[Lieu] La ferme Desmoulins

[Taliesin]

-Je tiens quand même à te rassurer. En Féérie, nous nous sommes fait une amie d'après laquelle je dois absolument avoir sept enfants. Or, comme nous sommes désormais à six, le quota est presque atteint !
Son sourire fraichement éclos s'effaça.
-Plus sérieusement, le cœur a parlé avant tout, c'est certain, mais... la raison aussi. La personne qui m'a confié Titus, une alaghi, m'avait demandé de le conduire auprès de son peuple. Ce qu'elle ignorait, ce que j'ai découvert après coup, c'est qu'il n'est pas un pur faune : c'est un hybride avec du sang elfique. Du coup, il y avait fort peu de chances pour que l'un des deux peuples l'accepte. Il fallait donc lui trouver un refuge, fut-il imparfait pour lui, fut-il provisoire... Quant à Marius, j'imaginais qu'il se ferait la malle à la première occasion. Il l'a fait une fois, d'ailleurs, comprenant sans doute que j'allais tenter de le confier à un orphelinat. Mais ce qu'il ignore - enfin, ce qu'elle ignore, car c'est une fille, en réalité -, c'est que lors de notre séjour en Féérie, elle a été changée en loup-garou. Dès lors, la laisser livrer à elle-même, ignorante de ce fait crucial, ç'aurait été dangereux : quand les premiers signes apparaîtront, dans quelques années, quand il lui faudra choisir entre vivre avec cela ou tenter d'être guérie par un clerc, il faudra qu'elle soit entourée de gens bienveillants en qui elle a confiance.

[Galathée]

Galathée le dévisagea un instant, les yeux ronds, puis éclata de rire.
" Diable, Taliesin, tu as l'art. Je n'ai rien d'autre à dire : tu as l'art."
Elle s'essuya les yeux.
"*Ça nous promet... de l'animation. Je dois dire que je suis curieuse de voir le faune... le demi-faune, pardon. Et je suis ravie d'avoir une troisième fille à la maison, même si elle ne veut pas le reconnaître..."

[Taliesin]

Son attention s'était reportée sur les jumeaux, dont il n'avait pas oublié qu'il fallait les garder à l’œil en permanence.
-Tu ne tarderas pas à faire leur connaissance. Pour l'heure, Marius est à la rivière, avec les autres. Quant à Titus, la dernière fois que je l'ai vu, il faisait connaissance avec les animaux : il a le pouvoir de communiqer avec eux.
Il songea alors au petit renard qui l'accompagnait, au tout début, et dont ils avaient perdu la trace depuis fort longtemps.
Et une idée en entrainant une autre...
-Oh, et tu ne devras pas t'étonner si tu remarques, dans les parages, un bouc blanc... ou un chamois blanc... ou un animal blanc sortant de l'ordinaire. Il s'agit d'un être que nous avons sauvé, en Féérie. Un homme métamorphosé il y a des siècles, d'après l'histoire qu'on m'a narrée. Il nous a suivi à distance depuis la vallée du Nirvana, pour nous évaluer, voire s'il pouvait se fier à nous. Peut-être nous rendra-t-il une petite visite, à l'occasion.

[Galathée]

La rôdeuse se tourna vers lui et plaça ostensiblement les poings sur les hanches.
" Bon, maintenant, Maître Taliesin, je te somme de vider ton sac. Intégralement. Je te sens venir avec ton "et au fait..." et ton "ah, j'allais oublier..." ! C'est le moment, c'est l'instant : toute omission supplémentaire pourra être retenue contre toi !"

[Taliesin]

Il prit un air effrayé.
-Eh, mais je t'ai tout dit ! Enfin... Presque. Je ne t'ai pas encore parlé de cette épée magique qui m'a trouvé en Féérie, qui, à chaque fois que je l'enfonce dans la pierre, me transporte auprès de son ancien dépositaire, un prince elfe du temps jadis qui a commencé à m'enseigner une discipline mystique mêlant combat et magie, laquelle implique que je ne jetterai bientôt plus mes sorts à la manière d'un barde mais à la façon d'un magicien... Ceci dit, admet que c'est secondaire, comme information !

[Galathée]

Elle resta muette de stupeur.
Puis se leva, attrapa un jumeau au hasard (Héloïse, qui ne broncha pas) et s'éloigna à grands pas.
" Je reviens plus tard !" s'exclama-t-elle avant de s'engager dans le chemin qui menait au bois.
Il n'y avait nulle colère dans sa voix, mais sans doute était-il temps, pour elle, de digérer cette avalanche d'informations...

[Taliesin]

Il s'était levé, embarrassé.
-Ca ne va rien changer, hein... lui lança-t-il.
Peut-être aurait-il dû davantage en dire, dans sa lettre, pour atténuer le choc.
Peut-être aurait-il dû présenter les choses avec davantage de gravité.
Mais ce qui était fait... était fait. Ils en rediscuteraient plus tard, quand elle serait prête.
Et en attendant, surtout, malgré son embarras, il ne devait pas oublier un certain Tristan qui, à n'en pas douter, chercherait la moindre ouverture pour faire une bêtise.

[Galathée]

Tristan s'était couché sur le dos et arrachait des poignées d'herbe qu'il jetait ensuite en l'air. Il paraissait tranquille, perdu dans ses pensées impénétrables de bébé, et articulait des syllabes sans signification évidente. La présence de son père lui importait manifestement peu. La mare était distante, il avait terminé son déjeuner de terre sèche... pour l'heure. Un des chats de la ferme circulait non loin, peu désireux d'approcher de l'enfant ou de l'elfe, plus intéressé par les sauterelles. De bonnes odeurs s'échappaient de la fenêtre de la cuisine et Taliesin percevait des bribes de conversation, surtout culinaires, mais parfois Baptiste racontait quelque chose en lien avec leur voyage. Il faut dire qu'il y avait de quoi remplir plusieurs soirées d'anecdotes... sans doute faudrait-il veiller à ne pas assommer l'auditoire d'une déferlante trop dense, mais y aller petit à petit, au gré des occasions.

[Taliesin]

Victor, lui, ne saurait sans doute pas se contenir. Mais rapidement, peut-être dès le soir-même, il estimerait son récit terminé ; alors viendrait le temps de le compléter. Avec parcimonie, car le but n'était ni de lasser les Merlus, ni de rendre jaloux ceux qui avaient l'âme aventureuse. D'ailleurs, en ce qui le concernait, il entendait plutôt, dans l'immédiat, prendre de leurs nouvelles. Car du nouveau, il y en avait eu ici aussi. Lequel, pour être peut-être moins spectaculaire, n'en était pas moins important.
Mais d'ici là, il alait rester où il se trouvait, à réfléchir tout en surveillant son fils.
Se poser était tout sauf désagréable.

[Galathée]

Le ciel virait au bleu sombre, mais la température restait agréable. Des insectes se turent, d'autres les remplacèrent, et pendant un moment, Taliesin n'entendit plus rien sinon les murmures de la nature. De grands vols d'oiseaux traçaient des figures complexes au-dessus de lui, puis ils disparurent aussi rapidement qu'ils étaient arrivés. Une vache meugla quelque part, une autre lui répondit. Les enfants reparurent, à la queue leu leu, Galathée parmi eux, portant toujours Héloïse. Marius était là, bavardant à grands renforts de gestes avec le petit Mathieu. Victor parlait avec Galathée, un sourire mutin sur les traits, l'un comme l'autre. Même Titus faisait partie du groupe, plus ou moins. Il avait les cheveux pleins d'épis de blé et arborait son habituel air distrait.

[Taliesin]

Tout le monde avait fait connaissance, tout semblait s'être bien passé... Que demander de plus ?
S'il ne bougerait pas immédiatement - Tristan étant tranquille, il aurait été dommage de le déranger -, Taliesin ne serait pas non plus long à les rejoindre. Le grand branle-bas de combat qui précédait toujours le repas n'allait pas tarder à débuter et il entendait bien prendre sa part de travail. D'autant que, avec le sentiment du devoir accompli, il ne savourerait que davantage les mets préparés par Baptiste - et par son second.

[Galathée]

Il y avait encore des choses avant de passer à table, et Taliesin fut nommé responsable de la "préparation" des jumeaux, ce qui comprenait la tâche agréable du changement de couches. Les enfants, de leur côté, mirent la table, relevèrent les oeufs au poulailler, nourrirent les chiens et les chevaux, avant de se laver les mains dans un grand désordre, à l'abreuvoir de la cour.
A cause des insectes, voraces et curieux, il fut décidé de manger à l'intérieur. La pièce était assez vaste pour les accueillir tous et le retour de Baptiste fut fêté comme il se doit, au grand dam de Guillhem qui fit le vexé pour rire. Marius semblait s'être intégré dans la dynamique globale sans sourciller, riant des pitreries des uns et des blagues des autres, s'attaquant au repas avec entrain. Titus était moins à l'aise, mais Galathée s'était installée à côté de lui et lui parlait doucement, sans brusquer, avec l'habitude de quelqu'un qui a amadoué plus d'un être récalcitrant ou craintif au cours de son existence.
Taliesin, lui, devait assumer jusqu'au bout et nourrir les jumeaux, ce qui promettait d'être salissant, a minima.

[Taliesin]

Mais voilà bien quelque chose qui ne l'inquiétait guère. Au pire, il faudrait se changer et faire un passage par la salle de bain ; or, il avait connu pire, comme épreuve !
Pour le réste, il était heureux de s'acquitter de son devoir. Ce n'était pas la première fois qu'il le faisait, mais il y avait à présent une différence de taille, puisqu'il fallait apprendre aux jumeaux à se débrouiller par eux-mêmes tout en limitant les dégâts. Un défi épique qu'il entendait bien relever de son mieux, tout en prêtant l'oreille aux conversations de ses commensaux.

[Galathée]

Les jumeaux se montrèrent à la hauteur de ses craintes — mais pas davantage — et la conversation tourna en anecdotes disparates, ici et là, car il était impossible de ne tenir qu'une seule conversation sur une si grande table. Taliesin n'eut pas le loisir d'y participer : toute son attention était requise auprès des enfants. Galathée l'en débarrassa en fin de repas pour aller les coucher. Elle refusa qu'il l'aide : les jumeaux avaient perdu l'habitude d'être couchés par quelqu'un d'autre qu'elle et ce n'était pas le soir idéal pour recommencer à le faire.
Les enfants, de leur côté, s'organisèrent pour faire la vaisselle, sous le regard vigilant de Guillhem.
" Tu as une idée de comment on va les coucher ? demanda-t-il. Ils vont vouloir dormir tous les quatre dans la même pièce ?"

[Taliesin]

-Pas forcément...
Il leur jeta un regard, haussa les épaules.
-Pour être honnête, je n'en sais rien du tout. On leur demandera le moment venu : j'imagine qu'au pire, déplacer quelques matelas ne causera pas trop de chambardement.

[Galathée]

Guillhem fronça les sourcils, un sourire hilare sur les traits.
" Le moment venu, c'est plus ou moins maintenant, Taliesin. Vous avez pris des habitudes frivoles, pendant vos vacances ? Il faut traire les vaches à l'aube, ici. Et l'aube, en été, c'est drôlement tôt, tu sais. Si tu as oublié, je te promets que ça va te revenir rapidement."

[Taliesin]

L'elfe arbora une mine horrifiée.
-Ah... Euh... Hum...
Puis il claqua des doigts.
-Oh, mais voilà ce que j'avais oublié de vous dire ! Que je devais repartir en expédition immédiatement. Eh bien, à présent, c'est fait. Salut Guilhem. A dans... Six mois !
Et de s'éloigner pour... rassembler les troupes et les consulter quant à l'organisation du couchage.

[Galathée]

Marius voulait dormir avec Victor, Mathieu voulait dormir avec Marius, Victor voulait dormir avec Benoît, Benoît avec Baptiste, Baptiste avec Félix, Félix avec Jehan, Titus ne disait rien, probablement en train de se demander comment il allait réussir à se frayer un chemin jusque dans l'écurie ou les bois, histoire d'être tranquille. Ils convinrent finalement que pour cette toute première nuit, ils avaient envie de dormir tous ensemble, entassés dans la plus grande des chambres. Ils promettaient d'être sages. Et non, ils n'avaient pas besoin d'histoire aujourd'hui. Taliesin pouvait retourner parler les adultes. Pas de soucis. Bonne nuit.

[Taliesin]

Taliesin leur souhaita bonne nuit, lui aussi... Mais non sans avoir, au préalable, mimé la plus absolue, la plus totale, la plus déchirante des déceptions.
Puis il s'en retourna donc auprès de ses semblables, curieux des sujets dont ils discuteraient et espérant que Galathée s'était remise des nouvelles qu'il lui avait révélées d'un bloc.
Et dire qu'il restait encore à parler du bras de Baptiste...

[Galathée]

Galathée et Guillhem étaient au coin du feu, où ils sirotaient un petit pousse-café. Ils avaient manifestement pris leurs habitudes et ils se poussèrent pour faire une place à Taliesin et lui servirent un verre. Ce dernier n'eut pas à patienter très longtemps avant de voir le sujet en question être abordé.
" C'est vraiment une tuile, ce bras, pour Baptiste. On pourrait aller au village consulter un prêtre, tu ne crois pas ? dit le fermier.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Galathée. C'est dans sa tête ? Une sorte... de blocage ? Il a l'air de ne pas s'en soucier le moins du monde."

[Taliesin]

-Je ne sais pas... soupira le barde.
Il prit une profonde inspiration puis se lança, parlant peut-être un peu plus vite qui'l ne l'avait anticipé.
-Son bras... Il l'avait perdu. Et il y avait beaucoup d'autres dommages. C'était... Horrible. Mes sorts sont parvenus à le stabiliser mais il a fallu toute la puissance du pipeau pour le soigner. Le corps de Baptiste était alors à ce point saturé d'énergie magique qu'il a fallu l'en purger : un druide m'a aidé, grâce à des plantes. Nous pensions alors que tout serait réglé mais...
Il eut un geste vague.
-D'après Olivier, le druide... Cela pourrait se remettre tout seul. Sinon... Il faudra aller trouver un prêtre, oui. J'imagine qu'il en faudra un particulièrement expérimenté...

[Galathée]

Les deux autres le dévisageaient avec stupéfaction. Guillhem avait la bouche ouverte, le verre à quelques centimètres du menton, tandis que Galathée restait figée, la main crispée sur son genou.
" Quelle histoire... lâcha finalement le fermier.
— Ça a dû être terrible, Taliesin, dit Galathée. Je suis désolée pour toi... qui tu aies dû... vivre ça... traverser ça... Lui... Il a l'air tellement... ignorant de tout ça... mais toi... Je suis vraiment navrée."

[Taliesin]

-Honnêtement, ça me hante encore, parfois. J'ai assisté à bien des horreurs, dans ma vie. Mais là, voir l'un de nos enfants dans cet état...
Il secoua la tête, s'arracha un sourire.
-Mais Baptiste est en vie, en bonne santé, nous aurons d'ici peu fait en sorte qu'il retrouve l'usage de son bras et nous pourrons alors dire "Tout est bien qui finit bien".

[Galathée]

Galathée ne semblait pas prête à le laisser s'en tirer par cette pirouette. Elle lui serra doucement la main.
" C'est le cauchemar de tout parent... Heureusement que tu avais le pipeau... Je n'ose imaginer..."
Elle frémit.
" Mais je ne comprends pas... Pourquoi faut-il un prêtre expérimenté ? A présent qu'il est presque guéri... Est-ce qu'un sortilège ordinaire ne suffirait pas ?"

[Taliesin]

Il lui serra la main à son tour.
-Je ne sais pas trop. Je me dis que si toute cette débauche d'énergie curative n'a pas été en mesure de guérir cela, il faut peut-être recourir à des sortilèges autres que ceux habituellement utilisés pour les soins... Mais il est possible que je me fourvoie complètement, et le conduire auprès du clerc du village ne coûte rien.

[Galathée]

" On peut envisager ça demain... dit Guillhem. Vu votre retour, il y aura du ravitaillement à prévoir, de toute façon...
— Il faut aviser en fonction de Baptiste, murmura Galathée. Il a peut-être besoin d'un jour ou deux pour se poser. Pour l'instant... Il a l'air de se débrouiller à une main...
— Oui, on voit que ce n'est pas toi qui lui as servi de marmiton en cuisine. Il est peut-être ravi... mais plus tyrannique que jamais !"

[Taliesin]

-Heureusement, cela se limite à la cuisine... Mais donc nous pouvons partir du principe que nous lui dirons, demain, qu'il serait bon que nous le conduisions auprès du clerc du village, mais que cela peut attendre un ou deux jours, s'il préfère d'abord souffler. Et bien sûr, en attendant qu'il soit soigné, nous organiserons un roulement quant aux marmitons : tes enfants, Guilhem, puis Galathée, puis Victor, puis les jumeaux... Bref, nous nous en sortirons.

[Galathée]

" Les jumeaux en cuisine... Ah, ton humour m'avait manqué." dit Guillhem.
Galathée avait levé les yeux au ciel.
" Victor a l'air en forme, en tout cas. Tu lui as fourni des soirées entières de légendes et de quoi parader jusqu'à l'année prochaine. Débrouiller le vrai du faux sera un véritable challenge !
— Bien que, d'après ce que j'ai compris, il ne sera sans doute pas tellement nécessaire de broder, cette fois... Féérie, rien que ça ?"

[Taliesin]

Il acquiesça.
-Oui. Mais nous y avons été transportés par accident. Avec nos alliés, nous inspections une abbaye dont nous avions chassé une sorte de culte démoniaque et d'où nous avions libéré le dragon qu'il gardait captif. Et voilà que s'est produit... Une importante perturbation dans la toile de Mystra. Laquelle est en quelque sorte entrée en résonance avec une importante source de pouvoir située sous l'abbaye, ce qui a provoqué une énorme explosion. Et hop ! Nous étions en Féérie.

[Galathée]

" J'adore comme il dit ça avec ce ton dégagé, comme ça... " dit Guillhem.
Galathée eut un sourire.
" C'est parce qu'il ne sait pas encore ce que cette perturbation a fait ici, en son absence.
— Gal... Tu avais promis que jamais... jamais cette histoire ne serait racontée !
— Elle est drôle !
— C'était une promesse !
— Ah, pfff."