusqu'à ta chambre ?
Il doutait que Baptiste accepte. Mais si ça pouvait le rasurer... Après tout, il avait attendu les dieux seuls savaient combien de temps alors qu'il tombait de fatigue.

" Ça ira, dit-il à nouveau, avec un sourire embarrassé. Je crois que Tim voulait leur raconter une histoire... Je vais peut-être arriver à temps pour la fin."
Il haussa les épaules.
" Bon... Je vais y aller. Merci pour... pour l'intervention..."
Il se leva, vint étreindre le barde, puis fila à l'extérieur de la pièce, laissant Taliesin en solitaire. Le clerc de Lliira reparut peu après, cependant, pour nettoyer la table, et lui décocha un sourire ravi.
" Profitons-en tant que ça dure." dit-il.

Taliesin lui rendit son sourire.
-Je pense que ça va durer quelques jours encore...
Le moment de se retirer était venu, et il se rendait compte que cela lui était difficile. Bien sûr, il se languissait de retrouver Galathée, mais... Il n'avait pas pu revoir Guéric et Perceval, n'avait pas pu parler à Kerun.
Bref, il avait hâte qu'ils soient tous réunis. Pour de bon.
Cependant, quand ce moment arriverait... Ce serait au tour de la rôdeuse de vivre un déchirement. Définitif, celui-là.
Soupir.
-Je vais y aller. Merci pour tout et... En cas de besoin, que Judicaël me contacte. Je viendrai le plus vite possible.
Il salua le clerc, déjà prêt à sortir, à se lancer dans le long trajet jusqu'au domaine des DouceChute.

Nominoé, sans doute désireux de respecter les usages, accompagna Taliesin jusqu'à la sortie. En cheminant dans les couloirs enfouis du Temple, celui-ci n'entendit que le silence, parfois une respiration tranquille, la marque de la quiétude. Lui-même était très fatigué, malgré son somme dans la baignoire.
Lorsqu'il atteignit le porche du Temple, le Lliiran le salua en usant d'une formule moandrine passablement répugnante, qu'il parvint à prononcer sans éclater de rire, puis verrouilla la porte derrière lui : les clercs des taudis entendaient avoir un peu la paix pour se remettre de leur nuit.
Sous le soleil mélandien, étouffé par une gangue de nuages blanchâtres, le barde put donc reprendre la route du Havre Bourgeois. A cette heure encore matinale, les rues étaient vides de vie : on n'y trouvait plus que les cadavres de la nuit et les ivrognes qui s'étaient écroulés sur les lieux de leu débauche. Les beaux quartiers étaient un rien plus animés mais Taliesin put gagner aisément l'entrée du Domaine DouceChute.

Le trajet depuis le domaine des DouceChute, désormais plus que familier, s'était déroulé sans anicroche aucune. Mais, parvenu près du temple, Taliesin ne s'en montra pas pour autant imprudent et ne négligea en rien les habituelles précautions, prenant soin de se rendre une nouvelle fois invisible avant de gagner la porte. Se tenant sur le seuil, il songea que c'était peut-être la dernière fois qu'il avait effectué ce périple à travers Melandis. Il secoua cependant la tête : il ne fallait pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, les démarches prendraient peut-être des jours entiers... Autant de raisons pour s'y mettre tout de suite ! Aussi repoussa-t-il le battant et, comme d'ordinaire, gagna la petite pièce voisine.

C'est Iris qui vint à sa rencontre, joyeuse sous son aube brune. Elle lui prit le bras d'autorité et l'entraîna vers les étages inférieurs.
" Bienvenue chez Moandre-le-Pourri, très cher ami, lui annonça-t-elle. Tu nous as manqués ! Mais tu as l'air en forme."
Elle le guida jusqu'au bas des escaliers.
" Certains petit-déjeunent encore... D'autres refusent de manger. Les derniers travaillent ou cogitent. Non. Je mens. Il y en a qui dorment, les vilains. Malgré l'aube, tu imagines le scandale ! Mais vers qui puis-je te guider ? Sache quand même que j'ai une liste de gens qui seront furieux s'ils apprennent que tu es passé nous voir sans leur dire bonjour."

Il rit.
-Je ne fais pas que passer dire bonjour, cette fois : je suis désolé, mais je pense qu'il va falloir me supporter un moment... En effet, il y a du nouveau, de mon côté : ma compagne peut accoucher d'un jour à l'autre et il faut impérativement que nous ayons tous deux déménagé avant que cela n'arrive.
Il sourit.
-Bref, il y a du travail en perspective ! Cependant, je peux d'abord saluer tout le monde. Alors, je m'en remets à toi : mène-moi auprès de celui qui sera le plus vexé si je ne passe pas le saluer en premier.

" C'est une question compliquée." dit la jeune femme, d'un air pensif, tout en retirant sa robe brune.
Elle se gratta la tête avec une grimace.
" Baptiste te guette, mais il n'osera jamais l'avouer. Kerun espère bien que tu vas finir par te montrer, mais il redoute ta visite. Guéric nous harcèle continuellement. Hum. Ce sera donc Guéric. C'est de loin le plus pénible des trois."
Elle lui fit signe et remonta le couloir.
" Ne crois pas que les autres n'ont pas envie de te voir... Mais il faut mettre des priorités."
La Tymorane s'immobilisa devant une porte et frappa deux coups, avant d'ouvrir. Taliesin découvrit une petite pièce qui tenait à la fois de chambre et de salon, dans laquelle se trouvaient Guéric et Ismène, la prêtresse rousse que Taliesin avait rencontrée dans les Jardins de Moandre. Elle était en train d'examiner la jambe de bois du halfelin, dont le sourire s'épanouit lorsqu'il aperçut Taliesin.
" Taliesin, vieille branche ! Viens donc étreindre ton pote Guéric !"
Il se tourna vers la jeune femme qui lui faisait face.
" Ça ne se voit pas, mais Taliesin et moi, on est frères. Les deux gars les plus increvables de Toril !"

-Le duo de choc enfin réuni ! La fine équipe qui prendra une cuite monumentale dès qu'elle en aura l'occasion. Hum, et qui a de la chance d'avoir d'excellents amis. Parce que là, mine de rien, c'est passé tout près de la catastrophe...
Chassant l'émotion qui menaçait de le déborder, il transféra délicatement la martre dans une poche extérieure de son manteau puis s'approcha pour serrer son ami dans ses bras - point trop fort, ne sachant où en étaient ses blessures.
-En meilleure forme que la dernière fois que je t'ai vu... constata-t-il. Tant mieux. Parce que tu vas avoir des langes à changer d'ici très peu de temps. Et deux fois plus que tu ne l'aurais cru, car ce sont des jumeaux qu'attend Galathée.

" Des ju... des juquoi ? J'ai signé quand ? J'ai oublié ! Je devais être... dans les vapes ! C'est ça ! Le vampire m'avait inoculé un poison mortel ! Je disais n'importe quoi ! Et tu as profité de ma faiblesse, vilain Taliesin !"
Ismène croisa les bras et leva les yeux au ciel.
" Mais c'est formidable, cela dit. Toutes mes félicitations. Je change toutes les couches que tu veux en échange de ta promesse solennelle que tu les nommeras Guy et Erica. Qu'en penses-tu ? Un hommage discret, tout en finesse..."
Il soupira et regarda le barde droit dans les yeux.
" Non, mais je plaisante. Je suis ravi, Taliesin. Ravi que tu l'aies retrouvée, vivante et en bonne santé. Et je suis impatient de la rencontrer, aussi, cette fille pour laquelle tu as traversé l'océan en dépit de la houle."

-Et que je n'aurais jamais retrouvé sans le soutien d'amis précieux, au premier rang desquels figure un certain halfelin me faisant présentement face.
Conscient d'avoir été peut-être un peu trop solennel, il s'empressa d'ajouter, plus léger :
-Tu la verras sous peu : notre hôte actuel m'a, pour de très légitimes raisons, demandé de mettre les bouts le plus rapidement possible. Donc il va falloir trouver une solution. La trouver urgemment.
Son sourire s'élargit.
-Et je note ton idée, pour les prénoms. Parce que Galathée m'a demandé d'en trouver avant que quarante-huit heures ne se soient écoulée, sous peine d'adopter les suggestions de son protecteur... En fait, je vais lancer un concours auquel vous devrez tous participer. Le gagnant aura le droit de veiller sur les bébés seulement une nuit sur deux. L'autre, il pourra dormir tout son saoul.
Il retrouva un semblant de sérieux.
-Blague à part... Comment tu te sens ?

" Physiquement, ça va. Honnêtement... Tout un carnaval de clercs, que pourrais-je demander de plus ? Bon, malheureusement, personne ne peut me rendre ma guibolle et regarde ce que les rats ont fait de mon oeuvre d'art !"
Il présenta sa jambe de bois à Taliesin : elle était vermoulue, rongée, et dégageait une odeur de champignon.
" Tu me diras, ils auraient pu me bouloter ma dernière bonne jambe. Tu as raison. Je dois juste la remplacer. Mais c'est quand même râlant ! Je m'y étais habitué !"
Il haussa les épaules.
" Ismène dit qu'elle et Helen vont m'en préparer une plus adaptée, qui sera parfaitement ajustée, tout le tintouin, donc je me plains pas."
Il lâcha un léger soupir.
" Maintenant, psychologiquement, je suis furax, Taliesin. Furax ! J'ai failli me faire tuer par ces ordures, parce que j'étais tout mollasson ! Merde ! Me faire occire par les pirates de Squale, passe encore, mais par deux elfes dégénérés... Enfin... qu'ils soient des elfes, on s'en fout, ça aurait pu être des gnomes ou des minotaures, mais putain, ils bouffaient avec nous au petit déjeuner ! Si je pouvais, je leur arracherais la tête, sois en certain ! Je leur collerais une dague entre les côtes ! Je les... Je ne veux pas te dire ce que je leur ferais. Donc je vais devoir digérer. Je vais digérer. Mais je vais être furax un moment."

-Je comprends, dit-il doucement. Furax... je l'ai été aussi. Sacrément, même. Et je crois que je le suis encore. Mais j'essaie de me concentrer sur le positif, ce qui m'apaise. Bon, il faut dire aussi que... hum...
Il jeta un regard aux deux prêtresses puis se pencha pour souffler à l'oreille de son ami.
-Non content d'avoir pris Meloenn à son propre jeu, j'ai sévèrement refait le portrait à Arion. J'ai littéralement craqué, en réalité. Je n'en suis pas très fier, mais... ça m'a soulagé, quelque part. Surtout qu'alors, je te croyais mort.
Il se redressa, soupira, posa une main sur l'épaule du Halfelin.
-Tu es en vie, cependant. Alors je rends grâce aux dieux. Et à Baptiste, qui a été formidable. Quant à ces foutus traîtres... C'est terminé, pour eux. Autant les oublier, ne pas leur faire le plaisir de nous laisser davantage atteindre par leurs actes.

Ismène s'était levée et elle quitta la pièce, Iris sur les talons, pour leur laisser un peu de tranquillité.
" Tu as eu de la chance de pouvoir te défouler sur cette petite crapule. Mais je trouverai bien un exutoire. Ce qui est certain, c'est qu'il n'est plus question qu'on me laisse sur le carreau. Vous pouvez utiliser toutes les bonnes excuses que vous voulez, mais je ne reste plus en arrière. Je suis jeune, je suis vigoureux, le vampire est derrière moi, et c'est pas parce qu'un foutu requin m'a bouffé le pied que je vais devenir halfelin au foyer. Enfin, sauf pour les couches de Biquet et Crevette, cela s'entend."
Il sourit.
" Mais il va falloir que tu fasses rentrer ce fichu agent luménien dans le rang, Taliesin. Il est plus ou moins déterminé à faire son paladin solitaire, un comble pour un type dans son genre, et... Ah. Mais j'imagine que maintenant que tu as retrouvé Galathée, cette attitude va t'arranger. Essaie juste de lui vanter mes mérites, alors. Je peux lui donner un coup de main."

Il lui rendit son sourire.
-A ta place, je ne me ferais pas de souci. Je ne sais pas si notre agent secret en a déjà parlé, mais... Il va vouloir qu'on déménage rapidement, afin de pouvoir reprendre nos activités sans mettre en danger nos amis clercs. Or, quand nous nous serons installés dans nos nouveaux locaux... Il n'aura que quatre adultes à sa disposition, en tout et pour tout : Galathée, qui aura fort à faire avec les jumeaux malgré mon aide ; Perceval, que Kerun refusera d'impliquer dans des affaires trop risquées , moi, qu'il préférera laisser le plus possible en arrière... Et toi.
Il croisa les bras.
-Alors profite bien de tes derniers moments de détente, mon vieux. Parce que bientôt, devant toutes les missions que tu devras accomplir... Tu risques de les regretter. Ou, qui sait, de supplier qu'on te laisse plutôt t'occuper de l'ELCVD.

Le halfelin rit de bon coeur, puis grimaça.
" Pour l'instant, Kerun n'a pas parlé de nous faire bouger. Je pense qu'il a d'abord l'intention de savoir ce qu'il est advenu de Léna et Sedanius avant de prendre des décisions. Je ne serais qu'à moitié surpris qu'il nous fourre tous sur un bateau dès demain, à vrai dire. Il a plus de contacts que ce qu'il veut bien nous dire et je pense qu'il nous trouverait aisément une petite place sur un navire marchand à destination de Manost. Ce serait ensuite très simple de rejoindre Hélonna."
Il secoua la tête.
" La Réunion n'existe plus, pour le moment. Perceval est le seul survivant et Kerun l'empêchera de se mettre en danger. Même si un bateau arrivait... C'est l'équipe mélandienne qui a toujours tout fait. Les équipages sont... des équipages avant tout. Jusqu'ici, jamais nous n'avions été mêlés aux opérations sur place. Je m'y suis incrusté... par envie de changement, je suppose. Et parce que ça m'a tenait à coeur."

Un pli avait subitement barré son front.
-Mais... Il faudra bien prévenir la prochaine équipe : on ne peut pas la laisser sans nouvelles, sous peine qu'il lui arrive malheur. Et puis... Ni moi ni Galathée ne pourrons partir rapidement : outre l'accouchement, ma compagne a été... magiquement marquée par l’École du Necronomicon. Tant qu'elle n'est pas libérée de cette trace, elle ne peut rester que dans des lieux protégés contre la divination. Or, on doit plier bagage de l'endroit où nous nous trouvons actuellement. Et je vois mal Kerun accepter qu'elle s'installe ici : ce serait trop risqué pour les Moandrins.
Il secoua la tête.
-Je discuterai avec lui. Si tes craintes sont confirmées, j'essaierai de le convaincre de changer d'avis, de nous aider à trouver des locaux, de les doter de sortilèges puissants... Nous n'avons pas vraiment d'autre choix.

Guéric croisa les bras avec un haussement d'épaules.
" S'il y a bien quelqu'un qui peut obtenir quelque chose de lui, c'est toi. Et je pense que tu as l'avantage sur lui d'avoir gardé l'esprit clair pendant tous ces jours écoulés... Les Moandrins, comme tu les appelles, ont déjà suggéré à demi-mots qu'il pourrait n'avoir pas encore complètement récupéré de la torpeur dans laquelle ils l'avaient plongé. Son corps doit éliminer des substances qu'à mon avis, il n'avait jamais consommées auparavant... On devrait les entraîner à ça, dans les services secrets."

-Voyons le bon côté des choses : peut-être est-il conscient de cette lacune dans sa formation, peut-être souhaitera-t-il y remédier et commencera-t-il par accepter de trinquer en notre compagnie.. plaisanta-t-il.
Mais il retrouva son sérieux presque aussitôt.
-Bon, notre entrevue s'annonce donc... intense, et il va falloir que je prenne des forces. Alors... As-tu déjà déjeuné ? De mon côté, je suis parti sans rien manger, et si l'on dit que ventre creux n'a pas d'oreille, je crains qu'il n'ait pas beaucoup plus de langue...

" Je n'ai pas encore déjeuné, mais avec ma jambe pourrie, mes déplacements sont très hasardeux. Si tu me laisses m'appuyer sur toi, je devrais parvenir à me débrouiller. Au pire, tu me porteras héroïquement sur les derniers mètres. Si Baptiste a été capable de me traîner hors du Comptoir, tu dois être capable de me déplacer avec un peu plus de douceur."
Il se remit debout et clopina jusqu'au barde, dont il enlaça la taille d'un bras.
" Ils auraient pu faire les elfes à une taille plus acceptable, quand même."

-Bigrement d'accord avec toi. J'aurais bien aimé mesurer... Allez, soyons modestes : six pieds. Comme ça, j'aurais été plus efficace durant mes tentatives d'intimidation...
S'étant assuré que la martre se trouvait toujours dans sa poche, il prit la direction de la salle à manger, soutenant Guéric de son mieux.
-Bon sang, ça fait sacrément plaisir de te revoir. Et pas seulement pour l'aide que tu m'apporteras face au déferlement de langes consécutif au doublement imprévu du nombre de mes rejetons...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Temple de Moandre