La Couronne de Cuivre

La rôdeuse lui sourit.
" Mais bien volontiers. Je pense qu'on pourrait avoir deux ou trois chats, au moins un chien, des lapins, et aussi quelques chèvres, nos chevaux, bien sûr, des poules et des canards... Ne t'inquiète pas, il y aura du mouvement dans la maison. Et on installera une chambre d'amis, pour que tu puisses faire venir tes comparses d'aventure."

Il rit.
-Le chien aura sa niche, les lapins leurs cages, les chèvres leur étable, les chevaux leur écurie et les chats... eux, ils iront où ils voudront. Non, je parlais de peupler la maison. De demi-elfes.
Il prit un air innocent.
-Je pense que si on s'y prend bien, la prochaine fois, on pourrait avoir des sextuplés.

" Est-ce que la polygamie est acceptée, chez les elfes ? demanda ingénument la jeune femme. Parce que quatre, moi, ça me suffit amplement. Alors il va falloir que tu trouves une seconde épouse. Mais elle peut prendre la chambre d'amis, pas de soucis. Guéric campera dans le jardin quand il vient nous voir."
En souriant, elle traversa la route et l'entraîna entre les haies qui bordaient l'entrée du domaine. Une délicieuse odeur les frappa aussitôt.
" Les anguilles de Baptiste..." dit Galathée avec ravissement.

-Luménienne, va ! Mais c'est vrai que ça sent bon...
Il la rejoignit.
-Allez, négocions : si tu es d'accord pour des quintuplés, voir à l'extrême limite des quadruplés, je ne prends pas de seconde épouse.
Il hâta légèrement le pas : non par peur des représaille mais... parce que, mine de rien, l'odeur des anguilles avait réveillé son estomac.

" Je ne négocie pas. Si ta deuxième épouse sait faire la vaisselle, elle est la bienvenue."
Il y eut un mouvement dans la haie, et Victor, hirsute, s'en extirpa juste devant eux.
" Quelle deuxième épouse ?" demanda-t-il d'un ton suspicieux, en dévisageant Taliesin.

Il leva les yeux au ciel.
-Ta mère et moi racontions des bêtises. Si si, ça nous arrive.
Il sourit au gamin.
-Que faisais-tu là, dans cette haie ? Tu nous tendais une embuscade ?

" Ça fait un moment que vous avez disparu. Je vous guettais, oui. Je me disais que tu avais peut-être décidé d'emmener Galathée à la Lorien plutôt que moi."
Il regarda la rôdeuse, puis revint au barde.
" Mais donc, cette deuxième épouse... C'est pour quoi faire ?"

Taliesin faillit lui dire le fin mot de l'histoire. Cependant, se souvenant que Victor avait mal pris l'arrivée de Baptiste, songeant qu'il n'apprécierait peut-être pas l'histoire des sextuplés, il préféra s'abstenir.
-Demande à ta mère... répondit-il plutôt d'un ton dégagé.
Après tout... c'était elle qui avait parlé de ça !

Galathée rougit, consciente sans doute des mêmes risques que Taliesin. Mais elle n'était pas barde, et l'improvisation n'était pas son point fort, aussi demeura-t-elle muette et écarlate. Victor finit par grimacer, franchement dégoûté.
" Ah... Beurk... Je parie que c'est encore des cochonneries d'adultes... Ne me dites rien, surtout !"
Et il détala sur le chemin, les précédant sous l'arche qui menait à la cour.
" Faux frère !" dit Galathée en bourrant gentiment du coude dans les côtes de son partenaire.

-Moi ?! fit-il mine de s'étonner. Mais, mon amour, je voulais simplement t'offrir une oopportunité de mettre en avant tes talents d'improvisation ! Car ils sont grands, tu sais, même si tu n'en as pas conscience...
Il la gratifia d'un sourire désarmant.
-Ceci dit, ton silence a été plus efficace qu'un long discours : il ne nous posera plus de questions à ce sujet !

" C'est vrai aussi... mais songe à ta réputation, désormais. Enfin... J'imagine que ça va bien avec le métier de barde... Espérons juste qu'il n'aura pas de cauchemars..."
Ils gagnèrent la cour. De la lumière filtrait hors de la salle à manger, mais il était sans doute encore un peu tôt pour passer à table. Par contre, ils pouvaient sans doute donner un coup de main ici et là, à la faveur de leurs initiatives.

-Bon... Si je procède à une petite répétition ce soir, ça va changer le programme habituel, ce qui risque de causer du retard, du chambard... et des migraines pour le malheureux Guilhem. Je vais donc voir si je peux encourager la marmaille a faire avant manger ce qu'elle fait d'ordinaire après. Et si je ne peux pas être utile de ce côté là... Restera toujours la table à mettre ou ce genre de choses !
Après avoir embrassé son épouse, il se mit en devoir de joindre le geste à la parole.

Les enfants accueillirent avec joie le projet d'un récital et Taliesin n'eut aucun mal à les guider vers les étages. Il n'eut pas grand chose à faire : ils étaient de plus en plus autonomes, et Mathieu était le seul dont il fallait encore légèrement superviser le brossage de dents. Or, c'était une tâche qu'ils ne feraient pas avant de souper.
Baptiste manquait à l'appel car il était en cuisine, bien sûr, et Galathée alla l'y rejoindre mais en fut chassée aussitôt. Personne, en fait, n'était admis sur son territoire ce soir-là. Guillhem leur annonça qu'il y avait du festin dans l'air, puis dit au barde de ne pas s'inquiéter de ses projets de la soirée : il était bien normal qu'à la veille de leur départ, ils célèbrent un rien.
Mais en réalité, l'elfe n'avait pas encore officiellement annoncé qu'ils partiraient dès le lendemain, aussi le fermier se confondit-il en excuses.
Les garçons étaient récurés quand Baptiste les appela à table. Ils dévalèrent les escaliers en poussant des cris de barbares, ce qui fit pleurer les jumeaux, qu'il fallut alors calmer. Ils étaient, ce soir-là, invités à table, même s'ils ne tiendraient pas au-delà de l'entrée...

Contrairement à ce qu'il aurait fait dans une auberge ou à ce qu'il lui était arrivé de faire ici en d'autres occasions, il choisit de ne pas jouer pendant le repas : il préférait, de loin, que tout le monde - lui y compris - puisse en profiter autant qu'il le méritait et, ce faisant, honorer le cordon bleu qui s'était démené pour eux. Il s'installa donc tranquillement autour de la table, l'esprit léger, le sourire aux lèvres, salivant déjà à l'idée de déguster les fameuses anguilles... et le reste !

Baptiste avait mis les petits plats dans les grands, et il y eut donc entrée, plat puis dessert. Les anguilles étaient le mets central, mais ils dégustèrent des petits chaussons aux pistaches et fromage de chèvre avant et un délicieux gâteau aux noix et la crème ensuite. Les jumeaux piquèrent du nez avant le poisson et Galathée les monta à dormir, confiant à Benoît la mission de veiller sur son assiette.
Bien sûr, il y avait amplement assez pour nourrir tout le monde, Guillhem sortit des bouteilles de cidre de l'automne précédent, et quand le repas fut terminé, ils abandonnèrent la vaisselle en plan pour se rassembler autour du barde : la répétition pouvait commencer...

Laquelle n'eut vraiment de répétition que le nom, même s'il n'était jamais mauvais de se dérouiller, de s'exercer.
Pour mettre l'ambiance, le barde commença par des airs et des chants particulièrement entraînants. Puis, peu à peu, il opta pour des mélodies toujours joyeuses mais plus calmes, plus contemplatives : le but n'était pas que personne ne parvienne à s'endormir... En tout cas, il y mit du cœur, comme toujours, pas mécontent - doux euphémisme - de pouvoir se livrer à son art.

Galathée et Guillhem finirent quand même par indiquer à Taliesin que les garçons fatiguaient et que l'idée n'était pas de tirer le spectacle pendant toute la nuit. Le fermier emmena ensuite les garçons se coucher tandis que la rôdeuse aidait le barde à débarrasser et à faire la vaisselle. Elle ne put s'empêcher de se moquer gentiment de lui.
" Une fois lancé, tu ne sais plus t'arrêter, gloussa-t-elle. C'était merveilleux, cela dit. Tu feras des miracles, une fois dehors. J'ai bien fait... heu... Tim a bien fait de t'envoyer sur les routes."

-Trop tard : j'ai entendu tes aveux, dit-il d'un ton dégagé. Pour être franc, je le soupçonnais, même si je n'osais y croire, même si je refusais de t'imaginer à ce point roublarde... Je dois cependant me rendre à l'évidence.
Il secoua la tête, faussement attisté.
-Tu sais, je comptais reprendre mes activités même en demeurant ici. Il y a des auberges, dans les parages, et Luménis n'est guère éloignée...

" C'est vrai. Et je suis désolée. Je n'ai pas vraiment organisé ça... J'ai juste dit à Tim que si l'occasion se présentait... Je veux dire... C'est un Milite... C'est son métier... et ce n'est pas un prétexte, j'en suis sûre !"
Elle s'était empourprée.
" J'espère que tu me pardonnes. Vraiment."

-Allons, il n'y a rien à pardonner. C'était une bonne initiative que je n'aurais pas prise moi-même avant sans doute fort longtemps. Je suis heureux de faire ce voyage et il était important que quelque chose comme ça s'organise et ce, pour nous tous.
Il lui sourit.
-Du moment que tu me crois quand je dis qu'une vie en partie sédentaire et paisible me convient parfaitement... Tout va bien.

" Je te crois, murmura la rôdeuse en s'appuyant contre lui. Et vous me manquerez, tous les trois. Mais je vous laisse partir le coeur léger... Je sais que vous me reviendrez grandis."
Elle sourit et se remit à l'ouvrage.
" Quand comptes-tu partir, demain ?"

-Hum, j'aurais tendance à dire... le plus tôt possible. Peut-être que si on franchit rapidement le pas, ce sera moins douloureux, pour Baptiste. Et puis, j'ai peur qu'en nous attardant, nous soyons happés par des activités ou des corvées qui feront filer le temps sans que nous nous en rendions compte...
Il haussa les épaules.
-Mais après, on peut aussi partir à la mi-journée, si tu préfères.

" Non, oh non, je ne disais pas ça pour moi ! dit la rôdeuse. C'était juste une question. Je pense que si vous ne traînez pas, vous devriez pouvoir partir en milieu de matinée. Pratiquement tout est prêt et tu as raison : autant ne pas tarder. Pas que je craigne que les enfants changent d'avis mais... ce n'est sans doute pas si facile pour les Merlus, alors... autant ne pas faire traîner les choses en longueur."
Elle souleva le coin d'un torchon posé en travers d'un panier.
" Oh je vois qu'effectivement, Baptiste a organisé votre ravitaillement... J'espère que tu sais encore équilibrer un bât... Et ça me fait penser qu'on n'a pas vérifié la tente."

-Si tu as encore un peu d'énergie, on pourra s'en occuper une fois la vaisselle terminée. Sinon, ça attendra demain matin. Et si vraiment elle est en trop mauvais état... on s'en rachètera une en cours de route et, d'ici-là, on pourra recourir au pipeau. C'est lui qui nous a fourni un abri, quand on a traversé les Rocheuses du Dragon avec Victor. Une fois, on a même eu droit à une véritable cabane.
Il soupira.
-Et j'espère que les petits Merlus ne seront pas trop jaloux et... qu'ils n'en voudront pas à leur père de ne pouroir leur offrir pareille excursion.

" Ne t'inquiète pas pour ça. Malgré la promiscuité, ils savent très bien à quoi s'en tenir. Ils ne sont pas fâchés... Plutôt impatients d'en savoir davantage sur vos aventures. Et je sais aussi que Guillhem a prévu quelque chose pour eux dans pas longtemps. Donc tu n'as vraiment pas à t'en inquiéter."
Elle reposa la dernière assiette et s'étira langoureusement.
" Bon, c'est bien comme ça. Allons voir si notre chambre est... bien rangée, tu veux ?"

Il sourit;
[color=#FFF66]-Je m'étais dit que nous aurions pu vérifier la tente et... la monter bien à l'écart mais... d'accord, la chambre est tout aussi bien.[/color]
Leur dernière nuit avant un mois de séparation... Il fallait en profiter. Sans oublier de dormir pour autant : sinon, le lendemain, c'est lui qui ralentirait ses compagnons de voyage.

Galathée le réveilla, le lendemain matin, en le couvrant de baisers. Il était encore tôt, mais moins que l'heure à laquelle la rôdeuse se levait généralement. Le soleil était déjà franc, et on percevait du bruit dans les chambres voisines.
" Je vais m'occuper des jumeaux, souffla la jeune femme. Mais je pense qu'il est temps de te mettre en mouvement... Baptiste est déjà descendu... Victor s'habille, je crois. Ce qui est un petit miracle en soi..."
Le gratifiant d'un dernier baiser, elle sortit du lit et s'esquiva rapidement vers le couloir, laissant le barde à ses préparatifs.

Toujours un peu surpris que le moment du départ soit si vite arrivé, il se leva néanmoins sans tarder, s'habilla puis vérifia tant le contenu de son sac que la liste des choses à faire ou à emportée que, par précaution, il avait rédigée le jour précédent. Quand il fut assuré que, de son côté du moins, tout était paré - ne restait plus guère qu'à vérifier l'état de la tente -, il prit à son tour la direction du rez-de-chaussée pour prendre un rapide petit-déjeuner. Comme ils devaient se mettre en route en milieu de matinée, il n'était pas question de lambiner...

En descendant, il découvrit que les garçons s'étaient déjà mis à l'ouvrage : Baptiste avait déballé la tente avec Guillhem, et Victor s'occupait du cheval. Quand il sortit à leur rencontre, il trouva le petit Desmoulins surexcité, tandis que son aîné écoutait avec attention les explications du fermier quant à la meilleure manière de replier la tente. Celle-ci était intacte mais dégageait une odeur de renfermé terrible. Il manquait quelques sardines pour la river au sol, mais rien qu'ils ne puissent fabriquer en taillant des pieux de bois. Le mât central était aussi un peu de guingois, mais cela ne changerait rien à la stabilité de l'ensemble. Ils devraient de toute façon se défier des orages, quel que soit l'état de leur matériel. Galathée sortit bientôt avec les jumeaux et Guillhem les abandonna, non sans souhaiter bon voyage au barde. La tente repliée, Baptiste fila à l'intérieur pour aller chercher les provisions qu'il avait préparées. Galathée alla aider Victor avec le cheval, lui dispensant également quelques conseils de base quant à l'entretien de la bête. Taliesin, lui, se retrouva en tête à tête avec ses deux plus jeunes enfants.

Et c'est volontiers qu'il passa du temps en leur compagnie, à les observer, à leur parler, à jouer avec eux... Les laisser derrière lui n'était pas évdent et, en y songent, il éprouvait un indéniable pincement au cœur. Pour autant, il essaya de n'en rien montrer : même tout petits, les jumeaux pouvaient sans doute percevoir ce genre de chose et il n'avait aucune envie de les inquiéter... Il s'efforça donc d'être détendu et de leur faire de simples aux revoir : après tout, un mois d'absence, ce n'était pas la fin du monde...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins