La Couronne de Cuivre

Albérich évita volontairement le regard d'Hubert. Il se sentait à deux doigts d'exploser et il n'avait pas envie de gâcher la séance des enfants. Il reporta plutôt son attention sur Alban et lui sourit.
" Bon. Tu as commencé hier, je propose que Ruth ouvre la danse aujourd'hui."
Il leva les yeux sur le paladin, qui s'empourpra instantanément, comme s'il avait été pris en faute. Le Luménien songea que si Hubert était coincé par son code d'honneur, ce n'était pas son cas à lui. S'il était privé de Lathandre, il en était également libéré. Peut-être était-ce finalement la voie qu'il devait emprunter...

-Je préfère que ce soit Alban qui commence à nouveau !
-Hein ? Mais...
-C'était une blague ! Ah là là, toi, tu marches pas, tu coures !
Ruth s'empara de son sac à malice, plongea la main à l'intérieur, jeta à bonne distance la petite boule qu'elle en tira et qui se changea...
...en un énorme rhinocéros, à l'air aussi menaçant que son attitude était placide.
-OUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! fit la gamine, aux anges. Imaginez le nombre de cannibales qu'il pourrait écrabouiller, celui-là ! Oh, d'ailleurs, c'est comme ça que je vais l'appeler : Écrabouille !

" Ça lui va bien, remarqua Hubert, impressionné. Je crois que je n'avais jamais vu d'animal de cette espèce..."
Il n'osa pas dire qu'il trouvait ça remarquablement laid. Peut-être la bestiole comprenait-elle le commun, un peu comme Grand Vent. Ce dernier, en réalité, se fiait au ton de la voix pour détecter l'humeur des gens, plus qu'il ne saisissait le sens des mots. Seul Hubert pouvait réellement communiquer avec lui.
" Qu'est-ce que tu peux lui faire faire ?"

-Tout ! s'exclama Ruth, extatique.
Joignant le geste à la parole, elle fit se déplacer et volter l'animal, avant de l'escalader tant bien que mal - mais avec une détermination inébranlable - pour aller se jucher sur son dos. Le rhinocéros, docile, l'y aida de son mieux. Moins d'une minute plus tard, la gamine paradait, minuscule sur l'énorme créature, offrant un tableau pour le moins étrange.
-Les cannibales vont mouiller leurs chausses quand je les chargerai ! affirma-t-elle, bravache.
-Oublie pas de descendre avant qu'il ne disparaisse, parce que sinon, la chute va être rude... fit Alban.
-Pas faux.
Peu après, elle s'exécutait.

La créature était spectaculaire et Ruth avait raison, sa charge était probablement dévastatrice, d'autant qu'elle semblait pourvue d'un cuir pour le moins épais. Timidement, le paladin en frôla le flanc, surveillant la bête et sa maîtresse, pour ne pas présumer de ses droits. Cependant, à moins qu'ils ne doivent s'échapper d'une mêlée formidable, il n'était pas certain qu'il encouragerait Ruth à la chevaucher. Si le rhinocéros résisterait aux flèches, la gamine paraissait d'autant plus vulnérable. Il se sentait néanmoins un peu rassuré de savoir la fillette en possession, potentiellement, d'un allié aussi puissant. D'autant qu'elle pourrait aisément embarquer Alban avec elle. Et peut-être même Albérich, s'il ne s'était pas métamorphosé en luciole.
" Bon... Je suis très impressionné, dit le paladin. Peut-être que dès qu'Ecrabouille aura disparu, Alban pourrait me montrer les merveilles de son sceptre capricieux ?"

-Giovanni m'a dit que je pouvais renvoyer les animaux dans le sac dès que je le souhaitais. Mais... j'aimerais bien le voir encore un peu, celui-là. D'autant que ça sera pas long...
Effectivement, le rhinocéros se volatilisa au bout de trois minutes. Alban brandit aussitôt son sceptre, signe qu'il avait hâte de s'en servir, mine de rien.
Il y eut une vive lueur, le son tonitruant d'une décharge, et un immense éclair s'en alla percuter le mur visé, à une bonne vingtaine de mètres de là.
-Ça, ça en jette... souffla Ruth.
-Dommage qu'il n'y ait pas eu de cannibales sur son trajet... fit Alban, avec un petit sourire en coin.

" Rappelez-moi de ne jamais me trouver dans le passage de ce machin, murmura Hubert.
— Heureusement que ça n'a pas touché un pilier." ajouta Albérich, desserrant enfin les lèvres.
Le paladin se déplaça jusqu'au point d'impact, curieux de voir si le sortilège avait altéré la pierre. Peut-être n'était-il, effectivement, pas complètement prudent d'utiliser un objet aussi imprévisible alors qu'ils étaient juste en dessous des pièces où vivait la communauté.

Comme l'aurait fait un éclair naturel, la foudre magique avait noirci et très légèrement creusé la pierre. Rien qui soit susceptible, cependant, de menacer la structure du bâtiment, loin s'en fallait. Néanmoins, impressionné, conscient sans doute qu'user à nouveau de son artefact ne serait guère prudent, Alban l'avait déjà glissa à sa ceinture.
-Dites, si c'est trop dangereux d'utiliser encore le sceptre ici... Est-ce que, pour éviter que la séance soit trop courte, on pourrait pas se méta... heu, assister à une métamorphose ? tenta Ruth, pleine d'espoir.

" Je suis désolé, dit alors Albérich. Je ne peux le faire qu'une fois par jour et compte tenu des circonstances... Je préfère ne pas gaspiller ma métamorphose. On ne sait jamais ce qui peut se produire."
Il avait essayé de dire ça d'un ton léger, mais Ruth et Alban n'étaient pas stupides. Il espérait qu'ils comprendraient les raisons qui le forçaient à se montrer raisonnable.
" Cela dit, je pense qu'on peut essayer le sceptre une dernière fois. Ensuite, je suis certain qu'Hubert avait des choses à vous proposer."

Il semblait fort que les gamins aient compris les raisons qui avaient présidé à son refus, puisqu'ils se contentèrent d'opiner du chef, sérieux. Puis, en entendant sa proposition, ils sourirent et Alban consulta son maître du regard. Ayant obtenu son approbation, il recupéra le sceptre et prit bien soin de viser un mur - et non un pilier - avant de prononcer à nouveau le mot de pouvoir. Cette fois, ce furent des lueurs multicolores qui apparurent. Elles se mouvaient doucement, pulsaient selon un rythme changeant, variaient de teinte, le tout de manière élégante, féérique. En revanche, elles ne semblaient produire absolument aucun effet.
-C'est vraiment joli, fit Ruth, rêveuse. Si Giovanni voit ça, lui qui aime tant la couleur, il va te vouloir comme apprenti.
-Heu...
-C'est une bonne idée, pourtant ! T'es un écuyer entorpique, pourquoi tu deviendrais pas un écuyer barde entropique ?
-Je n'ai pas le caractère pour être barde.
-Juste parce que tu fais pas assez d'efforts ! Pis réfléchis, comme ça, tu serais peut-être le premier à figurer sur la fresque !

Hubert et Albérich restèrent silencieux, tout en ne bougeant pas de leur place. Certains sortilèges prenaient parfois des aspects enchanteurs et se risquer à aller s'exposer à ces lueurs était déraisonnable. Le Luménien réprima un soupir. Hubert garda les mains sur les hanches.
" Intéressant." lâcha finalement le paladin.
Albérich devinait ce qu'il devait penser. Que le sceptre était trop imprévisible. La bonne nouvelle était qu'Alban pourrait l'utiliser jusqu'au moment où l'effet serait utile. Mais s'il y en avait mille différents, et un seul éclair, ce serait peut-être trop tard pour repousser un cannibale hurlant.
" Merci de m'avoir permis de profiter de ces merveilles, dit ensuite le paladin. Mais à présent, si vous avez déjà mangé, nous allons nous entraîner un moment... Ensuite, nous discuterons armes. Allez donc chercher le matériel."
Il se tourna vers Albérich, qui le dévisagea sans se détourner. Il avait pris une décision et il fallait qu'ils se parlent.

-D'accord, m'sire, fit Ruth, joyeuse.
-Nous passerons également prendre votre équipement, enchaîna Alban, que la perspective de l'entraînement semblait réjouir tout autant. Et... merci beaucoup d'être venu.
-Oui, merci !
Ils tournèrent les talons, s'engagèrent au petit trot sur la rampe menant au niveau supérieur. Bientôt, l'écho de leur bottes sur la pierre s'atténua, jusqu'à disparaître complètement, laissant Albérich et Hubert dans un profond silence.
Les lueurs, elles, ne s'étaient pas volatilisées.

Dès que les enfants furent hors de vue, Albérich se lança.
" Hubert, quand tu as sondé Alban, vous étiez dans le chariot, n'est-ce pas ?
— Oui.
— Quelle est la portée du sortilège ?
— Environ dix-huit mètres.
— Ignace organise toujours le camp très précisément. Il y a donc moyen de savoir ce qui se trouvait derrière votre chariot.
— Oui, je suppose.
— En retrouvant qui dormait là-derrière et qui montait la garde à cet endroit, nous restreindrons déjà le champ des possibles.
— C'était peut-être quelqu'un en mouvement.
— Certes, mais il faut bien commencer quelque part.
— Qu'as-tu derrière la tête ?
— Tu ne peux pas sonder les auras — pas encore, mais rien ne m'empêche d'aller bavarder avec les gens.
— Tu crois que tu vas détecter le mal juste en bavardant ?
— Non. Mais je vais déjà sentir les choses. Je vais aller trouver Ignace."
Il fit mine de partir mais Hubert le retint d'une main sur le coude.
" Ne prends pas de risques, Albérich. Si tu perçois quelque chose d'inquiétant... Tu m'appelles."
Le Luménien sourit
" Bien sûr."
Puis, sur un signe, il s'esquiva vers les hauteurs. Il n'avait pas la moindre intention d'organiser un tournoi... du moins pas dans l'immédiat.

Ignace était à nouveau à l'intendance, d'où avaient disparu tous les vestiges de leur houleuse réunion : la table était désormais recouverte des habituels et soigneux empilements de documents, en l'occurrence des listes concernant le matériel de la Communauté. Le Conseiller, fidèle à sa parole, était en train de préparer le déménagement. Néanmoins, il accueillit Albérich avec sa coutumière affabilité.
-Que puis-je pour ton service ? s'enquit-il.

Albérich n'avait pas l'intention d'y aller par quatre chemins. Rien de ce qu'il ne s'apprêtait à faire n'était illégal, et si cela marchait, cela éviterait peut-être le recours à des solutions plus radicales.
" J'aurais voulu que tu me dises quelle était la disposition du campement le soir où Hubert a sondé Alban. Je sais qu'ils dormaient dans un chariot de matériel, tu dois savoir lequel. Ce n'était ni le soir du retour du tumulus, ni le lendemain, puisqu'Alban a fait la première nuit avec Robert. J'imagine que tu as conservé un plan du camp."

-Je conserve toujours tout, car tout peut toujours servir.
Il le dévisagea un moment, silencieux.
-Ne tournons pas autour du pot, Albérich : tu me demandes de t'aider à agir dans le dos du Conseil. Je pourrais faire semblant de ne pas avoir saisi tes intentions mais... Ce ne serait pas crédible. Bref, tu me demandes d'être ton complice.
Il croisa les bras.
-Que feras-tu, quand tu aras la liste des suspects ?

Albérich regarda Ignace droit dans les yeux.
" J'irai simplement leur parler. Ce n'est pas interdit, jusqu'à nouvel ordre. Je n'ai pas l'intention de les accuser de quoi que ce soit, je n'ai même pas vraiment l'intention de les soupçonner. Mais j'irai leur parler, oui. Je peux comprendre qu'il vous paraisse scandaleux d'aller scruter l'âme des gens sans leur demander leur permission. Que ce soit vécu, compris, comme une intrusion, même si je fais partie de ceux qui pensent que l'intrusion est parfois nécessaire. Je peux comprendre que vous ne vouliez pas que la communauté bafoue ses principes, même si défaire le mal aurait dû être un principe fondateur du projet. Qu'allez-vous faire quand des prospecteurs peu scrupuleux voudront s'approprier votre mine ? Les trier à l'entrée ? Sur quelle base, Ignace ? Mais bref. Mettons. Quelle que soit la morale de la communauté, dans toutes les sociétés, quand il s'y trouve un criminel, il y a des gens pour enquêter. Si les moyens magiques sont rejetés, laisse-moi user des moyens classiques. Je ne ferai rien : je ne peux rien faire. Sinon chercher."

-Pour répondre à votre question... Si des gens veulent s'installer dans la Communauté, y travailler, participer à l'exploitation des ressources situées sur son territoire, il leur faudra signer notre charte, adhérer à nos principes. S'ils refusent, il leur faudra repartir là d'où ils sont venus. S'ils acceptent mais se comportent mal, ils seront traduits en justice, voire exclus. S'ils s'en prennent à nous, nous nous défendrons. Quant au fait que dans toute société, on enquête sur les criminels...
Il soupira.
-Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point. Sauf qu'ici, aucun crime n'a été commis : pas de meurtre, pas de vol, pas de coups et blessures... Tous les membres de la Communauté, y compris celui qu'Hubert a repéré, ont respecté ses règles. Et c'est là que le bât blesse : ce pour quoi les autres et toi militez, c'est une sorte de... justice anticipée. Punir avant qu'un crime n'ait été commis ou constaté, avant même, peut-être, qu'il n'ait été envisagé. Ce qui st contraire à tous les principes de la justice traditionnelle.

" Il ne s'agit pas de punir, Ignace, il s'agit de prévenir." dit Albérich en secouant la tête.
Il soupira.
" Je pense que vous ne mesurez pas notre vulnérabilité. Vous êtes sur votre nuage bleu, vous pensez que les dangers que nous affrontons sont de petits écueils que nous balayerons de notre foi invincible. Excuse-moi de te le dire platement, Ignace, mais c'est naïf, stupide et dangereux. J'ai été exactement comme toi, autrefois, pétri de principes inébranlables. La justice prévaudra. La lumière vaincra. L'ombre sera défaite car c'est ainsi que le monde se doit d'aller. Les dieux ne permettraient pas le contraire. Ce sont des balivernes. Le bien n'existe que parce que certains se battent pour le rendre possible."
Il pinça les lèvres.
" La communauté est faite de survivants. Tu en es un, toi-même, sans doute. Je ne comprends pas comment vous pouvez croire, encore, que nous prévaudrons sur base de belles intentions."

-Tu te trompes si tu nous crois naïfs, Albérich. Nous sommes conscients des dangers qui nous cernent, nous sommes conscients qu'il peut aussi en exister en notre sein même. Nous sommes aussi conscients de la facilité avec laquelle, face à un grand péril, on peut se rendre coupable de compromission, s'abaisser, s'avilir. Combattre le mal par le mal est toujours très tentant, et paraît toujours très efficace mais, une fois qu'on l'a fait, on n'est plus le même... Ne te méprends pas : je ne dis pas que telle est votre intention, pas du tout. Je dis simplement que nous sommes très vigilants en matière de principes, parce que commencer à les renier, c'est peu à peu s'engager sur une pente qui peut mener très loin.
Il secoua la tête.
-Pour te parler franchement... Quand je vois que Luménis est désormais gouvernée par un homme tel que Maelwedd, je considère qu'elle est pervertie. Ce n'est pas pour en arriver là que je me suis engagé dans la Communauté.

Le coup était bas mais Albérich l'encaissa sans broncher, il l'avait mérité. Intérieurement, il maudit — une fois de plus — Hubert d'avoir lié leurs destins à ce groupe qui était prêt à mourir plutôt que de faire des compromis. Il comprit, de surcroît, que sa propre loyauté, qui n'avait jamais été très solide, était sapée par cette attitude démente. Il était un véritable survivant et il tenait à la vie. Pas eux. Pas assez.
Il avait envie de dire à Ignace que si Maelwedd était dirigeant à Luménis, c'était uniquement parce que lui, Albérich, n'était pas descendu assez vite de son nuage.
Il avait envie de lui dire, aussi, qu'il espérait que ses nuits étaient plus faciles de savoir que s'ils avaient tort, il ne vivrait pas pour contempler le champ de ruines.
La colère, à nouveau, pulsait en lui, assassine.
Il leva les mains.
" Tant pis. On ne peut pas sauver les gens contre leur gré, je le sais bien." dit-il finalement.
Puis il quitta la pièce. Bien sûr, il lui restait une manière d'agir : en compulsant le recensement, il pourrait identifier un sous-groupe de personnes isolées et concentrer ses efforts sur elles. Mais il ne s'en sentait pas l'énergie. Demain aurait lieu le vote déterminant. S'ils échouaient à réveiller le conseil, il démissionnerait. Marthe était partie, elle ne pourrait pas s'en offusquer. Ensuite, il ferait clairement comprendre à Hubert qu'il avait intérêt à envisager leur départ.

A l'étage inférieur, dans la nef, Hubert et ses écuyers étaient bien loin des tourments de l'ancien aubemestre. Ils étaient toujours en plein exercice, Ruth et Alban ne ménageant pas leurs efforts tout en s'efforçant, comme à l'ordinaire, d'appliquer au mieux les consignes et les conseils de leur instructeur. Lequel pouvait constater qu'ils progressaient, l'un et l'autre : c'était surtout spectaculaire pour la gamine, qui maîtrisait mieux son impulsivité, ne s'en remettait plus uniquement aux assauts et à la force brute mais recourait davantage aux parades, aux feintes... Toutefois, le garçon aussi s'améliorait, ne serait-ce que parce qu'il osait plus, se faisait moins timoré...

Hubert félicita les deux enfants et prit le temps de travailler avec chacun certains mouvements en particulier, attirant leur attention sur les choses qu'ils faisaient bien et celles qu'ils réalisaient maladroitement. Ils avaient un style différent, ce qui n'était pas un mal, et le paladin avait tendance à encourager ses élèves à développer leurs points forts, plutôt que d'essayer d'obtenir un mode de combat standard de chacun. Quand ils en eurent terminé, il s'assit à même le sol et il les interrogea sur la manière dont ils entretenaient leurs armes, sur le matériel minimum à emporter, et leur expliqua que dès qu'ils seraient dans de bonnes conditions, il demanderait à Ulrich de leur donner des bases en travail du fer. Il les interrogea aussi sur leur choix d'arme. Il les trouvait l'un et l'autre bien adaptés à l'épée, mais peut-être avaient-ils un autre sentiment ?

Le petit garçon laissa Ruth répondre aux questions touchant à l'entretien de l'équipement et au matériel à emporter, n'intervenant que quand elle séchait : c'était rare, cependant, signe qu'elle avait très vite retenu ce que son ami lui avait appris et, sans doute, qu'elle pourrait être bien meilleure à l'école si elle s'en donnait la peine... et en trouvait le goût. Quant Hubert en vint au travail de la forge, elle afficha un sourire radiieux, tandis qu'Alban, lui, baissait la tête : il pensait probablement que, plus fluet que la fillette, il s'en tirerait moins bien. Enfin, il affirma être attaché à l'épée, arme chevaleresque par excellence. Ruth, elle, admit qu'elle avait un petit faible pour les marteaux de guerre, tout en assurant qu'une bonne lame ferait l'affaire, même si elle se tournerait peut-être un jour vers une version plus imposante, de celles que l'on maniait à deux mains.

Hubert proposa à Ruth de tester le marteau dès le lendemain. C'était une arme qu'il ne connaissait pas très bien, mais il pouvait lui en enseigner les bases, et si elle s'avérait douée, il pourrait lui trouver un instructeur pour son perfectionnement. Il proposa aussi à Alban, s'il désirait conserver l'épée à une main comme arme de prédilection, de commencer à lui enseigner l'usage offensif du bouclier. Ce n'était pas toujours très académique, mais c'était diablement efficace, et c'était une technique qu'il maîtrisait bien.
Il aborda ensuite la question de l'équitation. Il ne les avait pas vus à cheval souvent et s'interrogeait sur leurs compétences en la matière. Les lieux n'étaient pas vraiment propice à de grandes chevauchées, mais il n'écartait pas la possibilité de les mettre en selle de temps en temps.

-Je me débrouille à peu près... répondit Ruth.
-Oh la menteuse ! s'exclama Alban.
-Je ne mens pas !
-Non, mais tu ne dis pas toute la vérité.
Il se tourna vers Hubert.
-Ruth est très douée, messire. En tout cas, c'est l'impression que ça me donne. Ce n'est pas très étonnant vu l'endroit où elle a grandi mais quand même, elle est très à l'aise. Et Grand Vent l'adore. C'est moi qui me débrouille juste à peu près : messire Robert m'a appris les bases, j'ai pu un peu m'entraîner, mais... Je manque d'expérience.

Hubert sourit.
" Nous reprendrons l'équitation dès demain, dans ce cas. Combattre à cheval est un art, et il est prématuré de vous l'enseigner, d'autant que nous ne disposons pas des installations pour ce faire, mais maîtriser parfaitement sa monture est un pré-requis indispensable."
Il se tourna vers Alban.
" J'ai prêté un de mes chevaux à Marthe, et le dernier n'est pas vraiment taillé pour ce qui nous intéresse. De surcroît, c'est la jument d'Albérich. Mais je sais que Robert avait plusieurs montures. Est-ce que tu penses que tu serais d'accord d'en prêter un à Ruth, d'ici à ce que je puisse lui en procurer un autre ? Je pense qu'il est nécessaire que nous travaillions chacun avec une bête en particulier, et même si Grand Vent l'adore... Je vais le garder pour moi."

-Bien sûr, répondit l'enfant. Ruth, je te prêterai l'étalon : il est un peu impétueux mais bien dressé. Moi, je garderai la vieille jument, qui est beaucoup plus douce et qui...
Il rougit légèrement.
-Hum, et qui m'impressionne moins.
-C'est surtout que tu sais y faire avec les filles.
-Pardon ?
-Rien rien.

Hubert explosa de rire, juste une seconde, puis dissimula son sourire derrière ses paumes.
" Bon. Je pense que nous avons bien travaillé pour aujourd'hui. N'oubliez pas de ranger et d'entretenir le matériel... et nos multiples chevaux. Ruth, puisque tu vas monter l'étalon, si Alban est d'accord, tu vas t'en occuper également. Mais ça ne te donnera pas moins de travail, jeune homme, car en échange, tu te chargeras de la jument d'Albérich. Arnaud devrait pouvoir te la montrer. N'oubliez pas de prendre le temps de vous laver, car de vrais chevaliers présentent toujours bien. Demain, je prendrai un peu de temps avec toi, Alban. Robert t'a déjà remarquablement instruit et je ne sais pas bien où sont tes lacunes. Il faudra que nous en parlions."
Il pinça les lèvres, hésita, puis se lança.
" Enfin, vous veillerez avec moi les deux premières heures de la nuit, désormais. Juste après le souper. Sauf si vous ne le sentez pas. Il n'y a pas d'obligation et je sais que les nuits sont rudes."

La dernière phrase les laissa un moment pantois. Ruth fut la première à se ressaisir, tandis que son ami restait bouche bée.
-Ouah ! Bien sûr que je veillerai avec vous ! s'exclama-t-elle, ravie. Les cris, ils me mettent juste en colère et la nuit, je rêve que j'écrabouille les cannibales, et c'est plutôt chouette.
Alban se reprit à son tour.
-Ce sera un honneur de monter la garde à vos côtés, messire. Les cris m'affectent, mais il faut savoir affronter ses peurs. Quant aux nuits... Ben, à franchement parler, je ne peux pas mouiller davantage mes couvertures.
-Bah, tu nous rends service : vu qu'un chevalier doit toujours être propre, deux bains par jour, c'est pas de trop.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée