La Couronne de Cuivre

L'animal, sitôt apparu, exécuta la consigne qu'on lui avait donnée.
Cette fois, il y eut un résultat.
Le même résultat que quand c'était Hubert qui accomplissait l'opération.
Des symboles... Une ouverture...

" Victoire !" s'exclama Hubert avec enthousiasme.
Il attrapa aussitôt l'animal dans ses bras et franchit l'ouverture en le caressant. Albérich leur emboîta le pas en riant.
" Il ne va pas pouvoir jouer les portiers, tu sais... Il va disparaître plutôt rapidement...
— Je sais, mais ça veut dire que Gabriel, Thibault et toi savez désormais aussi ouvrir ces foutues portes. Et peut-être même les magiciens et Giovanni."
Et les clercs ithiliens, songea Albérich.
" Je suis libre ! Mon bonheur est total !"
Ils avaient atteint le couloir et Albérich se prépara à contacter Ezéchiel.

Le contact ne fut pas long à s'établir.
Albérich ?
Le ton était surpris. Méfiant, aussi.

Le Luménien ne perdit pas de temps.
Nous avons trouvé refuge avec la moitié des gens dans un bâtiment près du lac. Viens nous rejoindre.

Silence.
Est-ce bien nécessaire ?
Il se savait contraint par la limite de mots, ne pouvait donc pas expliciter davantage ses doutes.
Mais il doutait, c'était indéniable.

Albérich ne s'était pas attendu à ce que l'éclaireur refuse. Il ne se laissa pas décontenancer pour autant.
Que pouvez-vous faire, seuls ? Décidons ensemble.

Silence.
Dis plutôt : toi et Hubert décidez, moi je m'incline.
Nouveau silence.
Soit. Guide-moi.

L'hostilité et l'amertume de l'éclaireur laissèrent le Luménien à court de mots pendant quelques secondes. En voilà un qui n'avait pas digéré l'affaire de la bibliothèque. Heureusement, la présence de Marthe équilibrerait désormais les débats. Albérich reprit.
Choisis lieu. Nous viendrons dessous.

Silence.
Portes sud. Vers midi.
Nouvelle pause.
A tout à l'heure.
La communication était terminée.

" Tu fais une drôle de tête. Un souci ?" demanda Hubert quand le Luménien rouvrit les yeux.
Ce dernier haussa les épaules.
" Ezéchiel n'est pas dans de bonnes dispositions. J'espère que la présence de Marthe l'adoucira. Nous n'avons pas besoin de dissensions au conseil.
— C'est bizarre.
— Il doit être éprouvé, comme nous tous. Nous le retrouverons sous les portes sud, à midi. Si tu veux aller passer des ordres, j'ai le singe...
— Pas question. Quand tu communiques, le monde s'évanouit. Je monte la garde.
— Bon. Je vais contacter Guillermo à présent. Ensuite Frida... et après... Il faudra que nous en discutions.
— Avec Marthe, Albérich. Elle est de retour, tu ne peux pas la contourner.
— C'est vrai."

A nouveau, il fallut très peu de temps avant qu'Albérich ne parvienne à ses fins.
Salutations.
Le ton du capitaine mercenaire était calme et courtois.

Ce qu'il avait à dire à Guillermo lui semblait beaucoup moins clair. Il se voyait mal, en trente mots, lui demander d'arrêter de massacrer ces anciens hommes.
Votre voie est dangereuse. Voulez-vous nous rejoindre ?

La réponse fut immédiate.
Difficile, malheureusement.
Brève pause.
Mes associés ne vous aiment pas et réciproque valable. Et j'aurais peur que vous m'interdissiez d'agir.

Albérich sentit la bile lui monter aux lèvres. Guillermo s'était acoquiné avec les petits tueurs paludiers et exploitait leur violence, une chose qu'ils avaient espéré museler et détruire. Ces gosses étaient désormais perdus, le Luménien ne put qu'en ressentir un chagrin terrible. Il aurait mieux fallu les tuer que les sauver pour les renvoyer à leur barbarie. Mais il n'avait aucune prise sur le chef mercenaire et celui-ci avait raison : jamais ils ne lui permettraient de poursuivre sa guérilla sanglante s'il réintégrait leurs rangs.
C'était comme un deuil, en y réfléchissant bien, et le plus affecté serait Hubert.
Songez aux risques que vous faites courir aux civils. Hubert vous envoie ses amitiés.
Il n'y avait rien à ajouter. Leurs chemins ne se recroiseraient probablement pas et s'ils le faisaient, ils ne seraient pas forcément du même côté de la barrière. Il falait juste espérer — prier plutôt — que les malheureux prisonniers ne subissent pas les retombées de cette cavalcade stérile.

Ithiliens sont vrai risque,
Le ton était toujours poli, mais on sentait poindre une once sinon de mépris, au moins de goguenardise. Voilà qui disait assez ce que Guillermo pensait d'une stratégie visant à attendre...
Amitiés à Hubert.
Le contact était rompu.

Albérich ne se sentait pas de taille à relayer immédiatement son contact avec Guillermo à Hubert, aussi incanta-t-il dans la foulée, pour voir s'il pouvait contacter Frida. Il ne se faisait pas d'illusions, mais c'était quelque chose qu'il n'avait pas encore tenté et il fallait aller au bout de leurs possibilités.

Contre toute attente, son initiative fut couronnée de succès.
Enfin !
Surprise et joie dans la voix de la rôdeuse.
Embuscade, laissée pour morte, Louis disparu. Retrouvée et remise sur pied. Avançons toujours. Vous ?

La stupéfaction arracha un cri à Albérich. Il se reprit rapidement.
Attaqués par Ithiliens. N'approchez pas de la ville ! Forts probablement occupés. Combien êtes-vous ? Pouvez-vous renvoyer les civils à Grand Estuaire ?
Il allait devoir épuiser tous ses sorts de communication sur la rôdeuse, mais tant pis, c'était crucial.

Frida ne répondit pas tout de suite. Et cela n'avait rien d'étonnant : il lui fallait encaisser les nouvelles que venait de lui transmettre Albérich.
Plus trois cent. Deux tiers parcours, mauvais temps derrière, manque guides : division ou retour civils quasi impossible.

Le Luménien pinça les lèvres et réprima un soupir.
Combien de temps avant arrivée ? Pouvez ralentir ?
Frida était à court de mots, aussi Albérich relança-t-il son sortilège pour qu'ils puissent poursuivre leur conversation.

La réponse de Frida lui parvint sitôt la manoeuvre effectuée.
Quatre voire cinq jours. Ralentir possible mais difficile : froid, espacement lieux bivouac...
Courte pause.
Situation compliquée.
C'était le moins que l'on puisse dire.

Pouvez-vous vous arrêter ? Nous envoyer renforts ? Attendre victoire ?
Cela changerait radicalement la donne, mais ils ne pouvaient pas prendre le risque que les Ithiliens mettent la main sur trois cents personnes de plus. Même s'ils les savaient en approche : Louis le leur avait fatalement dit. La question était de savoir s'ils diviseraient leurs forces pour aller cueillir cette main d'oeuvre providentielle.

Nouveau silence.
Stationner longtemps Landes en hiver : suicide. Envoyer renforts : oui mais qui protégera civils ?
Pour utile qu'il soit, le sortilège de communication à distance n'était vraiment, vraiment pas l'idéal pour mener semblables discussions...

Albérich acquiesça mentalement. Ils allaient devoir agir et vaincre beaucoup plus vite qu'il ne l'avait prévu. La tâche lui sembla un instant insurmontable, mais il reprit pied. L'énergie de Lathandre était encore neuve et brûlante à l'intérieur de lui, ils trouveraient une solution.
Continuez progression lentement. Contact demain. Vigilance. Ils savent que vous arrivez, veulent vous capturer pour esclavage..

S'ensuivit une autre pause : Frida devait songer au sort des membres de la Communauté qui avaient éventuellement déjà été capturés.
Seront prudents. Si pas autre choix, sauront les recevoir.

Le Luménien n'en doutait pas.
Attention, Louis traître. A bientôt.
Il avait épuisé son quota mais il tâcha de communiquer leur détermination à son interlocutrice avant que son essence s'évapore dans le néant. Il était à nouveau dans le couloir, Hubert le dévisageait, tendu.
" Alors ?
—*Guillermo ne viendra pas. Frida est vivante, avec la colonne, et ils arrivent. Remontons. Je vous expliquerai tout une fois au conseil."

Ils regagnèrent le rez-de-chaussée puis la salle commune où la Communauté - du moins, ses vestiges - terminait son petit déjeuner. Si Giovanni était présent et s'entretenait avec Marthe. Thibaut n'était pas, pour sa part, encore revenu de ses prières, On ne voyait pas non plus les Paludiers ou Varamyr.
L'ambiance était un peu plus animée que de coutume : les colons devait sentir que l'heure des grandes décisions approchait.

Albérich fit signe à Marthe avant d'entrer dans la salle des cartes, Hubert dans son sillage. Le Luménien s'installa aussitôt mais le paladin s'immobilisa sur le pas de la porte.
" Je vais nous chercher du thé et de quoi manger.
— Oui." répondit simplement le Luménien, plongé dans ses pensées.
Quatre jours, avait dit Frida. C'était très court pour bouter les Ithiliens dehors, sans compter qu'il leur restait peut-être des hommes dans les forts, guettant le gibier à venir. Mais ils avaient Ezéchiel, Giovanni, d'autres éclaireurs, et pourquoi pas Guillermo, s'il pouvait être convaincu de mettre sa haine à leur service. Albérich n'aimait pas l'idée de ces concessions, cependant. La décence devait guider leurs actes, sans quoi ils se rabaisseraient au niveau de leurs adversaires. La fin ne justifiait pas tous les moyens. Ils avaient des valeurs, elles étaient fondamentales, et les jours à venir risquaient de les éprouver comme jamais.

La magistrate n'arriva pas immédiatement : sans doute avait-elle voulu terminer sa conversation avec le barde. Elle se montra cependant avant qu'Hubert ne soit de retour.
-J'ai demandé à Giovanni de me faire un rapport non seulement sur ce qu'il avait observé à la forteresse mais, de surcroit, sur ce qui s'était passé depuis mon départ. Ainsi n'aurez-vous pas à tout me réexpliquer.
Elle fixa Albérich.
-Mais à voir ton expression, je déduis qu'il y a du nouveau.

" Oui." dit-il.
Hubert revint quelques secondes plus tard, posa les fruits de son larcin sur la table et s'assit.
" J'ai contacté Ezéchiel, Frida et Guillermo. Je les ai eus tous les trois. Ezéchiel sera aux portes sud à midi, pour y rencontrer des guides de notre équipe. Il n'avait pas l'air complètement enchanté de revenir... sans doute à cause des dernières dissensions dans le conseil."
Il se tourna vers Marthe avec une grimace.
" Bref, ta présence devrait l'apaiser, je suppose. Il n'aura plus l'impression qu'Hubert et moi faisons équipe contre lui."
Hubert haussa les sourcils.
" Quoi ? C'est encore l'affaire de la bibliothèque ?!
— Je suppose. Mais je propose aussi que nous essayions, tant que faire se peut, d'aller de l'avant plutôt que de nous appesantir sur nos désaccords passés."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue