La Couronne de Cuivre

Son intuition fut juste : si la première alcôve était usée et difficile à exploiter, la suivante avait été plutôt bien préservée et il décela bientôt une régularité dans les crevasses qui en jalonnaient le pourtour. Il était cependant très ardu de les percevoir, car le bleu de la pierre était irrégulier, veiné de bandes claires et sombres, qui troublaient le regard. Dans son ombre, Baptiste semblait encore plus impatient que lui de décrypter quelque chose, alors qu'il n'avait pas lu une ligne des documents qu'il avait eus entre les mains...

Heureux que le petit garçon prenne goût aux recherches, il prit le temps de lui résumer ce qu'il avait lu les soirs précédents, ce qu'il espérait trouver, les difficultés auxquelles il était confronté... Qui sait si Baptiste n'aurait pas de bonnes idées ? Sans compter que deux regards valaient mieux qu'un.
Et de toute façon... Travailler à plusieurs était toujours plus motivant.

Le petit garçon parut très concentré tout au long de son exposé, puis posa les doigts dans les aspérités que Taliesin tentait d'examiner.
" On pourrait peut-être prendre une empreinte avec quelque chose de mou... comme de l'argile ou de la boue... si on ne voit pas bien, non ? Ou alors avec une mine de plomb et du parchemin ? Mais ça va peut-être abimer la pierre, je ne sais pas... C'est difficile de se faire une idée avec cette couleur bizarre..."

Il se frotta le menton, pensif.
-On pourrait aussi imaginer recouvrir la pierre avec de la peinture ou une substance quelconque, du moment qu'elle soit fine et ni n'abîme ni ne modifie le relief... Cela nous permettrait de mieux voir celui-ci...
Il eut un sourire embarrassé.
-Désolé de ne pas avoir de grandes idées mais... Honnêtement, je n'ai jamais fait ce genre de chose.

" Hum... La peinture, ça ne va pas vraiment arranger notre affaire, si ? Non, il nous faudrait vraiment de l'argile ou du plâtre... ou un autre truc souple mais qui garde sa forme... comme de la pâte d'amande !"
Il sourit.
" Tu vas dire que je pense toujours à la nourriture. Ce n'est pas vrai. De la glace ça marcherait aussi, mais on va pas savoir faire geler de l'eau à l'envers..."

-Baptiste, tu penses tout le temps à la nourriture. Et je m'inquiète pour ta ligne : il va falloir que je te fasse faire plus d'exercices.
Il sourit de toutes ses dents.
-Et si je parlais de peinture, c'était uniquement pour que nous puissions observer le relief sans plus que l'étrange couleur de la pierre et surtout ses variations nous dérange. Mais faire un moulage est sans doute la meilleure idée... De l'argile, ça doit bien se trouver, à moins, oui, que nous ne fabriquions du plâtre, de la pâte d'amendes ou que sais-je encore.

" Je peux aller voir dans le ruisseau, si tu veux... Peut-être que je pourrais trouver de la terre qui nous conviendrait. Il faut juste qu'elle soit bien collante... Ce serait bête de devoir attendre une autre fois..."
Il sourit puis détala vers les bois, laissant Taliesin seul devant son alcôve. Il y en avait trois autres, encore, mais toutes présentaient les mêmes caractéristiques... Il parvenait à deviner la forme générale des symboles. Chaque alcôve semblait en posséder deux distincts, traçant un troisième sur la paroi.

Afin de ne pas perdre de temps, Taliesin attendit le retour de Baptiste en couchant ses observations sur le papier et en tentant de tracer la forme globale des symboles - cela pourrait toujours servir. Quand ce serait terminé, et s'il en avait l'opportunité, il s'intéresserait aussi à cette sorte de pallier qu'il avait repéré le premier jour et qui, désormais, n'était plus aussi emprisonné sous sa gangue de verdure;

Baptiste revint environ vingt minutes plus tard, les mains pleines de terre glaise odorante.
" Je suis pas certain que ça va marcher, mais qui ne tente rien..." dit-il en guise d'excuse, avant de plaquer ses paumes brunes à l'intérieur de la première alcôve.
En l'attendant, Taliesin avait eu l'opportunité de tracer des approximations de tous les symboles, en se fiant surtout à la mémoire de ses doigts, ce qui, chez un barde, était finalement très développé. Baptiste fut très impressionné par ce qu'il avait fait.
" A mon avis, l'argile, ça n'ajoutera pas grand chose." remarqua-t-il avec un haussement d'épaules.
Le pallier, quant à lui, était hors d'atteinte et son escalier avait disparu. Il faudrait trouver un système sûr pour s'y hisser sous peine de prendre des risques inutiles.

Il faudrait sans doute apporter une corde la prochaine fois qu'ils viendraient.
-Je pense au contraire que les moulages seront très utiles, s'ils fonctionnent : ils nous donneront une image beaucoup plus précise des symboles et, parfois... ce sont de petites altérations qui permettent de les différencier. Je me demande d'ailleurs si nous n'aurions pas intérêt à aller chercher davantage de glaise.

" Je ne suis pas certain qu'elle soit très bonne, à vrai dire... C'est juste ce que j'ai trouvé de plus ressemblant près du ruisseau. Mais si on va à Champsdor demain, on peut sûrement trouver un potier qui nous vendra quelque chose de plus efficace..."
Il se tourna vers les chèvres, toujours occupées à faire bombance dans le périmètre de l'ancien bâtiment.
" De la crotte, peut-être que ça fonctionnerait bien. Mais c'est vraiment trop dégoutant."

Il acquiesça.
-Si nous n'avions aucune autre solution, nous ferions contre mauvaise fortune bon cœur mais là, je pense qu'il sera plus efficace de s'en remettre à la glaise d'un potier.
Restait à trouver de quoi occuper leur après-midi...

Mais Baptiste n'entendait pas s'avouer vaincu.
" Est-ce que tu crois que je peux allumer un feu dans l'alcôve ? Pour faire sécher ma glaise plus vite ? Parce que normalement, ça se cuit, l'argile, non ? Ici, vu qu'on est à l'ombre, en plus, ça va prendre des plombes..."

Il hésita.
-C'est une bonne idée dans l'absolu mais j'ai un peu peur que la fumée n'attire l'attention des pâtres alentours... Alors je pourrais convoquer un élémentaire de feu, ce qui réglerait ce problème, mais je ne sais pas si cette pierre étrange qui a servi à construire cet endroit supporte bien les fortes chaleurs...

" J'imagine qu'on ne le saura que si on essaie..." dit Baptiste avec une grimace.
Il se tourna vers le barde.
" Comment ça se fait qu'un élémentaire de feu, ça ne dégage pas de fumée ?"

-Heu...
Il se gratta la tête.
-Peut-être parce qu'ils sont composés de... feu pur ? Que celui-ci n'est le résultat d'aucune combustion mais existe par lui-même, simplement ?

Baptiste hocha la tête puis sortit son carnet et griffonna dedans pendant quelques secondes. Ensuite, il revint au barde, l'expression curieusement tourmentée.
" Est-ce que... est-ce que si demain je veux venir à Champsdor, on est obligés d'y aller à cheval ?" demanda-t-il alors.

Il posa une main sur son épaule.
-Non, on n'est pas obligés, on peut très bien faire le trajet à pied : si je me souviens bien ce qu'on m'a dit, ça devrait prendre trois heures. Après, je me dis que tu pourrais peut-être... te libérer de cette appréhension en montant un peu plus souvent. Néanmoins, je ne veux te forcer à rien et si cela conditionne ta venue... nous marcherons.

Baptiste acquiesça, embarrassé, et détourna le regard.
" C'est que... Je ne veux pas te retarder... mais j'aimerais vraiment venir... et dans le même temps... C'est peut-être compliqué, si ça prend trois heures pour y aller, trois heures pour en revenir... On devra peut-être loger là-bas... Note, ce serait pas un souci pour revenir ici le lendemain, avec notre argile..."
Il haussa les épaules.
" Je sais pas."

Il lui serra l'épaule.
-Baptiste, tu as envie de venir, alors tu viendras. Le reste... Bah, ce ne sont que des détails
Ce n'étaient pas des histoires de trajet ou de logement qui allaient leur poser problème.

Il le dévisagea une seconde, incertain, puis sourit.
" D'accord. Et en échange... Je ferai un effort avec les chevaux. Mais pas cette fois-ci. A la ferme, avec Galathée. Je serai plus tranquille."
Il leva les yeux vers sa glaise encore humide, suspendue dangereusement à la paroi de l'alcôve.
" Bon mais... Feu ou pas feu, alors ?"

Il marqua une nette hésitation.
-Qui ne tente rien n'a rien, comme on dit, alors... Tentons le coup. Mais nous devrons nous montrer extrêmement attentifs : si nous notons la moindre altération sur la pierre, je renverrai immédiatement l'élémentaire dans son plan.
Et il procéda à l'invocation.

L'élémentaire surgit donc du néant. Comme de coutume, Taliesin perçut sa surprise à ne découvrir aucun adversaire, et pendant une seconde, il lui sembla que la créature allait s'en prendre aux chèvres, histoire de justifier sa présence. Mais un échange de pensées plus tard, l'élémentaire allait docilement se placer dans l'alcôve.
La glaise prit certainement un coup de chaud. Mais davantage que cela, les symboles qu'ils n'avaient pas recouvert de terre se mirent à luire doucement, révélant leurs contours fantastiques. Il sembla même à Taliesin que si le toit du bâtiment avait encore été présent, les runes s'y seraient dessinées, d'une manière ou d'une autre. En tout cas, elles étaient désormais parfaitement recopiables.

-Maître Baptiste, votre idée de feu était tout bonnement merveilleuse ! s'exclama-t-il. Mais à présent, il convient d'en exploiter tout le potentiel !
L'instant suivant, il récupérait une mine et un parchemin : à eux deux, ils arriveraient probablement à tout recopier avant la disparition de l'élémentaire.

Ils recopièrent sans difficultés les deux symboles de la première niche, qui se répétaient de manière régulière pour en former un troisième dont ils ne purent que dessiner le contour imprécis car la pierre était usée à certains endroits et ne permettait pas d'en observer la forme complète. Mais quand ils déplacèrent l'élémentaire dans la seconde niche... il ne se passa absolument rien. Les flammes se reflétèrent contre les parois, mais sans que les symboles s'illuminent ou projettent quoi que ce soit.

Voilà qui ne manqua pas de le déconcerter.
-Peut-être que chacune des niches est liée à un élément ? avança-t-il. Peut-être que la première était liée au feu et que celle-ci l'est à l'eau, à la terre ou à l'air ?
C'était une hypothèse comme une autre...

Baptiste acquiesça.
" On peut toujours essayer. Est-ce que tu sais faire un élémentaire de terre ou d'eau ? Ou bien est-ce qu'on essaie avec la vraie matière ? On peut vider l'outre sur celle-ci... mais ce sera peut-être le suivant... Enfin, y'a toujours le ruisseau à disposition, évidemment, si on a besoin..."

-Je peux convoquer des élémentaires de tous types. Le seul souci, c'est que le nombre de sortilèges que je peux lancer est limité... Mais puisqu'il est possible de demander aux invocations de se déplacer, cela règle le problème.
Sans perdre davantage de temps, il fit apparaître un élémentaire de terre et se tint prêt à lui faire visiter toutes les alcôves restantes.

La méthode fonctionna sur la troisième alcôve : les runes se mirent à nouveau à luire et, rapide comme l'éclair, Baptiste commença à les recopier. Il leur restait deux alcôves en relatif bon état, et la dernière, qui semblait avoir trop souffert pour être étudiée. Mais peut-être le pouvoir des élémentaires serait-il suffisant pour en tirer quelque chose ?

Et bien, il ne s'était pas attendu à progresser de manière aussi spectaculaire...
-Ne nous arrêtons pas en si bon chemin, fit-il quand ils eurent terminé de recopier les symboles.
Et cette fois, c'est un élémentaire d'eau qu'il invoqua.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile