La Couronne de Cuivre

Dans l'obscurité bienvenue Angèle se sentit rougir. Elle sourit cependant. Morgan lui avait dit que cela s'entendait même les yeux fermés ou dans l'obscurité.

"Vous pouvez compter sur moi. Et j'espère que quoi qu'il arrive, je ne vous décevrai pas. Ami alors, Malo. Ce que vous venez de me dire me touche beaucoup. Je vous souhaite une très bonne nuit."

- Je vous remercie d’accepter mon amitié, Angèle : cela signifie beaucoup pour moi, lui répondit simplement Malo avant que le silence ne se fasse, seulement perturbé par le son léger de leur respiration. Le professeur ne tarda pas à s’endormir mais peut-être le sommeil allait-il la fuir, elle.

Angèle sourit dans l'obscurité. Les paroles de Malo eurent un effet apaisant et ses inquiétudes pour cette nuit la laissèrent tranquille. Elle pensa à Morgan, à Amélie et à Soren. En temps normal, se les représenter lui serrait irrémédiablement la gorge. Cette nuit, elle eut une pensée émue pour son aimée, recommanda les deux autres à Dame Chance avant de fermer les yeux. Et contrairement à ce qu'elle imaginait, elle ne tarda pas à s'endormir, bercée par la respiration calme de Malo.

Un ami ... La vie donnait et reprenait ... Et emmenait aussi son lot de belles rencontres.

La paladine sentit une bonne odeur de pain chaud et de thé en se réveillant, parfaitement reposée. Elle se trouvait seule dans la chambre mais elle entendait du bruit provenant de la cuisine et certainement de Malo en train de préparer le petit-déjeuner. Un coup d'œil vers la fenêtre lui apprit en outre qu'il faisait encore sombre et qu'il était donc très tôt.

Angèle ouvrit doucement les yeux. Les ombres de la nuit se dissipaient à peine. On était encore très tôt mais cela ne l'affecta pas. Elle avait l'habitude de dormir très peu. Elle s'habilla à la hâte, remettant ses vêtements chauds qu'elle avait portés la veille. Pour le moment, elle n'était pas inquiète, plutôt impatiente. Elle finit d'enfiler ses bottes et alla pour rejoindre Malo. Au moment de passer la porte, elle fut prise d'une sorte de trac.

Les mots qu'ils avaient échangé avant de s'endormir n'avaient pour elle rien d'anodin et Malo avait dû le sentir. L'obscurité avait facilité ce genre d'échange. Elle en était toute intimidée à la lumière du jour. Mais elle n'était plus une adolescente. Elle prit sur elle pour rejoindre son hôte sans attendre.

"Bien le bonjour.", dit-elle avec un sourire.

Malo finissait de préparer les tartines de pains chaud et même quelques viennoiseries quand la paladine entra dans la pièce. Il lui dédia un sourire ravi avant de l'inviter à prendre place à table où il avait disposé trois couverts :

- Bonjour Angèle ? Vous avez bien dormi ? Je ne sais pas si Malika nous rejoindra pour le petit déjeuner mais autant commencer tant que c'est chaud !

Il paracheva ses préparatifs en lui servant une tasse de thé parfumé et en prenant place à table.

Angèle eut un sourire devant la table bien garnie. Pour la première fois depuis quelque temps elle se sentait affamée et prête à affronter le monde. Elle s'assit en face de Malo devant la tasse de thé. Cela, elle n'aurait jamais été capable de s'en passer. Elle but une gorgée du délicieux breuvage avant de répondre.

"J'ai bien dormi. Peut-être est-ce l'air de la montagne. Et vous ? Vous devez être impatient de commencer les recherches ?"

Malo prit à son tour le temps de boire une gorgée de sa tasse avant de répondre avec enthousiasme :

- Oh oui, je suis très impatient : mais nous en aurons tout de même pour quelques jours de voyage avant d'arriver sur le site de fouilles. J'espère que cela ne vous dérangera pas de dormir sous une tente ?

Cela faisait longtemps que cela ne lui était pas arrivé mais elle n'en avait pas gardé un souvenir impérissable. De plus, la toute dernière fois, elle avait dormi avec Morgan mais pas avec d'autres personnes qu'elle connaissait à peine.

"Je m'en accomoderai", dit-elle avec un sourire quelque peu penaud.

Malo marqua une hésitation avant d’ajouter d’un ton un peu penaud :

- Nous n’en aurons pas forcément toujours besoin en cette saison mais on apprécie même un toit de toile quand le vent souffle et que la pluie ou la neige tombe pendant la nuit. En revanche, il faudra certainement que vous vous partagiez une des tentes avec Malika. Enfin, si cela ne vous gêne pas trop…

Angèle secoua la tête.

"Ne vous en faites pas pour moi. Je n'ai pas vraiment l'habitude mais je peux m'adapter sans soucis."

Après tout, elle avait passé plusieurs jours dans un temple sunite alors pourquoi pas sous tente. Mais cela, Malo ne le saurait jamais. Du moins, elle l'espérait. Que dirait-il s'il apprenait qu'elle avait posé nu pour un sculpteur aussi peu habillé qu'elle ? Non, tout ceci appartenait à son jardin secret, elle l'avait enfui au beau milieu des roses, dans le secret de son coeur.

Et il était en effet peu probable que Malo ne se mette à empiéter dans ce jardin secret par des questions indiscrètes. En effet, le jeune-homme semblait de nature à faire preuve de discrétion et à respecter celle des autres, même s’ils étaient proches. Ce n’était peut-être qu’une intuition car ils ne se connaissaient que depuis quelques jours mais c’est l’impression que dégageaient le professeur et son attitude. Il n’était pour autant pas distant ou froid mais il semblait accepter l’idée de garder ses secrets intimes. Il se contenta de répondre avec flegme :

- Alors c’est tant mieux et je ne doute pas que vous vous entendrez bien avec Malika.

Et comme si parler d’elle avait eu un effet magique, on toqua à la porte de l’appartement à ce moment-là.

Le respect de Malo se sentait dans ses gestes mais aussi dans ses silences ce qui le rendait d'autant plus agréable. Ils se connaissaient à peine et pourtant, elle se sentait proche de lui. Peut-être tout simplement parce qu'il ne lui forçait pas la main dans quoi que ce fut. Il n'avait pas l'air de s'offusquer de cette carapace qu'il présentait au monde. Et peut-être était-il comme elle après tout.

Elle se redressa en entendant frapper à la porte. L'heure du départ approchait. L'aventure allait bientôt devenir concrète mais elle n'était plus tout à fait effrayée. Bonne route ou mauvaise route, elle allait cheminer en bonne compagnie. Pour le moment, seul cela avait de l'importance.

Malika fit son entrée, enthousiaste et même joyeuse si l’on se fiait à son expression et à son dynamisme :

Bonjour à vous deux ! J’espère que vous m’avez gardé un croissant de côté et une bonne tasse de thé : je ne voulais pas risquer de vous réveiller en arrivant trop tôt.

Le professeur se leva pour l’accueillir et la saluer avant que la jeune-femme - de dix ans leur cadette – ne s’installe entre eux deux à la table.

Angèle se leva pour saluer Malika à son tour . La jeune femme de par son enthousiasme lui rappelait quelque part Amélie et avait l'air très sympathique. Elle lui versa une tasse de thé avant de pousser vers elle les croissants.

Elle aime avait considérablement faim, comme si son organisme la poussait en prévision des efforts à fournir.

La jeune-femme la remercia d'un sourire rayonnant avant de mordre à belles dents et avec enthousiasme dans un premier croissant. Malo n'était pas en reste et semblait avoir un très bon appétit lui aussi :

- Profitons de ces pâtisseries fraîches car nous n'aurons bientôt que du pain sec !
- Rabat-joie, lui rétorqua Malika la bouche pleine et sans agressivité.

Angèle avait observé quelque minutes le duo avant de se servir un croissant. Ils avaient l'air complices comme deux personnes ayant l'habitude de travailler ensemble. Leur entente lui rappela l'amitié qu'elle entretenait avec son amie d'enfance depuis le début de son noviciat. Elles avaient effectué leurs classes ensembles et avaient été très rarement séparées l'une de l'autre. Elle ne l'avait pas vue depuis son départ à Luménis et elle commençait à lui manquer sérieusement. Sans elle et surtout sans Morgan, elle se sentait incapable d'analyser tout ce qui se présentait à elle. Et elle ne l'aurait sûrement pas laissée partir seule avec deux inconnus. Sa compagne non plus, assurément. Mais elle était seule.

Elle sourit malgré tout et mangea sans se presser, faisant descendre le croissant avec quelques gorgées de thé.

Ils prirent tous le temps d'avaler un solide petit-déjeuner sans se presser car c'était la dernière étape avant de récupérer bagages et chevaux puis d'affronter les routes vers les montagnes encore glacées à cette époque de l'année.

Ce fut Malika qui donna le signal de départ en se levant pour débarrasser et nettoyer tasses et couteaux : Malo ne reviendrait pas avant au moins une veille dans le meilleurs des cas alors autant laisser l'appartement en bon état. Le professeur se rendit dans la chambre pour empaqueter soigneusement les livres achetés la veille, signe qu'il escomptait les emporter pour les lire avec Angèle à la veillée.

Angèle se leva à son tour pour aider Malika. Curieusement, elle sentait une sorte de sérénité l'envahir. Un peu comme le calme avant la tempête. Aider Malo avait fait partie de son devoir de paladine, aujourd'hui, elle le faisait car elle croyait à sa cause et quelque part qu'elle tenait à lui. Cela la surprenait mais ne l'effrayait pas vraiment. S'ouvrir quelque peu aux autres lui faisait quelque part du bien.

Elle lui sourit quand elle le vit prendre les livres. La connaissance était ce qui les rapprochait. Il était impatient et semblait avoir retrouvé ses marques. Elle se demanda quelques instants s'il se souvenait de sa femme ou s'il vivait encore dans la douce illusion de l'oubli. Elle ne savait pas lequel des deux était préférable.

Il était probable qu'elle ne parviendrait à percer ce mystère que si elle trouvait le courage de lui poser la question ou alors celui de patienter jusqu'à ce qu'il se livre de lui-même. Ce ne devait cependant pas être pour maintenant car les derniers préparatifs les mobilisèrent tous complètement.

Une petite heure plus tard, ils avaient chargé leurs montures et passaient sous les portes principales de la ville. Il semblait à la paladine qu'il y avait un peu moins de tentes et de réfugiés qu'à son arrivée mais peut-être s'était-elle tout simplement accoutumée à leur présence.

Angèle espéra que ces hommes, ces femmes et ces enfants aient pu trouver un hébergement décent. Le froid même en cette saison était mordant. Elle s'adressa quelques secondes devant les portes de la ville et adressa à Tymora une prière silencieuse afin qu'elle les accompagne durant leur expédition avant de repartir. Son sac à dos lui pesait quelque peu mais ce n'était sûrement qu'une question d'habitude. Dans peu de temps, elle ne le sentirait peut-être plus. Elle boutonna jusqu'en haut son manteau de voyage avant d'en rabattre la capuche. Certaines effluves du parfum de Morgan en étaient restées prisonnières, vestiges de menthe et de feu de bois. A présent, c'était elle qui partait sur les routes.

Elle accorda bientôt son pas à celui des deux autres.

Malo et Malika l’avaient attendu un peu plus loin sur la route quand elle s’était arrêtée pour prier et ce afin de lui laisser un peu d’intimité. Alors qu’elle les avait rejoints, ses deux compagnons encadrèrent sa monture mais gardèrent plus ou moins le silence.

Enfin, arrivés en bas de la colline sur laquelle était nichée la ville de Cojum, le professeur leur fit quitter la route pour couper à travers une lande herbeuse où poussaient de nombreux mûriers et de la lavande puis s'adressa à Angèle d'un ton léger :

- L’étape d’aujourd’hui ne sera pas très longue : mieux vaut reprendre en douceur l’habitude de chevaucher. Je dois dire que je ne me suis jamais vraiment habitué aux longs trajets à cheval. Et le premier soir est à chaque fois une torture sans nom pur moi !

Angèle savait chevauchait mais cela faisait - hormis l'incursion dans le rêve de Brandon Devlin - une éternité qu'elle n'avait pas vu le dos d'un cheval. Elle sourit à Malo.

"Malheureusement, je vois très bien de quoi vous parlez. Une petite étape alors ... Cela sera très bien."

Son cheval avait l'air calme et habitué à tenir la distance portant sur son dos un cavalier. Tant mieux. Elle aurait eu du mal à maîtriser une monture nerveuse.

Ils traversèrent la lande arborée au pas et poussèrent à un moment un petit galop mais ne tinrent pas longtemps cette allure : leurs montures étaient robustes et prévues pour résister aux mauvaises conditions de la montagne mais certainement pas pour gagner une course sur un terrain plat. De plus, Angèle s’aperçut bien vite qu’elle était la meilleure cavalière de leur petite troupe.

Elle s'en rendit vite compte et resta en arrière pour aider Malika et Malo, n'hésitant pas à prendre les rennes pour les passages plus difficiles. L'air vif et la chevauchée au grand air ne tardèrent pas à faire naître une sorte de sentiment de liberté, une exalatation proche de la frayeur. Mais comme à son habitude elle n'en montra rien. Le vent rosissait ses joues et ébouriffait ses cheveux. Elle n'avait plus vraiment l'air d'une paladine percluse de soucis.

Plutôt d'une aventurière beaucoup plus jeune et pour quelques temps libérée de ses soucis.

Cette impression fut largement renforcée par leur courte halte de midi où ils s’installèrent sur des rochers plats au milieu d’un champ de lavande pour déjeuner sur le pouce de sandwiches au jambon et au fromage. L’ambiance était légère et ponctuée de plusieurs plaisanteries destinées à briser les restants de glace entre Angèle et ses deux compères. Ils reprirent la direction des montagnes une heure plus tard au même rythme que le matin dans une humeur joyeuse. Cependant, en milieu d’après-midi, le ciel commença à se parsemer de nuage et le vent à souffler un peu plus fortement, renforçant l’impression de froid et encourageant Malo à leur faire adopter un rythme un peu moins lancinant.

Angèle se sentit presque à l'aise au milieu des deux membres du groupe comme si elle en faisait à présent partie intégrante. Pendant la halte, elle mangea avec un appétit qui l'étonna elle-même. Elle repartit le coeur un peu plus léger. Le froid plus vif lui fit encore resserrer d'avantage les pans de son manteau autour d'elle. S'il faisait plus froid, elle serait contrainte de sortir le bonnet que lui avait tricoté Morgan. D'un rouge vif, il allait totalement à l'encontre de ses principes de discrétion mais c'était aussi emporter sa défunte compagne avec elle et au moins, elle aurait chaud.

Elle prit en repartant les rênes des deux autres chevaux pour aider leur cavaliers à aller plus vite.

Les nuages ne cessèrent de s’amonceler, annonçant peut-être de la neige pour le début de soirée et le professeur paraissait soudain un peu inquiet de cette éventualité.

- Il y a un hameau avec une petite auberge à une ou deux lieues : on devrait y parvenir avant la soirée mais je m’inquiète pour demain et les jours suivants s’il se met déjà à neiger maintenant !

Angèle leva la tête vers les nuages, visiblement inquiète. Les rênes toujours en main, elle fit accélérer sensiblement les chevaux, assez vite pour ne pas traîner mais assez prudemment car elle ne connaissait rien des aspérités du terrain.

"Alors, ne traînons pas. Mieux vaut être bloqués par la neige au hameau plutôt qu'en rase campagne."

Il serait assez malvenu de mourir de froid surtout avant de commencer l'aventure.

Moins d’une heure plus tard, ils virent des fumées de cheminée à l’horizon puis la silhouette d’un petit regroupement de maisons niché sur une éminence rocheuse et entouré de palissades. Le hameau devait compter une vingtaine de bâtisses dont plusieurs comptaient au moins deux étages. Alors qu’ils s’approchaient des portes en suivant une route en terre battue, les premiers flocons se mirent à voleter autour d’eux.

- Il était temps qu’on arrive ! Par contre, il ne faut pas vous attendre à du grand luxe : c’est une auberge de grands voyageurs et d’alpinistes, guère plus, mais ce sera bien mieux que de bivouaquer !

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Cojum