[Bâtiment] Domaine de Hautetour

[Taliesin]

Ses interlocuteurs ne se privèrent pas pour lui répondre : il n'y avait, en effet, aucun mystère en la matière.
Connus pour employer un personnel pléthorique, les Valombre avaient procédé à une nouvelle vague de recrutement à l'occasion de leur emménagement dans cette nouvelle résidence autrement plus vaste que la précédente. Pour autant, ils s'étaient efforcés de faire rimer quantité avec qualité : quelle que soit la catégorie concernée, et à plus forte raison pour celle dévolue à la défense des lieux et de ses occupants, il fallait disposer de solides recommandations et d'états de service impeccables pour espérer entrer au service de cette auguste maison. Ainsi les gardes nouvellement embauchés avaient-ils travaillé pour des familles alliées ou faisaient-ils partie des connaissances de leurs homologues déjà en place - et ayant donné entière satisfaction ; pour autant, ils avaient fait - et feraient encore un certain temps - l'objet d'une supervision tout en demeurant cantonnés à des tâches subalternes.
Le processus était globalement le même pour les gardes d'honneur, quoiqu'ils doivent être, de surcroit, en mesure de prouver leur noblesse - et une noblesse ancienne, cela allait de soi ! Davantage vassaux qu'employés, occupant une position de prestige tout en contribuant à celui des Valombre - plus une maison noble avait d'aristocrates à son service, plus elle pouvait s'en targuer -, ils logeaient dans la demeure même de leurs maîtres et, attachés à leur service direct. se tenaient toujours près d'eux, les accompagnaient dans leurs déplacements à l'extérieur...

[Claris de Corvimande]

Tout cela dictait la patience, au grand dam de Claris, qui aurait préféré passer bien plus rapidement à l'action. Mais la mission avait dès le départ impliqué du temps, et elle avait été acceptée en connaissance de cause. Décevoir son père – ce qui était, à ses yeux, la conséquence la plus dommageable d'un échec, quels qu'en soient les effets par ailleurs – n'était pas dans ses intentions.
La position d'Antin avait ses bons et ses mauvais côtés : communiquer avec lui serait sans doute assez difficile – il était, en tout cas, inutile de chercher à le rencontrer ce soir, ni même à repérer les lieux où il devait se trouver –, mais il aurait sans doute une certaine latitude pour frapper efficacement, qui, en l'état, risquait fort d'être moindre de son côté.

Aucun plan d'action ne se dessinant dans l'immédiat, ses questions s'orientèrent vers le reste du personnel : jusque là, en effet, la soldatesque lui avait semblé vivre à part de la domesticité civile. Salle à manger et salle de détente séparées, salle d'entraînement qui, évidemment, n'était guère fréquentée par les gens dont le métier ne requérait aucune arme. Était-ce toujours ainsi, ou y avait-il davantage d'occasions de se rencontrer ? Sans le dire explicitement, “Gail” laissait plus ou moins entendre qu'un certain type de rencontres l'intéressait plus particulièrement…

[Taliesin]

Ce sous-entendu fit sourire ses interlocuteurs, sans doute en partie à cause du jeune âge qu'ils prêtaient à "Gail".
Quoi qu'il en soit, on lui répondit que le caractère pléthorique du personnel, la taille du domaine et les différences d'emploi du temps faisaient que les relations se nouaient surtout parmi les gens appartenant au même corps de métier : le garde d'un côté, la domesticité proche des seigneurs d'un autre, le personnel des écuries et des jardins d'un autre encore... Certes, les relations entre ressortissants des différents groupes n'étaient pas interdites, et il n'était pas si rare d'en voir s'établir. Toutefois, la prudence était de rigueur : les responsables punissaient sévèrement tous ceux qui lambinaient à la tâche ou en distrayaient les autres, et on avait vu plus d'un employé renvoyé pour avoir discuté avec quelqu'un au mauvais moment.

[Claris de Corvimande]

À ce titre, la position occupée par Gail était assez intéressante : ne faisant pas réellement partie de la garde et n'ayant d'autres réelles obligations que de préparer et d'assurer ses séances, c'était principalement ses interlocuteurs, fatalement plus occupés, qui auraient à craindre des retombées de discussions trop fréquentes. Et faire renvoyer du personnel ne lui causait ni chaud, ni froid. La question était plutôt de savoir s'il y avait un réel intérêt à le faire, en dehors de soigner son rôle, car, naturellement, les intentions affichées étaient factices. Il y avait autrement plus important.

Sans piste particulière, dans l'immédiat, Claris laissa ensuite la conversation suivre son cours naturel. C'était une mission sur la durée, après tout, et la tâche la plus urgente était sans doute de se fondre dans le décors…

[Taliesin]

Plusieurs jours s'écoulèrent sans apporter ni piste prometteuse, ni grande nouveauté.
Claris se faisait à sa nouvelle situation, à son nouveau milieu, et une manière de routine s'installa. Son point d'orgue demeurait évidemment l'entraînement de ses deux élèves. Là encore, en dehors des évolutions du programme des séances, il n'y eut rien de particulier à signaler. Tommen exécutait toujours les consignes avec application, mais il n'y prenait nullement goût - et ne paraissait pas le moins du monde davantage endurci qu'au début. Quant à son aîné, il restait égal là lui-même : arrogant, rétif, provocateur, cherchant la moindre occasion pour brutaliser son partenaire d'exercice... Dans un cas comme dans l'autre, si progrès il devait y avoir, il n'étaient pas encore visible.
Enfin, concernant Antin, leurs échanges continuèrent à se limiter au strict nécessaire. Toutefois, le jeune homme finit par lui dire qu'il cherchait une occasion afin de discuter plus ouvertement avec elle. Quand cela se produirait-il exactement ? Il ne pouvait le dire : si tout allait bien, dans les jours à venir, sans doute...

[Claris de Corvimande]

“Gail” fit de son mieux, au cours des séances avec Godefrey et dans les moments qui les entouraient, pour gagner la confiance de Jean. Il lui semblait en effet que celui-ci s'avérerait, tôt ou tard, un allié utile, même s'il était naturellement hors de question de s'adresser à lui ouvertement avant d'en avoir, au minimum, discuté avec Antin. Pour le reste… déterminer lequel des deux frères l'exaspérait le plus aurait sans doute été délicat. Il fallait en tout cas s'efforcer de ne pas le laisser percevoir, et pour cela, penser aux aspects positifs. Tommen, après tout, était un vrai petit ange, même si c'était précisément là que se situait le problème. Quant à l'autre, il était pénible d'être la cible de ses humeurs, mais, lorsqu'il consentait à se prêter sérieusement aux exercices, il n'était pas sans rappeler – d'assez loin tout de même, il ne fallait rien exagérer – l'enfant que Claris avait été.
Bref, rien de tout cela ne faisait progresser ses affaires.

La demande d'Antin fut accueillie neutrement – ne rien laisser paraître tant que leurs propos risquaient d'être surpris étaient la règle la plus essentielle –, mais en lui faisant comprendre que cette occasion était recherchée des deux côtés. Une des activités de ses temps libres avait été de chercher les meilleures situations pour de futures entrevues.
Courtiser ouvertement une demoiselle faisait d'ailleurs partie de ses pistes de réflexions à ce sujet : c'était sans doute le moyen le plus simple de justifier, si besoin en était, le fait de chercher des lieux propices à l'intimité. Le tout serait, pour cela comme pour le reste, de ne pas trop précipiter les choses.

[Taliesin]

Les lieux propices à une discrète rencontre n'étaient pas trop difficiles à trouver. Le vaste jardin, par exemple, offrait bien des endroits préservés des regards indiscrets. Quant à la demeure et à ses dépendances, elles comptaient tant de pièces que nombre d'entre elles étaient rarement usitées, ou alors à des moments précis de la journée.
Non, le vrai problème serait de rallier lesdits lieux sans éveiller les soupçons. Le domaine, en effet, grouillait de monde et il y avait toujours quelqu'un pour vous voir passer. Bien sûr, Claris pourrait emprunter un itinéraire différent de celui suivi par Antin ; cependant, dans un milieu relativement clos tel que celui-ci, les commérages allaient bon train et il n'était pas impossible qu'au hasard d'une discussion, des membres du personnel réalisent - et s'étonnent - que le jeune maître d'armes et le nouveau garde d'honneur se soient rendus dans la même zone au même moment.
Pour écarter tout risque, aussi faible fut-il, de faire jaser, il fallait donc un prétexte. Sans doute était-ce ce à quoi réfléchissait son complice...

[Claris de Corvimande]

Le plus rageant étaient sans doute qu'ils se voyaient tous les jours, sans aucun besoin d'excuse, mais sans pouvoir échanger plus de quelques mots…

Compter fleurette à une jeune demoiselles du personnel pouvait servir à justifier certaines choses. Si Hugues et Gail fréquentaient chacun une demoiselle du même corps de métier, et que leurs entrevues se passaient dans les quartiers concernés, il apparaîtrait justifié qu'ils s'y rendent fréquemment, y compris à des heures communes. Si leurs entrevues n'étaient pas trop fréquentes, par rapport aux rencontres avec les demoiselles en question, il était même envisageable que personne ne remarque qu'ils s'y rendent trop souvent, ou que l'on mette cela sur le compte du désir d'apercevoir l'élue de leur cœur même sans avoir de véritable rendez-vous. Mais le personnage d'Antin était-il du genre à frayer avec une personne de basse extraction ?
Tant qu'à compter fleurette, il y avait aussi la possibilité de s'attaquer à la seconde-née de la famille, en espérant que messire des Sablons lui serve de chaperon lors des rencontres. Mais, outre le côté très irréaliste de la chose – compte tenu du rang du sieur Narslan et du fait que ses élèves étaient les seuls membres de la famille de Valombre lui ayant jusque là fait l'honneur de leur présence – et des énormes risques qu'elle présentait pour sa personne, cette approche le défaut de mettre forcément une personne dans leurs pattes aux moments propices, dont il faudrait nécessairement s'occuper. Si amusante qu'elle soit, l'idée n'avait donc à peu près que des mauvais côtés.

Il était sans doute beaucoup plus raisonnable de chercher du côté du fait que leurs deux personnages avaient tous deux servi au sein de la même maison avant d'arriver au domaine de Hautetour. Ils avaient envisagé, en préparant leur mission, que cela puisse leur fournir des opportunités. Une approche pouvait être de débuter une conversation, au vu et au su de toute la domesticité, concernant quelque chose censé s'être déroulé au sein du domaine d'Archelieu, avant de s'éloigner pour que la suite de l'échange échappe aux oreilles des curieux. Cette approche ne durerait peut-être pas sur le long terme, mais il était envisageable de la tenter une fois dans un futur proche, et elle permettrait, au moins, de se concerter pour préparer la suite. Il lui semblait, toutefois, qu'Antin était le mieux placé pour lancer la conversation de cette manière.
Naturellement, d'autres pistes étaient possibles, et Claris continuait d'y réfléchir en menant ses activités quotidiennes.

[Taliesin]

Une opportunité - ou plutôt, l'esquisse d'une opportunité - commença à se dessiner peu après.
Ce jour-là, l'aube avait été grise et, au fil de la matinée, la couverture nuageuse qui reposait sur la ville tel un oppressant couvercle n'avait cessé de s'épaissir, de s'assombrir. Peu après l'heure du repas, les cieux se déchirèrent enfin, libérant un véritable déluge qui semblait promis à durer longtemps.
Pour "Gail", il était temps de prendre une décision : soit il maintenait l'exercice à l'endroit habituel, ce qui imposerait à ses élèves des trajets sous une pluie battante qui les tremperait jusqu'aux os, soit il décidait de le déplacer dans une salle du château, du corps de garde, peut-être. Dans le premier cas, à moins qu'Antin ne s'abrite avec eux sous la rotonde, le jeune maître d'armes devrait, une fois les entrainements terminés, escorter les garçons jusqu'au refuge que le garde d'honneur se serait choisi. Dans le second cas, ledit jeune maître d'armes devrait informer quelqu'un du changement de lieu. Un quelqu'un qui pouvait fort bien être son comparse.

[Claris de Corvimande]

HRP : mes excuses pour le délai.

Si son objectif avait réellement été de former deux combattants accomplis, “Gail” aurait certainement choisi de maintenir le lieu de la séance : apprendre à se battre y compris dans les situations gênantes – ce qui incluait une pluie aussi violent – était après tout quelque chose d'essentiel. Mais puisque tel n'était pas exactement le cas, autant s'éviter de prévisibles récriminations en dispensant Son Altesse Godefrey de trop se mouiller. D'autant plus que des vêtements trop battus par la pluie risquaient fort d'avoir une certaine tendance à laisser apparaître des parties de son anatomie sur lesquelles il n'y avait aucun intérêt à attirer l'attention.

Claris se donna donc pour tâche de trouver un espace de remplacement pour l'entraînement de l'après-midi qui s'ouvrait – si possible, un lieu vitré, où l'on verrait et entendrait la pluie, ce qui, au moins, lui permettrait de profiter quelque peu de ce temps inhabituel –, puis d'entreprendre d'aller porter le message à qui de droit, en espérant que cela lui apporterait effectivement l'opportunité attendue.

[Taliesin]

HRP : Aucun souci ! Et désolé de ne pas être moi-même très régulier...

Le seul lieu véritablement vitré du domaine était la vaste verrière des jardins, remplie de fleurs rares et de plantes exotiques ; certes, de là, on pouvait admirer le déluge à loisir ; en revanche, comme on n'y trouvait guère d'espaces dégagés, s'y entrainer ne serait pas forcément très simple. Sinon, il était toujours possible de se rabattre sur une salle plus ordinaire mais dotée de grandes fenêtres.
Quoi qu'ait décidé Claris, elle dut se rendre dans la partie de la maison réservée aux maîtres. A peine y avait-elle fait troi spas qu'un domestique vint s'enquérir de ce qu'elle voulait, avant de partir prestement quérir Antin.
-Vous souhaitiez me parler ? s'enquit ce dernier, faisant son apparition quelques minutes plus tard.

[Claris de Corvimande]

La verrière pourrait être un emplacement intéressant pour Tommen. Jean et Godefrey, en revanche, risquaient d'y provoquer des dégâts, dont la faute, bien sûr, incomberait sans aucun doute à la personne responsable du choix de cette salle. C'était, encore une fois, une question de contexte : au Manoir de Corvimande, un tel choix aurait sans doute eu sa préférence précisément en raison du risque qu'il représentait. Ici… il fallait y réfléchir davantage, et peut-être prendre un avis.

« Pardonnez-moi de vous déranger ; mais compte-tenu du temps, il me semble préférable que déplacer nos séances d'aujourd'hui en un lieu plus abrité. »

Faire preuve de prudence était de mise : dans cette partie du domaine, que Claris ne connaissait pas encore, il était fort probable que traînent quelques oreilles indiscrètes. Tout en parlant, ses sens étaient aux aguets.

[Taliesin]

Antin fronça les sourcils.
-Pourquoi donc ? Combattre sous la pluie est un bon exercice, tandis qu'être trempé jusqu'aux os pourrait contribuer à l'endurcissement de messire Tommen...
Il haussa les épaules.
-Mais vous êtes responsable des entraînements : c'est donc à vous de voir. Avez-vous choisi un nouvel emplacement ?

[Claris de Corvimande]

Eh bien, le moins que l'on puisse dire était qu'il prenait son rôle à cœur. Peut-être se savait-il observé ?

« Ce serait effectivement un très bon exercice à un autre moment ; mais je crains hélas que dans l'immédiat, l'effet négatif sur leur motivation qu'entraînerait le désagrément d'être trempés jusqu'aux os soit plus important que les bénéfices retirés de l'entraînement lui-même. Concernant le lieu, la verrière des jardins me semblerait appropriée ; mais je crains toutefois que notre passage ne laisse pas les lieux intacts et qu'il nous faille donc une autorisation pour nous y installer. »

Claris indiqua ensuite succinctement l'emplacement de la salle choisie pour le cas où ladite autorisation serait refusée, tout en continuait de guetter la présence d'une autre personne sur les lieux, ou un signe d'Antin qu'ils pouvaient parler librement.

[Taliesin]

-Une autorisation serait en effet nécessaire pour la verrière. Et pour avoir une chance de l'obtenir, il vous faudrait pouvoir justifier de l'intérêt pratique d'un tel lieu dans le cadre d'entraînements martiaux...
Il se frotta le menton, songeur.
-Quant à l'autre salle, que diriez-vous de me la montrer ?
Après tout, il n'était pas encore censé connaître le moindre recoin du vaste domaine, ce qui rendait sa requête tout à fait crédible, quoiqu'elle ait peut-être un autre but.

[Claris de Corvimande]

Il était certain que, si les lieux où ils se trouvaient étaient surveiller, se déplacer était une bonne idée. Claris ne se fit donc pas prier pour acquiescer, sans toutefois trop sembler sauter sur l'occasion.

« Eh bien, j'incline à penser que la verrière, par son ambiance particulière, apporterait beaucoup à un entraînement ; mais je crains d'avoir plus de raisons intuitives que de véritables justifications pratiques. Il est sans doute préférable de se rabattre sur l'autre salle. Suivez-moi. »

Bien sûr, “Gail” ne tourna pas les talons sans attendre, et malgré la formule, Antin était de fait invité à prendre les devants jusqu'à leur sortie de la salle, même s'il serait guidé ensuite.

[Taliesin]

Le prétendu sieur des Sablons, drapé dans sa superbe, ne se priva pas pour prendre la tête de leur duo, ne consentant à la céder qu'en arrivant dans l'aile indiquée par "Gail". Les quelques serviteurs qu'ils croisèrent sur leur trajet, et qui n'affichèrent aucune surprise à les voir de concert, ne manquèrent pas de saluer respectueusement le garde d'honneur ; quant au jeune maître d'armes, les rares à songer à lui adresser un signe se contentèrent de gestes plus neutres.
-Je pense que nous avons devant nous quelques minutes de tranquillité, dit finalement Antin une fois leur destination atteinte.
Tout comme la pièce, les environs semblaient déserts.

[Claris de Corvimande]

Compte tenu de la situation, c'était à la fois extrêmement court et une éternité.

« Comment se passent les choses, par là-bas ? »

Une question neutre, prudente, le temps pour Claris de s'assurer, autant que possible, que les lieux étaient aussi déserts qu'ils le semblaient. En ces circonstances, la prudence ne serait jamais trop importante. Mais pour cela, au moins, cette pièce avait l'air bien choisie.

[Taliesin]

-On ne peut mieux. J'ai pris mes marques, je m'entends bien avec mes confrères, les maîtres de céans s'habituent à moi et me confient des missions de plus en plus diversifiées... Bref, je n'ai pas à me plaindre.
Il sourit.
-Et du côté de la garde ?

[Claris de Corvimande]

« Eh bien, disons qu'ils se montrent jusque là plutôt accueillants, même si je ne serais pas contre diversifier un peu mes fréquentations… »

Ils semblaient effectivement être seuls : il était temps d'évoquer autre chose que de simples nouvelles.

« Le jeune partenaire d'entraînement de messire Godefrey me semble assez prometteur. Je ne parle pas seulement de ses talents martiaux, mais de ses… dispositions d'esprit. Je pense qu'il me fait confiance et qu'il ne serait pas malaisé, à l'occasion, de lui confier quelques petites tâches utiles. »

[Taliesin]

-C'est une piste à explorer, oui, d'autant que Godefrey lui mêne encore plus la vie dure depuis qu'il a été engagé comme son partenaire d'entrainement. Toutefois, la prudence est de rigueur : la famille d'Estemarche est réputée pour sa loyauté, pour le prix qu'elle accorde à la parole donnée. Mais tous les vassaux des Valombre ne sont pas du même acabit, et je m'efforce de tendre l'oreille, au cas où j'entende parler de franches dissensions. Je n'ai rien relevé de très probant pour le moment, mais nul doute qu'il en ira autrement quand je ferai vraiment partie du paysage.

[Claris de Corvimande]

« Je doute que ces dissensions soient discutées trop ouvertement, même pour les gens du sérail, malheureusement. Gênant pour les uns, trop dangereux pour les autres. À moins qu'une démonstration de force ne soit prévue, bien sûr ; mais dans ce cas, l'intérêt est faible. »

D'aussi loin que remontaient sa propre histoire familiale, lui semblait-il, les Corvepie étaient les seuls à avoir montré une hostilité suffisamment ouverte envers leur suzerain pour que cela devienne un sujet de conversation, et les conséquences de cet affront ne s'étaient guère faites attendre.

« À ce sujet, laisser des entrevues comme celle-ci aux caprices du temps ne me semble pas la meilleure chose ; mais je crains hélas ne rien avoir de mieux à proposer pour l'instant. »

[Taliesin]

-Les pretextes ne sont pas foison, effectivement. Mais le fait qu'on m'ait confié la supervision des mioches sur le trajet des entraînements et durant celui-ci en fournit néanmoins quelques-uns. A mon avis, Godefrey ne sera pas long à trouver un prétexte pour faire sauter une séance. On pourrait également me demander de transmettre des consignes particulières concernant les exercices. A moins, bien sûr, qu'on ne passe par le capitaine...
Courte pause.
-Sinon, il ne faut jamais négliger les bêtises que pousse à comettre l'orgueil froissé. Connaissant certains des Valombre, je suis à peu près sûr que s'il y avait des tensions avec l'un ou l'autre vassal, il y en aurait au moins un pour lâcher quelque chose devant moi... D'autant que pour nombre d'aristocrates, le personnel est invisible, hormis quand ils ont besoin de lui.

[Claris de Corvimande]

HRP : mes excuses.

Si cette erreur était effectivement fréquente, le statut d'Hugues des Sablons devait tout de même y poser quelques limites. Après tout, même inconsciemment, un garde d'honneur passait pour davantage susceptible de rapporter à ses maîtres une parole malheureuse qu'un trouffion de base. Il fallait néanmoins ne pas se montrer trop pessimiste ; d'autant que l'affectation principale d'Antin devait efficacement réduire le semblant de prestige de son poste. Les gardes d'enfant étaient rarement les plus estimés.

« Il serait tout de même préférable de trouver quelque chose qui ne dépende pas tant des circonstances ; mais j'imagine qu'il va falloir faire avec ce que nous avons. Concernant le cœur du problème : il est sans doute trop tôt pour démarrer quoi que ce soit ; mais t'es-tu fait une idée de l'angle d'attaque à adopter en premier lieu ? »

Il connaissait sans doute mieux le domaine, et surtout les superstitions des maîtres des lieux.

[Taliesin]

-Je dirais continuer à faire ce que nous faisons déjà, à savoir nous fondre dans le décor jusqu'à faire partie des meubles et glaner un maximum d'informations : même si, au final, il s'avérait que nous ne pouvions intervenir directement, tout ce que nous aurons pu collecter pourrait se révéler utile à long terme.
Il eut un sourire en coin.
-Ceci dit, ton idée de faire croire à un fantôme était plutôt bien inspirée : parmi le petit personnel, il y a de vagues rumeurs qui circulent, à propos de phénomènes étranges. Rien de bien précis, pour l'heure, ni de très étonnant puisque nous sommes dans la demeure de magiciens. Rien ne dit, non plus, que se lancer sur cette voie aura des conséquences réellement intéressantes. Toutefois, semer un peu de désordre ne peut pas faire de mal.... et se révéler plutôt amusant.

[Claris de Corvimande]

« C'est aussi mon avis. »

Curieux, toutefois, que cela se produise avant toute intervention de leur part. Une chance, sans doute ; mais peut-être y avait-il autre chose. Après tout, bien qu'une partie du personnel soit nouveau, tous devaient savoir à quel genre de famille ils avaient affaire, et donc s'y attendre. Était-il possible qu'il y ait de véritables phénomènes particuliers en ces murs ? Si oui, dans quel mesure cela influerait-il sur leur plan ? C'était le genre de choses dont il faudrait se préoccuper en temps utile, mais qui, pour l'heure, ne restait que pure spéculation inutile.

« Je doute d'en apprendre énormément à mon poste, ceci dit ; pour cela, le tien était sans doute beaucoup mieux choisi. »

[Taliesin]

-Pas forcément : normalement, il n'y a guère d'échanges entre les gardes d'honneur et le petit personnel, puisqu'ils appartiennent à deux mondes très différents.
Antin se fit pensif
-C'est le problème des places que nous avons choisis : ils nous rendent visibles tout en nous mettant un peu à part. Si nous avions opté pour des rôles de simples domestiques, cela aurait été certes plus ingrat mais aussi, et surtout, plus simple. Personne ne prête vraiment attention à un valet, par exemple, du moment qu'il fait son travail.
Il sourit.
-Mais ce qui est fait est fait. En ce qui me concerne, je suis quand même en parmanence là où l'important se joue; Quant à toi, m'est avis que tu pourras trouver des moyens de t'infiltrer davantage...

[Claris de Corvimande]

« Oui, je parlais d'apprendre des choses des Valombre eux-mêmes. Tu as vue sur les hautes sphères ; et c'est à moi de m'occuper du petit personnel. Et, mine de rien, mon rôle est peut-être l'un des seuls permettant d'avoir l'œil à la fois sur la garde et sur la domesticité, puisque les deux mondes se côtoient sans réellement se croiser. »

Le côté « en vue » d'Hugues des Sablons marchait sans doute sur le petit personnel, et avoir une certaine autorité sur eux pourrait toujours s'avérer utile, tandis que, comme il l'avait déjà souligné, il était tout aussi invisible aux yeux des nobles de rang supérieur. Quant au rôle de Gail, il justifiait sans doute certaines questions ou certains agissements qui auraient tout de même attiré l'attention sur un simple valet. Non, il n'y avait pas de regrets à avoir à ce niveau.

« Le tout sera, une fois encore, que nous parvenions à nous concerter sur nos avancées sans éveiller trop l'attention. »

Ça, et le fait d'aller tout de même au devant desdites avancées, pour qu'elles finissent par subvenir.

« Peux-tu m'en dire plus sur ces phénomènes étranges, au fait ? J'aurai peut-être intérêt à aller voir par là. »

[Taliesin]

-Hum, je crois avoir entendu parler d'objets mis en désordre de manière inexplicable, d'une silhouette étrange vaguement entrevue... Rien de très précis ou de très concret, pour l'heure. Rien qui ne soit vraiment pris au sérieux, non plus. Mais peut-être est-ce une graine qui ne demande qu'à germer...
Il réfléchit quelques instants.
-Quant aux occasions de nous concerter, je pense que, pour l'heure, ce sont tes élèves qui nous fournissent les meilleures, comme aujourd'hui. Tu pourrais juger utile de déplacer à nouveau le lieu des entraînements et donc revenir m'en prévenir. Tu pourrais, aussi, avoir des idées d'exercices réclamant des tenues ou des objets particuliers... Je n'ai pas d'idée précise à ce sujet, mais je suis sûr qu'il y a moyen de trouver des prétextes. Et comme je le disais tout à l'heure, de mon côté, j'aurai plus que probablement à te prévenir de certaines indisponibilités.

[Claris de Corvimande]

Le souvenir d'une conversation avec Herbert revint subitement à l'esprit de Claris.

« Une silhouette étrange, dis-tu ? En discutant avec les gardes en faction aux portes, j'ai entendu parler d'un fantôme qui se serait présenté ici à la recherche d'un emploi de barde… »

Pour ce qui était de leurs concertations, les remarques d'Antin étaient sages, mais il y avait un point à éclaircir.

« Tu étais très formel, tout à l'heure : simple soupçon, ou te savais-tu véritablement observé ? Ce domaine est grand, mais je n'aurai sans doute pas de nouvelle salle à te faire visiter à chaque fois. »