La Couronne de Cuivre

Astrée lâcha un soupir.
" Je comprends..."
Elle ne chercha pas à épiloguer sur sa désobéissance : ils n'étaient pas en guerre, ni dans une situation d'urgence, et elle n'était pas soldat, donc elle n'avait a priori pas à obéir aveuglément à des ordres. Cela ne lui aurait pas convenu.

Elle revint vers le lit, et s'y assit, soudain lasse. Elle mesurait tout ce qui les séparait, et avait conscience qu'elle ne serait jamais à la hauteur. Comment adoucir son exil, lui faire apprécier certains côtés des humains, alors qu'il les détestait ? Quant à se faire apprécier, elle, de lui... c'était peine perdue.
Elle préféra dévier la conversation.
" Et... est-ce que c'est trop indiscret de te demander ce qu'est que cet oeuf ?"

" C'est un message des miens, dit-il. Mais sans vouloir t'offenser, c'est un message dont je prendrai connaissance en privé."
Il regarda dans sa direction.
" Je suis désolé si mes propos t'ont blessée, Astrée. Mais je t'avais prévenue que me raconter n'était pas forcément une bonne idée. Je n'ai pas d'animosité envers toi... ou envers Eyri ou Kalju ou Mathieu, que sais-je. Je sais que tu crois beaucoup en la... variété de vos existences. Et sans doute as-tu raison. Mais comme de nombreux feys d'un certain statut, je suis régi par des principes rigides. M'adapter, c'est chose impossible. Je m'y efforce, mais... je suis tel que je suis depuis des temps immémoriaux... même si le Plan Matériel me fait glisser, c'est imperceptible."

Elle haussa les épaules.
" Tu es ce que tu es... Et je ne te reproche rien. Moi, je te trouve très bien comme tu es."
Elle sourit avec douceur.
"Et puis, tu as atterri sur l'île des secondes chances, en quelque sorte. Il y a ici des principes et une civilisation plutôt ouverte. Tu réussiras peut-être à y trouver un équilibre. Je l'espère sincèrement..."
Elle songea que sa solitude devait être terrible. Si seulement il voulait se laisser approcher... Combien de mois ou d'années faudrait-il pour apprivoiser un être immortel?

Il eut un sourire contraint.
" Je vais accepter la proposition de Raevan, dit-il. Je ne sais pas si cela va marcher mais... Il a raison de penser que je suis en quête de sens. Ma vie n'a actuellement aucune finalité, et c'est peut-être plus douloureux encore que la distance qui existe entre moi et mes proches. Je sais que je rentrerai, mais le temps... même pour un être de ma longévité... reste un temps à vivre. Je ne peux pas juste hiberner. Raevan me donne une possibilité de mettre fin à mon errance. Je vais la saisir, ça ne me coûte rien."

" Je pense aussi que tu as besoin de donner un sens à ce temps d'éloignement. Tu ne peux pas juste subir. Il faut que tu puisses faire quelque chose de ta vie ici. Que ce soit travailler pour Lumenis, ou autre chose.... c'est à toi de décider. Et Raevan est quelqu'un de bien, je pense..."
Elle soupira. Oui, c'était certainement mieux pour lui. Au fond, Mathieu avait raison de lui faire remarquer qu'elle devrait souhaiter qu'ils rentrent le plus tard possible.
" Bon, mais ça veut dire qu'une fois qu'ils seront rentrés, tu vas être happé dans leur vie de secrets et de dissimulation. Il me reste peu de temps pour profiter de ta compagnie," conclut-elle avec un sourire un peu forcé.
C'était sans doute... trop sincère.

Il la dévisagea en secouant la tête.
" J'ai du mal à croire que toi, d'entre tous, aies envie de profiter de ma compagnie, dit-il, tout aussi frontal. Je ne suis pas particulièrement porté sur le badinage, ni sur les élans du coeur, ni sur... les yétis et la montagne enneigée."
Il eut ensuite un léger sourire.
" Mais si tu as besoin d'une escorte jusqu'au village de Kalju, ça, je peux faire."

Elle resta de marbre, sentant ses bien maigres espoirs se dissoudre comme neige au soleil. Mais sa dernière phrase comportait une ouverture, et elle s'en saisit.
" Et bien... J'avoue que ce ne serait pas de refus. Je sais que la route qui va vers Nauru n'est pas très sûre, et elle l'est probablement encore moins en hiver. On m'avait déconseillée de la prendre seule, à l'aller. Et la région où se trouve le village de Kalju semble aussi comporter quelques dangers..."
Il pouvait imaginer qu'elle avait juste envie d'une escorte et pas de sa compagnie, s'il préférait cela. Elle verrait bien en cours de route comment les choses évolueraient, ou non. Son objectif premier devait être de lui rendre son séjour moins désagréable, au moins pendant quelques jours.
" Bref... même moi qui n'aime pas, en général, être escortée, je me dis que ce pourrait être une bonne chose. Et je déteste voyager avec un inconnu... alors qu'avec toi, ce sera un plaisir."

Il la gratifia d'une grimace teintée de scepticisme mais aussi d'un certain amusement.
" On verra si tu diras encore ça après trois jours. Mais je vais être magnanime, je ne vais y assortir aucune condition. Et si ma compagnie t'insupporte, je m'en irai."
Il alla se resservir une tasse de thé et lui en proposa.
" Nous pouvons partir quand tu le désires. Je devrai juste passer à la guilde des montagnards pour les prévenir de mes intentions, même si Kaljivahu pourrait décider de renvoyer Raevan et Mathieu juste sous nos pieds."

Revenir sur une discussion pragmatique était beaucoup plus confortable, et elle acquiesça, tout en acceptant avec reconnaissance la tasse de thé.
" Avant de partir, j'ai besoin de renouveler un peu mon matériel. Il faut quelques provisions, je n'ai presque plus de flèches et j'ai offert mon écharpe à un jeune et fougueux fey nommé Aranmil..."
Elle s'interrompit, se souvenant que les illithids l'avaient dépouillée de son sac et de son manteau, où se trouvait sa bourse. Et ils n'étaient jamais retourné dans l'abri qu'ils avaient occupé à leur arrivée dans les ruines, où elle avait laissé une partie de ses affaires. Il devait lui rester quelques pièces au fond des poches. De quoi se payer un repas et une nuit à l'auberge, certainement... mais guère plus.
" Hum... En fait, je crois que je vais avoir un petit souci logistique, avoua-t-elle avec une grimace. Tu crois que la guilde acceptera de me prêter ce dont j'ai besoin ? Je n'ai presque plus d'argent, j'ai tout perdu là-bas..."

A la mention d'Aranmil, Dimitri avait tiqué, très légèrement, mais sans interrompre la jeune femme. Quand elle eut terminé, il haussa les épaules.
" Je suis sûr que la guilde des montagnards te remerciera de tes services. Ils ne roulent pas sur l'or, mais ils sont honnêtes, et tu mérites rétribution pour ce que tu as fait. Au pire, je te dépannerai. Ils ont peut-être ramené une partie de ton matériel, s'ils l'ont trouvé dans les ruines... mais vu la manière dont nous avons dû évacuer en catastrophe... Je n'y compterais pas trop."

" Oh, ce n'est pas grave. La seule chose pour laquelle j'avais un attachement particulier était mon arc, mais il est définitivement perdu... "
C'était l'arc de la trouée offert par Reynald. Elle n'aurait jamais les moyens de s'en offrir un aussi beau... Et aurait l'impression de gaspiller son argent si un jour elle s'y autorisait. Et puis, il y avait l'attachement sentimental. Le genre de chose que Dimitri ne pouvait pas comprendre...
A la réflexion, il y avait également la sacoche à herbes offerte pas Kasumi. C'était moins important, décida-t-elle.
Elle haussa les épaules et sourit.
" Et donc... Tu connais Aranmil ?"
Elle leva les mains en signe de défense.
" On n'est pas obligés d'en parler tout de suite si tu n'as pas envie.... On a quelques jours de voyage devant nous pour ça. Et je pense que tu as hâte de prendre connaissance des nouvelles que tu as reçues..."

" Je n'aurai pas davantage envie d'en parler dans deux jours, dit-il avec une certaine mauvaise humeur. C'est le fils d'un abruti, voilà tout. Mais ce n'est pas important. Je connais tout le monde, Astrée. Je connais Kalji, et le roi Obéron, et le Prince du Crépuscule, la Dame des Cygnes, le Chapelier, la Reine de la Nuit, le Seigneur Chêne, Flèche, le Prince des Pipeaux, le Maître de Chasse, Frère Boeuf, la Sorcière Grenouille et l'Homme-Pluie, et des centaines d'autres encore. Je suis prêt à t'accompagner, mais pas si tu m'obliges sans cesse à revenir à eux. Je n'en ai pas la force. Tu dois l'accepter. Tu es curieuse mais tu n'es pas cruelle."

Astrée leva les mains, à nouveau, avec une expression contrite.
" D'accord... D'accord. Je comprends très bien. Je suis désolée, je ne voulais pas..."
Elle secoua la tête et lâcha un soupir.
" J'ai croisé plusieurs de ces feys... et je partage totalement ton opinion sur le père d'Aranmil. Mais je ne t'en parlerai pas, c'est compris. Ne te fais pas de soucis."
Et pourtant, elle aurait voulu parler de Féérie, en apprendre davantage sur ce monde. Mais ça aurait été maladroit : elle ne voulait pas raviver des souvenirs douloureux.
Elle reprit sa tasse de thé et but les dernières gorgées, songeant qu'il valait mieux le laisser seul.

Il relâcha sa respiration.
" Tablons sur un départ demain matin, si la route n'est pas trop mauvaise. Tu connais la Bonne Etoile, c'est l'auberge du coin... Ce n'est pas non plus le grand luxe, mais au moins il y a des lits, ce qui n'est pas gagné partout dans cet endroit. Je m'occuperai du ravitaillement, charge-toi de récupérer tes affaires et des vêtements. Il va faire froid."

Elle acquiesça.
" D'accord, faisons comme ça..."
Elle se leva, posa sa tasse vide, attrapa un dernier petit gâteau sur la table -car mine de rien, son dernier repas lui semblait remonter à une éternité.... et ce n'était pas qu'une impression.
" Tu veux que je passe te prendre ici, ou tu me retrouves à l'auberge ?"

" Je te retrouverai à l'auberge. Le soleil se lève tard et nous ne partirons pas avant l'aube... Tu as le temps de te reposer."
Il se leva et la raccompagna jusqu'à la porte.
" Si tu changes d'avis concernant ma compagnie, je n'en prendrai pas ombrage, alors... N'hésite pas. La nuit porte conseil. Je ne suis pas le plus drôle des compagnons de route."

Astrée secoua la tête.
" Dimitri... J'ai l'habitude de n'avoir personne avec moi, je voyage seule. Je ne crois pas que tu sois pire que la solitude totale, même si tu décides de ne pas prononcer un mot de tout le voyage. Et puis, la route est réellement dangereuse... Et je n'accepterai pas un autre compagnon de route que toi. Toi, au moins, je te connais, je sais que je peux avoir confiance et que tu n'es pas désagréable, contrairement à ce que tu prétends."
Elle l'avait trouvé plutôt prévenant lors de leur expédition vers les ruines. Taiseux, froid et efficace... mais prévenant. Et Kaljivahu semblait penser qu'elle pouvait peut-être l'aider un peu... Elle devait au moins essayer.
Elle plongea son regard dans le sien.
" Mais si toi, tu ne veux pas m'accompagner, si tu as peur de ne pas supporter la compagnie d'une humaine trop chaotique... Tu as le droit de renoncer. Je ne t'en voudrai pas..."
Il lui sembla que sa voix s'étranglait très légèrement sur ces derniers morts, et elle espéra qu'il ne s'en rendait pas compte. Elle se détourna, et poussa la porte.

" Je ne te l'aurais pas proposé si je n'étais pas prêt à le faire, dit-il simplement. Et une fois que je m'engage, je vais au bout des choses. Je t'escorterai jusqu'au village de Kalju. Aussi insupportable sois-tu."
Il avait adouci ce dernier commentaire d'un sourire, puis attendit qu'elle veuille bien s'en aller.

Elle lui rendit son sourire, sans se formaliser de sa remarque, et sortit dans le froid. Elle songea qu'il avait besoin d'être seul, d'entendre les nouvelles de sa famille, de ses proches. Avoir parlé de Féérie avait dû remuer des souvenirs... et ce devait être chargé en émotions.
Elle se retrouva dans la rue, sous la neige, à soupirer. Elle prit machinalement la direction de l'auberge de la Belle Etoile : il lui fallait réserver une chambre avant de retourner à la guilde des montagnards.

Elle marchait sans vraiment regarder autour d'elle, l'esprit ailleurs, se demandant ce qu'elle attendait réellement de tout cela. Si toutefois elle attendait quelque chose. Mais elle était fatiguée, la journée avait été terriblement longue et n'était pas terminée. Elle se sentait incapable de réfléchir. Elle allait se contenter d'organiser les choses, et de laisser décanter. Et puis, elle n'avait pas menti : avoir quelqu'un pour l'escorter dans ce voyage était préférable. Si en plus ils parvenaient à en faire un moment agréable, ce serait encore mieux... quel que soit le sens qu'ils mettraient derrière ce mot. Et si elle pouvait adoucir sa solitude un moment, ce serait parfait. Il ne fallait pas essayer de voir au-delà de ce souhait tout simple.

Astrée reconnut aisément l'auberge où elle était restée avec Félicie, Eyri et Kalju. Son sapin était désormais couvert de neige, et on l'avait décoré de rubans et de pommes de pin colorées, ce qui lui donnait un petit air de fête. La salle obscure qui avait été fraîche pendant les chaleurs estivales était désormais chaleureuse, agrémentée d'un âtre rugissant. C'était la mi-journée et on était en train de servir le repas à moins de dix personnes. Sans doute l'hiver faisait-il de Belred Luyn une destination encore moins courue que l'été. Il restait donc largement de la place si Astrée voulait s'installer. Le jeune homme au comptoir était le même que celui qu'elle avait vu la première fois qu'elle était venue et sans doute pourrait-elle négocier une chambre en même temps que son repas.

A la réflexion, le choix de l'auberge n'était pas idéal : le souvenir de Kalju lui revint en mémoire aussitôt qu'elle en franchit le seuil, aggravant sensiblement la mélancolie de son humeur. Si Dimitri ne lui avait pas conseillé cette auberge, s'ils n'avaient pas rendez-vous le lendemain matin, elle aurait probablement fait demi-tour et cherché autre chose.
Mais elle se dirigea bravement vers le comptoir, se souvenant que le jeune homme, une éternité plus tôt, lui avait transmis le message de Mathieu, qui l'y avait précédée et était parti pour les mines. Elle se demanda, furtivement, si le jeune agent était venu dans la région simplement pour ouvrir les yeux et les oreilles à la recherche d'ithilliens, ou s'il avait déjà prévu d'enquêter sur Dimitri qui leur aurait été signalé par un quelconque rapport. Elle ne le lui avait pas demandé... et ça n'avait pas d'importance. Elle avait très vite décidé qu'elle n'avait pas envie de trahir les secrets du mercenaire si toutefois elle les découvrait seule. Ce qu'elle n'avait eu aucune chance de réussir à faire, elle le savait désormais.

Elle sourit poliment au jeune homme.
" Bonjour... Est-ce qu'il est possible de réserver une chambre pour la nuit ? Et aussi de manger quelque chose..."

" Bien sûr, dame, dit le jeune homme avec un sourire. Il nous reste des chambres... à tous les étages... et dès que vous serez installée, je vous apporte la carte. Je dois juste vous prévenir qu'on a de la musique, ce soir... alors si vous n'avez pas l'intention de danser, il vaut mieux choisir les chambres d'en haut. Vous y serez tranquille."

" Je vais monter en hauteur, alors. Merci. Je ne crois pas que je serai suffisamment en forme pour danser."
Le petit matin était incroyablement loin. Elle s'était réveillée dans les nids des fées-cygnes. Et il s'était passé tant d'événements chargés en émotion, depuis, qu'elle avait l'impression qu'il y avait déjà deux jours de cela. Peut-être qu'elle devrait envisager une sieste... Enfin, à condition de réussir à se réveiller avant que tout ne ferme en ville.

Elle monta les marches sans grand enthousiasme, trop fatiguée pour apprécier pleinement le décor. Elle n'avait pas grand-chose à déposer dans sa chambre, en-dehors de son manteau, de son arc et d'une demi-douzaine de flèches : le sac récupéré dans le matériel des services secrets luméniens ne contenait pas grand-chose, et c'était un peu inquiétant d'être aussi démunie à la veille d'une expédition de ce genre. Il y avait bien la sacoche médicinale offerte par Maitre Catus, mais elle avait dû être détruite lorsqu'elle était revenue dans le monde matériel. Elle se demandait si la robe de soirée avait survécu au voyage, elle.

Elle déballa le peu qu'elle avait, pour faire sécher ce qui avait pu prendre l'eau sous la neige, et redescendit aussitôt. Manger lui ferait le plus grand bien.

La robe de soirée et la sacoche avaient survécu au voyage, mais pas le contenu de cette dernière. Il lui restait donc deux souvenirs des lieux, peut-être pas aussi magiques qu'elle ait pu les espérer, mais ce n'était pas complètement rien. Au rez de chaussée, elle trouva facilement une table tranquille et le jeune homme lui proposa divers plats de gibier à poils, à plumes ou même du poisson de la rivière toute proche. L'ambiance était agréable dans la salle mais un grand coup de froid saisissait tous les convives chaque fois que quelqu'un ouvrait la porte — heureusement rarement.

Elle refusa le poisson, ayant eu sa dose de crevettes et autres délices d'eau douce. Le gibier lui convenait mieux, et elle prit le temps de le savourer... en apparence du moins, car en réalité, elle avait l'esprit ailleurs. Elle se sentait... décalée. Les souvenirs de ses aventures en Féérie tourbillonnaient dans son esprit, de façon erratique et volatile, sans qu'elle puisse s'arrêter sur l'un d'eux en particulier. Elle avait des difficultés à reprendre pied dans la réalité du monde matériel. Elle savait qu'elle avait un dernier devoir à accomplir concernant Kalju, mais elle détestait cette perspective. Elle décida qu'elle avait surtout besoin de se reposer : leur séjour chez la Guérisseuse avait été chargé en émotions.
Elle opta pour une courte sieste : elle avait beaucoup à faire pour se rééquiper un minimum, et Dimitri n'apprécierait pas qu'elle ne soit pas prête à l'heure dite. Elle songea en souriant qu'elle finirait peut-être par le haïr...
Par acquis de conscience, elle demanda au jeune serveur s'il accepterait de venir toquer à sa porte si toutefois elle n'était pas redescendue d'ici une heure.

Il fallut effectivement qu'on vienne la réveiller pour qu'elle émerge. Elle se sentait vaseuse, peu reposée, sans doute une heure était-elle trop courte pour vraiment être efficace. Elle n'avait aucun souvenir d'avoir rêvé. Au dehors, la neige tombait paresseusement, couvrant la petite cité éclatée de blancheur. Il faisait toujours très clair, sans doute très froid, mais les elfes étaient nombreux à l'extérieur, signe que c'était encore la pleine journée. Tous les bâtiments fréquentés par les voyageurs se tenaient dans un mouchoir de poche, aussi ne lui faudrait-il que quelques minutes pour rejoindre la guilde.

Elle sortit dans la neige, clignant des yeux. Le froid la saisit, stimulant, et elle chercha du regard les montagnes, par instinct. Après tout, cela avait été sa destination... même si après tout ce qu'elle avait vécu, les yétis lui paraissaient d'un intérêt bien dérisoire. Peut-être se renseignerait-elle plutôt sur ce qui peuplait la région où vivait Kalju : Avec Dimitri pour la protéger, elle ne risquait rien, non ? Même s'il refuserait certainement d'aller explorer un endroit dangereux juste par curiosité.
Quoiqu'il en soit, c'était à l'heure présente le cadet de ses soucis. Elle avait un devoir à accomplir, et elle allait s'y atteler de son mieux.
Elle poussa la porte de la guilde d'un pas décidé, avec tout de même une petite appréhension. Elle détestait demander l’aumône, se faisant généralement une fierté de se débrouiller entièrement seule. Mais après tout, elle pourrait les rembourser...

Le même homme que d'habitude s'y trouvait ainsi que Caleb. Tous deux annotaient une carte ouverte sur la table, qui semblait représenter la région du champ de fouilles. Ils accueillirent Astrée d'un large sourire et le premier homme alla mettre une bouilloire sur le feu.
" Je n'ai pas eu le temps de te saluer ce matin, dit Caleb. Je suis heureux de voir que tu es revenue en un seul morceau. Quand nous avons découvert que vous aviez disparu, ça a été un peu la panique... mais Dimitri avait laissé un message... "
Il pinça les lèvres.
" On avait des ordres stricts de ne pas descendre vous chercher... mais je suis vraiment heureux que vous n'en ayez pas tenu compte. Même si je ne devrais pas le dire trop fort."

Astrée acquiesça.
" On a surtout de la chance que Dimitri nous ait accompagnés. Sans lui, on n'avait aucune chance...", fit-elle gravement.
Elle songea qu'en les accompagnant, il avait lui aussi désobéi aux ordres... mais, tout comme elle, il n'avait pas de rapport de subordination aux autorités à ce moment-là. C'était tout de même signe qu'il n'était pas si rigide que ça sur ses principes.
" Il faudra remercier Mathieu pour son insubordination, finalement, conclut-elle avec un clin d'oeil. Bon, mais je ne crois pas que K...Raevan ait envie de l'encourager sur cette voie..."
Elle s'était approchée de la carte, intriguée, cherchant à comprendre ce qu'elle représentait.

Elle représentait bien le site de fouilles, mais Caleb et son collègue étaient en train d'en dessiner une nouvelle. Il y avait plusieurs notes sur l'ancienne ainsi que plusieurs parchemins un peu froissés éparpillés un peu partout. Le rôdeur suivit le regard de la druidesse.
" Avec l'effondrement du site, le coin a changé, expliqua-t-il. On essaie de mettre nos données à jour. Il faudra remonter au printemps, le terrain est impraticable aujourd'hui, mais on a déjà pas mal de notes..."
Le premier homme leur servit du thé.
" Il n'est pas impossible que toute cette zone bouge encore un rien, mais on n'a pas détecté de perturbations récentes. Tant que personne n'y retourne à l'explosif, ça devrait aller."
Les deux hommes échangèrent un regard entendu.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Belred Luyn