La Couronne de Cuivre

-Au moins, ils ne sont pas difficiles à occuper ! fit-il en les observant, attendri.
Puis il se leva.
-Mais je vais effectivement m'éclipser : j'ai les bagages à ranger. Pour l'heure, ils sont honteusement déposés dans un coin.
Ce n'était pas là tâche très palpitante mais... ce qui était fait n'était plus à faire.

Flore le salua et Taliesin put regagner l'intérieur de la maison. Baptiste et Guillhem devisaient dans la cuisine, il entendait le murmure de leurs voix sans parvenir à en distinguer le sens, mais il était manifeste que le plus jeune était désormais calme. Pour le reste, tout était silencieux, rien ne semblait avoir changé : les bottes dans l'entrée, les manteaux de pluie suspendus dans le couloir, le buffet un peu plus loin, les portes de bois sombre dissimulant ici un placard et là-bas la salle à manger, l'escalier craquant sous ses pas tandis qu'il le gravissait et finalement la chambre maritale, inchangée, propre et rangée, la fenêtre ouverte sur le soleil...

Il ne perdit pas de temps, rangeant ce qui pouvait l'être, mettant au sale ce qui nécessitait une lessive.
Son regard, un moment, s'attarda sur sa nouvelle épée qu'il laissa à portée de main : il faudrait qu'il en use d'ici peu, pour les exercices et pour retourner voir le prince. Il faudrait aussi qu'il en parle à Galathée. Qu'il lui parle du tournant qu'elle représentait et qui n'avait rien d'anodin.
Mais dans l'immédiat, sa corvée accomplie, il ressortit de la maison et se mit en quête de Titus. Si le courant était bien passé entre Jehan et lui, ce serait déjà une excellente nouvelle.

Cette noble tâche s'apparentait cependant à la recherche d'une aiguille dans une meule de foin. Le domaine n'était pas gigantesque mais il y avait plusieurs champs aux herbes hautes, un pré gigantesque et le bois touffu. Flore n'avait rien vu, les enfants à la rivière pas davantage, et ni Jehan ni Titus n'étaient au milieu d'un chemin à l'attendre. Il était probable que le faune était dans les bois, mais les fouiller prendrait des heures, à moins que Taliesin ne voulut crier pour l'attirer...

Mais le barde décida non seulement de ne pas le déranger mais, de surcroit, de ne pas s'inquiéter.
Il n'y avait rien à redouter, ici. Pas le moindre danger. Par ailleurs, Titus savait où se rendre en cas de besoin. Alors autant le laisser prendre ses marques en toute liberté.
En ce qui le concernait, il referait un crochet par la rivière, pour s'assurer que tout se passait bien au niveau de Marius, puis il reprendrait la direction de la ferme où il trouverait bien à s'occuper.

La rivière bruissait de la folie douce habituelle qui animait les enfants lorsqu'ils se retrouvaient à jouer dans l'eau. Evidemment, c'était chose banale pour les fils Merlu, qui y passaient toutes leurs fin de journée depuis le premier jour de beau temps. Pour Victor, par contre, c'était un retour aux sources. Pour Marius, une découverte, qu'il faisait avec circonspection, mais Victor semblait veiller sur lui et l'impliquer volontiers dans leurs grands projets de terrassements sur le fleuve. De l'autre côté, plusieurs des cochons de leur voisine, Milicent, les observaient sans oser se mouiller.
Rassuré, Taliesin put donc retourner à la ferme où il fut réquisitionné en cuisine pour la préparation du repas du soir. Guillhem se moqua gentiment de lui en lui promettant de longues et fréquentes journées de dur labeur, à présent qu'il était rentré.
Puis Galathée rentra. Taliesin la devina au galop d'un cheval et à l'aboiement des chiens au dehors.

-Ah, désolé mais... Le devoir m'appelle !
Sur ce, sourire aux lèvres, il laissa en plan ce qu'il faisait et fila hors de la cuisine.
Certes, il en avait un peu rajouté pour faire bisquer Baptiste - quoiqu'en vérité, celui-ci lui emboîterait sans doute le pas. Mais, surtout, il avait hâte de revoir la rôdeuse dont il guettait le retour depuis déjà un bon moment.

Galathée avait démonté dans la cour et Taliesin y arriva en même temps que Flore et les jumeaux. La rôdeuse avait déjà un enfant accroché à chacune de ses jambes quand elle se tourna, souriante, vers l'elfe.
" Mieux vaut tard que jamais, non ?" demanda-t-elle avec un sourire en lui ouvrant les bras.
Difficile de savoir si elle parlait de leur retour ou du sien...

Évidemment, parce que c'était plus drôle ainsi, c'est la deuxième hypothèse qu'il adopta officiellement.
-En effet ! Mais c'était long ! Gal, ça fait des heures que je t'attends ! Des heures !
Et de l'étreindre, non sans fougue.
Ah, qu'elle lui avait manqué !

Elle lui rendit son étreinte.
" J'ai fait au plus vite, vraiment, je ne voulais pas que tu t'inquiètes !" rétorqua-t-elle non sans une pointe d'ironie.
Taliesin s'était peut-être engagé sur une pente glissante... Il sentit le poids d'un des bébés se déplacer sur sa jambe. Puis Galathée le relâcha et se tourna vers Baptiste, qui venait d'arriver à son tour. Elle se pencha pour l'étreindre.
" Bonjour mon aventurier."

Une pente glissante ? Mais c'était elle qui l'avait poussé sur la route !
-Victor est à la rivière, expliqua-t-il. Mais comme ça fait déjà un bon moment, j'imagine qu'il ne tardera pas trop à revenir.
Et de se pencher pour voir si le bébé accroché à sa jambe était tenté par un séjour dans ses bras.

C'était Tristan et il se montra ravi de grimper.
" Bon, je vais me laver et je reviens. Je ne vous raconte pas ce que vous venez d'étreindre avec tant d'énergie." dit la rôdeuse.
Héloïse semblait vouloir escalader Baptiste mais celui-ci, avec un seul bras, n'était pas capable de la soulever et Flore intervint.
" Vous allez devoir me raconter vos aventures... plus qu'en quelques lignes."
Elle se tourna vers Baptiste.
" Mais avant ça... Qu'est-ce qu'on mange, alors ?"
Le gosse sourit, ravi.
" Du filet de boeuf, sauce échalote et myrtilles, avec des lentilles et des épinards.
— Parfait !"

-Et n'aies crainte : tu sauras tout, absolument tout. Je pense que Victor ne sera pas long à ouvrir les hostilités et... nous nous efforcerons de compléter.
Il y en aurait pour plusieurs heures, sinon davantage.
Mais certaines choses, évidemment, ne seraient évoquées qu'en privé.
Les dossiers épineux ne manquaient pas.

" Je croiserai les témoignages pour être sûre de tout."
Elle s'immobilisa avant de franchir le seuil de la porte.
" Où sont... les nouveaux... pensionnaires de la ferme ?"

Sa mine se fit embarrassée.
-Marius est à la rivière. Quant à Titus, il est... eh bien...
Haussement d'épaule.
-...quelque part, j'imagine. Potentiellement avec Jehan.

" D'accord. J'ai hâte de les rencontrer."
Elle sourit à Baptiste.
" Est-ce que vous avez discuté du couchage ? Qui avec qui ? Les choses se sont un peu réorganisées avec votre absence plus longue que prévue... mais on peut s'arranger un peu comme on veut..."

-Nous nous sommes dispersés très vite après notre arrivée et nous n'avons donc pas pu discuter de ça..
Il sourit.
-Mais on pourra en parler plus tard : ce n'est pas très pressé. Et nos nouveaux pensionnaires n'ont pas beaucoup de bagages, donc leur installation sera pour le moins rapide...

" D'accord."
Et elle disparut à l'intérieur. Baptiste leva son sourire ravi vers Taliesin puis retourna vers sa cuisine. Flore tendit son bébé à Guillhem, qui avait fini par émerger.
" Je vais y aller alors, moi. Je reviens après-demain.
— Passe le bonjour à tes parents de notre part.
— Bien sûr."
Elle se tourna vers Taliesin.
" Bon retour à vous."
Puis elle entraîna le cheval de Galathée vers les écuries, sans doute pour y chercher au passage sa propre monture.

Taliesin la salua amicalement, la regarda s'éloigner puis adopta une mine faussement hoorrifiée.
-Elle part déjà ? souffla-t-il.
Il jeta un regard aux jumeaux, à Guilhem.
-Mais comment allons-nous nous en sortir ?

Guillhem rit joyeusement en emportant Héloïse à l'intérieur.
" Elle vient normalement un jour sur deux... On a un peu augmenté la cadence vu ton absence, mais à présent que tu es de retour... Je pense que les choses vont rentrer dans l'ordre.
— Guiiiiiiillllllheeeeem ! s'exclama une voix étouffée depuis la cuisine.
— Ah. Le devoir m'appelle."
Il s'approcha de Taliesin et lui tendit Héloïse.
" Un dans chaque bras, à cet âge, c'est du sport. Il va peut-être falloir que tu nous fendes un peu de bûches pour pouvoir assumer..."

-J'y songerai sérieusement, répondit-il avec un sourire en coin. Mais en attendant, je pense que je devrais parvenir à tenir assez longtemps pour trouver un endroit où m'assoir.
Rester avec les jumeaux ne le gênait pas, bien au contraire : il y avait du temps à rattraper. Même si, selon toute vraisemblance, ils ne tarderaient pas à refermer leur duo fort peu préoccupé du monde extérieur. Cependant, même se concenter de les observer lui convenait très bien.

Il faisait trop beau pour rester dehors et Tristan et Héloïse entraînèrent leur père vers l'extérieur, à force de coups de pied, de gargarismes et de tirages de manche. Une fois dans le jardin, ils gigotèrent jusqu'à ce qu'il les pose sur le sol et ils partirent alors à l'aventure dans les hautes herbes.
" Surveille la mare !" lui cria Galathée depuis la fenêtre de leur chambre.
Elle le rejoignit quelques minutes plus tard, les cheveux encore mouillés, et s'assit.
" Ils font les sages pour mieux te berner... constata-t-elle. Une seconde d'inattention peut provoquer la catastrophe..."

-Je te crois sur parole. Mais rassure-toi, je les tiens à l’œil.
Il sourit pensivement tout en continuant à les observer, vigilant.
-Tristan m'a accueilli à bras ouverts tandis qu'Héloïse, elle, me faisait la tête. Déjà, leurs caractères se dessinent...

La rôdeuse lui prit la main.
" C'est un hasard, crois-moi. Sans doute a-t-elle mangé un truc qui passe mal... En général, elle n'est pas plus timide que lui, ni plus rancunière. Leurs humeurs sont aussi volatiles que la météo. Au début, cela m'a agacée et j'ai essayé de comprendre et d'anticiper. Aujourd'hui, je dois dire que j'ai laissé tomber : manger, dormir, les fesses sèches, c'est la triade indispensable. Pour le reste... Tristan ! Pas la terre, bon sang !"
Le petit garçon lui jeta un oeil embarrassé, les joues maculées de brun sombre.
" Ce gosse se prend pour un lombric. Enfin, j'imagine qu'il y trouve son compte."

-Peut-être l'y trouverions-nous aussi, si nous l'imitions. Peut-être aurions nous de nouvelles recettes à suggérer à Baptiste...
Comme Galathée regardait les jumeaux, il en profita pour la regarder, elle.
-Alors, comment ce sont passés ces derniers mois ? Vraiment navré d'avoir tant tardé mais... Comme tu le sais, j'ai le chic pour tomber malgré moi dans des sacs de nœuds qu'il faut bien dénouer...

" Honnêtement... Je me suis inquiétée au départ... et puis c'est parti. Je ne sais pas comment t'expliquer... J'ai su que... c'était normal. Je te connais, avec le temps."
Elle eut un calme sourire.
" Même si je te gardais sous mes yeux, je suis sûre qu'il t'arriverait des bricoles. Pour le reste, rien de spécial, vraiment. Les enfants grandissent, la ferme bourdonne et moi, j'ai beaucoup travaillé... Guillhem et Dame Milicent... Bah, il t'en parlera ce soir. Je pense que... nous allons bientôt avoir beaucoup de place, ici."

-Oh...
Il sourit.
-Je suis ravi pour eux, vraiment.
De fait, la nouvelle le réjouissait : Guilhem l'avait bien mérité.
-Mais du coup, il va falloir qu'on invite plein de monde pour occuper toute cette place, plaisanta-t-il.

Elle rit doucement.
" Je te vois venir... En réalité, la maison n'est pas si grande, et je pense que les garçons seront contents d'avoir chacun leur chambre. C'est un luxe, je m'en rends compte, mais... puisque tu en as ramené deux de plus... L'idée est que Guillhem continue à exploiter le terrain pour notre compte à tous mais qu'il habite dans le domaine voisin. Avec ses enfants. Vu la distance, je pense qu'il y aura souvent des couchages ici et là... et le plan est de jeter un pont, ou peut-être deux, au-dessus de la rivière, pour qu'on puisse passer d'un domaine à l'autre sans devoir faire le tour par la route. Bref, j'anticipe, Guillhem voulait te l'annoncer lui-même et... tout ça doit être discuté avec Victor, aussi, même si nous avons l'autorité pour décider sans son aval."

Il acquiesça.
-Bien sûr. Certes, je ne vois pas pourquoi il s'opposerait à cet arrangement, surtout que contrairement à notre précédent projet, il ne serait pas question de vendre la maison de Luménis, mais... Je préfère moi aussi que nous l'impliquions dans la décision.
Il se fit très sérieux.
-Pour le reste... Je suis navré de te mettre ainsi devant le fait accompli, avec Titus et Marius. A la base, je n'avais aucune intention de les ramener mais, compte tenu de ce qui s'est passé, de ce que j'ai découvert, agir autrement m'aurait paru... horrible.

" Il n'y a pas de mal, Taliesin. Franchement... Je ne dis pas que ce n'est pas... surprenant... et en même temps, ça ne l'est pas tellement. Evidemment, je vais hésiter à te laisser repartir... ou alors je vais exiger que tu aménages d'abord la grange, histoire que les chambres supplémentaires soient prêtes quand tu en ramèneras deux de plus... et encore deux de plus et..."
Elle l'embrassa sur le front.
" Mais je plaisante. Je sais que tu as fait ce qu'il fallait. Je n'aurais pas voulu que tu te laisses guider par le pragmatisme au moment où c'est le coeur qui devait parler."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins