La Couronne de Cuivre

" C'est parfait. Ça me donne le temps de profiter de l'air frais, de rassembler mes notes et d'aller me laver. On peut se retrouver dans la chambre, sauf si vous avez un meilleur endroit pour discuter."
Il les laissa ensuite dans le couloir et gagna l'extérieur. Il espérait ne pas se retrouver coincé dans une bataille rangée, mais longer les murs devrait lui garantir une relative sécurité. Ensuite, il ferait comme il l'avait prévu : un peu de silence pour se rasséréner, un passage éclair dans le chariot, avant d'aller déposer le tout sur sa couche et récupérer sa seconde tenue, puis trempette, puis réunion.

Il put s'aérer sans encombre : certes, la marmaille s'en donnait à cœur joie, mais la cour était assez vaste pour qu'il y demeure des zones préservées, zones où les adultes se massaient, prudents. Il put ensuite mener à bien tout aussi paisiblement le reste de son programme et même profiter de thermes absolument déserts - ce qui ne durerait pas, puisque les clercs allaient sous peu y envoyer la jeune génération frigorifiée par ses batailles rangées. Enfin, il gagna la chambre où les trois instituteurs l'attendaient. S'ils s'étaient entrainés, ils n'en portaient aucun signe : il était donc probable qu'ils aient eux aussi choisi de bénéficier de la provisoir6e - et rare - tranquillité des bains.

Albérich déploya ses parchemins et mentionna d'emblée les manques : clercs, bardes, sans doute un ou deux magiciens, des apprentis soldats pour renforcer la garde, des apprentis lettrés pour préparer leur administration naissante, avec idéalement un gamin doué pour seconder Marthe dans les aspects judiciaires, et puis il mentionna les artisans qui n'avaient pas encore de relève en gestation. Il faudrait aussi du monde dans les champs et dans la mine, mais cela semblait prématuré, car il serait sans doute nécessaire de collectiviser le labeur dans un premier temps, s'ils voulaient subvenir à leurs besoins immédiats.

Les instituteurs lui présentèrent alors plus précisément les résultats de leurs premiers sondages. Une foule de gamins souhaitaient devenir paladins (l'influence d'Hubert, évidemment), chevaliers, guerriers, rôdeurs, bardes (conséquence des prouesses accomplies par Giovanni quand il avait dû surveiller la marmaille), clercs de Lathandre (même causes, mais liées cette fois à Gabriel) voire même, pour les plus assidus aux études, magiciens (la pluie de boules de feu déversée sur les cannibales n'était pas passée inaperçue). Voilà ce qu'avaient spontanément répondu les élèves. Pour les métiers moins susceptibles de susciter l'imagination et l'enthousiasme, la situation était beaucoup, beaucoup moins brillante. Bien sûr, la Communauté comptait un certain nombre de paysans et une famille de mineurs : leurs rejetons avaient dû déjà apprendre les rudiments de ces professions, mais tous ne se résoudraient pas facilement à reprendre le flambeau alors qu'ils étaient dans une Communauté où tout semblait possible. Idem pour l'artisanat... Il faudrait donc organiser des séances de découverte, présenter les choses de manière attrayante, insister sur l'aspect crucial de ces divers emplois...

Albérich n'était pas surpris, mais cela n'arrangeait pas leurs affaires. Une flopée de clercs, bardes et paladins en herbe ne leur permettrait pas de manger ou de se vêtir. Ils ne pouvaient pas se permettre d'attendre que l'aura de leurs compagnons flamboyants retombe, cependant, il fallait commencer à semer les graines de la pérennisation de leur communauté.
Ou pas.
S'ils ne survivaient pas, si Clairétoile n'était pas, à quoi bon frustrer les aspirations de ces gosses en sursis ?
Il ne verbalisa pas ses pensées à voix haute, bien sûr, et tâcha d'identifier le moment opportun, dans la journée, pour inviter les artisans à venir présenter leur travail, le nombre qu'ils pouvaient placer sur la même journée, l'ordre dans lequel procéder. Il irait démarcher ses cibles dès le lendemain, histoire d'en savoir plus sur leurs intentions en matière de succession. On ne pouvait imposer rien à personne.

L'emploi du temps de l'école n'était pas simple : pour tenir compte des entraînements martiaux, il y avait plus de groupes que d'ordinaire, répartis entre la matinée et l'après-midi. Néanmoins, ses interlocuteurs étaient organisés, et il ne fut pas difficile de trouver des solutions. Le mieux serait sans doute de se limiter à deux artisans (ou représentants d'autres professions) par jour, ce qui leur permettrait de présenter leur travail à chaque classe sans avoir à trop se presser ou a y consacrer toute leur journée et sans que les cours traditionnels soient totalement abandonnés. Si Albérich trouvait des volontaires, cette mesure pourrait être mise en place dès le surlendemain.

Le Luménien était satisfait du résultat de leur discussion et il promit de dénicher deux volontaires pour la première session. Histoire de ne pas se limiter à son projet en cours, il interrogea ensuite les instituteurs sur leurs premières journées de classe, leurs impressions, l'état d'esprit des enfants, la manière dont ils géraient l'atroce situation qui était la leur. En tant que conseiller en charge de l'enseignement, il lui semblait que cela faisait partie de ses prérogatives. Il interrogea aussi le trio sur d'éventuelles idées pour soutenir le moral des troupes au sens large. Pensaient-ils que les enfants avaient besoin de davantage d'encadrement ? De divertissements plus structurés ? Eux-mêmes avaient-ils besoin d'aide ? Qu'en était-il des classes aux adultes ?

Ils avaient songé à ces dernières et envisagé de les remettre en place dans les prochains jours. Ils avaient d'abord préféré donner la priorité à l'école ordinaire, afin que leurs élèves comme eux-mêmes retrouvent leurs marques, ce qui était en passe d'être le cas. Les cours se passaient plutôt bien, même s'ils sentaient que nombre de gosses commençaient à être un peu éprouvés - de ce qu'ils avaient entendu dire, les cauchemars semblaient se multiplier, la nuit... En matière de distractions, les instituteurs avaient l'impression que les batailles de boules de neige, les baignades aux thermes et les jeux dans les sous-sols suffisaient à une partie des enfants, d'autant que les parents faisaient par ailleurs de leur mieux pour les occuper, les soutenir... Mais d'autres auraient assurément besoin de divertissements plus organisés. Malheureusement, en l'absence de Gabriel, et connaissant les réticences de Giovanni - qui n'avait en outre plus beaucoup de temps libre -, il ne serait pas simple de résoudre le problème.

Une solution était peut-être d'inciter les combattants à organiser un nouveau tournoi. Bien sûr, cela rappellerait à tous le douloureux souvenir de Robert, mais l'expérience avait fédéré la communauté... Peut-être en procédant par salves, avec un ou deux affrontements par jour, les vainqueurs étant promus à l'étape suivante... en créant des catégories pour plus jeunes, aussi, et un tournoi d'archerie ou des épreuves d'équitation ? Albérich n'était pas certain que cette glorification de la guerre soit une bonne chose, à long terme, mais dans l'immédiat, pour changer les idées de chacun, c'était peut-être une idée à creuser. Evidemment, il allait scandaliser les gens de plume... On pouvait aussi proposer un concours de déclamation voire de chant, pour contrebalancer la violence et la sueur.

Agathe et Rebecca se récrièrent, le traitèrent de traître, l'accusèrent d'être tombé sous l'influence corruptrice d'Hubert... Mais il s'agissait de protestations de pure forme : comme Philibert, elles trouvaient le projet porteur et elles complétèrent la liste des concours alternatifs en évoquant des dictées - auxquelles devraient participer tous les gens d'épée, évidemment -, un concert - auquel tous ceux maitrisant plus ou moins un instrument de musique pourraient participer -, des danses... Les possibilités ne manquaient pas et sans doute permettraient-elles d'éviter que le moral ne se dégrade trop vite. Néanmoins, la décision quant à leur application n'était pas de leur ressort : Albérich avait donc du pain sur la planche.

Appliqué, le Luménien avait pris note de tout ce dont ils avaient parlé et il promit de rapporter leurs idées au conseil dès qu'il se réunirait. S'il n'était pas particulièrement impatient d'assister à de nouveaux duels, les autres possibilités de divertissements qu'ils avaient mentionnées l'enchantaient davantage. Bien sûr, il avait perdu sa partenaire de danse attitrée, mais Agathe était — plus douloureusement — dans la même position. Et il fallait aller de l'avant. Protéger les esprits. Vaincre le mal. Vaste programme.
Il prit congé des instituteurs pour rallier son chariot. Il n'avait aucune idée de l'heure qu'il était, mais sans doute la nuit ne tarderait-elle pas à tomber : il fallait qu'il compile ses notes avant de tout oublier. Du bout des doigts, il retrouva la cire qu'il avait rangée dans sa poche : il pourrait se protéger de l'ombre avant de sortir.

La cour était désormais déserte : les colons l'avaient abandonnée à l'obscurité grandissante du crépuscule finissant et aux hurlements des suppliciés qui se faisaient à nouveau entendre et qu'il percevait, fortement atténués, malgré les protections dont il s'était muni. Seules demeuraient les sentinelles, là-haut, sur les remparts...
Le Luménien retrouva bientôt la solitude de son chariot, où tout était comme il l'avait laissé. Il disposait encore d'un peu de temps devant lui avant que ne vienne l'heure du repas. Néanmoins, il valait sans doute mieux qu'il ne se laisse pas trop absorber par son travail... Quoi qu'à bien y réfléchir, il y aurait certainement quelqu'un pour remarquer son absence et pour venir le chercher.

Albérich n'avait pas l'intention de disparaître. Il alluma une bougie, puis dénicha un morceau de parchemin vierge dans un tiroir, rassembla ses notes et les transféra soigneusement sur le nouveau vélin. La cire atténuait le cri des torturés mais amplifiait le battement de son propre coeur, régulier, puissant, ébranlant son âme au fur et à mesure qu'il écrivait. Il eut bientôt du mal à rester concentré.
Il faisait sombre et froid, dehors.
Il était seul.
Il finit par fermer les yeux, reposer la plume qu'il ne pouvait entendre crisser, et s'imprégna de son vacarme intérieur. Pendant un moment, il se laissa vibrer au rythme de son propre organisme, repoussant toute pensée construite.
Il sentait la tension dans les muscles de ses épaules, vestiges de la séance d'entraînement que l'eau chaude des thermes n'avait qu'imparfaitement relâchés.
La paume de sa main droite était presque à vif d'avoir trop serré le manche de la masse.
Il avait une douleur diffuse dans la mâchoire.
Une ecchymose de plus dans les côtes, à droite.
Des broutilles à l'aune de tout ce qu'il avait connu, de tout ce qui le menaçait aujourd'hui.
Il souffrirait encore, c'était inexorable.
Mais il était vivant.
Et ce chant, en lui-même, c'était le désir violent de le rester, absolument. Il ne pouvait le négliger.
Son vertige ne dura qu'une minute et il reprit ses esprits, relut rapidement ce qu'il avait couché sur le papier et rangea soigneusement ses affaires, avant de jeter un oeil critique sur l'espace confiné qu'il allait abandonner.
Il lui souhaita mentalement bonne nuit, puis fila vers les caves, et plus loin la cantine, où on devait commencer à servir le repas.

C'était effectivement le cas, et maints membres de la Communauté s'étaient mis à former une file d'attente ou à musarder dans les environs, bavardant entre eux en guettant un moment plus propice pour faire la queue à leur tour. Il y avait là bien des visages familiers, à commencer par les instituteurs et les clercs. Bref, si Albérich souhaitait discuter, il ne manquerait pas d'interlocuteurs. A moins qu'il ne préfère attendre Hubert qui, pour l'heure, se trouvait il ne savait où.

Albérich ne s'inquiéta pas de l'absence d'Hubert, pas plus qu'il ne s'attarda pour le chercher. Vu la couleur du ciel, il avait sans doute mangé parmi les premiers pour être sur les remparts en temps et en heure, lors de l'ultime relève de la journée. Une nuit de plus sous la bise, les cris et les ténèbres. Le Luménien espérait que le paladin prenait une mesure exacte de sa propre résilience, mais il fallait lui faire confiance : il avait déjà de nombreuses années de service derrière lui, même si le cadre avait été un tantinet moins extrême.
Il ne chercha pas non plus à traverser les rangs des colons pour atteindre un groupe en particulier. La proximité des gens, n'importe lesquels, était déjà source de lumière en elle-même, et il aimait l'idée d'être accessible à tout moment. Aussi s'immobilisa-t-il non loin de la porte, trouvant un point d'appui sur le mur. Les mains dans les poches, il frôla la surface irrégulière du phylactère qu'il avait sorti du trésor la veille et il laissa son esprit vagabonder au fil des formes fantastiques qu'il se mit à imaginer revêtir.

A l'occasion des diverses tâches qu'il avait accomplies au sein de la Communauté, Albérich était entré en contact avec un nombre non négligeable de ses membres, et si les personnes avec qui il avait tissé des liens réels se comptaient encore sur les doigts d'une main, celles qu'il pouvait considérer comme des connaissances étaient beaucoup plus fréquentes. Il y en eut donc beaucoup pour venir le saluer, pour venir échanger quelques mots avec lui. Il put ainsi constater que, pour l'instant, le moral restait acceptable, que ses compagnons de voyage se faisaient bon an, mal an à leur pénible situation tout en conservant le ferme espoir d'un dénouement heureux.
Étienne finit par le rejoindre, l'informant qu'il n'y aurait pas de Conseil ce soir-là. Et comme par ailleurs les exercices martiaux étaient terminés, le Luménien aurait toute latitude, s'il le souhaitait, pour descendre dans la nef et tester son fameux phylactère...

Albérich songea que ce serait également l’occasion pour Ruth et Alban de tester leurs trouvailles, même si Hubert ne pourrait sans doute pas se joindre à eux. Il ne pouvait cependant agir sans en informer le paladin et, une fois son repas terminé, il tâcherait de lui mettre la main dessus. Ensuite, avec son autorisation (et probablement un demi-million de mises en garde inutilement anxieuses), il débaucherait les deux enfants et descendrait dans les profondeurs du fort pour y procéder à des expériences qui promettaient d’être intéressantes.

Il mangea rapidement, en compagnie d’un Étienne affable comme à l'accoutumée mais peu disert - à cause de la fatigue, sans doute. De surcroit, le nombre limité de place et la nécessité de ne pas trop s'attarder pour laisser manger ceux qui patientaient encore n'incitaient pas aux longues conversations. Une fois ses couverts rapportés, n'ayant toujours pas aperçu le paladin, il remit les bouchons de cire dans ses oreilles et gagna l'extérieur où, comme attendu, il retrouva son ami sur les remparts, dans les ténèbres et le froid glacial.

Hubert regarda le Luménien approcher avec une grimace, comme si le simple fait qu’il ose grimper sur les remparts l’exposait obligatoirement à une flèche invisible et mortelle. Dès qu’Albérich fut à proximité, il nota que le paladin se plaçait dos à la campagne, comme s'il voulait le protéger de ce qui se trouvait à l'extérieur en faisant bouclier de son corps. Il retira la cire de ses oreilles et les cris l'emplirent en une seconde, comme une bourrasque. Il se contracta pour en faire abstraction.
« Tu voulais me voir ?
—*Oui. La salle inférieure est libre. Je me disais que j’en profiterais pour emmener Ruth et Alban tester leurs objets magiques. »
Hubert fronça les sourcils.
« Et toi ?
— Moi aussi, bien sûr. »
Le paladin parut incertain.
« Nous serons prudents, ajouta le Luménien.
— Rappelle-toi que les couloirs sont glyphés. Prenez le temps de laisser un effet s’épuiser avant d’en tenter un autre. Méfie-toi du contrôle que Ruth aura sur sa bestiole… Je n’ose même pas penser au sceptre d’Alban… Préviens quelqu’un de vos intentions… Giovanni, par exemple. Qu’il vienne voir si vous tardez... Ah, bon sang. Vous ne pouvez pas attendre demain ?
— La nuit est notre seule fenêtre d’opportunité, Hubert. Tu ne seras jamais disponible. Nous nous en sortirons très bien. »
Le paladin frémit puis baissa les yeux.
« Très bien. Je te fais confiance.
— Il est presque temps.
— Tu sais bien que ce n'est pas ce que je voulais dire..."
Il relâcha sa respiration.
" Amusez-vous bien.
— Courage pour la nuit."
Le paladin acquiesça puis se détourna, tandis qu'Albérich déguerpissait avant qu'il ne trouve une nouvelle raison de s'opposer au projet. Il remit ses bouchons, glissa dans les escaliers et se rattrapa in extremis au mur, puis fila vers les caves, à la recherche des enfants.

Il les trouva sortant de la cantine, suivis à quelques pas par Ingrid. Sitôt qu'il l'aperçut, Alban arbora une expression inquiète, mais cela ne dura qu'un instant.
-Bonsoir, messire, fit-il, poli, guindé... et donc égal à lui-même.
Ruth, quant à elle, était tout sourire.
-B'soir m'sire Albérich. Vous nous cherchiez ?

Albérich leur sourit.
" Je viens d'obtenir une autorisation de Messire de Maleval pour que nous allions tester nos trésors dans les sous-sols. Malheureusement, cette autorisation est périssable, et il nous faut nous hâter ! Si Dame Ingrid me le permet, je vais donc vous chaperonner vers l'aventure. Nous serons de retour à une heure décente et dans un état respectable, je l'espère. Je vais glisser un mot de nos intentions à Giovanni, au cas où..."

Alban écarquilla les yeux puis ouvrit la bouche... avant de pousser un grognement et de grimacer : Ruth venait de lui donner un coup de coude dans le flanc, tuant dans l’œuf ce qui était sans doute des protestations...
-Génial ! s'exclama la gamine. T'es d'accord, m'man ?
L'intéressée acquiesça, souriante.
-Super ! Alors on file chercher nos objets et on vous rejoint, m'sire !
L'instant suivant, elle entraînait son ami encore à demi-sonné, laissant l'ancien clerc se mettre en quête de Giovanni. Il n'eut pas à aller très loin, puisque celui-ci mangeait. Il rit en apprenant de quoi il était question, promit qu'il resterait dans les parages, qu'il viendrait vérifier s'ils tardaient trop à revenir et qu'il avait des sorts de dissipation de la magie en réserve.
Peu après, Albérich et les deux écuyers descendaient de concert dans la nef désertée...

Albérich s'immobilisa au bas de l'escalier, les mains sur les hanches. Il se sentait plein d'un enthousiasme curieusement juvénile.
" Bon. Je pense qu'il convient de définir un ordre. Hubert m'a demandé d'éviter le feu d'artifice et je pense qu'il a raison. Souvenez-vous que les corridors sont protégés par des glyphes, je pense donc qu'il convient de nous contenter d'agir à l'intérieur. Si un rhinocéros furieux déclenche une des protections, je pense que nous aurons des ennuis et que nous serons consignés à l'étage pour toujours, si on ne nous confisque pas nos objets. On ne détruit pas non plus les piliers, surtout celui de l'eau chaude, dont nous allons nous écarter. Une expérimentation mesurée sera notre maître mot. Qui veut commencer ?"

Les gamins l'avaient écouté avec attention, avaient acquiescé avec sérieux. Et lorsqu'il posa sa question, ils se tournèrent l'un vers l'autre, s'observèrent un moment.
-A toi l'honneur, Ruth, dit le garçon. Tu étais très impatiente de tester le sac...
-C'est vrai, mais c'est toi qui commence, parce que je suis encore plus impatiente de te voir faire un truc rigolo !
-Tu sais, je vais peut-être pas oser, ou alors il me faudra du temps... Donc c'est mieux que tu commences.
-Non, toi, ou je te traite de poule mouillée.
-Fais-le et je refuserai encore plus de commencer.
-Tu peux pas refuser plus que maintenant.
-Si.
-Non.
Ils se défièrent un instant du regard puis firent face à Albérich.
-Il vaudrait mieux que vous choisissiez pour nous, messire, parce que quand ça part comme ça...
-...on n'est pas sortis de l'auberge.

" On va tirer à la courte-paille, proposa le Luménien. Tous les trois. Celui qui perd teste son objet le premier."
Comme il ne disposait pas de brin végétal, il hésita à s'arracher trois cheveux, puis opta pour déchirer des bandelettes dans un vieux parchemin qui traînait dans sa poche. Il en coupa une plus courte que les autres, en fit des boulettes approximatives, les mélangea dans sa paume puis les tendit devant lui.
" C'est parti."

Les deux enfants prirent leur bout de parchemin, en laissant un à Albérich.
Ils le déplièrent.
Alban avait écopé du plus court, ce qui fit rire Ruth aux éclats.
-Moi je dis qu'il y a une justice ! Maintenant, tu peux plus reculer, sinon ça serait de la triche et... t'es pas un tricheur. Alors, vas-y !
Le petit garçon s'était empourpré. Il marqua une hésitation puis, prenant une profonde inspiration, il brandit son sceptre, visa un mur, prononça le mot de pouvoir...
L'instant suivant, le vent se mit à siffler, assourdissant, tandis que l'air s'agitait avec une rare violence dans la direction visée par l'artefact. Avec tant de violence, même, que les témoins, pourtant hors de la zone d'effet, virent leurs vêtements et leurs cheveux follement agités par de vifs remous. C'était une véritable tempête qui s'était déchaînée, aussi brutale que brève. Car, passées quelques secondes, il n'en subsista plus rien.
-Impressionnant... souffla Ruth. Mais pas très rigolo !

Albérich remit distraitement de l'ordre dans ses cheveux et réalisa au passage qu'il était grand temps qu'il les coupe. Et qu'il se débarrasse au passage de la barbe hirsute qui avait profité du périple pour coloniser ses joues, comme aux pires jours de son errance.
" C'était... soufflant, remarqua-t-il. Et loin d'être inutile."
Il se tourna vers Alban.
" Y a-t-il quelque chose d'indiqué sur le nombre de fois par jour que tu peux l'utiliser ? Ou un nombre de charges ? Peut-être qu'un second essai ravira davantage Ruth."

-Messire Giovanni m'a expliqué qu'il n'y a pas de limite, qu'on peut s'en servir autant qu'on veut mais que plus on le fait, évidemment, plus il y a de chances que des choses embarrassantes se produisent.
-Bah, ça peut pas être grave, tu le sais bien ! Et tu vas quand même pas être embarrassé devant nous !
Le gamin hésita encore, finit par acquiescer et par user à nouveau de son artefact.
Et ce fut le déluge.
Du plafond se mit à tomber une pluie torrentielle comme on en voyait rarement. Cela ne dura à nouveau que quelques secondes, mais ce fut assez pour les laisser trempés, debout sur des dalles où de vastes flaques s'étaient formées. Le phénomène s'était produit sur une zone circulaire d'une petite quarantaine de mètres de diamètre.

" Ah misère, comme diraient certains..." dit Albérich en chassant l'eau de ses yeux.
Il était trempé jusqu'aux os et, sous peu, il claquerait les dents de froid. Il jeta un regard à ces comparses, dont l'état n'était pas plus reluisant.
" Qu'est-ce qu'on fait ? On remonte se sécher puis on revient, ou on risque la soufflante et on continue nos expériences ? Je serais pour laisser reposer le sceptre, cependant... Peut-être peut-il générer un feu revigorant... mais je n'oserais m'y fier."

Alban fit une moud dubitative.
-Sans doute vaudrait-il mieux se montrer raisonn...
-Oh que non ! l'interrompit Ruth. En plus, tu as manié le sceptre, t'as pas le droit de prononcer ce mot ce soir, tu dois au contraire faire le zouave.
-Je ne sais pas si...
-Faut essayer ! Au pire, je le ferai pour deux. Mais rester, c'est pas vraiment faire le zouave. M'ssire Albérich a dit qu'il fallait se dépêcher de saisir notre chance : peut-être qu'elle aura passée si on remonte. Pis il y a le pilier avec la gemme : il fait bon autour.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée