La Couronne de Cuivre

L'instant était éminemment solennel et le rôdeur ne vint pas le troubler en demandant des précisions. Il observa les préparatifs tandis qu'il finissait de répandre équitablement de l'eau de la source bénie tout autour de la résurgence putrescente. Il versa le reste de ce qu'il avait amené au cœur du trou d'eau. Il s'agenouilla ensuite près de l'un des bâtonnets d'encens et ferma les yeux comme pour mieux communiquer avec le monde mystique et sa déesse. Il voulait associer sa foi et sa dévotion au rituel sacré qu'allait entamer le druide. Même si ce n'était qu'une modeste contribution et que les paroles lui venaient moins aisément que près de l'arbre, il pria de toutes ses forces.

Les yeux fermés, il n'entendait que le souffle du vent dans les branches, obsédant et monotone, qui semblait enfler par moment et se calmer à d'autres, suivant de façon étrange le cours de sa propre méditation... ou peut-être était-ce ce souffle qui guidait sa concentration. Au bout d'un moment il distingua, à travers ce bruit de fond, une sorte de murmure, comme une psalmodie, peut-être chantée par le druide, peut-être venue des arbres ou d'ailleurs. La langue lui était complètement inconnue, peut-être était-ce du sylvestre, ou la langue des druides, ou une autre encore, un mélange ou même une langue qui n'existe pas sur Toril. Mais même sans les comprendre, il sentait que ces mots parlaient de paix, de sérénité, de bienveillance. Ils étaient partout autour de lui, omniprésents, et résonnaient dans son esprit avec une force irrépressible, comme une réponse à sa prière.

Il aurait été bien incapable d'estimer le temps qu'ils prièrent ainsi. Un bon moment à en juger par le grognement que fit entendre son estomac lorsque le rituel prit fin. Il rouvrit les yeux en sentant la main du druide se poser sur son épaule.
" Nous prierons davantage ce soir. Pour le moment, nos dieux nous ont entendu, et nous avons... ouvert un canal, si on peut dire. Une voix de communication par laquelle le sortilège de sanctification puisera dans l'énergie divine. Tout à l'heure, cette nuit, et demain... Et je sais davantage ce que je dois injecter ici, également. J'ai mieux senti la nature du maléfice que les malarites ont jeté : Ils y ont mêlé un sortilège d'imprécation, il me faudra le contrer par une bénédiction qui s'appliquera à toutes les personnes d'alignement bon. Contrairement à la source, elles ne le sentiront pas, mais elles ne subiront plus le maléfice, c'est l'essentiel."
Il sourit.
" N'hésitez pas, si vous voulez des précisions... Sinon, je vous suggère de manger un bout."

Kasumi se trouvait dans un état très étrange : il était encore chamboulé par la profondeur de sa communion avec la nature environnante et le lien que cela avait un instant créé avec autre chose de plus fondamental. D'un autre côté, il se sentait en paix, comme s'il se sentait plus en accord avec lui-même que jamais.

Mais, si son esprit était rassasié, c'était loin d'être le cas de son corps et son estomac criait famine :

- Je vais faire ça sinon je ne serai plus bon à rien de la journée ! Mais je suis curieux de savoir ce qui nous attend ensuite... Et aussi ce que vous prévoyez pour me faire gagner du temps avec les cendres.

" Ah, oui, les cendres..."
Le druide sourit. Lui aussi semblait peiner à reprendre pied dans la réalité.
" Je vais simplement suivre les lois habituelles de la nature : elles seront chassées d'un coup de vent... Et le vent les mènera là où nous le déciderons. Vous savez bien, voyons, la réputation qu'ont les druides de commander aux forces de la Nature !, ajouta-t-il joyeusement. Réputation fausse, bien sûr, il s'agit plutôt de fusionner dans celles-ci... mais je vous montrerai tout à l'heure ! Mangez d'abord. Et je pense que votre amie ne devrait plus tarder, si elle vient de la lisière des bois. D'ailleurs... est-ce votre compagne, peut-être ? je ne voudrais pas commettre d'impair..."

Le demi-elfe rit gaiement à cette remarque même si l'elfe faisait preuve de délicatesse en posant la question.

- Non, Mylène est simplement une villageoise en qui j'ai détecté un certain potentiel. Ma compagne, Sylvia, est rôdeuse tout comme moi. Je suis certain qu'elle aurait aimé participé à la cérémonie elle aussi mais elle est malheureusement alitée au village.

" Rien de grave, j'espère ?, s'inquiéta le druide. N'hésitez pas à me demander si vous avez besoin d'un petit coup de pouce d'énergie divine. Même s'il faut toujours mieux laisser faire la Nature... Parfois c'est utile."
Tout en parlant, il rangeait soigneusement les quelques accessoires qu'il avait utilisés pour la cérémonie.

Kasumi s’empressa de le rassurer d'un ton rassurant car il était un peu gêné et conscient que sa façon de formuler la chose appelait à l’inquiétude :

- C’est très gentil à vous de le proposer. Mais non, ce n’est pas grave : Sylvia attend notre enfant et la sage-femme du village la force à rester alitée l’essentiel de la journée pour éviter de trop forcer. Evidemment, pour une habituée de l’action et des bois, c’est une situation difficile à vivre. D’autant plus que je ne peux pas rester autant à ses côtés que je le voudrais.

Le druide haussa les épaules, fataliste.
" C'est le propre de tous ceux qui sont appelés à remplir une mission. Cela dit, on a toujours le choix. On peut décider d'accepter ou non les responsabilités qui nous sont proposées... Et en l'occurrence vous les avez acceptées."
Il ferma sa besace, vérifiant d'un bref coup d'oeil qu'il n'avait rien oublié.
" Et attendre un enfant est toujours une excellente nouvelle, même quand l'organisme le supporte mal et oblige à certains sacrifices. Ce que vit votre compagne est quelque chose d'unique et de merveilleux. Et elle doit le savoir, malgré la difficulté à se contraindre à la prudence."
Un coup d'oeil au ciel rappela à Kasumi que la matinée était déjà bien avancée. Mylène ne tarderait plus. S'il voulait grignoter quelque chose, il devait le faire sans tarder.

Et c'était bien son intention : il préférait cependant retourner à la clairière pour manger car la puanteur était tout de même encore tenace près de la résurgence. Il profita du chemin pour donner raison à l'elfe : oui, sa compagne était radieuse à chaque fois qu'elle évoquait l'heureux événement.

Tout de même, les paroles du druide le tracassait quelque peu et faisaient écho à sa dernière conversation avec Sylvia : se pouvait-il qu'il se soit si intensément lancé dans cette tâche pour fuir d'autres responsabilités ?

Il n'eût pas le temps de terminer son repas que le tigre de Thanaën faisait son apparition, venant se frotter brièvement au druide avant de bondir dans les fourrés : il avait à peine accordé au rôdeur un regard, apparemment confiant.
" Votre amie arrive, dit simplement le druide en se redressant. Elle sera là dans quelques minutes. Il faudrait aller à sa rencontre, je pense. Même si les buis ont en partie brûlé, l'endroit demeure caché à qui ne sait pas où chercher. Mais finissez de manger... Au fait, n'avez-vous pas de compagnon animal ?"

Kasumi s'était aussitôt redressé pour aller à la rencontre de Mylène mais il se ravisa quand le druide se proposa et s'apprêtait à le remercier avant qu'il ne pose sa dernière question. Il esquissa un sourire :

- Si, mais j'ai laissé Première Neige avec des congénères non loin d'ici : elle n'a pas souvent l'occasion de passer du temps avec d'autres loups et elle peut ainsi garder un œil sur eux : il y a eu des tensions entre la meute et les villageois dernièrement. Les loups s'en prenaient au bétail et effrayaient les bûcherons et j'ai jugé que c'était la meilleure solution pour éviter qu'ils n'organisent une battue comme certains en avaient l'intention...

" La cohabitation est toujours rude entre humains et loups. Mais il faudra que vous m'indiquiez où est cette meute : je vais m'assurer qu'ils sont bien installés et qu'ils ont un territoire suffisant, pour éviter qu'ils s'en prennent aux humains et à leurs bêtes. Ça fait partie de mon rôle... mais ça attendra qu'on en ait fini avec ces cendres et cette résurgence à purifier."
Il tendit subitement l'oreille.
" Ah... Elle arrive. Elle a des progrès à faire encore en discrétion, même si ça n'est pas si mal..."
Kasumi, pour sa part, n'entendait encore rien de spécial.
" Hum... Si c'est moi qui vient à sa rencontre, un inconnu, ne risque-t-elle pas de paniquer et de m'attaquer ? Vu le contexte ?"

Kasumi était en train de penser que l'arrivée du druide était décidément providentielle et qu'il allait régler bon nombre des problèmes qu'il n'avait pas pu ou pas su gérer correctement au cours des dernières veilles. Il eut une pensée un peu ambivalente en songeant à Eärundra qui avait tendance à tout prendre en main mais qui s'était tout de même révélée d'agréable compagnie quand ils avaient appris à se connaître...

L'interruption du druide le fit revenir au présent et il se leva en abandonnant quelques miettes de son maigre déjeuner.

- Je ne pense pas qu'elle vous attaquerait mais il vaut mieux ne prendre aucun risque et ce serait de toute façon une piètre façon de faire connaissance. Je vais la chercher !

Et d'en profiter pour tenter de voir comment la jeune-femme se débrouillait...

Il découvrit Mylène à quelques dizaines de toises seulement de la résurgence, avançant d'un pas décidé. Sa démarche était souple, et elle ne faisait que très peu de bruit en marchant, même s'il était clair qu'elle ne cherchait pas spécialement à être discrète. Elle semblait avancer un peu au hasard, se guidant sur la position du soleil, et parut soulagée d'arriver enfin en vue de la zone incendiée. Elle s'arrêta alors, observant les alentours, à la recherche probablement de la source ou de la résurgence, qui n'étaient pas encore visibles de là où elle se trouvait. Ou peut-être cherchait-elle des traces du passage de Kasumi, mais il n'y en avait pas, ou du moins elle n'en trouva pas. Elle finit par prendre une décision et Kasumi la vit écouter attentivement et se diriger vers le bruit de l'eau courante. Un bon moyen pour remonter à la source...
Une chose était sûre : concentrée sur son itinéraire, elle n'avait pas encore aperçu le rôdeur.

Visiblement, la jeune-femme se débrouillait plutôt honorablement et ce de façon instinctive. Kasumi se fit la réflexion qu'elle serait immanquablement devenu une bonne rôdeuse en bénéficiant d'un enseignement approprié. Mais il était probable qu'elle soit désormais trop âgée pour emprunter cette voie.

En tous cas, il ne résista pas à l'impulsion de lui proposer un test et une petite leçon : il avisa un arbre sous lequel elle ne manquerait pas de passer pour atteindre la résurgence et entreprit d'y grimper le plus discrètement possible pour se jucher sur l'une de ses branches. Allait-elle le repérer ?

Il avait beau grimper le plus silencieusement possible, il fit craquer légèrement une branche et la jeune fille s'arrêta un instant, aux aguets, cherchant l'origine du bruit sans la trouver. Mais elle reprit son chemin aussitôt sans s'en inquiéter davantage, et ne songea pas un instant à lever les yeux. Elle atteignit l'arbre dans lequel se trouvait Kasumi sans s'apercevoir de sa présence, concentrée sur le ruisseau qu'elle avait enfin aperçu.

Le demi-elfe approuva silencieusement ses sens et son instinct. Mais il était tout de même secrètement ravi de pouvoir lui apprendre une règle de prudence en forêt. II préleva un gland sur la branche solide où il avait trouvé refuge et le jeta négligemment sur le sommet du crâne de Mylène. Cela ne risquait pas de lui faire mal mais elle serait probablement très surprise et il préparait un sourire désarmant au cas où elle lui en veuille de cette petite plaisanterie.

La jeune femme eut un sursaut spectaculaire en recevant le gland sur la tête, et leva aussitôt les yeux tout en se frottant le crâne, là où le projectile l'avait atteinte.
" Hey, ça va pas la tête !, lui lança-t-elle en l'apercevant. Ça fait mal !"
Mais son ton ne contenait pas réellement de colère, en réalité. Les poings sur les hanches, elle le fixait d'un air faussement réprobateur.
" Bon, vous comptez passer la journée là-haut et me laisser faire tout le boulot?"

Le rôdeur se suspendit souplement à la branche, se balança doucement puis se laissa tomber en opérant une roulade pour amortir sa courte chute :

- Mais travailler était précisément ce que j'étais en train de faire : je vous avais promis de vous montrer quelques tours de rôdeur ! Et les rôdeurs passent leur temps dans les arbres, c'est bien connu, non ?

Il esquissa un nouveau sourire et lui tendit la main pour la saluer. Et au-delà de la plaisanterie, lui apprendre l'importance de toujours regarder au-dessus de sa tête dans cette forêt était une bonne leçon : lui-même, avec toute son expérience, avait failli se laisser surprendre par la panthère lors de sa première incursion près de la résurgence.

Elle lui serra la main sans rancune.
" Les rôdeurs passent leur temps dans les arbres ? Alors je suis une rôdeuse qui s'ignore ! J'ai passé toute mon enfance à grimper aux arbres ! Si, j'vous jure !"
Elle sourit gaiement.
" Et elle est où, votre source ?"

Le demi-elfe prit le temps de la saluer plus conventionnellement avant de répondre à sa question :

- Je vais vous montrer... Mais je dois d'abord reconnaître que vous êtes plutôt discrète... Qui sait si vous n'avez pas raison, quelque part ?

C'était peut-être lui donner bien rapidement des espoirs mais Mylène semblait du genre de personne qui donnent le meilleur de leur potentiel quand on les encourage. Il se dirigea d'un bon pas vers le passage menant à la source et se souvint de la prévenir pour la résurgence souillée avant qu'il n'arrive dans le cercle de puanteur :

- De ce côté, ce n'est pas beau à voir mais un tout nouvel ami et moi y travaillons... Je vais vous le présenter.

Elle fit une grimace spectaculaire en découvrant l'eau croupie, infestée de miasmes et contenant encore, sans doute, des débris de cadavres. Et ne se fit pas prier pour suivre le rôdeur.
" Un nouvel ami ? C'est qui ? Encore un loup ?
- Non, rétorqua le druide qui s'avançait à leur rencontre. Enfin, on ne m'a encore jamais confondu avec un loup... Enchanté, demoiselle.
- Oh.... Vous êtes un elfe ?"
Elle fixait Thanaën avec des yeux écarquillés, oubliant toute règle de politesse.

Kasumi ne put retenir un bref rire amusé mais il se reprit très vite pour présenter informellement les deux inconnus :

- Thanaën, je vous présente Mylène qui a proposé gentiment de m'aider pour dégager les lieux de l'incendie. Mylène, voici Thanaën, druide de Rillifane Rallathil que je viens d'avoir le plaisir de rencontrer !

" Oh... Un druide ? Ça veut dire...que vous parlez aux animaux, aux plantes et aux tempêtes, c'est ça ?"
La jeune femme semblait sincèrement impressionnée.
" Hum... En quelque sorte, répondit Thanaën.
- Et Rillifane Ra... heu... Ratallil c'est un dieu elfe ?
- Rallathil. Oui.
- Ouah..."
Impressionnée, la jeune femme n'ajouta rien.
" Mais nous avons des cendres à chasser, poursuivit l'elfe. Enfin, sauf s'il y a plus urgent ? Et d'ailleurs, avez-vous décidé de l'endroit où vous vouliez les mettre ?", questionna-t-il en se tournant vers Kasumi.

Kasumi était soulagé que l'elfe prenne les commentaires de Mylène avec un grand flegme, signe qu'il n'était certainement pas dénué d'humour. En revanche, il fut plus gêné au moment où le druide l'interrogeait : il n'avait pas vraiment eu l'occasion de réfléchir à ce problème au cours des dernières heures. Cependant, une idée lui vint aussitôt à l'esprit :

- Je reste sur mon idée de les amener à l'éminence où elles ne nuiront pas. Mais ce serait bien trop long de les amener maintenant avec la pluie qui semble se préparer pour demain. Je pense que n'importe quelle zone avec un sol solide fera une bonne solution de transition. Il suffirait ensuite de mettre une bâche dessus pour éviter que la pluie ne disperse les cendres. Qu'en pensez-vous ?

Le druide réfléchit.
" L'éminence aurait été une bonne solution, oui... mais si c'est la colline que j'aperçois là-bas, elle est effectivement trop loin. Je ne peux guider les vents que sur une centaine de toises à la fois... Il me faudrait... hum... peut-être utiliser mon sortilège plusieurs fois par jour et six jours de suite pour les y amener. Et votre idée de bâche n'est pas mauvaise, mais en avez-vous une suffisamment grande ?"
Il fronça les sourcils.
" Si on imagine qu'il y a un centimètre d'épaisseur de cendres... en allant jusqu'à presque cent toises de rayon... ça fait tout de même une bonne quantité. Certes, ça peut se compacter, et il n'y en a pas partout, mais ça doit représenter pas loin d'un millier de brouettes. Bon, mais il suffit que je forme un vent pas trop fort, et que je n'enlève qu'une partie des cendres. Pour cela, il faut que je voie la place dont on dispose, j'y formerai un monticule..."

L'aide du druide était vraiment d'une aide providentielle mais il restait à trouver de quoi former cette fameuse bâche : peut-être valait-il mieux réunir des branches pour en faire office que de faire un aller-retour au village pour en trouver une ? Car ses rares couvertures n'y suffiraient pas... Il fit part de ses réflexions à ses compagnons mais, dans l'immédiat, le demi-elfe se mit en quête du site idéal : il devait avoir un sol dur et ne pas être trop éloigné de la zone à balayer...

En examinant les alentours, il apparut que le sol était globalement plus dur, plus rocheux, en allant vers le sud et l'ouest. Le druide fut partisan d'opter carrément pour l'ouest : dans cette direction, on sortait très vite du secteur de plantation le plus ancien et on ne risquait pas de nuire aux grands chênes vénérables qui le peuplaient. Les grands chênes en question avaient souffert de l'incendie, certes, mais la majorité devrait se remettre. Il en allait tout autrement du secteur nord-ouest, planté d'arbres plus jeunes et plus fragiles, qui avait été complètement rasé. Tout comme le terrain que le druide finit par choisir, à l'extrémité ouest de la zone sinistrée : le sol était dur, avec déjà une épaisseur de cendres conséquente, et plus rien n'y poussait. Il faudrait, selon lui, deux ans pour qu'une forêt y renaisse.
" Ici, trancha-t-il en leur indiquant l'endroit. Et il faudra espérer que le vent ne soit pas de la partie avant que vous n'ayez trouvé un moyen de mettre ces cendres à l'abri, sans quoi tout cela aura été vain. Mais pour le moment, il faut nous mettre à l'abri, en-dehors de la zone sinistrée, sans quoi nous serons couverts de cendres..."

Il se positionna pour sa part juste à la limite de l'incendie, et se mit à incanter. Kasumi et Mylène, qu'il avait poussé à s'éloigner davantage, n'entendaient rien, mais ils virent la poussière se mettre à voler comme le vent se levait, et les cendres, irrésistiblement attirées, former peu à peu un tourbillon grisâtre qui s'élevait dans les airs jusqu'à une hauteur de plusieurs toises. Le tourbillon épaissit, épaissit encore, au fur et à mesure que le vent décollait les cendres du sol, puis il se dirigea vers le terrain qu'ils avaient choisi.
Le vent tomba d'un coup, et le cyclone s'effondra sur lui-même dans un spectaculaire nuage de cendres. Il leur sembla que ce nuage s'affaissait plus vite que ne l'aurait fait un nuage ordinaire, probablement grâce à l'action de vents bien choisis. Et il n'en resta qu'un immense monticule d'une demi-douzaine de toises de rayon et de hauteur.

Le spectacle était impressionnant, même pour quelqu'un ayant déjà assisté à certains prodiges druidiques. Ce qui n'était bien sûr pas le cas de Mylène... Kasumi sentait bien que l'elfe lui avait définitivement volé la vedette mais l'essentiel était bien que le travail ait été fait. Et il fallait ne pas gâcher ces efforts en laissant la pluie ou le vent naturel disperser les cendres :

- Bravo ! Maintenant, nous avons un travail un peu moins spectaculaire qui nous attend : réunir suffisamment de branches - feuillues si possibles - que nous trouverons au sol.

L'instruction s'adressait évidemment à la jeune villageoise plutôt qu'au druide qui avait besoin de ménager ses forces pour la très longue cérémonie qui l'attendait en soirée.

La jeune femme l'entendit à peine : comme il l'avait pressenti, elle était fascinée par le prodige.
" Ouah... J'crois que j'veux dev'nir druide, moi..."
Thanaën, qui l'avait entendu, leva les yeux au ciel en secouant la tête.
" Quoi, je suis trop vieille pour ça ? questionna-t-elle en croisant les bras, bravache.
- Bien sûr que non : il n'y a pas d'âge limite pour apprendre. Mais druide, ça n'est pas un métier comme les autres. Il doit répondre à une vocation, à un appel, un peu comme la prêtrise ou le paladinat. Pas à une simple envie... C'est différent de la profession de rôdeur, par exemple.
- Mais les rôdeurs, ils savent pas lancer des sorts, si ?, questionna-t-elle en se tournant vers Kasumi. Bon, me r'gardez pas comme ça, j'vais les ramasser, vos branches... mais y'en a pas ici, c'est tout brûlé."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Aubépine