La Couronne de Cuivre

" A priori, oui, dit Baptiste. Mais... qu'est-ce que tu vas faire ? A mon avis... Il va essayer d'y aller."
Il grimaça.
" Peut-être que finalement, il faudra vraiment le transformer en pierre."
Cela fit rire Marius.
" Il va peser une tonne, si tu le transformes en pierre !"

-J'avais déjà discuté avec le pixie pour qu'il empêche Victor de quitter la chênaie. Mais j'imagine que lui reparler s'impose avant d'aller trouver maître Wilmarin.
Il poussa un profond soupir.
-Mais ça me confirme dans l'idée que nous devons rentrer à Luménis au plus vite.
Victor ne lui obéissant pas le moins du monde, ils ne pouvaient plus s'attarder dans des parages si périlleux. Sinon, il lui faudrait encore et encore protéger le môme de sa propre stupidité, et il n'était pas certain qu'il y parvienne à chaque fois ou qu'il ne perde pas la vie dans l'une de ces tentatives : cela avait déjà failli arriver, au camp des Centaures...
-Bon, je vais le chercher. Le pixie, pas Victor.

Chercher le pixie n'avait pas beaucoup de sens, car il était parfaitement invisible. Cependant, il eut pitié de Taliesin et se manifesta par un petit mouvement dans le feuillage avant de lâcher quelques fredonnements mélodieux.
" Tu me cherches, alors ? Je suis là. Qu'est-ce que tu veux ? Les enfants humains sont des créatures bizarres. C'est bien que tu viennes les rechercher. Ils ne sont pas faits pour ces bois."

-Merci beaucoup d'avoir si bien et si longtemps veillé sur eux, commença-t-il, sincère. J'espère que cela n'a pas été trop pénible pour vous. D'autant que j'ai peur d'avoir encore besoin de vous...
Il prit une profonde inspiration.
-Victor est très remonté et... il va sans doute tenter de quitter la chênaie sitôt que j'aurai le dos tourné. Vous serait-il possible de l'en empêcher, selon les modalités que nous avions définies ensemble ? Je vous en serais infiniment reconnaissant. Mais rassurez-vous, cela ne sera pas trop long : nous partirons probablement sous peu.

" Oh, les protections sont en place, ne t'en fais pas. Il a déjà essayé de prendre la clé des champs au moins dix fois ! C'est le genre de gamins, plus tu le coinces, et plus il va chercher une porte pour se carapater... C'est peut-être même pas volontaire ! La part animale de certains est plus ou moins visible, mais ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas chez chacun, si tu cherches bien !"
La créature rit joyeusement.
" Enfin. Tout ça pour dire qu'il n'ira pas loin. Il le sait bien. Il ne va pas essayer, d'ailleurs. Mais par contre, dès que vous serez partis... Ce sera une autre paire de manches, évidemment."

-Ca promet...
Il fallait donc espérer que leur hôte ait les moyens de les téléporter sinon directement à Luménis, au moins suffisamment loin dans le sud pour que revenir dans la vallée paraisse impossible à Victor.
-Merci encore pour votre aide : grâce à vous, j'ai pu avoir l'esprit tranquille les concernant durant toute mon absence, ce qui m'a beaucoup aidé. reprit-il. A présent, je dois aller trouver maître Wilmarin pour solliciter la permission de demeurer une ou deux journées supplémentaires en son domaine.

" J'espère que tu le trouveras facilement... Aux dernières nouvelles, il était sur l'une des plateformes les plus élevées... Une histoire de grimoire avariel, je pense, ou alors c'était un oeuf de dragon ? D'ordinaire, il descend voir ce qui se passe dès qu'il y a un peu de mouvement, mais avec les enfants qui fouinent partout, c'est devenu moins pratique !"
Le pixie rit à nouveau.
" Peut-être que si tu fais pipi sur une pierre sacrée, il se ramènera au pas de course."

L'elfe sourit.
-C'est une idée. Mais je la garde comme ultime recours : si je puis l'éviter, j'aimerais autant ne pas m'attirer ses foudres.
Puis, sur un salut amical, il entreprit de rallier la corde permettant d'accéder à la demeure du vieux sage. Il l'y chercherait, ponctuant ses pérégrinations dans les hauteurs d'appels réguliers.

Taliesin n'eut pas à chercher très longtemps. Peut-être avait-il marché sur un glyphe quelconque, car le vieil elfe surgit sur la première plateforme quelques minutes seulement après l'arrivée du barde.
" Ah, c'est vous. Les gosses vont bien. Je crois. Ils font du bruit, donc j'imagine que ça veut dire qu'ils sont vivants, non ? Vous êtes venu les reprendre ? Je dois avouer que j'ai peur de découvrir les déprédations dans mon bosquet."

Le barde lui sourit, amical.
-A mon avis, d'ici quelques semaines, il ne subsistera plus la moindre trace de leur séjour. Et ils vont bien, oui : j'en profite d'ailleurs pour vous remercier de leur avoir offert ce havre de sécurité. Cependant...
Autant ne pas tourner autour du pot.
-Cependant, je souhaiterais vous demander la permission de passer une ou deux journées supplémentaires en votre domaine. L'opération que nous avons menée dans la vallée à été à deux doigts de réussir sur tous les plans mais, malheureusement, les choses se sont au final mal passées et je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il est advenu des autres. Je voudrais donc les attendre un peu ici, car c'est l'endroit où nous avons le plus de chances de nous retrouver. Mais s'il nous n'avons aucune nouvelle d'eux d'ici après-demain, il faudra que nous regagnions Luménis au plus vite.

" Ma foi, comme vous voulez. Nous n'en sommes plus à quelques jours."
Il chercha un endroit pour s'asseoir, opta pour une branche qui passait à proximité.
" Vous dites que ça s'est mal passé ? Qu'est-ce qui s'est passé, au juste ? Les autres sont restés ?"
Il avait l'air de demander cela davantage pour faire conversation que parce que cela l'intéressait réellement.

Mais peut-être se sentirait-il davantage concerné lorsqu'il aurait évoqué Elwyn...
-Disons que nous avons été séparés. Ayant acquis la certitude que la clef de tous les mystères se trouvait dans l'abbaye, nous l'avions infiltré et découvert, dans une manière de prison, un certain nombre de femmes plongées dans l'inconscience à cause de quelque drogue : parmi elle se trouvait Cordélia, mon amie victime d'un enlèvement. Mais nous avions également trouvé la princesse, bien consciente quant à elle. Bref, nous étions à deux doigt de les sauver et d'apporter la preuve que ces prétendus Chauntéens sont coupables sur toute la ligne. Mais Elwyn tenait à tout prix à retrouver le capitaine Aegon, et j'ai perdu de longues minutes à la convaincre de nous accompagner. Lorsqu'elle a enfin daigné nous suivre, il était trop tard : nous étions encerclés et cela a été le sauve qui peut. Sauve qui peut dont elle a évidemment profité pour me fausser compagnie, se fichant complètement des conséquences que cela pourrait avoir.

Wilmarin eut un sourire amusé.
" Ah je reconnais bien là Elwyn, au sang de feu ! s'exclama-t-il. C'est une coriace, je crois que vous l'imaginez morte un peu trop rapidement."
Son expression se fit plus pensive.
" Vous et moi pouvons trouver la chose ridicule, mais l'honneur n'est pas un vain mot, dans nos clans les plus anciens. De ce que vous dites, Elwyn n'avait pas grand chose à perdre. Imaginez que vous ayez dû laisser un de vos précieux enfants derrière... Je ne crois pas que vous l'auriez fait non plus."
Son sourire revint.
" Pour l'heure, rien de ce que vous m'avez raconté ne me parait signifier un échec complet de votre mission. Puisque vous avez réussi à vous enfuir, je pense que les autres aussi. Nous verrons s'ils reviennent ici, ou s'ils terminent d'abord ce pourquoi ils sont allés jusque là."

-Elwyn est partie seule de son côté : aussi douée soit-elle, elle ne pourra résister aux forces dont dispose l'abbaye. Dans le cas contraire, elle n'aurait pas été capturée... Et malheureusement, son sauvetage était notre meilleure chance d'éviter une guerre entre les elfes et les habitants de la vallée. Quant à mes compagnons... A trois, sachant qu'ils devaient transporter deux personnes inconscientes, leurs chances d'avoir réussi à s'enfuir sont ténues : c'est une véritable armée qui se cache dans ce prétendu sanctuaire.
Soupir.
-Enfin, nous verrons bien. Mais s'ils n'arrivent pas ici rapidement, je devrai regagner Luménis en quatrième vitesse. J'ai réussi à secourir un gamin enlevé par les faux Chauntéens : les gens de la Vallée ne croiront rien de ce qu'il dira, puisque c'est un étranger. Mais les services secrets de la capitale prendront au sérieux son témoignage comme le mien. Il leur appartiendra alors de mettre un terme aux agissements de ces clercs dévoyés et d'éviter que la région ne s'embrase.

" Je n'étais pas là, je ne peux donc pas juger de ce qui s'est produit... de ce que vous avez observé... D'ailleurs je ne connais rien à cette abbaye. Mais par contre, en ce qui concerne Elwyn... Il y a une différence entre être pris par surprise, par vos propres hommes, et vous infiltrer volontairement dans un endroit où vous savez que l'ennemi vous guette... Je vous le dis : vous la sous-estimez."
Il sourit.
" Mais nous verrons si vos prédictions catastrophistes se révèlent exactes. Pour un Luménien, vous n'êtes pas très optimiste."

Taliesin sourit.
-Je ne suis pas Luménien : ceci explique cela, répondit-il, tranquille.
Pour le reste, il ne se formalisa nullement du fait que Wilmarin ne se fie pas à son jugement : depuis son arrivée dans cette région, personne ne l'avait cru, quoi qu'il dise. Par conséquent, il commençait à être habitué. Et puis, il espérait que contrairement à ce qui s'était passé jusqu'ici, la suite lui donnerait tort.
-Sinon, auriez-vous les moyens de nous téléporter à Luménis ou, au moins, dans le sud de l'île ? Plus tôt les services secrets seront informés, mieux ce sera...
Et plus tôt l'incontrôlable Victor serait de retour à la ferme - et sous la férule de Galathée, la seule à avoir prise sur lui, semblait-il -, mieux ce serait

Wilmarin croisa les bras et haussa les épaules.
" Vous téléporter ? Pas tous en une fois, certainement pas. J'ai peut-être un vieil artefact quelque part, cela dit... Je ne suis plus tout à fait sûr."
Il avait l'air peu emballé par la perspective.
" Enfin. J'imagine que ça peut s'arranger."

-Dites-vous qu'ainsi, votre domaine retrouvera encore plus rapidement sa quiétude.
Il sourit à nouveau.
-Je vous remercie encore une fois pour votre aide. Par ailleurs, si je puis vous être utile d'une façon ou d'une autre avant mon départ, n'hésitez pas à me le dire.

" Je pense que si vous occupez la marmaille, ce sera déjà un plus. Ils ne sont pas méchants, mais la quiétude, ce n'est pas leur fort. Je ne suis pas beaucoup en bas, mais d'habitude, la faune reste entre le sol et le premier étage. Avec le raffut qu'ils font, tous les oiseaux, les écureuils, les martres, et la plupart des insectes sont montés. Du coup, je suis dérangé par translation."
Il sourit doucement.
" Enfin, un jour de plus, un jour de moins, ce n'est pas si important. Faites ce que vous voulez."

-Merci encore, dit-il, sincère, avant de prendre congé.
Malgré sa piètre opinion des humains, malgré son insistance sur le dérangement que lui causaient les enfants, Wilmarin ne lui avait pas moins rendu un grand service qu'il appréciait à sa juste valeur. Et il s'efforcerait donc d'occuper la marmaille, quoiqu'il doute de parvenir à la rendre moins bruyante. Enfin, cela ne durerait plus qu'un ou deux jours.

Sur le plancher des biches, la situation avait légèrement évolué. Baptiste faisait visiter la cabane à Marius tandis que Titus se promenait parmi les fougères, non loin. Le demi-faune vint à la rencontre de Taliesin dès qu'il le vit cependant, et l'observa un moment sans rien dire. Il finit cependant par vaincre sa réserve.
" Je vais aller à Luménis avec toi, alors ?"

Le barde se rendit compte qu'avec toutes ces péripéties, il avait quasiment oublié ce à quoi il s'était engagé concernant Titus.
-Et bien, à moins que tu ne sois pas d'accord, oui, tu vas venir avec nous, répondit-il néanmoins d'un ton apaisant. A Luménis et dans ses environs, les gens ont l'habitude de voir des êtres de toutes natures et de tous horizons : ils n'auront donc pas peur de toi. Et puis, là-bas, nous pourrons tranquillement réfléchir à la meilleure manière de te trouver un foyer.

La réponse de Taliesin parut le rassurer. Mais quelques secondes plus tard, il plissa les yeux et parla à voix basse — précaution inutile vu le niveau de sylvestre des autres enfants.
" Est-ce que la petite fille bizarre va venir aussi ?"

-La petite... Oh.
Il aurait pu s'en douter. Il aurait dû s'en douter, même, après avoir découvert Marius en plein cœur de l'abbaye : les faux Chauntéens n'enlevaient que des femmes... ou des filles. Voilà qui rendait logique quelque chose qui l'avait troublé, sur le moment.
-Hum, oui, il... elle va venir avec nous : son témoignage est très important pour nous permettre d'arrêter les criminels qui sévissent dans cette vallée. Mais ne t'en fais pas : elle est directe, elle ne mâche pas ses mots et ne prend pas de gants mais elle n'est pas méchante.
Il marqua une pause.
-Par contre, ne dis pas à Baptiste et à Victor que c'est une fille, d'accord ? Si elle tient à se faire passer pour un garçon, c'est qu'elle a ses raisons. Elle leur dira la vérité au moment qu'elle jugera opportun.
Restait à savoir comment le petit faune avait réussi à percer ledit secret.

Titus jeta un oeil vers la cabane, incrédule, puis haussa les épaules.
" D'accord, je ne dirai rien."
Il paraissait toujours troublé.
" Les humains ont un si mauvais odorat qu'ils ne savent pas faire la différence entre une fille et un garçon ?"

Ah, c'était donc ça...
-En effet, acquiesça-t-il. Mais ils ne sont pas les seuls : les elfes sont dans le même cas. Honnêtement, je ne m'étais douté de rien et si tu ne me l'avais pas dit, je continuerais à croire que c'est un garçon.

Le gamin parut encore plus surpris mais il ne trouva rien à dire. Baptiste et Marius émergèrent alors de la cabane et retrouvèrent Taliesin. Le plus jeune s'approcha de Titus, la curiosité étalée sur le visage — c'était manifestement la première fois qu'il voyait une créature aussi étrange — tandis que le plus âgé venait se poster près du barde.
" Qu'est-ce qu'on fait, alors, maintenant ? On rentre ?"

-Pas tout de suite. Nous allons attendre encore un ou deux jours : si mes compagnons ont pu s'en tirer, c'est ici qu'ils nous rejoindront.
L'autre solution pour eux aurait été de se replier chez Amrod. Mais comme c'était très risqué, comme il y avait de fortes chances que, ce faisant, ils le condamnent, il les voyait plutôt regagner le couvert des bois.
-Si nous n'avons aucune nouvelle d'eux après-demain, nous rentrerons, oui : maître Wilmarin trouvera probablement une solution pour nous téléporter loin dans le sud, ce qui raccourcira considérablement le trajet. Mais d'ici là... Tu es bon pour bivouaquer encore un peu dans la forêt.
Il soupira.
-Ah, Baptiste, je suis vraiment désolé de la manière dont les choses ont tourné : ce n'était vraiment pas ce que j'avais prévu.

Baptiste eut un sourire réconfortant.
" Tu ne peux pas tout contrôler. Et si j'ai cru le contraire... C'est que j'ai été stupide. Tu n'es responsable en rien."
Il se tourna vers leur hutte.
" J'ai peur que le cabane soit un peu petite pour toi, cela dit. Il va falloir qu'on te construise autre chose si tu ne veux pas passer la nuit avec les moustiques."

Il sourit.
-Ne t'en fais pas : je me trouverai une branche confortable, comme la nuit dernière. Ou je verrai si Titus ne peut pas demander aux moustiques de me laisser tranquille.
Il jeta un regard à l'édifice construit par les enfants.
-Mais c'est une chouette cabane que vous avez bâtie. Et pas si petite que ça.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile