La Couronne de Cuivre

-Sinon, pour compléter mon rapport... Je sais qu'ils ont au moins un puissant prêtre et un mage très expérimenté dans leurs rangs. Au moins. Je peux aussi témoigner qu'ils n'y vont pas de main morte avec nos compagnons : quand les ordres braillés ne suffisent plus, on sort le fouet. Et quand je disais que tout le monde a été envoyé à la mine, je voulais dire que peu importe l'âge ou la condition physique : absolument tout le monde doit y travailler à un moment ou à un autre.
Il ferma les yeux, un instant.
-Voilà. Si vous avez des questions...

Albérich jeta un oeil en direction d'Hubert ; celui-ci secoua la tête.
" Non. Va te reposer, Giovanni, tu le mérites. Si nous avons encore des questions, nous viendrons te trouver... mais de toute façon, elles peuvent attendre demain."
Hubert parut sur le point de dire quelque chose, mais se ravisa. Le clerc embraya.
" La journée n'a pas dû être facile mais les informations que tu nous as rapportées sont précieuses et elles seront à n'en pas douter déterminantes dans notre stratégie. C'était difficile mais nécessaire. Merci de l'avoir fait."

Il secoua la tête.
-C'était mon devoir, simplement. Si nous voulons nous en sortir, il faut que chacun fasse le sien dans la mesure de ses moyens.
Il leur dédia un pâle sourire, se dirigea vers la porte puis ajouta par dessus son épaule :
-Oh, j'oubliais : ils n'ont pas encore découvert les passages secrets. C'est toujorus bon à savoir.
Puis, sur un geste d'adieu, il s'éclipsa.

Une fois Giovanni sorti, Hubert referma la porte.
« Tu ne devrais pas le laisser aller boire seul, remarqua Albérich.
— Je le rejoindrai dans un instant. » répondit le paladin en se rasseyant.
Ils demeurèrent silencieux un instant.
« Qu’allons-nous faire ? demanda finalement Hubert.
— Je n’en sais rien, répondit Albérich avec un sourire. Réfléchir, dans un premier temps. Je pense à nouveau que mon idée de prise d’otages n’est pas si mauvaise. Nous n’avons pas les moyens de nous en prendre à trois cents soldats sans risquer la vie des prisonniers. Par contre, si nous mettons la main sur ce duc, nous pourrions les obliger à libérer nos hommes et partir.
— Giovanni a parlé d’un mage et d’un clerc. Il n’a pas dit que le duc était présent.
— Tu as raison. Nous lui demanderons de préciser. Mais si notre objectif est d’éliminer un mage, un clerc et de prendre un duc en otage, je nous sens davantage armés.
— Prendre des otages, c’est... complètement...
— C’est nécessaire. La doctrine lathandrite nous encourage à penser à nos objectifs. Nous ne parlons pas de torturer quelqu’un, ni de nous en prendre à des innocents. Nous parlons du chef adverse, de la tête de l’ennemi. Nous défendons notre groupe, nos pairs, nous défendons le bien contre l’infamie. »
Hubert soupira.
« L’alternative serait de leur faire peur, je suppose, en usant des mythes de l’endroit. Comme nous, le duc doit s’inquiéter de la catastrophe qui a frappé Clairétoile. Mais il en sait sans doute davantage que nous... Tant que nous serons dans l’ignorance quant à ce cataclysme, nous ne pourrons pas faire grand chose. »
Albérich s’était levé et il commença à circuler.
« L’option militaire est compromise dans un premier temps. Je pense qu’elle reste envisageable, si Antelucas ou les Paludiers décident de nous épauler. Mais je préfère penser qu’ils nous seront utiles dans un second temps, pour sécuriser les lieux une fois que les Ithiliens seront sortis. Mais nous pourrions user d’Ithilion elle-même... Si le Prince rappelle le Duc, pour une raison ou une autre, il sera forcé de rapatrier ses troupes vers la cité...
— A quoi penses-tu ?
— Je ne sais pas... des rumeurs de guerre, par exemple ?
— Tous ces moyens détournés...
— Hubert, je suis désolé, mais nous allons devoir en passer par là. Je doute beaucoup que nos ennemis consentent à un duel qui règlerait tout. Les méthodes de guérilla de Guillermo sont beaucoup trop risquées pour les civils. D’autant que tant qu’ils ont un clerc et un mage puissants et l’accès aux mines, nous perdons notre temps. Ils relèvent leurs morts, nous n’avons pas accès aux nôtres, et même si nous l’avions, Thibault, Gabriel et moi ne pourrons pas faire face. En imaginant que philosophiquement parlant, je consente à faire une chose pareille, déjà, ce qui n’est pas gagné. Non, il faut que nous trouvions une solution radicale, qui nous permette de nous débarrasser des Ithiliens d’un seul coup, en mettant nos civils à l’abri.
— Tu ne crois pas que toi aussi, tu vas devoir faire des concessions ? Giovanni a parlé de fouet...
— A quoi t’attendais-tu, au juste ? Pour tout te dire... C’est moins pire que ce que j’anticipais.
— Dans quel sens ?
— Dans le sens qu’ils nous traquent, mais que ce n’est pas leur priorité. Qu’ils se servent de nos civils mais qu’ils ont tout intérêt à les garder en vie, vu qu’ils sont moitié moins nombreux qu’espéré. Qu’ils ne t’ont pas toi et tes mains magiques, ni Ruth et sa bénédiction de Tymora. Ils cherchent les gemmes, peut-être les trouveront-ils, sans doute ne sauront-ils rien en faire. C’est probablement Louis qui les a informés de leur pouvoir.
— J’espère qu’il va crever dans ses remords. Je te jure que si je croise sa route, je le décapiterai sans hésitations. Etienne mérite mieux que ça. »
Albérich rit.
« Et les secondes chances ?
— Les secondes chances de nous trahir, tu veux dire ? Qu’il aille dans les Neuf Enfers. Quand je pense que Robert s’est sacrifié pour cette raclure, ça me donne envie de vomir.
— Reviendrais-tu sur ton opinion des nobles ? Toi qui estimais qu’ils remplissaient un rôle nécessaire, qu’ils savaient ce qui est bon pour le peuple ?
— Il faut croire que tu m’as gagné à ta cause... et que la félonie de cet individu a fait le reste. »
Il eut un sourire mauvais.
« Guillermo peut se garder Lothar, mais je réclame Louis. Etienne ne le haïra pas assez.
— Si Etienne est encore vivant ou en état. Il ne cèdera pas sous la menace ou les cajoleries, mais il pourrait se sacrifier pour le groupe. »
Il secoua la tête.
« Les Ithiliens sont tièdes pour le moment... mais ils plieront Etienne. Même en apparence. L’idéal serait de parvenir à agir avant que cela n’arrive... Mais cela va dépendre de l’attitude des prisonniers. S’il y a des velléités de rébellion, sans doute passeront-ils rapidement à la vitesse supérieure. »
Il haussa les épaules.
« Ce n’est pas notre priorité, de toute façon. »
Hubert secoua la tête.
« Albérich, je ne sais pas ce qui s’est passé cette nuit mais... tu deviens.. froid.
— Pas du tout. Mais nous sommes obligés de faire passer le groupe avant les individus. Quoi qu’il advienne, Etienne se relèvera. Crois-moi, on peut tomber très bas et finalement, la lumière revient. »
Il eut un sourire personnel.
« Bon. Va voir Giovanni. Pour le reste, nous parlerons avec Marthe au petit matin, si elle est suffisamment reposée. En attendant, je vais me permettre faire une sieste ici. Réveille-moi quand Gaspard est prêt à partir. »
Hubert acquiesça et se leva. Il s'immobilisa cependant avant de franchir le seuil.
« Albérich, tu crois que ce duc veut du chauffage ?
— J’imagine qu’il espère des armes. Si elles existent, cependant, nous ne les avons pas encore trouvées. Elles sont probablement ravageuses. Mais tu sais quoi, Hubert ? Dans le fond du fond, j’espère que personne ne les trouvera. La puissance de ces gemmes, utilisées à des fins civiles, est formidable. Mais à des fins militaires... C’est quelque chose que je ne voudrais pas pour la communauté, jamais. On pense toujours qu’on est dans son droit, qu’on est le bien, qu’on a raison... Mais c’est un leurre. Le monde est beaucoup plus gris que ça, et personne ne devrait disposer d’une telle puissance, pour le bien d’Hélonna. »
A nouveau, il sourit.
« Mais nous n’en sommes pas là. File donc. »
Le paladin franchit la porte et se mit en quête du barde, un orage dans le crâne. La situation lui paraissait plus inextricable que jamais vu la faiblesse de leurs forces et la position qu’occupait l’ennemi. La perte de la forteresse avait été une catastrophe. L’idée de lancer des opérations de guérilla ne lui plaisait pas, pas plus que celle d’une prise d’otages. Tout cela était déshonorable. Que l’ennemi le soit ne justifiait pas qu’on le devienne : cela aurait été s’abaisser à son niveau. Hubert était un paladin et il userait de méthodes correspondant à sa vocation : Albérich avait beau dire, la fin ne justifiait pas les moyens. C’était une morale dangereuse, qui appelait la chute et le sang. Mais que faire, dans leurs circonstances ? Il ne voyait pas. C’était presque dommage qu’il ne soit pas tombé pendant l’attaque : ses principes n’auraient encombré personne. Mais voilà, il avait dû se faire violence, et à présent, il était coincé, au propre comme au figuré.
Une fois dans la grande salle, il chercha Giovanni du regard. Il n'était pas certain que sa compagnie puisse lui faire grand bien, vu son propre état. Mais il ferait face car le barde était son ami et il en avait besoin.

***

De son côté, Albérich se chercha une position confortable en arrangeant quelques fauteuils puis ferma un moment les yeux. Rien de ce qu’avait rapporté Giovanni n’était très surprenant et le seul élément exploitable semblait être cette division des forces ithiliennes entre celles qui surveillaient les colons au travail et ceux qui restaient en arrière. Il laissa son esprit dériver au gré de ses pensées. Les mages disposaient-ils de sortilèges de domination ? Si non, pouvait-on en trouver dans ce qui avait été rapporté de la bibliothèque ? Pouvait-on reprendre la forteresse sans que ceux qui se trouvaient à l’extérieur ne s’en rendent compte ? Les communications étaient-elles bloquées dans certains lieux ou toute la forteresse était-elle concernée ? Pouvait-on au contraire libérer les mineurs sans que les gens de la forteresse ne le réalisent ?
Des idées germaient, grandissaient, mouraient ensuite.
Albérich se livrait à sa rêverie sans inquiétude, sans chercher de réponses... C'était prématuré et il était fatigué. Marthe rentrerait bien assez tôt et d'ici là... Rien ne servait de se mettre martel en tête.

Pour sa part, Hubert vit bien des visages familiers dans la salle commune, dont ceux de Gabriel, de Thibault, de ses écuyers ou des apprentis de Giovanni. Mais du barde lui-même, pas la moindre trace.
-Il s'est éclipsé après avoir dit quelques mots aux jumeaux, fit Alban lorsque le paladin s'enquit de leur apprenti espion.
-D'après eux, il serait parti s'adonner à un rituel sunite permettant d'évacuer la pression, enchaîna Ruth.

Hubert pinça les lèvres.
" Vous avez une idée de la direction qu'il a empruntée ? demanda-t-il. Je me doute qu'il ne vous a pas dit où il allait, mais je peux le chercher, ce n'est pas un souci."
Traquer le barde dans un palais immense... Voilà qui occuperait sa soirée...

Les deux enfants secouèrent la tête avec une belle simultanéité.
-Aucune idée d'où il est allé, m'sire. On l'a juste vu sortir par là.
-Il avait précisé qu'il voulait rester seul.
-Mouais, enfin en même temps, quand on dit ça, c'est souvent qu'on aurait bien besoin de compagnie...

" Merci." dit le paladin, avant d'emprunter la direction désignée par les enfants.
Il n'avait pas l'intention de s'imposer au barde, juste de surveiller qu'il n'était pas trop défait, qu'il parvenait à gérer ses émotions noires. Il lui prêterait son épaule, lui offrirait son silence ou son soutien, selon ce dont il avait besoin. Et si Giovanni ne voulait vraiment pas le voir, il resterait non loin, en sentinelle vigilante. Cela ne le changerait pas beaucoup des heures précédentes...

Il lui fallut près d'une demi-heure pour retrouver le barde. Et pour cause : celui-ci, cherchant probablement à limiter au maximum les risques de croiser quelqu'un, s'était replié dans une galerie du deuxième étage. Assis face à une fresque magnifique qu'illuminait la torche magique posée à côté de lui, il ne profitait toutefois nullement de l’œuvre antique qui, en d'autres circonstances, l'aurait ravi. La tête enfouie entre les bras, il paraissait comme prostré, au point qu'il ne remarqua même pas l'approche du paladin.

Hubert s'approcha sans faire de bruit mais aussi sans chercher à dissimuler sa présence. Il ne dit rien, se contenta de s'asseoir près du barde. S'il ne le repoussait pas d'emblée, d'un geste ou d'une parole, il oserait peut-être le toucher, mais il ne voulait surtout pas le brusquer. Ruth avait raison : on s'isolait parfois dans l'espoir que quelqu'un en prenne conscience et vienne à notre secours. Mais parfois, on voulait simplement le silence et la paix. Hubert ne voulait pas forcément le faire parler... Mais juste être là au besoin.

Rien ne changea dans l'attitude du barde au cours des minutes qui suivirent : aucun mouvement, aucun son, aucun signe qu'il ait perçu la présence à ses côtés.
Lorsque Hubert se hasarda à lui toucher l'épaule, il sursauta violemment et, relevant la tête, le fixa d'une mine hagarde.
-Il ne fallait pas t'inquiéter, lui souffla-t-il. Je n'ai même pas apporté de vin.
Ce qui était vrai : hormis une torche, il n'avait rien pris avec lui.

Le paladin n'y avait même pas prêté garde, mais il acquiesça.
" Je voulais juste... être là au besoin, dit-il un peu gauchement. Je peux m'en aller si tu le désires... mais j'aimerais autant rester."
Embarrassé, il reporta son attention sur la fresque devant eux.

-Bah, tu peux rester, tu ne me déranges pas.
Il soupira.
-Mais comme je le disais, tu ne dois vraiment pas t'inquiéter. Je suis juste une petite nature longtemps préservée des horreurs du monde réel et qui les découvre brutalement... Je finirai par m'en remettre.

Hubert opina du chef.
" Moi aussi, jusqu'à hier, j'avais la sensation d'avoir évolué dans un univers protégé, tu sais... Bon, de par ma profession, je suis sans doute davantage ... averti de la vilénie qui existe en ce monde... mais dans le fond, je n'en avais été que très rarement témoin. J'imagine que... je la pensais l'oeuvre de quelques individus maléfiques... d'entités inhumaines... Je ne m'attendais pas non plus à la trouver... si fréquente et si banale..."

-C'est rassurant, quelque part. Que tu aies été relativement peu témoin de ce genre de chose. J'aurais eu tendance à imaginer qu'en tant que chef de la garde de Solarcis, tu avais été quotidiennement confronté à la bassesse humaine dans toute sa sinistre ampleur...
Il secoua la tête.
-Dur de voir autre chose que l'ombre quand on est confrontée à celle-ci. On a beau savoir qu'il y a autre chose, on a beau avoir cet autre chose à portée de la main... C'est sur l'ombre qu'on se focalise. Mais ça va me passer.

" A Solarcis... C'est sûr que j'ai vu des horreurs. Mais ils émanaient toujours... je ne sais pas... d'individus... et souvent, leur parcours expliquait, sans excuser, les atrocités qu'ils avaient pu commettre... J'ai toujours eu l'impression... de comprendre le mal auquel je me suis heurté, quand j'étais dans la garde. Bien sûr, il y avait les cartels et les proxénètes, et aussi les bassesses quotidiennes de gens aux horizons obtus... Mais globalement... Solarcis est une cité riche. Je ne nie pas qu'il y ait des miséreux... bien sûr... et des injustices. Je ne sais pas... Peut-être est-ce parce que là-bas, je ne me suis jamais senti impuissant à agir ou incapable de triompher. Le Rayon était puissant, efficace, respecté. Chaque fois que j'ai croisé la route du mal, je l'ai réduit au silence. Ici... L'échelle est beaucoup plus vaste... Les risques plus grands... et la mort rôde... Ah... Je fais un compagnon diablement réconfortant..."
Il soupira.
" C'est la nuit, l'emprise de l'ombre est plus forte. Mais dans le fond du fond, j'ai confiance en notre capacité à trouver la lumière, pour tout le monde."

-Oh, je ne doute pas que l'issue finale soit heureuse, même s'il est possible qu'il se passe beaucoup de temps avant que nous puissions l'atteindre, murmura le barde. Mais je pense aux captifs. Ils sont venus ici en espérant y trouver ou plutôt s'y bâtir une vie meilleure. Et s'ils savaient pertinemment que le chemin serait parsemé d'embûches, voilà que leur tombe dessus... une embûche difficilement prévisible. Voilà qu'à présent, ils sont traités comme des esclaves sur les lieu mêmes qui devaient être ceux de leur nouvelle chancs. Du coup... je me demande si lesdits lieux ne resteront pas à jamais entachés, pour eux, par ce sinistre souvenir. S'ils ne devront pas aller chercher ailleurs leur seconde chance.
S-oupir.
-Bref, je me demande si... notre beau projet n'est pas déjà de l'histoire ancienne.

Hubert soupira.
" Je vois ce que tu veux dire... D'autant que ce sont des gens qui ont déjà abandonné leurs racines pour les mêmes raisons, si je comprends bien... et l'attachement à ces lieux n'est pas encore assez fort... J'imagine que ça dépendra de la victoire. De la manière dont nous pouvons affirmer à nouveau notre... emprise sur la cité. C'est l'hiver. Au printemps, elle sera métamorphosée. Et les gens ne sont pas appelés à s'établir de manière durable dans la forteresse, ni à aller travailler aux mines... Je pense que... le visage de Clairétoile que nous pouvons leur rendre sera très différent de celui que leur imposent les Ithiliens."
Il frissonna. L'esclavage était une notion qui lui paraissait complètement irréelle. Il avait été en contact, pourtant, avec des hommes venus de Thay, en Féérune, quand il était encore à Solarcis. Mais tout le monde se méfiait de ces gens et leurs pratiques étaient réprouvées par tous. L'asservissement d'autres humains était l'apanage des Mélandiens, des drows d'Ombreterre... pas des peuples civilisés d'Hélonna.

Giovanni opina légèrement du chef.
-J'espère sincèrement qu'il en ira ainsi. Moi, à moins de trépasser, je sais pouvoir retourner à ma vaine vie de luxe, de voluptés, de mondanités. Mais eux...
Il soupira derechef.
-Ah, il va falloir que j'essaie d'être un peu Lathandrite.

" Tu as le droit d'être choqué, Giovanni, le contraire serait inquiétant. Mais il est vrai que si nous voulons arriver à quelque chose, nous devons nous convaincre que c'est possible... et c'est possible. Plaindre les prisonniers ne leur apporte rien. Ils ont besoin de notre énergie et de notre détermination."
Il sourit avec un peu d'amertume.
" De nos idées, aussi."

Giovanni haussa les sourcils.
-Je rêve où tu essaie de me mettre à contribution alors même que je ne suis pas encore remis de mes émotions du jour ? Ah, moi qui croyais que tu étais venu me soutenir !
Il eut un sourire fugitif, redevint sombre presque immédiatement.
-Pour l'heure, rien ne me vient. On verra si ça va mieux quand je serai ivre mort.

" Mais tu n'as rien emporté ! Comment veux-tu devenir ivre mort ?" demanda le paladin avec une grimace.
Il reporta son attention sur la fresque, se demandant soudain si c'était celle dont lui avait parlé Alban plus tôt. Il se sentit vain, et égocentrique, de songer à pareille chose dans les circonstances présentes.
" Et je ne cherchais pas à te mettre à contribution, pas du tout. Moi aussi, je veux profiter de ces instants où je ne suis pas tenu de planifier la suite de mes activités... Marthe arrivera bien assez tôt."

-Je me doute.
Il fixa la fresque à son tour : elle représentait la cité à son apogée. Ou peu s'en fallait.
-Et je comptais redescendre pour m'enivrer. Simplement, je tenais à me mettre un peu à l'écart, le temps de... décanter. Un barde qui fait grise mine, la Communauté n'a assurément pas besoin de ça.

" Laisse donc la communauté se prendre en charge toute seule, ce soir... D'autant que si elle n'a pas besoin d'un barde sombre, je ne suis pas certain qu'elle ait besoin d'un barde ivre. Je ne t'ai jamais vu vraiment saoul, cela dit... Je suis sûr que sous de bons auspices, ça doit valoir la peine."
Il sourit.
" Pense au banquet que nous organiserons quand tout cela sera fini. Celui que nous avons organisé avant de partir était une belle réussite, déjà... "

-C'est vrai. Et celui que nous ferons un jour sera réussi lui ausi. Sauf qu'il y aura des absents...
Soupir.
-J'espère que je ne perdrai pas la mémoire d'ici là, parce qu'il me faudra... recommencer certains dessins. Notamment celui de Robert, que j'avais tenu à faire alors que mes souvenirs étaient encore intacts. D'après Alban, c'était parfaitement ressemblant. Je dis c'était, parce que les Ithiliens ont pillé mon atelier et, j'imagine, brûlé ce qu'il contenait. Trop... indécent à leur goût, je pense.

L'idée que les Ithiliens aient posé les yeux sur les croquis du barde mit le paladin étrangement mal à l'aise, comme si on avait violé sa propre intimité. Même si les arguments de Giovanni, sur le caractère naturel de la nudité, avaient pu le toucher, l'envahisseur ne partageait probablement pas son point de vue et aurait posé un tout autre regard sur son travail. Hubert n'en dit rien, mais il se sentit plutôt soulagé à l'idée que les dessins aient été brûlés.
" Je suis sûr que tu te souviendras de ce qu'il faut, murmura-t-il. Et même si certaines représentations sont un peu imprécises, nous saurons de qui il s'agit..."

-Nous, oui. Mais... Je tiens à ce que la fresque soit fidèle à la réalité. Comme le sont celles-ci. Et vu l'importance qu'était celle de Robert, vu ll'importance qu'il conserve pour certains d'entre nous, vu le souvenir qu'il a laissé à tous... Ce serait horrible si sa représentation n'était pas fidèle.
Il grimaça.
-Ah, parler de peinture dans de telles conditions... Je suis tellement vain que ça m'en effraie, parfois. D'un autre côté, cette fresque est plus qu'une simple peinturee, c'est un symbole... J'espère que j'arriverai à la mener à bien.

" Oui, c'est un symbole important. Et je suis sûr que nous vivrons pour le contempler." dit le paladin.
Il lorgna le barde.
" Veux-tu que j'aille nous chercher de quoi nous rafraîchir ? Et tu n'as rien mangé, non plus... Je ne suis pas pour l'ivresse, mais je ne suis pas contre un brin de détente..."

-Tu n'es pas pour l'ivresse ? Rassure-moi... Tu n'es quand même pas contre ?
Il soupira.
-Je ne voudrais pas t'obliger à t'isoler, Hubert. Tu as peut-être envie de profiter... de la chaleur du groupe. Ou de la présence de certaines personnes. Je pense que je serai prêt à redescendre d'ici une petite demi-heure...

" Tu ne m'isoles en rien, Giovanni. Mais je ne veux pas m'imposer non plus, si tu as besoin d'être seul. C'est une situation dans laquelle je me suis trouvé bien souvent et, personnellement, je n'y ai jamais trouvé le moindre réconfort."
Il haussa les épaules.
" Mais les gens diffèrent, à cet égard... Je ne veux pas non plus retarder ton retour dans la chaleur du groupe."
Même si on était parfois terriblement seul, lorsqu'on était entouré, le paladin était bien placé pour le savoir.
"Si tu veux, nous nous retrouverons en bas... Ma nuit n'est pas prête de se terminer, avec toutes les ouvertures de portes que je dois encore faire..."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue