La Couronne de Cuivre

-Explorer notre cité et en chasser les morts-vivants, c'est extrêmement utile. Non seulement nous serons plus tranquilles et pourrons davantage nous approprier les lieux mais, de surcroit, s'il nous est possible de faire venir nos visiteurs non par les tunnels mais bien par les rues, cela aura un impact considérable sur eux, cela rendra notre réussite encore plus concrète... Tu auras donc ta part d'expéditions, Albérich. Si nous nous organisons bien, tout le monde l'aura. Même ce pauvre Gabriel, terriblement en manque d'action...

" Personnellement, j'ai encore beaucoup de choses à faire demain, dit Albérich. Mais je pense que tu pourrais accompagner Giovanni dans sa chasse au trésor. Il veut embarquer Ruth... Tu pourrais demander à Alban d'en faire de même. Je crois que ça vous ferait du bien à tous. J'irai un autre jour. De toute façon, je n'oserai pas mettre un pied hors de la forteresse tant que Gabriel n'aura pas eu l'opportunité de sortir, lui aussi.
— Alors on imaginerait trois équipes : les mines, le trésor, et une équipe de récupérateurs avec des hommes de Guillermo. Ça vous semble un plan acceptable ?"

-Ça me paraît très bien. Mais tu sais, Albérich, j'ai déjà eu l'occasion de sortir. Pas beaucoup, car nous nous sommes concentrés sur les tunnels venant des portes et sur la forteresse. Néanmoins, j'ai pu arpenter quelques-unes des rues de Clair...
Il s'interrompit, sourit.
-Ah, ça me fait penser qu'il faudrait relancer les débats sur le nom de notre ville. C'est important.

" Je pense qu'il faut attendre Marthe et Frida pour les grandes décisions, dit Albérich. On peut suggérer aux gens de commencer à y réfléchir... On peut même y réfléchir nous-mêmes... Mais je crois que dès qu'elles seront rentrées, il faudra relancer le processus démocratique : organiser de nouvelles élections, terminer la constitution, décider du nom de cet endroit... On devrait sans doute faire un effort pour ne plus l'appeler Clairétoile, déjà...
— Ça ne va pas être facile, de lui trouver un nom... Enfin... Nous verrons bien, je suppose."

-Oh, nous avions déjà eu quelques suggestions intéressantes... Mais c'est vrai, il vaut mieux que nous attentions le retour de nos absentess, même si c'est dans plus d'une veille, au minimum...
Il s'étira.
-Voyez-vous d'autres sujets à aborder ? Il y avait le dossier de l'occupation du palais, j'imagine que tu as pu avancer dessus, Albérich ?

" Oui, en effet. J'ai une proposition complète, en fait. Giovanni et Hubert ont fait le relevé ce matin, et puis notre barde m'a fait une copie qu'il m'a généreusement permis d'annoter. J'ai discuté avec nos enseignants, avec Ulrich, avec Barthélémy et Ingrid, aussi, et Giovanni évidemment, et donc voici ce que ça donne."
Il déroula le plan devant eux et leur indiqua les points importants du projet, l'emplacement des lieux clés et la répartition des logements.
" J'ai compté, sur base du recensement, une chambre par individu seul ou couple, deux pour les familles. Bon, il y a des suites évidemment, et puis il y a l'espace pour s'étendre davantage, mais je pense que c'est important de conserver les pièces de couchage sur ces deux étages-ci... Ne fut-ce que pour s'y retrouver. Si vous êtes d'accord, je comptais présenter ce plan dès demain matin, pour que les gens commencent à s'installer. Je veux bien superviser les déménagements et régler les éventuels conflits, si certains ont une vue sur la même pièce, ce genre de choses."

-Beau boulot, bravo ! commenta le jeune chevalier. Rien à redire, vraiment. Et donc, d'accord, nous organiserons une manière d'assemblée demain matin, pour que tu présentes ce projet, que nous informions nos compagnons des différentes décisions prises ce soir, que nous lancions les appels à volontaires... Ce sera un programme chargé, tu devrais demander à Gus de corser particulièrement le thé... Mais c'est bien, nous allons de l'avant, nous construisons... Ce sont là les grands débuts de la nouvelle vie à laquelle aspirent les membres de la Communauté.

" Oui." dit Albérich, et il se sentit inexplicablement ému.
Peut-être était-ce la prise de conscience, soudain, que sans ce projet fou, lui-même serait resté dans le noir, peut-être des mois encore, des années, ou toujours. La prise de conscience, aussi, qu'Etienne avait eu un rêve, qu'il n'avait pas renoncé, et qu'ils étaient effectivement en train de progresser. Ils l'avaient fait depuis le premier jour du périple, bien sûr, mais ils étaient désormais arrivés quelque part, dans un endroit qu'ils pouvaient revendiquer comme leur, où ils pouvaient construire... ou lui-même pourrait construire. Luménis semblait distante de millions de lieues, soudain, et floue. Il savait qu'il y était malvenu. Maelwedd verrait son retour comme un affront, et Alaric, aussi bienveillant soit-il, avait dû prendre goût à sa charge. Partout où il irait, on le regarderait arriver avec inquiétude, encore plus à présent qu'il avait retrouvé sa puissance antérieure. Peut-être cette cité sans nom était-elle aussi l'opportunité, pour lui, d'être le bienvenu quelque part. Mais il craignait l'expression de sa foi en Lathandre. Il devait se montrer digne de son dieu, nourrir son énergie, répandre la lumière. Il ne pourrait pas se sédentariser sans un temple...
" Nous devrions trinquer, fit alors Hubert en se levant. Attendez-moi, tous les deux."

Étienne fronça les sourcils, surpris, mais le regarda s'éloigner en souriant.
-Il a découvert la cache secrète de l'académie ? souffla-t-il.
Il resta silencieux quelques instants puis grimaça.
-Mince, je n'y repense qu'à l'instant... Ce serait bien de relancer le projet que tu avais commencé à mettre en place, tu sais, celui-visant à ce que les adultes prennent des apprentis. Les conditions vont être plus favorables, désormais, sans compter que ça pourrait aider à combattre le sentiment d'enfermement que pourraient éprouver certains de nos jeunes membres en constatant que la cité s'étend tout autour d'eux mais qu'ils doivent rester cantonnés ici...

" Ne t'inquiète pas, je n'avais pas perdu ça de vue... Ça fait partie de ma liste de choses à faire demain. Après-midi, probablement. Quand le déménagement sera en voie de finition. J'ai la chance de pouvoir compter sur l'équipe qu'avait formée Ignace : ils ont repris beaucoup de choses en main... Gustave gère les cuisines de main de maître, et petit à petit, j'ai bon espoir que certains osent prendre la responsabilité de tout un segment de l'intendance. J'imagine que de ton côté, tu vas devoir prendre un peu de temps pour faire... les comptes. A moins qu'Ignace ait eu ces choses-là en main aussi ?"

-Et bien... Hum... Oui, il s'en chargeait aussi, parce que cela fait partie intégrante de l'intendance et parce que, tenant à être un membre de la Communauté tout ce qu'il y a de plus ordinaire, j'ai refusé de conserver la moindre prérogative particulière. Mais comme c'est mon nom qui figure sur l'emprunt, il me donnait malgré tout des copies des comptes et les rares fois où j'y ai jeté un œil, tout me paraissait correct...
Il soupira.
-Enfin, rassure-toi : tu as déjà tellement de choses à gérer qu'on ne va pas ajouter ça en plus. Je m'en occuperai donc.
Cela ne le réjouissait manifestement guère, mais sa proposition paraissait des plus sincères.

" Ecoute, si tu ne t'en occupais pas auparavant, il n'y a pas de raison que tu reprennes cet aspect des choses. Je dois avouer que malheureusement, c'est un domaine auquel je n'entends rien non plus... Mais je ne pense pas que nous puissions nous permettre de le laisser en plan très longtemps. Peut-être pouvons-nous, comme pour le reste, faire appel à la communauté ? Peut-être y trouverons-nous quelqu'un de plus compétent..."
Hubert fit sa réapparition.
" J'ai réussi à convaincre Gustave de me donner quelque chose... mais honnêtement, je ne sais pas ce que c'est... Je vais faire goûteur, cela dit. Les paladins ne peuvent pas tomber malades."

Il s'agissait d'une petite bouteille en céramique : impossible, donc, d'en voir le contenu.
-Connaissant Gus, ça sera forcément bon. Un peu fort, peut-être, mais il suffira de commencer par ne s'en servir qu'un fond...
Le paladin versa donc le liquide dans les coupes qu'il avait également ramenées : il était d'une belle teinte verte et émettait une odeur particulièrement agréable.
-Bon, Hubert, puisque tu es l'initiateur... A quoi trinquons-nous ?

Le paladin rit doucement.
" Ce n'est pas moi l'expert des beaux discours. Nous trinquons à tout. A nos réussites passées, présentes et futures. A ton magnifique projet dont les contours se dessinent plus précisément chaque jour. Aux nouveaux amis. Aux nouveaux élans. A ce genre de choses."
Albérich huma son verre.
" A la vôtre."

Le chevalier leva également sa coupe et tous trois burent en même temps.
La première sensation que leur valut le breuvage fut une vive et intense brûlure. Puis, une fois que celle-ci s'atténua, ils perçurent un goût sucré auquel se mélèrent bientôt des arômes subtils. Des plantes, assurément.
-C'est... fort. Et bon. Surtout bon, en fait...

" Misère, fit Hubert en regardant son verre. Heureusement qu'on n'en a pris d'un petit fond. Je n'ose pas imaginer l'effet d'un verre plein...
— C'est loin d'être mauvais. Gustave est un homme plein d'attention..."
Peut-être l'ancien aubergiste se souvenait-il du temps jadis où il venait, de temps à autre, dans son troquet. Mais à sa souvenance, Albérich buvait rarement de l'alcool quand il effectuait sa tournée des taudis. Cela le fit penser à la santé des colons et il se fit une note mentale d'aller parler à Barthélémy le lendemain. Encore une chose sur sa liste.
" Messieurs, je pense que nous avons bien travaillé pour aujourd'hui. A moins que vous voyiez autre chose à ajouter à l'ordre du jour ? Etienne, nous pouvons compter sur toi pour parler, demain matin ?"

-Ah, moi qui espérais secrètement que tu voudrais reprendre le rôle de porte-parole du Conseil ! Mais très bien, c'est moi qui parlerai. Il va juste falloir que je me prépare un peu : quand je ne prépare pas, je fais toujours trop long... J'ai un peu progressé, ces derniers temps, mais vous savez ce qu'on dit : chassez le naturel, il revient au galop...
Il reposa sa coupe vide.
-Sinon, je n'ai rien à ajouter. Je crois que nous pouvons gagner nos lits pour jouir d'un repos bien mérité après une journée bien remplie et avant une autre qui le sera tout autant.

Ils levèrent ainsi la séance.
" Est-ce que tu penses que je peux m'incruster dans l'Académie pour la nuit ? demanda Hubert à Albérich tandis qu'ils remontaient le couloir. Avec Alban, si je parviens à le dénicher.
— Il y a de la place. Si tu ne crains pas les railleries des gens de plume...
— Peut-être qu'ils ne seront pas ravis d'avoir un môme avec eux...
— C'est la dernière nuit où nous nous organisons de la sorte. Ce sera peut-être une occasion presque festive, qui sait ! La dissolution de l'Académie. Est-ce qu'il reste de ce machin vert ?
— Je crois que pour ton bien, je vais le ramener chez Gustave.
— Scandale, Messire de Maleval !"
Hubert rit.
" Je vais chercher Alban. On se retrouve là-bas."
Albérich grommela pour le principe, mais mit le cap sur la chambre en question.

L'écuyer, qui s'attardait dans la salle du banquet avec ses amis, déclina poliment son offre : il argua que les Académiciens lui en voudraient beaucoup de leur imposer la présence d'un enfant et que sa propre réputation souffrirait grandement si l'on apprenait qu'il avait dormi dans la même pièce que les instituteurs. Bref, il préférait demeurer avec Ruth.
C'est donc seul qu'Hubert rejoignit la pièce où s'était installée l'Académie, dont tous les membres, hormis Albérich, étaient... en train de travailler. Les enseignants sur leurs cours, Giovanni sur ses plans : il cherchait à repérer des espaces vides qui pourraient indiquer la présence de pièces secrètes. Toutefois, ils accueillirent le nouveau venu avec chaleur, sans la moindre raillerie, et entreprirent bien rapidement de ranger leur studieux équipement.

" Vous ne devez pas interrompre vos activités pour moi." se défendit le paladin en posant ses fontes.
Albérich l'interrogea du regard.
" Il n'a pas voulu venir." souffla Hubert à mi-voix.
Le Luménien devina, à son expression, que cette simple décision atteignait son ami plus profondément qu'il ne l'aurait sans doute fallu. Sans doute sa maladresse de la nuit précédente le hantait-elle encore. Mais le paladin s'assit avec un sourire.
" N'en parlons plus, d'accord. Ça ne sert à rien."
Albérich acquiesça.

Les autres ne parurent rien remarquer.
-Pour ma part, Hubert, j'avais terminé donc vraiment, ne t'en fais pas.
-Et moi, je n'attendais qu'un prétexte pour m'interrompre. Alors sois remercié !
-Albérich, dis-moi... il paraît que tu as passé ton après-midi à préparer un grand projet d'aménagement du château... As-tu pensé à réserver une salle pour les réunions de l'Académie ? Une salle de premier ordre, j'entends...

" A vrai dire, je n'en ai réservé aucune, mais il en reste plein. Notamment à proximité de la pièce que j'ai attribuée à la bibliothèque. Mais ce sera peut-être un peu trop près des classes à votre goût... Vous n'aurez qu'à faire votre marché demain, pendant le déménagement. Vous aurez l'embarras du choix."
Il se tourna vers Giovanni.
" Mais peut-être que tu as repéré une bonne salle, toi ? Je dois dire que je n'ai travaillé que sur plan : je n'ai rien vu des volumes, de la lumière, de la décoration... Ça fait beaucoup d'éléments dont je ne sais rien."

-Il y en a bien une... Au rez-de-chaussée, avec des colonnes, une sorte d'estrade avec une grande table en marbre sculptée, entourée de hauts sièges du même matériau... Belles mosaïques aux murs, admirables statues, ... Bref, l'endroit parfait. Après, c'est l'une des plus vastes du palais, des plus luxueuses aussi, mais honnêtement, notre Académie, fleuron de notre Communauté mettant en avant la culture et la science, ne mérite-t-elle pas au moins cela ?
-Si. Et comment !
-C'est tout le palais qu'elle mériterait mais nous pouvons nous contenter d'une seule salle. Du moins, dans un premier temps.

Hubert rit mais dissimula rapidement sa bouche derrière ses mains.
" Je pense qu'on trouvera sûrement un petit palais raffiné et plus adapté quelque part en ville. Mais il est certain que les Anciens semblaient férus d'art et de savoir... En attendant, c'est entendu pour la salle de Giovanni, je l'ajouterai sur le plan, histoire que les joueurs de cartes ne se l'attribuent pas.
— Je trouvais que c'était justement un bon endroit pour mon état-major, dit le paladin d'un ton faussement scandalisé. Une table pour les plans de bataille, des sièges de marbre pour les preux..."

-Tu n'as pas encore tout exploré, mon ami. Alors crois m'en, il y a mieux, beaucoup mieux pour ton état-major. Une salle certes de taille réduite...
-Bah, ils ne sont pas beaucoup...
...certes dépouillée...
-Bah, l'architecture militaire est souvent austère.
-...certes dépourvue du moindre mobilier...
-Oh, on est plus énergiques quand on se tient debout !
-...et certes située au sous-sol...
-Notre Communauté ne met pas en avant la guerre, donc cacher ce qui s'en rapproche, c'est bien !
-...mais ayant un indéniable cachet.

" Vous voulez nous reléguer aux oubliettes, c'est du joli !" s'exclama Hubert.
Il croisa les bras.
" Je chercherai ma salle d'état major tout seul.
— En fait, j'en avais déjà prévu une, osa Albérich. Mais tu pourras en changer si elle ne te plait pas."
Le paladin l'observa, suspicieux, comme s'il cherchait le piège.
" C'est vrai. Et je pense que c'est une bonne salle. Mais c'est vrai qu'il n'y a pas de mobilier. Cela dit, la pierre, c'est dur et c'est froid. Par cette saison, c'est pour se geler les fesses."

-De toute façon, cette salle-là, ne conviendrait-elle pas mieux pour les assemblées ? Bien sûr, personne ne prendrait place sur les sièges, parce que cela ferait trop... le roi et son conseil s'adressant au peuple. Mais l'estrade serait un atout certain pour les orateurs.
-Quoi ? Tu vodurais que cette merveille soit accessible au tout venant ?
-On n'avait pas enclenché une procédure de radiation concernant Philibert ?
-Si si, maintenant que tu le dis...

Albérich leva les yeux au ciel. Hubert sourit à l'instituteur, désolé.
" Pauvre Philibert, te voilà mis au banc de tes pairs pour avoir songé au bien commun... Décidément... Quelle bande."
Le Luménien en profita pour retirer ses bottes. Ces pugilats verbaux allaient lui manquer... mais il suffirait d'aller s'installer à table avec le groupe pour retrouver tout de suite cette ambiance de joute constante.

Rebecca, Agathe et Giovanni s'entreregardèrent.
-C'est vrai que nous devrions penser au bien commun...
-Oui, d'autant que nous avons une réputation à tenir...
-D'accord, d'accord, laissons cette salle à la Communauté. Mais en contrepartie, réquisitionnons les thermes.
-Formidable !
-Excellente idée !
-Et que personne ne s'y trompe, c'est un acte altruiste : ils constituent une véritable œuvre d'art antique, quelqe chose d'irremplaçable. Or, s'ils sont trop fréquentés, les mosaïques, les colonnes, les bassins vont s'abimer...
-Ce serait une catastrophe.
-Et puis, il y a des puits ou puiser de l'eau, ce n'est donc pas comme si nous empêchions nos compagnons de se laver...

" Moi qui pensais que ton objectif était de contempler l'intégralité de la communauté dans le plus simple appareil, Giovanni, voilà une occasion à l'eau, c'est le cas de le dire."
Albérich haussa les épaules.
" Pour ma part, je me suis toujours lavé dans un tonneau d'eau froide... Ces thermes, ça ramollit le caractère, c'est juste bon pour les Sunites.
— Bah, on pourra toujours faire chauffer son eau dans les cheminées. Puis j'imagine que les clercs, ça doit avoir des sorts pratiques, à ce niveau.
— Tu confonds avec les mages, Hubert."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue