La Couronne de Cuivre

Le petit garçon mit les mains sur les hanches et son expression se fit boudeuse.
" Pourquoi, au juste ?" demanda-t-il.

-Parce que tu ne pourras pas passer toute ta vie à la ferme ou dans ses environs. Parce qu'il est temps que tu apprivoises à nouveau le monde extérieur, que tu puisses constater, de tes propres yeux, qu'il n'est pas empli que de menaces.
Il sourit.
-Essaie d'examiner les choses objectivement, d'accord ? Nous demeurerons sur Helonna, une île globalement assez paisible. Mieux, nous irons dans l'une de ses régions les plus féérique, la seule, peut-être, où il subsiste des licornes. Nous étudierons des ruines qu'un jeune homme a pu découvrir et observer sans qu'aucun mal ne lui advienne. Et du début à la fin du voyage, je serai là, prêt à te protéger si quoi que ce soit de fâcheux devait se produire.
Il se fit grave.
-Baptiste... Galathée et moi vous aimons, toi et Victor. Pense-tu que j'envisagerais de vous emmener et qu'elle me laisserait faire si nous pensions le périple périlleux ? Même Tim a suggéré que vous veniez, c'est te dire...

Il parut stupéfait, puis presque vexé.
" Alors vous croyez que... je ne veux pas venir parce que j'ai peur ? C'est ça ? Vous imaginez que je suis traumatisé et que je ne me sens en sécurité que dans le périmètre de la ferme ?"
Sa voix craqua.
" Et si c'était simplement parce que ça ne m'intéresse pas, de crapahuter sur les routes ? Parce que j'ai envie... de passer du temps à la ferme ? De m'occuper des bébés ou de la cuisine ?"

Ce fut au tour du barde d'être décontenancé. Il sentit sa détermination vaciller et posa une main réconfortante sur l'épaule du gamin.
-C'est vraiment pour cela que tu ne veux pas venir, Baptiste ?
Il chercha son regard.
-Vraiment et uniquement pour cela ?

Il mentait, c'était manifeste, et il ne put soutenir longtemps le regard du barde. Des larmes perlèrent au coin de ses yeux, il se détourna, mais ne se déroba pas, demeura de marbre, sans chercher ni à fuir, ni à se rapprocher de l'elfe. Il finit par passer un bras sur son visage, pour effacer l'eau qui lui brouillait le regard.
" Très bien, je viendrai, dit-il simplement d'une voix sourde. Mais ne t'attends pas à ce que je caracole comme Victor. Ce n'est pas mon genre."

-Je sais.
Il lui serra doucement l'épaule.
-Je suis désolé de t'obliger à venir, mon grand. Vraiment. Mais crois bien que je ne le ferais pas si Galathée et moi n'étions pas sincèrement et pleinement convaincus que c'est pour ton bien.

" C'est bon, pas la peine d'en remettre une couche." grommela le gosse en s'écartant, cette fois.
Il ne se dirigea pas vers la ferme mais bien vers le jardin, et au-delà, le bois, sans doute. Il faisait très sombre mais le domaine était sans danger et la lumière émanant du corps de logis suffisait à diffuser une lueur ténue sur les alentours. Baptiste trouverait sans peine son chemin dans les sentiers et il avait probablement besoin d'être un peu seul.

Quant à l'elfe, il n'avait pas l'intention de lui imposer sa présence.
Mal à l'aise, attristé, presque, il regagna les abords de la maison pour y fumer la pipe et essayer de s'apaiser.
Même s'il n'aimait pas imposer... c'était parfois nécessaire, et en tant que parent, il devrait s'y faire.
Restait à espérer que le voyage se passe bien...

Galathée sortit un peu plus tard et s'assit à côté de lui. Elle lui tendit une tasse d'infusion, chassa la fumée de la pipe, et posa une main apaisante sur son genou.
" Ne te mets pas martel en tête. Il avait besoin que tu le lui imposes. Cela lui donne... une excuse pour lui-même. Il peut garder l'impression qu'il n'a pas volontairement pris de risques."
Elle posa la joue contre son épaule.
" Je te parie que demain, il fera le sombre, et qu'après-demain, quand vous partirez, sa curiosité prendra le dessus en moins d'une heure. Mais c'est un anxieux, et tu devras le garder à l'esprit, simplement."

-Oui...
Il passa un bras autour de ses épaules et la serra contre lui.
-J'ai juste la pression, maintenant; Si notre excursion se révèle plus dangereuse que nous ne le croyions, cela le renforcera dans ses craintes, dans son envie de passer les années à venir ici...

" Ou pas, dit la rôdeuse. Si vous rencontrez des écueils, que vous en triomphez, il pourrait au contraire reprendre confiance en lui et réaliser qu'il a la force de faire face. Un voyage sans le moindre pépin... serait presque décevant, à bien y réfléchir. Souviens-toi de notre tanière à blaireau... Baptiste a besoin de retrouver foi en son pouvoir d'agir sur le monde. Et pas seulement parce que tu le protèges. Bien sûr que tu dois le protéger, on s'entend..."
Elle sourit et se blottit contre lui.
" Mais tu feras tout bien, je le sais, et le reste se mettra tout naturellement. Les enfants t'adorent, et ça ne pourra qu'être bénéfique à tous les trois."

-Je croise les doigts pour que tout aille bien. Je suis certain que ce sera le cas, d'ailleurs, mais... j'espère que je serai à la hauteur. Ce n'est pas rien de les embarquer tous les deux pour une telle aventure...
Il eut un sourire rêveur.
-Vivement que les jumeaux soient assez grands pour que nous puissions faire ce genre d'expédition avec la famille au grand complet.

" Quand les jumeaux seront grands, le risque est que les garçons soient trop grands pour nous accompagner encore, dit-elle malicieusement. Tu devrais profiter de l'instant. Et ne te mets pas trop la pression : Victor et Baptiste sont autonomes, tous les deux. Vois ça comme un voyage d'agrément. Ce n'est pas très différent de ce que vous avez fait sur la côte à l'automne."
Elle se leva.
" Je vais doucement aller me coucher. Je dois me lever à l'aube de l'aube demain... Si tu vas chez le cordonnier, vérifie les bottes de Baptiste avant de partir, et les tiennes, surtout ! Je crois que vous devriez prendre Minuit, comme cheval. Mais il faut aussi faire contrôler sa ferrure et son harnachement, donc... Embarque-le à Pré-aux-Sources. Ça te fera une petite mise en selle !"

Il acquiesça.
-Visite chez le cordonnier et le maréchal-ferrant, bouclage des sacs, préparation de la première partie au moins de l'itinéraire, rédaction d'une lettre pour le temple de Tim... La journée de demain va être chargée !
Son sourire se fit mutin.
-Raison de plus pour que je te suive sans tarder, je crois...

Le lendemain matin, les oiseaux réveillèrent Taliesin exactement comme la veille. Après de fougueux débuts, la nuit avait été tranquille, et il n'avait pas entendu le coq chanter. Galathée était bien sûr en vadrouille, le murmure de conversations filtrait au travers des lattes du plancher, et une bonne odeur de pain chaud flottait dans l'air. Le barde pouvait rejoindre le groupe qui mangeait sous ses pieds... ou en profiter pour préparer son propre sac... Après tout, il ne savait pas exactement dans quel état étaient ses propres affaires, vu qu'il n'avait plus voyagé depuis longtemps, et qu'il lui fallait penser à tout le nécessaire...

Puisqu'il était sur place, puisque personne n'avait encore besoin de lui, pourquoi remettre à plus tard ce qu'il pouvait faire dès à présent ?
Voilà pourquoi il se lança dans les préparatifs, vérifiant d'abord l'état de ses bottes puis rassemblant plusieurs tenues de rechange. Il passa ensuite à l'examen de son arc et de son épée - parce qu'on n'est jamais assez prudent -, sortit le pipeau pour ne pas l'oublier - parce que deux précautions valent mieux qu'une - et, après réflexion, fit de même avec la harpe que Victor lui avait offerte.
Même s'il faudrait encore réunir des couvertures, des gourdes et autres objets indispensables aux voyageurs, c'était déjà un bon début et, lorsque son estomac se mit à protester à cause des bonnes odeurs émanant du rez-de-chaussée, il en prit la direction.

Il n'y restait plus personne, mais on lui avait laissé sa place et de quoi se sustenter. Il trouva cependant les jumeaux ainsi que Baptiste et Félix dans le jardin. Les deux garçons travaillaient à table, révisant leur arithmétique, tandis que les deux plus jeunes profitaient de l'espace protégé de leur parc ambulant. Les quatre autres garçons avaient été réquisitionnés par Guillhem pour ramasser du bois pour le fumoir et si on tendait bien l'oreille, on entendait les craquements de leurs pas résonner jusqu'à la la ferme.
" J'ai préparé mes affaires, dit Baptiste d'un air dégagé. J'ai juste ma veste qui a besoin d'être imperméabilisée mais Galathée a dit qu'elle s'en chargerait en rentrant."
Félix ne broncha pas : manifestement, le message était déjà passé.

-D'accord, répondit le barde.
Il ne s'était pas attendu à ce que le gamin aborde d'emblée le sujet mais... il n'allait pas s'en plaindre.
-De mon côté, je dois aller à Pré-aux-Sources aujourd'hui, pour faire réparer les bottes de Victor et vérifier les fers de Minuit. Alors si tu souhaites que je t'y prennes quelque chose, n'hésite pas à me le dire.

Il secoua la tête.
" Non, j'ai rien besoin, dit-il. Vérifie juste qu'on a les bons ustensiles de cuisine, peut-être ? Je sais qu'on ne va pas la jouer gastronomique, mais... y'a pas de raison de manger mal juste parce qu'on est en route, hein ?"
Il avait essayé de mettre un peu d'entrain dans ses paroles, mais Taliesin percevait l'aigreur tapie dans son timbre, réprimée.

-D'accord, nous emporterons de quoi cuisiner plus que sommairement. Mais j'ai également bon espoir que nous croisions quelques auberges réputées pour leur gastronomie, en cours de route.
Il lui dédia un sourire qu'il espérait apaisant puis s'en retourna à ses occupations. La journée risquait de passer vite, très vite, alors mieux valait ne pas se laisser surprendre...

Minuit était un hongre couloir d'encre, au tempérament tranquille, que Taliesin put panser puis harnacher dans l'écurie. Comme Galathée l'avait craint, sa selle montrait des signes d'usure, et si elle supporterait le barde sans peine jusqu'à Pré-aux-Sources, faire remplacer la sangle paraissait relativement urgent s'ils voulaient pouvoir le monter de temps en temps en cours de route. Difficile de juger de sa ferrure, l'elfe n'était pas expert, mais le maréchal-ferrant du village y remédierait.
Il put donc prendre la route moins d'une heure après son lever pour faire ses emplettes. Il emportait bien sûr la paire de bottes de Victor et la liste des choses dont il avait personnellement besoin. Comme il était seul, et que le cheval était plein d'énergie, il put franchir la distance beaucoup plus rapidement que la veille, à un petit galop agréable, évitant sans peine de déranger les autres voyageurs qu'il rencontrait.
Une fois à Pré-aux-Sources, il abandonna le cheval chez le maréchal-ferrant, qui faisait bourrellerie en sus, et put passer chez le cordonnier et à la forge, pour trouver une poêle de bonne qualité mais de taille plus modeste que ce qu'ils utilisaient à la ferme. Il réalisa par contre que trouver une bonne carte de l'endroit où il se rendait ne serait pas possible en pleine campagne : mais il y avait suffisamment de villes sur leurs parcours pour y remédier.

HRP : si ton barde n'a pas d'achats "spéciaux" à faire, tu peux le renvoyer à la ferme

Se concentrant sur l'essentiel - de même que la carte, ils pourraient se procurer le superflu sur le chemin -, Taliesin mit le cap sur la ferme sitôt toutes ses emplettes terminées. A nouveau, il peinait à réaliser que les préparatifs avançaient si bon train et que le départ serait probablement... pour le lendemain. D'un autre côté, lorsqu'une décision était prise, pourquoi tarder à l'appliquer ? Pour autant, puisqu'il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation, il profita du trajet de retour pour dresser une liste complémentaire des choses à emporter. Laquelle comprenait évidemment sa pipe et sa tabatière...

Il revint à temps pour le dîner. Baptiste avait commencé à écouler ses provisions spéciales en réalisant une préparation de galettes de sarrasin aux champignons divers qui ravit l'intégralité des convives, sauf Jehan qui n'aimait pas les champignons et qui le fit savoir en boudant. Guillhem finit par l'envoyer grommeler ailleurs, ulcéré par les humeurs du gamin, et la convivialité reprit le dessus.
Ce fut l'occasion pour Taliesin de rencontrer Flore, la fille du berger, qui prendrait désormais soin des jumeaux plusieurs jours par semaine. C'était une adolescente timide et rougissante, qui parut stupéfiée qu'un être aussi sublime que le barde daigne lui adresser la parole. Il comprit rapidement qu'il faisait mieux de ne pas trop lui parler s'il ne voulait pas qu'elle vire à l'écarlate à tout bout de champ. Mais elle semblait avoir un excellent contact avec les bébés qui ne lui témoignèrent aucune trace de cette fameuse peur des étrangers, typique de leur âge.
Galathée était rentrée de ses pérégrinations matinales et elle s'enquit du résultat de ses propres emplettes. Elle était prête à superviser leurs derniers préparatifs avec lui, s'il en avait le besoin.

Désireux de ne rien oublier et de passer le plus de temps possible avec son épouse, Taliesin accepta volontiers sa proposition. Songeant aux ruines qu'il leur faudrait examiner et dont il ne savait pas encore grand chose, il ajouta à leur paquetage un rouleau de corde et une lanterne - laquelle pourrait d'ailleurs être utile en bien d'autres occasions. Il prit également le temps de rédiger la lettre pour les confrères de Tim en leur temple d'Erhedun, histoire qu'ils lui fassent parvenir les notes de ce dernier.

Galathée s'assura qu'ils avaient de parchemin et de l'encre en suffisance, puis fit une rapide liste des onguents et potions de base dont ils avaient tout intérêt à être équipés. Rassurée sur le nombre et l'état des vêtements que Taliesin et Baptiste avaient sélectionnés pour le périple, elle aida le barde à faire des sacs équilibrés et fonctionnels. Ils n'eurent bien sûr pas besoin de l'après-midi entière pour terminer les paquetages et la rôdeuse proposa à l'elfe d'aller se promener. Après tout, ils avaient une nounou à demeure, les enfants étaient occupés, et dès le lendemain, ils seraient à nouveau séparés pour un certain temps. Elle l'entraîna tout de suite hors du domaine : la forêt voisine était magnifique en cette saison, et aussi généreuse soit la ferme, on en avait vite fait le tour...

Il marcha un moment à ses côtés, silencieux, profitant du décor et surtout de sa présence. Il regrettait vivement qu'elle ne puisse pas les accompagner mais essayait de se dire qu'un mois, ce n'était pas si long...
-Nous t'écrirons pour te donner des nouvelles et te tenir au courant de nos découvertes, dit-il enfin. Et comme Tim a indiqué dans sa lettre l'adresse où nous logerons... Tu pourras nous écrire aussi, si tu le souhaites.

" Ecrire, moi ?"
Elle rit joyeusement.
" Taliesin, je ne m'humilierai pas de la sorte."
Elle posa la tête contre son épaule tandis qu'ils marchaient.
" Mais je lirai vos missives avec grand plaisir, et vous saurez que je pense beaucoup à vous trois."

-Bien sûr.
D'un bras, il la serra contre lui.
-Mais j'aimerais bien, malgré tout, avoir de vos nouvelles... Au pire, tu peux embaucher l'un des enfants de Guilhem et lui dire que c'est un exercice imposé par son maître d'école...

" D'accord... Corrigez les fautes de cette lettre, j'imagine la chose... Mais ça m'obligera à être très factuelle."
Elle haussa les épaules.
" C'est mieux que rien, tu as raison."
Elle poussa un petit soupir.
" C'est important pour nous aussi, cette séparation, tu sais. Nous sommes comme Baptiste, inquiets, soupçonneux... Ça va nous faire du bien."

-Ah, je savais bien qu'au fond, tu me poussais à partir seulement pour profiter d'un mois entier de tranquillité !
Il sourit.
-Non, mais... je vois ce que tu veux dire. En ce qui me concerne, il est grand temps que je commence à m'attaquer au problème que me posent les au revoir.
Soupir.
-Ça va être rude mais tu as raison, c'est pour le mieux.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins