La Couronne de Cuivre

Jordin prit un air rassurant.

"C'est pour un jeune homme, qui vient d'être accepté parmi la garde. Quelque chose de simple et robuste suffira. Pas de fioriture, un acier de qualité standard, je lui apprendrai à prendre soin de son arme pour qu'elle ne rouille pas ! Pour la longueur de lame, je dirais environ un pied dix pouces, mais à confirmer avec le gaillard bien évidemment. Une garde cruciforme, puisque ce ne sera pas pour l’apparat, là encore sans fioritures ni gravures. On veut du pratique, fait pour durer."

" Hum... Je vois. Une épée toute simple, solide, sans fioriture... mais de qualité. Oui, nous faisons dans la qualité, ici, nous tenons à notre réputation. Vous ne trouverez pas chez nous de l'acier poli qui brille mais rouille en moins de deux ans, nous ne faisons pas non plus d'alliages hasardeux. Nos épées sont garanties cinq ans ! Bien sûr, les prix s'en ressentent. Disons qu'une bonne épée, ça va chercher dans les douze ou quinze pièces d'or selon la taille exacte... que je ne pourrai déterminer qu'en voyant le gabarit du destinataire.
- Pas très grand... comme ça...
- Alors plutôt douze que quinze, sans doute. Ce sera à ajuster. Mais comprenez bien que sans le voir, je ne peux rien dire de définitif. Le plus simple, ce serait que vous preniez rendez-vous, avec lui... Est-ce que vous avez d'autre question ?" ajouta-t-il d'un ton bourru.

"Je crois que c'est tout, merci", lui répondit Jordin en acquiesçant. "Nous avons déjà une idée plus précise du prix, nous pourrons en discuter entre nous et revenir pour finaliser tout ça. Merci de nous avoir accordé un peu de votre temps !"

Il jeta un coup d’œil interrogatif à Marie, histoire de voir si elle avait quelque chose à ajouter. Maintenant qu'ils avaient l'information qu'ils étaient venue chercher, il n'était pas nécessaire de faire traîner leur histoire plus longtemps.

Marie acquiesça.
" Je reviendrai avec mon fiston, je pense..., fit-elle d'une voix un peu distraite. Merci à vous..."
Sur une brève inclinaison de la tête, elle se dirigea vers l'entrée de la cour, entrainant Jordin à sa suite. La jeune femme de l'accueil, en trottinant, les rattrapa pour leur suggérer de prendre rendez-vous immédiatement, ce que Marie refusa, évasive, prétextant ne pas connaître les disponibilités du fiston en question.

Quelques minutes plus tard, ils étaient dans la rue, et Marie se mit à marcher d'un pas rapide en direction de la mercerie et de la taverne où ils se trouvaient un peu plus tôt.
" Je l'ai reconnu, fit-elle simplement lorsqu'ils furent un peu éloignés. Mon agresseur."

Jordin acquiesça, guère surpris.

"Très bien. On dirait que les pièces du puzzle s'assemblent lentement. Ou, en tous cas, que nos déductions s'avéraient exactes jusqu'ici. Quelle est notre prochaine étape, à ton avis ? On pourrait prévenir les autorités, mais vu la confiance que tu leur accordes, on ferait aussi bien de poursuivre les investigations par nous-mêmes. On l'attend à l'auberge et on le prend entre quatre yeux ? Enfin, entre six, du coup."

Marie hésitait.
" Je ne sais pas. Si on s'en occupe nous-mêmes... il saura qu'on l'a reconnu. Et il risque de s'enfuir, non ? Et s'il disparaît dans la nature, on ne pourra rien prouver."
Elle soupira.
" D'un autre côté, si on avertit les autorités, la suite de l'enquête nous échappe. Ce n'est pas forcément un souci, hein, ils sauront peut-être le faire parler et voir s'il était manipulé... mais ils n'y penseront peut-être même pas... ou bien il fera croire qu'il a agi seul. Et moi, je suis presque sûre qu'il y a quelque chose de pas net là-dessous. Je ne sais pas ce qu'il faut faire."

Jordin soupira.

"Mon apprentie aurait pu nous être utile, mais je l'ai envoyée travailler pour un marchand ambulant. Je n'aurais pas imaginé avoir besoin d'elle aussi vite..."

Il fit la moue, les sourcils froncés.

"On pourrait peut-être demander à l'aubergiste de nous ouvrir sa chambre, pour l'attendre là-bas. Mais encore faudrait-il qu'elle accepte... Et puis, s'il refuse de parler, on aura grillé notre seule carte."

Le moine leva les yeux au ciel un instant, avant de regarder de nouveau devant lui, de peur de percuter un passant. S'improviser enquêteur n'était décidément pas chose aisée.

"Si j'avais trop lu de romans d'aventures, j'aurais proposé de m'infiltrer parmi leur groupe, mais je passerais difficilement inaperçu et mes origines continentales sont assez évidentes. Je crois qu'il faut rester plus pragmatique. On l'attend chez lui, on le secoue un peu et on voit ce qu'il en tombe. Qu'en dis-tu ? Si tu préfères, je m'en charge seul, vu qu'il ne me connaît pas."

Sa suggestion d'infiltration lui valut un éclat de rire joyeux de son interlocutrice.
" Hum... Oui mais non, t'as raison, mieux vaut rester sobre..."
Elle réfléchit à voix haute.
" La chambre, c'est pas celle de mon agresseur, c'est celle de son complice qui a guetté. Mon agresseur, apparemment, il a été vu plusieurs fois avec lui à l'auberge. Il viendra sans doute ce soir, mais on ne peut pas être sûr, et il montera sans doute pas dans la piaule. Sinon, l'plus simple, pour le coincer, c'est de l'attendre à la sortie du travail, mais on risque d'attirer l'attention si on se bagarre, on n'est pas loin des beaux quartiers. Ou alors on coince le locataire de l'auberge, son complice quoi... Et on essaie de lui soutirer l'adresse de son pote..."
Elle grimaça.
" Enfin... Tu sais faire parler un gars récalcitrant, toi ? Parce que moi, j'saurai pas. Donc ce plan-là, j'le sens mal... P't'êt qu'il faut prévenir les gardes... Ou alors moi je préviens la garde et toi tu agis..."

"Ah, tu penses que ce ne sont pas une seule et même personne ? Du coup, le locataire travaille avec ton agresseur à la forge ? Je me suis un peu emmêlé les pinceaux" expliqua-t-il en secouant la tête. "Quant à le faire parler, bah... Je pensais essayer de lui faire peur, mais si ça ne marche pas, j'aurai l'air con, c'est sûr. La torture, c'est pas mon rayon, et puis... c'est pas fiable" ajouta-t-il en détournant les yeux. "Faisons ça : tu vas voir la garde pour leur dire que tu as retrouvé ton agresseur, et je vais attendre notre guetteur chez lui. À moins que tu ne préfères que je vienne avec toi, si tu penses qu'aller les voir à deux nous donnera plus de chances de les convaincre qu'on est sérieux ? Je veux dire, si la garde est un peu laxiste par ici..."

" Je ne crois pas qu'ils sont laxistes. Seulement, ils vont s'arrêter aux faits évidents : le grand type aux cheveux noirs a attaqué la mercerie pour voler la caisse. Éventuellement, ils vont envisager que son collègue de travail, le locataire de la chambre, a bien joué les guetteurs. Mais ça va s'arrêter là... Et ils ne vont pas chercher des noises à ce témoin proche des foulards-blancs, qui se trouvait dans la boutique pile au bon moment pour soi-disant identifier la voix de l'agresseur comme ayant un accent mélandien, pour faire porter le chapeau aux immigrés."
Elle se frappa soudain le front.
" Bon sang, je me souviens où j'ai entendu la voix de mon agresseur. Il a effectivement un très léger accent, mais pas mélandien ! Il y a une famille entière qui a cet accent, qui vit à quelques minutes seulement d'ici. Ils sont trois ou quatre frères je crois. L'un d'eux traîne de temps en temps dans une auberge où je vais souvent dîner. Il a un peu la même voix et les mêmes cheveux noirs, la même silhouette grande et maigre. Ils sont originaires de Dorrandin, mais plutôt de côté de Paymill... bref, une zone manostienne et pas mélandienne. Maintenant que je l'ai revu... il lui ressemble, c'est évident. Ce type est forcément de la famille ! Attends, je cherche leur nom... Hum... Acchard, je crois..."

Jordin claqua des doigts.

"Bien joué, c'est une sacré info !" sourit-il. "Rien qu'avec ça, la garde pourrait difficilement nier que le témoin s'est trompé. Ça reste encore trop maigre pour l'inculper, mais si on se renseigne un peu sur cette famille, ça pourrait nous donner une piste solide. Tu sais s'ils sont soudés ? Je veux dire, s'ils sont susceptibles d'avoir les mêmes opinions politiques, ou de se couvrir les uns les autres ? Sinon, on peut aussi faire une enquête de voisinage. Toujours dans l'optique de chercher des foulards de couleur claire, s'entend."

Marie acquiesça, enthousiaste.
" Idéalement, pour prouver qu'il y a une machination, il faudrait prouver que le témoin connaissait l'agresseur... ou en tout cas qu'il savait qu'il n'était pas mélandien. Sinon, avec cette histoire d'accent, ça peut passer pour une simple erreur involontaire. Mais pour en revenir à ta question, je ne les connais pas personnellement, je ne sais pas s'ils sont soudés. Celui que j'ai vu semblait un habitué de l'auberge. Le patron le connait un peu il me semble. Je ne l'ai jamais vu avec un foulard... mais je pense que l'enquête de voisinage, ça peut se tenter. On a son nom de famille, le quartier dans lequel il vit, on sait qu'il bosse à la forge. C'est largement suffisant pour que les gardes mettent la main sur lui dès qu'on leur aura donné son identité, et surtout largement suffisant pour qu'on puisse enquêter de notre côté avant d'aller les voir. Discrètement, bien sûr, pour ne pas qu'il se doute de quoi que ce soit. Je t'emmène jusqu'à cette auberge ? Une petite bière, ça nous fera pas de mal..."

"Tu lis dans mes pensées !" répondit Jordin d'un air innocent. "Voyons déjà si le patron de l'auberge est coopératif ou non, et ensuite on fera le tour des voisins."

" Ce n'est pas très loin..."
Elle bifurqua vers l'est et le guida au coeur des quartiers déshérités de la ville, s'éloignant du secteur un peu plus prospère où se trouvaient aussi bien la forge que la mercerie. Les habitations se firent moins hautes, ne comportant qu'un ou deux niveaux, et souvent faites de bric et de broc. Ils cessèrent leur progression au bout de quelques minutes seulement, et Marie désigna une enseigne de bois où des mains inexpérimentées avaient dessinées, tant bien que mal, deux chopes qu'on cognait l'une contre l'autre, au-dessus d'une porte banale d'un immeuble vétuste.

Ils poussèrent la porte de bois pour pénétrer dans une petite pièce au plafond bas. Tranchant avec l'aspect miteux de l'extérieur, les murs avaient été récemment blanchis à la chaux, et des nappes colorées -et propres- couvraient les tables. Plusieurs lampes à huile ajoutaient leur éclairage à celui, trop faible, des deux fenêtres. On se serait cru dans une auberge quelconque du quartier du port, et non au coeur des taudis.
La clientèle, en revanche, était bien locale : quelques hommes usés par le travail, avachis derrière une pinte de bière, ou en train de jouer aux dés. Le patron trônait derrière son bar, et les salua d'une voix tonitruante.
" Tiens, v'là la Marie ! T'es un peu en avance pour dîner, non ?
- Aujourd'hui, j'veux qu'une mousse !
- Va pour une mousse ! Pareil pour vous, je présume ?

"Comme on dit chez moi, je ne suis pas venu pour sucer des grêlons !", répondit Jordin d'un ton jovial. "Euh, ça veut dire oui, du coup", crut-il bon de préciser.

"Plutôt jolie, votre auberge. Vous devez avoir pas mal d'habitués, avec un cadre pareil. On peut s'asseoir quelque part ?"

" Oui, oui, bien sûr... 'reste un' table là au fond..."
Marie entraîna Jordin vers une petite table, sans hésiter, en habituée des lieux. Quelques minutes plus tard, ils étaient assis devant deux belles chopes de bière brune -pas mauvaise, mais assez corsée.
" Hum... Tu sais pas s'il vient, le Justin, aujourd'hui ? Justin... Acchard, précisa-t-elle.
- Bah... j'sais pas... de toute façon, s'il vient c'est un peu plus tard, en revenant des entrepôts. Pourquoi cette question ?"

Oui, c'était vrai, ça : pourquoi ? Soudain, Jordin oublia trente ans de sérénité monacale et improvisa sans réfléchir.

"Euh, eh bien, je viens d'assez loin, et je racontais à Marie que les voisins de mes parents s'appelaient Acchard. Et, du coup, ça lui a rappelé la famille de ce... Justin, donc j'étais venu voir si... ça pouvait être la même famille, quoi."

Ç'aurait pu être convaincant s'il n'avait pas buté sur chaque mot de son explication. Sentant qu'il devait faire en sorte de mener ça quelque part, il tenta de lancer une ligne et voir si cela mordait - et il ajouta intérieurement qu'une fois l'affaire résolue, il irait bien véritablement lancer une ligne sur la côte et essayer d'attraper un ou deux poissons. Mais, pour l'heure, il convenait de rester concentré sur le problème en cours, aussi ajouta-t-il :

"Enfin, après, je sais pas trop. C'est que, vous voyez, je viens d'une région frontalière de Mélandis, et nos voisins, ils avaient un fort accent mélandien, donc c'est peut-être pas eux. Je ne sais pas, vous pensez que c'est possible ?"

Il jeta un coup d’œil à Marie, redoutant sa réaction après cette histoire montée de toutes pièces.

Marie avait commencé par ouvrir des yeux ronds, et eut une légère grimace quand il prononça le nom de Mélanis. Mais elle ne fit aucun commentaire.
Le patron, lui, se gratta la tête en se dirigeant vers une barrique de bière. C'était un homme de grande taille, un peu ventripotent.
" Et bien... oui, ils ont un accent... mais pas très fort... Et ils viennent de Paymill je crois. C'est peut-être un nom de là-bas en effet. Mais ce ne sont pas des mélandiens, fit-il, catégorique, avec un rien de mépris dans la voix. Vous... vous en êtes ?", ajouta-t-il soudain, en le fixant avec suspicion.
L'inquiétude qu'il affichait ne l'empêcha pas de poser deux chopes de bière sur leur table.

"Moi ? Non, bien sûr que non, ça doit s'entendre à mon accent, n'est-ce pas ?" répondit Jordin en riant. "Je vivais de l'autre côté de la frontière, heureusement. Mais il y avait quelques immigrés par chez nous. Enfin bon, si c'est pas eux, tant pis."

Il but une gorgée de bière, guettant la réaction de Marie. Il décida finalement de pousser un peu sa chance, conscient qu'il racontait peut-être n'importe quoi.

"En plus, des Mélandiens à Paymill, ça serait bien une première, je crois qu'ils ne sont pas vraiment les bienvenus là-bas..."

Il espéra que ça n'était pas complètement faux.

L'aubergiste le toisa d'un air suspicieux.
" Possible. J'connais rien à la politique Dorrandienne. Les manostiens, avec leur balai coincé là où j'pense, y valent sans doute guère mieux qu'les mélandiens. En tout cas, le Justin, il n'a pas l'air d'apprécier ni les uns, ni les autres.
- Ah? s'étonna Marie. J'croyais qu'il avait surtout une dent contre les mélandiens...
- Non, non ! Là, tu confonds avec son frère. Le plus jeune, Tim. Lui, il peut pas les blairer, les mélandiens."

Bon, il ne s'était pas complètement planté. Il soupira intérieurement.

"Donc ce Justin n'aime pas sa région d'origine ? C'est pas banal, ça. Enfin, il faut de tout pour faire un monde, j'imagine."

Il ne savait plus trop où mener la conversation. Son mensonge initial lui semblait tout à coup être une impasse, voire une gêne.

"Et toute la famille est comme ça, à haïr les mélandiens, ou c'est seulement un truc de jeunes ?"

"Oh, ils sont un peu tous d'accord avec nous sur le fait que les mélandiens, faut s'en méfier comme de la peste. Mais comme j'disais, ils portent pas non plus Helm dans leur coeur. Trop rigide. Ils se sentent beaucoup mieux ici, c'est c'qu'ils disent.
- Ou alors, ils sont juste partis parce que la guerre a ruiné la région, fit observer Marie.
- Ouais, c'est p't'êt' juste ça."
L'aubergiste haussa les épaules.
" En tout cas, faut pas se fier à leur accent : ils n'ont rien de commun avec les mélandiens. Le Tim, il a même été mêlé à des bagarres contre les immigrés du quartier. C'est le plus revanchard de la famille. Ça doit être parce qu'il est encore jeune. Ses frères sont plus nuancés, ou bien ils ne veulent pas s'attirer d'ennuis... J'crois que Tim tient de son père, mais je connais peu les parents."
- Tim, c'est celui qui travaille à la forge ?
- Oui, c'est lui."

Jordin hocha la tête d'un air reconnaissant.

"Eh bien, merci l'ami pour les informations ! Et continuez comme ça, votre auberge fait vraiment plaisir à voir."

Il espérait ainsi clore la conversation : ils avaient toutes les informations qu'ils étaient venus chercher. Par prudence, il jeta un regard à Marie, histoire de voir si elle avait autre chose à ajouter.

" Merci, c'est gentil à vous !" répondit l'aubergiste avec un large sourire, heureux du compliment.
Il recula d'un pas, prêt à s'éloigner. Marie, qui semblait hésiter à intervenir, se décida à ajouter une dernière remarque.
" Y m'fait penser à mon neveu, tiens... Je l'imagine bien traîner avec les foulards blancs, lui aussi..."
L'aubergiste s'arrêta net, et lui jeta un regard un peu perplexe. Presque méfiant.
" Et... en quoi ce serait un problème ?"

Oh, terrain glissant. Mais Jordin apprécia la tentative : ça valait le coup d'essayer. Il réfléchit à toute allure pour emboîter le pas de Marie sans éveiller les soupçons.

"On n'a pas dit que c'en était un", répondit Jordin avec un haussement d'épaules et une ébauche de sourire. "C'la étant, l'autre jour, le frangin d'Marie s’inquiétait d'pas savoir où était son fils. Alors, s'il traîne de temps en temps avec le Tim, c'est toujours bien de le savoir, histoire de rassurer les parents. Vous savez ce que c'est."

Oups... oublié de répondre, fin d'année bousculée... et surtout j'ai voulu affiner les choses dans ma tête pour ne pas écrire de bêtises, donc je n'ai pas répondu instantanément, et ensuite j'ai oublié... Toutes mes excuses !

L'aubergiste resta un instant les sourcils froncés, mais haussa les épaules et s'éloigna sans rien ajouter. Il ne leur restait plus qu'à achever de vider leurs chopes.
" Je n'aurais pas cru qu'il soit aussi un fervent supporter de ces foulards blancs, observa Marie, à mi-voix. Je crois que je ne vais plus revenir ici aussi souvent... même si on y est pas mal."
Elle poussa un soupir et repris, plus bas encore.
" Bon... si je résume... Tim Acchard est le grand type aux cheveux noirs qui travaille à la forge, et qui a un accent qui ressemble à celui de Mélandis... et qui ressemble à mon agresseur. Bref, c'est celui qui est venu cambrioler la mercerie ce matin. Il a probablement deux complices, le guetteur qui loge dans l'auberge en face de la mercerie, et qui travaille aussi à la forge, et aussi le témoin qui a formellement identifié l'accent mélandien... Parce que faut pas pousser mémé dans les orties ! Un témoin homme dans une mercerie, c'est louche ! Lui, je ne l'avais jamais vu auparavant, mais la garde a déjà son identité. Bon, évidemment, on n'a pas de preuve qu'il soit impliqué."
Elle posa son menton sur son poing.
" On fait quoi maintenant ?"

HRP : je ne vais pas te le reprocher, ce serait l'hôpital qui se fout de la charité

Jordin tapota du bout des doigts sur la table, et répondit à voix basse :

"En tant que tel, on pourrait aller voir la garde : on a formellement identifié l'agresseur, et en plus de toi on a aussi la patronne qui pourrait le confirmer."

Il s'interrompit pour boire une gorgée de bière, essuya la mousse qui lui maculait la lèvre supérieure et reprit son tapotement.

"Ce qui me chiffonne, bien entendu, c'est qu'on n'a aucune preuve pour inculper les deux autres, comme tu dis. On ne saura pas si c'était un coup monté par les foulards blancs ou juste une initiative isolée de quelques partisans zélés. Ce qu'il faudrait, c'est qu'on arrive à prouver un lien entre le témoin providentiel et Tim. Tu te souviens d'un détail particulier sur ce faux client ?"

Il interrompit soudain son tapotement d'un air gêné.

"Euh, désolé si c'est agaçant."

Marie eut un sourire compréhensif.
" Le faux client... j'sais plus. Il était assez bien habillé, il devait avoir une trentaine d'années, mais j'ai pas retenu son nom, j'étais un peu sous l'choc. Il prétendait acheter du tissu pour sa mère qui pouvait plus s'déplacer. C'est une excuse crédible. J'l'avais jamais vu avant, en tout cas... Ni à la mercerie, ni dans une des tavernes du quartier. Je l'imagine plus vivre dans les quartiers un peu aisés, vu sa dégaine. Dans le quartier commerçant ou même le sud de la ville. C'est p't'êt' un proche de ce John Macchel qui a fondé le mouvement, il vit dans le quartier sud... mais ce serait p't-êt' trop flagrant. Les gardes sauraient sûrement nous en dire mieux... mais est-ce qu'ils le feront ? En plus, j'imagine que c'genre de mouvement politique a des sympathisants dans la garde, qui n'aimeront pas qu'on soupçonne leurs amis... Mais vraiment, j'vois aucun détail utile, j'ai beau m'creuser la tête...".

"On pourrait aller traîner dans les quartiers sud, mais autant chercher une aiguille dans une botte de foin."

Il se gratta le crâne.

"Je pense qu'on n'a pas le choix, il va falloir obtenir des informations auprès de la garde. Peut-être en leur expliquant que ce client a oublié sa commande et que tu cherches à la lui remettre ? Ça aurait le mérite d'endormir les soupçons. Enfin, sauf si on a l'incroyable malchance de tomber sur un garde qui connaît son implication dans l'histoire, mais ne nous perdons pas en conjectures avant d'avoir essayé."

" On peut essayer, oui..."
Avec un sourire enthousiaste, elle se leva, repoussa sa chaise, et entraîna Jordin dehors. Puis, tout en prenant la direction du nord -le poste de grade se trouvait au-delà du Parc Verdoyant-, elle fronça les sourcils, songeuse.
" Par contre... Si j'me souviens bien.... Le client d'l'auberge en face de la mercerie, çui qui faisait le guet, y doit rendre sa chambre demain. Enfin, j'crois. Ça veut dire qu'il va probablement quitter la ville, 'fin, je suppose... Faut pas trop qu'on traine pour mettre la garde au courant de ce qu'on a appris. Même si on essaie de continuer l'enquête... Il faut qu'on leur dise où trouver le coupable avant la fin de journée aujourd'hui."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les taudis