La Couronne de Cuivre

Chandara nota l'allusion à sa tenue et s'en amusa franchement. Elle se pencha pour observer la petite fente trop régulière pour être naturelle et répondit gaiement :

- Je crois bien que tu as raison : Sunie doit se sentir offensée de ma tenue et c'est pour cela que je n'aurais pas pu découvrir ce courant d'air sans toi. Je crois qu'on devrait vraiment mettre toutes les chances de notre côté et abandonner nos vêtements ici ! Nous serions plus susceptibles de recueillir les signes envoyées par ma déesse !

Quentin rit.
-Eh bien, faites à votre guise, si cela vous semble nécessaire. Pour ma part, néanmoins, je vais m'abstenir. Certes, j'ai pour votre déesse le plus grand des respects ; cependant, ne faisant pas partie de son Église, je ne suis point soumis aux mêmes obligations que les prêtres et les paladins qui se sont noblement voués à son service.
Il sourit, espiègle.
-Je vais plutôt examiner ce mur de plus près. Qui sait s'il ne recèle pas quelque passage secret ?
Sur ce, il se mit à l'ouvrage.

Chandara se disait que l'idée ferait progressivement son chemin et que Quentin n'était déjà pas hostile aux hommages rendus à sa déesse. Elle entreprit aussitôt de mettre ses recommandations à l'oeuvre et s'approcha de la petite fente repérée plus tôt pour tenter d'y percevoir un mécanisme qui pourrait commander l'ouverture d'un passage secret. Elle était certaine de son existence et confiante quant à l'aide divine qu'elle pouvait recevoir.

Lorsqu'elle avait joint le geste à la parole, Quentin n'avait pas manqué de lever les yeux au ciel et de se fendre d'une remarque espiègle à propos des manières décidément déconcertantes dont les adeptes de Sunie rendaient hommage à leur déesse. Mais il ne fut pas long à se remettre au travail.
Aucun mécanisme ne semblait présent à proximité immédiate de la fente. Toutefois, la paladine crut discerner deux autres rainures perpendiculaires à la première, l'une au niveau du sol, l'autre bien plus haut sur la paroi.
Tout cela faisait indubitablement penser aux contours d'une porte dérobée.
Mais si tel était le cas, elle avait été bloquée par un éboulement, car plusieurs pierres de bonne taille paraissaient partiellement la masquer. Sans doute étaient-elles tombées du plafond...

Chandara ne put que percevoir un signe d'assentiment dans la découverte qu'elle venait de faire et ne manqua pas de le souligner gaiement à son jeune compagnon. Elle entreprit ensuite de dégager les pierres du passage en prenant soin de ne pas s'abîmer les ongles dans cette tâche manuelle. Il fallait qu'elle en ait le coeur net : la porte était là et ne demandait qu'à être ouverte !

A nouveau, Quentin avait levé les yeux au ciel - c'était en passe de devenir une manière de jeu. Puis il l'aida à déplacer les pierres, lesquelles s'avérèrent fort lourdes pour certaines d'entre elles.
Néanmoins, ils parvinrent à dégager ce qui s'avéra bel et bien être une porte dérobée, du moins à en croire les rainures qui formaient un rectangle fort régulier. Mieux encore, une partie de la paroi, juste à côté, semblait avoir été travaillée par la main de quelque être intelligent : peut-être qu'il se produirait quelque chose si l'on appuyait dessus...

Chandara ne se fit pas prier pour tenter l'expérience. Cependant, elle n'était pas totalement imprudente et elle demanda donc à Quentin de s'éloigner de quelques pas puis tenta d'actionner la zone manufacturée avec le bout non enflammé de sa torche. Autant de pas prendre le risque de toucher ce qui pourrait être un mécanisme piégé. Dans tous les cas, elle était très impatiente de découvrir ce qui se cachait derrière ce passage sans doute plus du tout empreinté depuis un certain temps.

En appuyant sa main contre la paroi, Chandara perçut un net déclic.
Il y eut alors un grondement, des gravats se mirent à dégringoler puis... ce qui s'avéra affectivement être une porte commença à pivoter.
Elle le fit lentement, par a-coups, comme si le vieux mécanisme qui l'actionnait était grippé. Grippé mais malgré tout fonctionnel.
Enfin s'offrit à leurs yeux un court passage qui semblait rapidement déboucher sur une nouvelle caverne enténébrée.
Le bruit des vagues s'était fait plus fort et, à présent que le courant d'air était plus marqué, l'atmosphère se chargea encore davantage en humidité.

Chandara était toute excitée par ce succès décisif dans leur progression. Elle gratifia d'ailleurs Quentin d'un sourire extatique et d'un clin d'oeil complices. Il semblait évident qu'ils se rapprochaient d'un nouveau lac souterrain, peut-être directement alimenté par la mer cette fois. N'y tenant plus, la paladine s'avança la première dans le couloir, prenant soin à bien éclairer le passage et à vérifier le sol, le plafond et les murs : s'ils n'étaient pas piégés, leur état la renseignerait tout de même sur la fréquence et la date des derniers passages. Avaient-ils redécouverts une zone du complexe oubliée depuis des lustres ?

Le couloir n'était pas piégé. En revanche, lui aussi avait souffert : le sol était recouvert de pierres, de gravats... En les observant, Chandara ne nota pas la moindre trace : il y avait donc fort à parier que personne n'était passé ici depuis des lustres.
A son extrémité, les deux explorateurs durent descendre quelques marches de pierre. Ils se trouvaient désormais dans une caverne au moins aussi vaste que celle du lac souterrain. Et, comme cette dernière, elle était en partie inondée. Toutefois, ses eaux moins calmes indiquaient assez qu'il s'agissait de celles de l'océan...
Autre différence notable : les zones émergées semblaient beaucoup plus importantes, ici, quoiqu'à la seule lueur de leur lanterne, ils ne puissent encore en voir grand-chose.

La paladine avait progressé avec prudence au travers du couloir encombré en prenant soin de vérifier que le sol comme le plafond ne risquait en rien de s'effondrer sur son protégé ou elle-même.

Chandara ne s'était pas attendue à découvrir une nouvelle pièce aussi vaste que les précédentes et elle demeura quelques instants au bout du couloir à prendre la mesure de leur nouvelle découverte. Elle s'avança enfin en tenant bien haut sa lanterne pour tenter d'éclairer la zone la plus large possible et de repérer les accès vers les terres émergées les plus proches et les plus accessibles : autant de petits ilôts qu'ils allaient pouvoir explorer à leur guise. Peut-être l'un d'eux serait-il idéal pour y installer leur pique-nique car l'heure du repas les surprendrait sans doute dans leur exploration.

La grotte avait presque les allures d'un vaste hémicycle : les parties émergées, qui avaient globalement la forme d'un croissant de lune irrégulier, s'étendaient tout au long de sa paroi incurvée, quoique parfois entrecoupées de ravines emplies d'eau. Quant à la paroi vaguement rectiligne, sur la droite de la paladine, il s'agissait d'un impraticable amoncellement de rochers d'une taille parfois impressionnante : sans doute, jadis, y avait-il eu ici un grand éboulement, scellant en quelque sorte la grotte. Hormis pour la mer qui parvenait toujours à s'y frayer un passage.
Pour compléter ce tableau, il fallait noter la présence d'un assez large îlot au milieu des flots.

Chandara était tout à fait ravie des nouvelles perspectives d'exploration qui s'offraient à eux : si un trésor devait être caché quelque part, c'était forcément dans cette partie du complexe où il y avait dû avoir une sorte de crique couverte à une époque lointaine. La jeune femme proposa à son acolyte de tenter de progresser le long de la paroi formant un arc de cercle au cas où quelque-chose ait pu y être partiellement enseveli. Elle songeait toutefois que la partie la plus intéressante se trouverait sur l'île mais autant explorer tout ce qui pouvait l'être avant de se jeter à l'eau au sens propre.

Le pourtour de la caverne était majoritairement rocheux. Du moins, sa partie émergée : le reste, peut-être sablonneux, était recouvert par les eaux. Creuser serait donc impossible. En revanche, il n'y avait qu'à se pencher pour ramasser moult débris apportés ici par la marée, en particulier du bois flotté.
C'est ce que les deux explorateurs constatèrent en progression. Et ils le purent un certain temps car, s'ils croisèrent des ravines inondées, ils furent en mesure de les franchir d'un bond sans mal aucun. En revanche, vint un moment où s'en présenta une particulièrement large : pour la franchir, impossible de faire autrement que de nager.

Chandara commença à réunir une petite brassée de bois blanc et sec en expliquant à son petit protégé que cette grotte vaste et aérée ferait parfaitement l'affaire pour implanter un petit bivouac temporaire. Certes, la nourriture qu'ils avaient emportée pour le repas de midi n'avait aucun besoin d'être cuite mais il serait bien plus agréable de manger autour d'un feu pour les réchauffer un peu et surtout les sécher, eux et leurs vêtements. Dès lors, et étant donné qu'il resterait encore un peu de temps avant de manger, ils pourraient explorer sans crainte les passages les forçant à nager un peu puis venir se replier auprès de leur foyer.

Quentin ne se fit pas prier pour l'aider, si bien qu'ils parvinrent rapidement à réunir une bonne quantité de bois flotté.
Quand Chandara la jugea suffisante, ils reprirent leurs pérégrinations qui, cette fois, furent entrecoupées de brèves séances de natation. Une grosse demi-heure plus tard, ils avaient achevé de faire le tour de la caverne : s'ils n'avaient rien découvert de spectaculaire, ils savaient désormais que celle-ci ne comptait aucune issue en dehors de celle qu'ils avaient ouverte pour entrer
Leur exploration, toutefois, n'était point encore achevée : il leur restait à visiter l'ilot.

Mais Chandara entendait bien laisser cette dernière découverte pour le début d'après-midi : l'heure était maintenant à apprécier un bon repas autour d'une légère flambée. La paladine se paya le luxe d'étaler une nappe de tissu au sol pour qu'ils puissent s'y asseoir plus confortablement puis disposa les vivres qu'elle avait pris soin d'emporter dans son sac étanche : une demi miche de pain frais, plusieurs sortes de fromage et un saucisson appétissant. Avec cela, elle avait emporté un alléchant et prometteur nectar à base de poire. Avant de se mettre à "table", elle étendit sa tunique non loin du petit foyer et setourna vers Quentin pour lui conseiller de laisser ses propres vêtements à sécher. Ainsi, après le repas, ils pourraient nager jusqu'à l'îlot et le retrouver bien sec ! Y avait-il une légère trace de malice dans le sourire qu'elle lui adressa après cette proposition ? Non, les paladins n'étaient pas connus pour cela.

Quentin la remercia avec politesse et même emphase pour son conseil mais... se garda bien de l'appliquer.
Au lieu de cela, il s'assit et se mit à commenter leur repas, le cadre dans lequel ils le prenaient, l'exploration dans son ensemble... Sa volubilité était-elle une manière de noyer le poisson ?
Ce qui était certain, c'est qu'il avait grand faim.

Chandara avait largement prévu de quoi sustenter le plus solide des appétits et elle devait bien reconnaître que l'exploration entrecoupée de séances de nage l'avait elle-même affamée. Elle encouragea la conversation en partageant ses propres impressions mais sans perdre de vue sa proposition : elle se sentait responsable de l'enfant qui avait accepté de la suivre et le laisser prendre froid par négligence ne faisait très certainement pas partie de ses intentions. Pour l'heure, il n'y avait pas d'urgence car les vêtements séchaient aussi bien sur lui que sur une pierre auprès du feu mais la donne changerait au moment d'effectuer la traversée vers le dernier îlot restant à explorer. Et si les arguments mystiques - cette expédition était placée sous l'égide de Sunie - ne suffisaient pas, elle espérait faire appel à la logique et au confort.

Mais Quentin savait se montrer têtu. Et le pire, c'était qu'entre son sourire désarmant, son impeccable politesse et son humour qui faisait ouche, il parvenait à faire en sorte qu'on songe à tout sauf à lui en vouloir. Ainsi, lorsque Chandara revint à la charge, avança-t-il quelques prétextes des plus farfelus avant d'arguer, plus sérieux, qu'elle ne devait pas s'en faire pour lui : les voyages l'avaient endurcis, aupoint qu'il avait déjà cheminé des jours durant sous la pluie sans jamais tomber malade.

Elle avait trouvé à qui parler mais Chandara savait aussi se montrer patiente et persévérante : visiblement, Quentin souffrait du même complexe que la plupart des non Sunites vis-à-vis de la nudité et elle était bien placée pour savoir que mieux valait ne pas brusquer ce genre de choses. Cela demandait du temps, de la confiance et les bonnes circonstances. En somme, elle était décidée à attendre que l'idée fasse son chemin. Elle-même n'ayant évidemment pas de problème particulier avec l'idée de déambuler nue, c'est ainsi qu'elle s'apprêta à reprendre l'exploration après avoir soigneusement rangé les restes de leur repas et la nappe qui leur avait servie.

Ils en furent donc quittes pour une nouvelle séance de natation, dans des eaux moins calmes mais aussi un peu moins fraiches que celles du lac souterrain. Ce fut une affaire rondement menée et, déjà, ils prenaient pied sur l'îlot.
Il devait s'agir du sommet d'un énorme rocher. Au-delà du bord relativement plat sur lequel ils se tenaient, il s'élevait en tout cas à une hauteur de plusieurs mètres, selon une pente si raide qu'elle en était presque verticale, si bien qu'en tenter l'escalade aurait été par trop hasardeux.
Néanmoins, peut-être suffisait-il d'en longer le bord pour trouver un passage...

Les rochers étaient humides et donc glissants en plus d'être escarpés. Chandara prit donc sur elle de partir la première pour tenter d'en faire le tour tout en restant au niveau de la mer. Au pire, si un passage s'avérait trop risqué, elle demanderait à Quentin de continuer à l'éclairer pendant qu'elle continuerait le tour de l'îlot à la nage. Mais cette technique avait ses limites et le risque de s'écorcher sur des rochers affleurant était palpable aussi préférait-elle tâter prudemment le terrain, comptant sur son sens de l'équilibre et ses réflexes.

L'opération fut moins dangereuse et surtout moins difficile qu'elle ne l'avait craint : hormis quelques passages où il fallut un peu crapahuter et jouer les équilibristes, ce fut même relativement rapide pour elle-même comme pour son jeune compagnon d'aventure.
En parvenant de l'autre côté de l'îlot - celui faisant directement face à l'amoncellement de rochers scellant la caverne -, ils y découvrirent une manière de petite crique : là, tirés hors d'atteinte des vagues, achevaient de pourrir les restes d'une barque. Plus loin, il y avait non pas un sentier permettant de gravir la petite éminence mais une fissure menant à l'intérieur...

La présence de la barque venait confirmer les rumeurs dont lui avait parlé Quentin : sans doute cette grotte à demi submergée et l'îlot avait-ils servis de cache pour des contrebandiers ayant souhaité éviter les douanes du port de Bordeleaux. Dans tous les cas, il n'y avait qu'un moyen de le découvrir et la voie semblait toute tracée : se glisser dans la fissure et déterminer ce qu'elle dissimulait. Encore une fois, Chandara choisit de passer la première, attentive aux risques d'effondrement de la structure.

Mais que l'ouverture ait été creusée par l'homme ou par les éléments, l'ensemble semblait parfaitement stable.
Chandara, Quentin sur les talons, se faufila donc le long d'un passage étroit, tortueux mais praticable. Une quinzaine de mètres plus loin, cependant, sa progression fut stoppée par une porte close.
Peut-être était-elle verouillée... Mais même si c'était le cas, son aspect vermoulu et pourrissant disait assez qu'elle ne résisterait guère au cas où il soit nécessaire de la forcer.
-Bon ben plus de doute, on a trouvé quelque chose ! dit joyeusement le petit musicien.

La jeune femme partageait l'enthousiasme du jeune garçon : la présence d'une porte après ce passage déjà plutôt dissimulé indiquait que quelqu'un avait eu à y cacher quelque-chose. Il restait à espérer que ce soit encore le cas et que ce qui avait été entreposé ici n'avait pas été récupéré avant leur arrivée. Dans tous les cas, il n'y avait qu'un moyen de vérifier ces hypothèses : ouvrir la porte. C'est ce que la paladine entreprit de faire non sans avoir vérifié si la porte ne lui semblait pas piégée d'une façon ou d'une autre. La paladine demanderait, par prudence, à Quentin de s'écarter un peu au moment de tenter l'ouverture.

Quentin leva les yeux au ciel - il semblait bien aimer cette mimique - mais ne protesta pas et s'écarta.
La précaution s'avéra toutefois inutile : la porte n'était pas fermée, encore moins piégée.
Au-delà s'étendait une grotte dont les dimensions équivalaient à celles d'une salle de bonne taille. Et ladite grotte avait été quelque peu aménagée : Chandara repéra une table, des bancs, des tonneaux, des couchettes...

Plus qu’un lieu de stockage comme elle l’avait d’abord envisagé, il s’agissait donc d’un refuge. La jeune femme jeta un œil aux couchettes pour déterminer si elles avaient été utilisées récemment ou non. Ensuite, elle lâcherait la bride à son jeune compagnon pour lui permettre de fouiller et d’explorer la salle comme il l’entendait. Ils ne feraient peut-être pas de découvertes fracassantes mais l’inspection des lieux révélerait sans doute l’usage qui en avait été fait. Et qui savait si tel ou tel meuble ne contiendrait pas quelque objet digne de leur intérêt ?

Les lieux n'avaient pas été utilisés depuis longtemps. Depuis très longtemps, même : l'air sentait le renfermé, l'humidité, le bois en train de pourrir.
Toutefois, l'une des couchettes était encore occupée, se rendirent-ils bientôt compte.
Par... un squelette.
-Il a même un bandeau sur l’œil ! commenta Quentin, pas particulièrement effrayé.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Ce que les vagues ne sauraient effacer