La Couronne de Cuivre

Astrée s'était retrouvée seule avec Marcus et les deux elfes de caractères si opposés. Un peu perdue face à tant de remue-ménage, elle avait apprécié les quelques gentilles paroles d'accueil de la magicienne et du demi-elfe. Les mots de ce dernier semblaient indiquer que lui aussi était proche de la nature, et elle s'était soudain sentie moins seule.

Elle avait suivi attentivement la conversation, et commençait à mieux entrevoir la situation : le conseiller Albérich avait donc été enlevé par des Sharites. Qui l'auraient peut-être conduit dans le vallon obscur.

Ses compagnons semblaient eux aussi plongés dans leurs réflexions, puisqu'aucune parole ne fut échangée avant le retour du demi-elfe, qu'elle salua d'un signe de tête et d'un sourire. Sa mine en disait long sur ce dont il avait été témoin, et qu'elle préférait ne pas imaginer.

Un souvenir lui revint soudain en mémoire et la poussa à briser le silence.
- Ça n'a peut-être rien à voir avec cette histoire mais je viens de me souvenir d'un incident... A une journée de chez moi, en venant sur Luménis, j'ai fait étape dans un petit hameau. Les habitants m'ont raconté qu'un groupe de voyageurs, se prétendant envoyés par Luménis, avaient réquisitionné toutes leurs provisions. Ils étaient quatre, et disaient être des Lathandrites; parmi eux il y avait au moins un prêtre. Peut-être s'agit-il de certains des Sharites que vous cherchez?

Elle ajouta, à l'attention de la magicienne si enthousiaste :
- Vous m'avez l'air d'avoir hâte de vous rendre dans ce vallon. Je vous guiderai jusque là-bas, mais je préfère vous prévenir : le climat est assez rude au pied des montagnes. Il nous faut traverser la forêt maudite, et nous devrons bivouaquer au moins une fois dehors en chemin. Il vaut donc mieux prendre le temps de nous équiper convenablement avant de partir. Mais peut-être avez-vous déjà tout ce qu'il faut.
Elle hésita
-A moins que... n'existerait-il pas un moyen de se téléporter directement là-bas?
Elle rougit. Non, si ça avait été possible quelqu'un l'aurait sûrement suggéré.
- Ma suggestion doit vous paraître complètement stupide, je suis désolée. Je ne connais rien à la magie. J'ai juste entendu parler de ce genre de sortilège.

Taliesin observa un instant la jeune femme. La magie était puissante, oui, et Luménis regorgeait de praticiens aguerris des arcanes. Si préparer un tel sortilège n'était sans doute pas impossible, cela ne manquerait pas de prendre énormément de temps et, au final, de ne pas les avancer à grand chose. Tant pis, même si un raccourcissement conséquent du trajet n'aurait pas été pour lui déplaire, loin s'en fallait.
Il ne put réprimer une grimace de dépit. Bien sûr, il aurait dû se réjouir des informations cruciales qu'Astrée venait de leur offrir. Il le savait. Pourtant, il ne voyait que l'aspect négatif des choses : la longue absence, le plausible trépas... Et ces perspectives le glaçaient jusqu'à la moelle. Il devait se raccrocher à quelque chose, sous peine de ne pas tenir bien longtemps la route. Quinze jours. Quinze petits jours. Une infime goutte d'eau dans l'océan du temps. Il devait se dire cela. Et songer à après, aussi peu probable que lui paraisse l'existence d'un après. S'ils parvenaient à retrouver Albérich, alors, peut-être, révoquerait-on son régime de surveillance, considérerait-on sa dette comme payée. Lui permettrait-on de vivre tranquillement, paisiblement, comme il le désirait. Sans plus de quêtes insensées, d'aventures où la mort était votre compagne à chaque pas. Peut-être.
Il se passa une main lasse sur le front.
-Votre remarque n'est pas dénuée de sens, madame, N'en soyez point marrie. Je doute cependant que préparer une telle incantation soit plus bref que le trajet qui nous attend... Pour le reste, c'est moi qui suis désolé de vous voir engagée pour semblable mission. D'autant que, vous l'aurez sans doute remarqué, je suis moins optimiste que mes pairs. Belenn pense qu'il n'y a que onze Sharites : j'en doute fortement. Lorsque vous avez quitté les abords du vallon pour ralier Luménis, Albérich venait tout juste d'être enlevé. Or, à ce moment là, il est des plus probables que les onze individus se trouvent tous en ville, ou que certains d'entre eux quittaient à peine ces murs. Ce qui signifie que les ténèbres que vous avez vues ont été provoquées par quelqu'un d'autre... Des ennemis en plus, donc. Et puissants...

Belenn en avait profité pour refaire son apparition. Il était pâle mais souriant, et il écouta les dernières paroles de Taliesin avec attention, avant d’intervenir.
« Euryale a mentionné la présence de dix agresseurs, lors de leur capture, dont quatre qu’elle a qualifiés de dangereux. J’imagine donc qu’ils maîtrisaient un pouvoir de leur niveau ou davantage. Mais d’après ce qu’elle a dit de leurs ténèbres… Je pense qu’il est possible qu’au moins l’un d’entre eux soit capable de téléportation. Ce n’est pas un art qui est très répandu parmi les clercs, mais il n’est pas complètement inaccessible à ceux qui embrassent la sphère divine du voyage. Il est donc possible qu’ils se soient rendus dans ce vallon plusieurs fois, sur des laps de temps très courts. S’ils avaient usé de cette technique au sein de la ville, nos magiciens les auraient détectés… Mais hors les murs, tout est possible. Cela expliquerait pourquoi Kasumi et Arya ont perdu leurs traces brutalement, non loin des remparts. Ça n'empêche pas, bien sûr, qu'ils puissent être plus que onze. »

Le nombre de Sharites avait certes son importance, mais pour Arya ce n'était certainement pas le plus grand danger. Une dizaine d'ennemis bien préparés qui leur auraient tendu un piège seraient plus dangereux qu'une vingtaine qu'eux-même pourraient surprendre. Mais la route serait longue et s'ils ne voulaient pas arrivés alors que les lieux seraient vide de leurs occupants, ce qui était peut-être déjà, il était souhaitable de se mettre en route rapidement, le temps de prendre quelques vêtements chauds supplémentaires, des couvertures et des vivres, pour le reste, ils auraient tout loisir d'en discuter en route. Sur place, ils savaient déjà pouvoir compter sur les paladins qui surveillaient l'endroit, pour le reste, ils seraient bien obligés de faire en fonction de l'accueil qui leur serait réservé.

Je pense que nous devons maintenant agir rapidement, la question qui se pose est surtout, est-ce que nous demandons que des soldats nous accompagnent, des clercs se joignent-ils à nous ou pas. Pour le reste, il nous faut chacun prendre quelques vêtements chauds supplémentaires et que de la nourriture en suffisante soit préparée, ainsi que des chevaux.

Pour le reste nous pourrions discuter des heures pour savoir si ils sont encore dix ou plus que sept, ou peut-être quatre ou vingt, nous ne le saurons qu'une fois sur place. Tout comme déduire de leur puissance, c'est tout aussi impossible. Ils le sont, au moins certains d'entre eux pour avoir pu mettre à terre Euryale et Albérich, mais nous ne pouvons dire si c'est quatre ou plus. Tout comme nous ne savons pas s'ils nous attendent ou s'ils pensent être tranquilles là-bas.

La route sera longue et plus nous tarderons plus nous risquons de trouver le repaire vide, ce qui est peut-être déjà. De plus, nous ne savons si Albérich se trouve dans la tour et si il y est dans quel état.

Elle soupira, elle était peut-être trop empressée, mais le temps que Belenn et Kasumi était auprès de la prêtresse, elle avait retourné dans sa tête tout ce qu'ils savaient, ajouté ce qu'avait rapporté le clerc ne changeait rien à la donne. Il fallait se rendre sur place faire face à l'ennemi pour savoir en espérant vaincre et retrouver le conseiller.

Enfin vous aurez compris qu'à mon avis tout ce que nous pourrions dire serait discutailler et ne nous apportera aucune réponse. Nous ne savons qu'une seule chose, un vallon est dans la nuit et des hommes ont quémandé de la nourriture dans le coin, pour savoir de quoi il en retourne il faut aller sur place. Je pense que nous devrions nous occuper des préparatifs et ensuite partir dès que nous auront ce qu'il faut.

Taliesin acquiesça sans enthousiasme.
-Comme je vous l'ai dit, il me faudra un peu de temps pour rassembler mes affaires et prévenir ma famille. Je pense cependant que nous ne sommes pas à quelques heures près : si les Sharites se sont téléportés, ils ont une avance considérable. S'ils pensent que nous allons les suivre, ils sont sans doute déjà partis du vallon, et nous mettre en route maintenant n'y changera rien. C'est la même chose s'ils se croient en sécurité. Toutefois, si l'avis général est de partir dès aujourd'hui, je ferai mon possible pour ne pas vous retarder. Ou pour vous rejoindre en quelque lieu de rendez-vous que nous aurons préalablement défini.

« Je comprends votre impatience, Arya, mais je pense que nous ferions mieux de prendre le temps de nous préparer. Le temps s’annonce rude, et il empirera en montagne. Nous devons être sûrs d’avoir des chevaux robustes, des provisions en suffisance, d’être bien équipés. De plus, et c’est peut-être le plus important, dame Astrée vient, si j’ai bien compris, de courir ventre à terre pour nous avertir. »
Il se tourna vers elle et lui sourit avec bienveillance.
« Après cinq jours en selle dans le froid de l’hiver, je pense, sans vouloir douter de vos qualités, madame, que vous pourriez peut-être bénéficier d’une journée et d’une nuit de repos. A voir votre mine, et je ne veux pas vous offenser, j’oserais supputer que les derniers jours n’ont pas été des plus faciles. Mais vous êtes seule à pouvoir vous exprimer à ce sujet. »

Astrée sourit, reconnaissante au clerc pour la prévenance dont il faisait preuve à son égard.
- Sincèrement... Oui, je rêve d'une bonne nuit de sommeil au chaud et d'une demi-journée de repos. Ça me ferait un bien immense... Mais je comprends la gravité des faits, et si vous préférez partir tout de suite, je suis prête à vous accompagner. Cet homme est déjà depuis longtemps entre les mains de ces ravisseurs, et mieux vaut intervenir le plus vite possible. Alors... je suis fatiguée, c'est vrai, par ces journées interminables de chevauchée. J'en ai même des courbatures. Mais sans vouloir vous offenser, certains parmi vous m'ont l'air aussi fatigués que moi, même si ce n'est sans doute pas pour la même raison. Donc je tiendrai le coup...

Restait à aborder l'aspect pratique des choses. Elle soupira.
- Mais avant de nous précipiter, il y a certains détails pratiques qu'il faut prendre en compte. J'ai vu ce vallon, et la brume obscure qui l'a envahi. J'ai ressenti la terreur des animaux. Il en émane un tel maléfice... Je pense qu'il nous faudra absolument l'aide de plusieurs prêtres pour venir à bout des morts vivants et pour dissiper un peu l'obscurité. Et je ne sais pas si nous pouvons trouver des prêtres prêts à partir immédiatement. D'autant que, si nous voulons faire étape cette nuit dans une auberge, il nous faudra atteindre Dargyll avant que la soirée soit trop avancée. Et donc partir sans trop tarder. Je doute qu'on arrive à trouver des renfort à temps. Ni même qu'on puisse être prêts suffisamment vite.

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi se rasséréna en voyant le clerc sortir à son tour de la pièce. Lui aussi se sentait soudain gagné par la frénésie de la poursuite de leurs ennemis. Quitter pour un temps la ville n’était pas pour lui déplaire même si le voyage au pied des montagnes ne serait pas une promenade de santé si tard dans la saison. Il fallait donc bien préparer leur périple si les voyageurs ne voulaient pas arriver épuisés et désarmés à leur destination. Kasumi prit la parole gravement après s’être éclairci la gorge. Le fantôme d’Euryale l’avait plus marqué qu’il ne le pensait :

- Nous ne pouvons perdre trop de temps : si cette piste s’avère la bonne, nos actions de la nuit passée vont éveiller la méfiance des ennemis. Si nous nous fourvoyons, il faudra poursuivre nos recherches à notre retour. Pour autant, je pense que partir dans la précipitation ne peut que nous mener à notre perte. Nous aurons besoin de chevaux pour nous tous ainsi qu’un animal de bât. Il faudra emporter du fourrage pour les animaux et une petite réserve de bois si nous voulons voyager vite. L’hiver est proche et les proies sont rares dans la forêt maudite. Nous ne pourrons nous permettre de nous arrêter pour chasser donc nous devons avoir de quoi tenir plusieurs jours pour nous-mêmes. Je peux m’occuper de nous procurer tout cela cet après-midi si on table sur un départ demain dans la matinée. Pour le reste, chacun devra se prévoir des vêtements chauds et des couvertures. Et une fois sur place, il nous faudra de quoi nous battre. Arya, avez-vous encore quelques potions qui pourraient nous être utiles ? Astrée, avez-vous de quoi monter un abri de fortune pour nous cinq ? Vous avez fait la traversée il y peu, que nous conseillez-vous d’ajouter ?

Astrée hocha la tête. Elle partageait l'avis de Kasumi : mieux valait ne pas se précipiter.
- Il me semble plus sage, à moi aussi, d'attendre demain. D'un point de vue pratique : il nous faut des provisions et du fourrage pour cinq jours minimum. Ensuite, nous serons tout près de chez moi et nous pourrons piocher dans ma réserve au besoin pour le retour. Un peu de bois sec aussi, je suis tout à fait d'accord : le temps est humide et nous risquons d'avoir du mal à faire un feu s'il se met à pleuvoir des cordes, ou, pire, à neiger. L'avantage c'est que trouver de l'eau ne sera pas un problème. Il nous faut impérativement des armes, non seulement sur place, mais aussi pour nous défendre lors de la nuit où nous bivouaquerons dans la forêt maudite. On a de fortes chances d'y croiser quelques morts-vivants. Bon, c'est normalement la seule nuit du trajet où nous serons forcés de dormir dehors. Malheureusement, je n'ai qu'une simple toile de tente pouvant abriter deux ou trois personnes, pas plus. S'il pleut, cela ne suffira pas, même sous le couvert des arbres. Il nous faut trouver une deuxième tente : nous n'aurons ni le temps ni l'envie de fabriquer un abri de fortune en branchages... Une fois là-bas, les paladins auront sans doute de quoi nous abriter. Nous pouvons aussi camper dans les nombreuses grottes de la région, mais c'est à deux ou trois heures de marche du vallon.

Elle réfléchit un instant.
- Je crois qu'il serait sage de prévoir des cordes également. La zone est assez escarpée, et certains sentiers seront tout juste praticables. Surtout s'il neige. D'ailleurs, je me demande si nos éclaireurs ont trouvé un accès accessible pour les montures. Le chemin que j'avais suivi pour arriver au vallon ne l'était pas. Il est possible que nous soyons obligés de camper assez loin, ce qui serait plus prudent, au fond. Mais nous verrons cela sur place.

Elle se tourna vers Taliesin et Arya, qui lui semblaient moins expérimentés dans ce domaine :
- Prévoyez absolument plusieurs tenues chaudes et imperméables, en tout cas au moins deux ; s'il pleut nous ne pourrons guère les faire sécher. Et aussi des couvertures. Et de bonnes chaussures. Essayez de trouver un sac le plus étanche possible pour y ranger vos vêtements. Et aussi pour les provisions. C'est tout ce qui me vient à l'esprit pour le moment.

- Il ne nous reste plus qu'à nous répartir les tâches. Je ne connais pas du tout la ville, mais si vous m'indiquez où aller je veux bien me charger de trouver une tente, des cordes et des grappins. Et peut-être nous faut-il des munitions supplémentaires pour nos arcs.

« Je pense que vous devriez prendre l’après-midi pour vous reposer, dame Astrée. Nous pouvons préparer le nécessaire pendant que vous prenez soin de vous-même. Vous êtes notre guide, il serait dommage que nous vous perdions à la grippe. » dit Belenn. « Et je ne me suis pas présenté, je suis Belenn. Je pense que je vous accompagnerai… »
Il se tourna vers Marcus qui acquiesça.
« Avec l’aide des paladins d’Erwan, je pense pouvoir gérer les ténèbres de l’ennemi, du moins dans un premier temps. A mon avis, vu l’étendue de la nuit, aucun d’entre eux n’en est responsable. Ils doivent avoir un artefact qui génère cette obscurité. Je n’ai jamais entendu parler d’un clerc capable d’une telle prouesse… »
Il se tourna vers ses compagnons.
« J’aimerais réinterroger le Sharite que nous avons coincés, cet après-midi. Ensuite je reviendrai ici, je peux m’occuper de l’aspect nourriture, si cela vous convient. »

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi adressa un sourire reconnaissant au clerc. Avec lui, leurs chances de réussite étaient bien plus tangibles. Son aptitude à combattre les morts-vivants et à repousser les ténèbres feraient de lui un allié de choix dans leur expédition. Le rôdeur était tout disposé à lui faire confiance pour préparer la nourriture nécessaire au voyage.

- Je connais un bon forgeron pour notre approvisionnement en flèches. Si vous avez besoin d’armes, faîtes le moi savoir. Je m’occuperai aussi de nous choisir des montures pour le voyage. Des animaux robustes et râblés conviendront mieux aux conditions du terrain que des chevaux de course ou de parade. Je vais me rendre au fort pour en emprunter. Pour la tente, je ne sais pas trop. Peut être en trouverais-je une au fort même si les soldats ne partent guère souvent en campagne.

Arya resta silencieuse, le regard posé sur ses mains, le cœur meurtrit à la pensée d’Albérich dans les affres de la souffrance. Elle tentait de se persuadé qu’elle fut égoïste de vouloir reprocher à ses co-équipiers de vouloir prendre un peu de repos avant de partir. Mais ne pouvait s’empêcher de penser que quelques heures auraient pu suffire à réunir le matériel, la subsistance et les montures nécessaires. Certes une demi-journée et une nuit étaient utiles à la majorité des participants à l’expédition pour pouvoir être en forme, mais cette image du conseiller souffrant de mille maux ne la quittait maintenant plus et pour lui ces heures seraient interminables. Elle dû faire de gros efforts pour ne pas le laisser paraître. <o>

</o> Le parcours qui serait ardu ne l’inquiétait pas, elle était résistante et avait l’avantage de pouvoir se régénérer même en marchant. Elle prendrait une paire de chaussures plus épaisse pour contrer le froid, mais pour le reste, les bivouacs dans la neige ou gravir des pentes enneigées ne l’effrayait pas, en tout cas bien moins qu’un éventuel combat où elle ne pourrait se servir de sa magie et devrait se servir de son épée. <o>

</o> Elle préféra faire mine de se soumettre volontiers à l’avis général. Elle ne voyait aucune potion supplémentaire à préparer, les quantités déjà prêtes étaient largement suffisantes même pour Astrée. Elle se rendrait à la Taverne de la Bienveillance pour y prendre quelques affaires de rechange, elle y prendrait ce sac qui l’avait suivit depuis qu’elle était arrivée et qui pouvait résister à tous les temps les plus humides. Des vêtements de rechange et finalement emporterait son arc et ses flèches au cas où cela serait utile, mais elle savait qu’elle les laisserait avec ses bagages, car lorsqu’il faut se faufiler dans les taillis ou dans une fissure, ce n’était pas l’arme idéale. Cela lui donnerait l’excuse de pouvoir rester pour la nuit à la taverne où elle s'occuperait en laissant son esprit s’évader ou à en se plongeant dans la lecture des livres empruntés à la bibliothèque et qui l’attendaient depuis quelques jours, elle ne se sentait pas rester patiemment dans leur repaire alors que les autres y dormiraient.<o>

</o> La Magicienne prit enfin la parole, rien de ses sentiments ne filtraient et ses mots furent comme si elle concevait qu’il valait mieux ne partir que le lendemain.<o>

</o> Les potions qui sont déjà faites le sont en quantité suffisante également pour Damoiselle Astrée et comme nous ne savons pas à quoi nous attendre, je ne peux rien faire de spécifique. Pour ma part, comme je dois y prendre quelques affaires, je passerai la nuit à la Taverne, elle se tourna vers Astrée en lui souriant, ce qui fait que ma chambre sera libre si vous voulez l’occuper, elle est très agréable.<o></o> Je peux m'occuper des cordes, des grappins si cela est nécessaire. <o> </o><o></o>

-Je veux bien me charger de rassembler ce que vous voudrez, fit Taliesin, mais il faudra que la ville m'avance les fonds ou me donne un ordre de réquisition. Je n'ai plus guère d'argent, et le peu qui me reste devra me servir à m'acheter des vêtements chauds. La majeure partie de ma garde robe est restée derrière moi, lorsque j'ai dû fuir Mélandis, et par la suite les circonstances ne m'ont pas permis de la reconstituer.
C'était là pure vérité, et l'elfe y trouva nouvelle matière à désespérer. Non, franchement, passer son après-midi dans les boutiques n'était pas le genre d'activité auquel il voulait se livrer. En même temps, Galathée travaillant au Fort jusqu'en toute fin d'après-midi, il ne pourrait pas la voir dans l'immédiat... Alors autant s'occuper la tête.

Les paroles du barde éveillèrent quelques échos dans la mémoire d'Astrée : Lui aussi avait fui Mélandis... Sans doute pas pour les mêmes raisons qu'elle.

Elle dut bien s'avouer qu'elle était soulagée de pouvoir prendre un peu de repos, les nuits précédentes ayant été plutôt... agitées.
- Je... Vous êtes vraiment très gentils de me laisser profiter d'un peu de repos, dit-elle en se tournant vers Belenn, puis vers les autres. Mais si je peux être utile à quelques chose, n'hésitez pas à me le dire. Je me sens un peu coupable de vous laisser toute la charge de l'organisation.

Elle se tourna vers Arya.
- Et je vous remercie vraiment de votre offre. Mais... J'ai déjà réservé une chambre à la Taverne de la Bienveillance, tous mes bagages y sont, et il ne serait pas correct de ma part de décommander au dernier moment. Je ne pouvais pas savoir...

Quelque part au fond d'elle, elle regrettait presque de ne pas passer la nuit avec les autres. Ils auraient pu faire plus ample connaissance à la veillée. Mais finalement, ils avaient tout le voyage pour ça.
En tout cas, elle savait déjà à quoi elle allait occuper son après-midi : trouver un maréchal-ferrant pour Moïse, se promener un peu dans le parc verdoyant s'il lui restait du temps. Se coucher tôt. Et dormir... Dormir enfin...

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi sentit que tout avait été dit et s’empressa de clore les débats. il se sentait plus à son aise à la veille de ce voyage, sentant que ces capacités trouveraient à s'exprimer :

- Donnons-nous rendez-vous devant la taverne demain une heure après l’aube. J’y amènerai les chevaux. Arya, pouvez-vous vous procurer une flasque d’huile à l’université pour nos torches ? Je crains de ne pas en avoir. Je dormirai au Fort, ce sera plus pratique d’y laisser les chevaux pour la nuit. A demain !

Le rôdeur se dirigea ensuite vers la sortie. Il était temps de se mettre à l’œuvre. Belenn lui emboîta le pas. Lui aussi avait affaire à la Forteresse.

Avant de partir, Belenn demanda cinq minutes à Kasumi, et partit dans les couloirs du temple. Il revint peu après, expliquant à son compagnon qu’il avait pris les dispositions nécessaires pour qu’Euryale soit rapatriée à Eredhùn. Il avait décidé d’en charger Tybert, le novice qui servait de secrétaire particulier à Albérich, de manière à lui reconnaître un rôle important dans les événements en cours, ce dont le garçon avait cruellement besoin. En lui confiant le corps de la femme que son maître avait aimée, Belenn lui permettait de reprendre pied, en le responsabilisant comme Albérich l’aurait fait, dans un domaine crucial. Il espérait que cela stabiliserait le jeune homme, qui n’était plus qu’une ombre souffreteuse depuis la disparition de son aîné.

Marcus, de son côté, était un petit peu assommé par la vitesse à laquelle les choses s’étaient enchaînées depuis qu’il avait, sur une intuition subite, introduit Astrée dans la réunion des enquêteurs. Savoir ce qu’il ressentait exactement était encore difficile, mais il était manifestement exalté, rempli d’un espoir qu’il n’avait cru hors de portée une heure plus tôt. Il finit par émerger dans la réalité et parla d’une voix curieusement altérée.
« Nous pouvons vous aider si vous avez besoin d'argent ou de fournitures. Le Temple serait honoré de faciliter vos recherches, de quelque manière que ce soit. » annonça-t-il, s’adressant à toutes les personnes présentes sans stigmatiser en particulier l’elfe qui avait dévoilé son indigence.

Astrée eut une petite pensée pour la maigre fortune qui était en sa possession. Si elle avait dû acheter des fournitures, elle aussi aurait dû faire appel à l'aide financière du temple. Mais elle n'était pas concernée.

- Je vous remercie pour votre générosité. Pour ma part, je n'ai besoin de rien, je suis déjà bien équipée. A moins que vous ne connaissiez un maréchal-ferrant qui puisse s'occuper de mon cheval dans l'après-midi... Mais ça m'étonnerait que ce soit possible.
Elle avait quand même posé la question à tout hasard, se doutant que la réponse serait négative : Moïse devrait sans doute faire tout le trajet du retour avec un fer en moins. Elle pourrait toujours prendre rendez-vous pour le printemps.

A son tour, elle se dirigea vers la porte. Elle sentait la fatigue des jours précédents lui peser plus qu'elle n'aurait cru, et avait hâte de se reposer un peu à l'auberge.

« Vous pourriez peut-être demander au Fort. Ils ont des maréchaux-ferrants et vu l’urgence de votre départ, je suis persuadé qu’ils s’occuperont de votre monture. Du moins, je le souhaite. » intervint encore Marcus avant qu’Astrée ne quitte la pièce.
Puis il se tourna vers les elfes.
« Si vous n’avez plus besoin de moi, je vais retourner vaquer aux nécessités du temple. »

Taliesin salua Arya, échangea quelques mots avec Marcus quant à la somme qu'il lui faudrait emprunter, puis quitta la pièce et rejoignit Astrée alors qu'elle atteignait l'entrée du sanctuaire.
-Madame, fit-il. Si vous voulez vous éviter le trajet jusqu'au Fort...Pour votre monture, allez voir à la Forge Flamboyante. Elle est proche de la Bienveillance et on devrait pouvoir vous y dépanner. Dans tous les cas, je vous souhaite un bon repos... Et vous dis à demain.
Il lui fit un geste d'adieu puis retourna à l'intérieur du temple. Il en ressortit pour de bon quelques minutes plus tard, avec assez d'or pour se doter de vêtements d'hiver et acheter la part des fournitures qui lui était échue. Il prit aussitôt la direction du port, tentant d'établir un plan d'action qui lui permettrait de faire au plus tôt son ultime retour à la maison.

Astrée salua à son tour Marcus. Il était temps de retourner à la taverne si elle voulait avoir le temps de tout faire...

Elle n'avait guère eu le temps de se repérer lorsqu'on l'avait conduite dans la pièce où étaient réunis les enquêteurs. Elle avait parcouru plusieurs couloirs presque au pas de course en suivant Marcus et n'était pas sûre de savoir retrouver la sortie.

Heureusement pour elle, Arya devait elle aussi se rendre à la taverne. C'est donc ensemble qu'elles sortirent du temple et prirent la direction de l'auberge.

Tout semblait s'être accéléré et elle reconnut la sagesse dans Marcus dans sa proposition d'aide financière à tout le groupe. Elle n'était pas riche, mais ses revenus étaient largement suffisant et depuis les quelques mois qu'elle était à Lumenis, elle avait déjà quelques économies dans lesquelles elle puiserait jusqu'à leur retour préférant accompagner Astrée, afin que la jeune humaine ne se sente pas trop seule, alors qu'elle venait d'entrer de plein pied dans une mission périlleuse dont elle ne devait pas se douter de l'ampleur.

Toutes deux prirent le chemin de la où elles passeraient la nuit.

Quête : Brumes

(D'ici...)

Le brouillard se déchire enfin.
Le mouvement des chevaux avait cessé, faisant place à l’inertie d’un milieu de matinée, lumière tamisée sur les draps gris.

Albérich ouvrit les yeux sur le plafond bleu clair de sa chambre. Il n’eut pas un instant d’hésitation quant à l’endroit où il se trouvait : il reconnut la fine lézarde qui courait dans l’angle du mur, comme une fissure dans la perfection du ciel. Il referma les paupières et exhala. Une douleur fulgurante lui traversa l’épaule droite, rayonnant dans sa poitrine et jusqu’au bout de ses doigts. Il n’esquissa aucun mouvement pour se soulager.

L’endroit le plus accueillant au monde et le dernier dans lequel il eut voulu se trouver.
Il dégagea sa main gauche des couvertures et la leva devant lui pour l’observer un instant.

J’ai maigri, songea-t-il en détaillant les os saillants de ses articulations à la douce lueur du soleil hivernal.

C’était un constat rassurant, qui gardait d’autres pensées plus noires à distance.
L’intérieur de ses bras avait guéri. Il ne restait nulle trace de la brûlure du soleil et de la violence des éléments. Tout disparaîtrait. Un onguent bien dosé, un philtre éprouvé, un sortilège de débutant, il suffisait de peu de choses pour rendre au corps sa vigueur d’hier.

Il posa les doigts sur ses joues, retrouva la barbe fournie qui y avait poussé, jour après jour, reflet de sa lente métamorphose. Il se demanda s’il la conserverait. Elle devait masquer ses traits, en partie, mais il n’en avait jamais porté et n’était pas certain de pouvoir s’y habituer. Elle était douce, propre, comme ses cheveux, et cette subite prise de conscience le frappa de plein fouet, serrant ses entrailles, l’emplissant un instant d’angoisse.
En même temps, qu’avait-il espéré ? Qu’on le fourrerait crotté au lit ?
Imaginer ses pairs le baignant comme un cadavre avant l’ensevelissement lui donna une brusque nausée, mais il la tempéra en pressant les paumes sur ses orbites et prenant quelques profondes inspirations.

Retrouver la liberté de se mouvoir. Les premiers instants au sommet de la tour lui apparaissaient déjà comme estompés. Comme quelque chose qui s’était produit il y a bien longtemps.

Si seulement le temps pouvait tout oblitérer, songea-t-il, sans y croire un seul instant.

Il ne savait pas combien de jours il avait dormi. Peut-être des années, attendant le baiser proverbial.
Les larmes lui montèrent aux yeux comme il se remémorait le velouté de lèvres qu’il n’avait pas assez embrassées et qu’il n’embrasserait plus jamais. Il comprima le sanglot en lui-même jusqu’à ce qu’il n’en subsiste qu’un maigre gémissement qu’il le livra à l’air froid de sa chambre. Il l’entendit résonner, funeste, sur les murs dénudés, puis s’enfouit sous ses couvertures. Mais le sommeil ne viendrait plus. Magnanime, son épaule l’élança à nouveau et malgré lui, il s’arc-bouta sur son lit, le souffle coupé.

Ils l’avaient lavé. Qu’en avaient-ils pensé ? Qu’avaient-ils ressenti ? Qu’avaient-ils tenté ?

Albérich se sentit comme un imposteur, salissant le temple de sa seule présence, de la moindre respiration, et se glissa hors du lit, mû par un élan impérieux. Assis sur son matelas, il profita un instant de la froideur de la pierre sous ses pieds nus, reprenant contact avec la réalité. Son cœur se calma. D’une main mal assurée, il essuya sueur et larmes sur son visage.

Levant les yeux, il aperçut la table de sa petite salle à manger privée par l’embrasure de la porte ouverte. Un plateau y était posé, attendant l’appétit improbable du mourant. Il s’en voulut des tracas qu’il devait immanquablement causer à Marcus.
Derrière lui, son lit le rappelait, l’oubli au creux d’un oreiller de plumes, et il se demanda s’il n’y avait pas de valériane quelque part dans sa table de chevet. Il aurait été si simple de s’abandonner à nouveau au silence. S’abîmer dans le néant.
Il prit une profonde inspiration et se mit debout. Comme il s’y attendait, ses jambes le trahirent et il se rattrapa au mur, laissant le temps à son équilibre de se rétablir. Il chemina ensuite vers la table, se concentrant sur ce court trajet à franchir, un pied devant l’autre, jusqu’à agripper le dossier en bois clair de la chaise et s’y couler.
Le petit déjeuner abandonné lui donna une irrémédiable nausée. Le gruau s’était figé, grisâtre, il le fixa sans le voir, l’estomac retourné. Manger pour survivre. Ne plus manger pour mourir. Il se contenta de respirer doucement, de s’habituer à l’idée qu’il lui faudrait avaler quelque chose tôt ou tard.

Il ferma les yeux pour écouter les murmures du temple, les murmures de la rue en contrebas de sa fenêtre. De temps en temps, quelqu’un passait dans le couloir, sans s’arrêter, parfois il surprenait le bruissement d’une conversation, sans pouvoir reconnaître les voix. Il oscillait entre la crainte et l’espoir que quelqu’un s’arrête.

Pour la première fois depuis qu’il avait repris connaissance, l’inévitable s’imposa à lui. Il ne pourrait pas rester.

Albérich entendit alors la porte de son bureau s'ouvrir tout doucement, puiesdes pas feutrés, léger, fouler le dallage de pierre. A peine eut-il le temps de lever la tête que Tybert s'encadrait dans l'embrasure de la porte. S'y pétrifiait, plutôt.
-Oh... fit-il simplement.
Ses mains se mirent à trembler, son visage se décomposa, passant successivement d'un blanc de craie à un rouge pivoine prononcé, et il ouvrit et ferma le bouche à plusieurs reprises, sans arriver à prononcer le moindre son.
-Je... j'aurais dû frapper... bafouilla-t-il finalement lorsqu'il eut retrouvé un semblant de voix. Je ne pensais pas.. Je... Je vais ressortir et frapper... Ou non, pas frapper... Aller prévenir Marcus, oui...
Et le jeune homme de reculer maladroitement, manquant se prendre les pieds dans l'ourlet de son aube et s'étaler de tout son long.

En percevant l’épouvante dans le regard de son secrétaire, Albérich ne put s’empêcher d’avoir brusquement honte de la vision qu’il devait présenter, maigre et hirsute, blafard, dans un semblant de tunique qui lui tombait sur les genoux. Il savait que Tybert était surtout gêné, mais sa réaction était tellement spectaculaire qu’il devait y avoir autre chose, et le conseiller eut le sentiment diffus d’être un fantôme, un pestiféré, de ceux que l’on enferme dans le noir pour ne pas effrayer les bonnes gens. Il aurait voulu dire quelque chose au gosse, pour le rassurer, lui dire que rien n’avait changé, mais c’était tout simplement impossible. Tout avait changé. Il ne serait plus jamais son maître, il ne lui apprendrait rien, ne le guiderait nulle part.
Peut-être aurait-il voulu s’excuser d’avance pour les espoirs déçus à venir, pour ce qui n’arriverait pas, jamais.
Mais il resta simplement muet, immobile, alors qu’hors de vue, l’adolescent courait vers la porte et la fermait précautionneusement mais avec le bruit de sa maladresse.
Albérich soupira, jeta un œil vers son lit.
Marcus.
Retourner se coucher, feindre le sommeil…
Marcus serait plus coriace.
Il ferma les yeux un instant, les rouvrit, regarda le pichet de lait sur lequel s’était formée une peau ridée. Une tranche de pain sèche. Le fromage déjà un peu racorni. Il avança les doigts, puis les rangea sous la table.
Manger ne ferait que l’affaiblir davantage.
Il prit une profonde inspiration, étira les épaules, doucement, craignant une nouvelle douleur, mais sa brûlure le laissa en paix.
Il n'était pas certain de pouvoir parler à l'intendant, en même temps... à quoi bon retarder sans cesse l'inévitable...

A nouveau, Albérich put entendre des gens passer dans le couloir longeant ses appartements. Mais il eut l'impression que ceux-ci parlaient avec plus d'animation, même s'il ne percevait que de vagues murmures. Sans doute avaient-ils croisé un Tybert défait, courant en s'emmêlant à demi les pinceaux en direction du bureau de Marcus, et déduit sans mal la raison de son trouble manifeste. Il ne faudrait pas longtemps avant que la nouvelle de son réveil ne soit connu de tout le temple, même du plus jeune novice... Et que les conversations iraient bon train.
Pourtant, personne ne vint frapper à sa porte durant de longues minutes, et le clerc commença à croire que l'échéance n'était pas pour tout de suite. Peut-être Marcus était-il occupé, pour l'heure. Il savait d'expérience l'imposante charge de travail que représentait la gestion du temple...
Mais il fut bientôt détrompé. Sans qu'il eut entendu personne approché, des coups légers résonnèrent contre l'huis. Et s'il avait encore des doutes quant à l'identité du visiteur, ceux-ci furent bientôt dissipés.
-Albérich ? C'est Marcus. Est-ce que je peux entrer ?

Albérich resta silencieux une seconde, juste une seconde. Il serait si simple de ne pas répondre. Marcus ne franchirait pas la porte, il resterait sans doute immobile quelques instants, surpris, peut-être défait, peut-être déçu, ou furieux. Marcus était parfois furieux. Cette idée le fit sourire, et une mélancolie assassine s’empara de lui, furtive, mélancolie d’un moment oublié où le bonheur avait semblé si simple…
« Entre, Marcus. » dit-il d’une voix qu’il espérait ferme et qui lui parut étrangement rauque.

La porte s'ouvrit et, comme l'avait fait Tyber, Marcus s'immobilisa sur le seuil de la salle à manger. Albérich le trouva un peu pâle, les traits tirés : il n'avait probablement pas beaucoup dormi au cours des dernières semaines. Pourtant, loin de perdre sa contenance devant lui, l'intendant demeura fermement campé sur ses jambes et le dévisagea un instant... avant de se détourner.
-Content de te voir debout... dit-il d'une voix qui n'était calme qu'en apparence.
Tout était dans l'apparence, Albérich le comprit d'un seul coup. Marcus était peut-être aussi affecté que Tybert. Mais il avait dû apprendre à faire face, face à ses responsabilités nouvelles en son absence, face aux autres, et il savait désormais, bien mieux qu'auparavant, se parer d'un masque. Mais l'Aubemestre le connaissait bien : il pouvait lire dans son regard, dans la position de ses mains, la gêne et l'inquiétude qui l'emplissaient. Si Marcus était réellement content de le voir debout, il n'était pas dupe de l'état de son supérieur.
-Désolé, pour le petit-déjeuner... reprit-il. Nous ne savions pas exactement quand tu t'éveillerais.. Je peux t'en faire porter un autre, si tu veux. Ou te laisser tranquille avec ça, si tu n'as pas faim...
Un sujet trivial.. Marcus avait peut-être aussi progressé en diplomatie. Mais il viendrait à l'essentiel. Tôt au tard.
Plutôt tôt que tard.

Albérich prit le temps de rassembler ses pensées, de les canaliser, de les concentrer sur l’instant. Son cœur battait la chamade, il en était conscient, et le trouble de Marcus n’arrangeait pas les choses. Il avait la certitude que l’un et l’autre, ils auraient aimé se trouver à des lieues de là. En même temps, il était heureux de voir Marcus, ses cheveux paille toujours aussi indisciplinés, son regard clair et mobile, qui tantôt trahissait l’impatience, tantôt l’enthousiasme, et qui ne reflétait à l’instant qu’anxiété.
Albérich aurait aimé lui proposer de partir, mais aucun instant ne serait meilleur, ou pire, que celui-là.
« C’est gentil, je n’ai pas vraiment faim pour l’instant. » dit-il finalement.
Il espéra que Marcus finirait par s’asseoir de lui-même.

Il le fit.
Non sans une longue hésitation, sans un regard interrogateur à son supérieur. Mais il dû comprendre que celui-ci ne dirait rien et, de son propre chef, tira une chaise pour s'y installer.
Il dévisagea à nouveau Albérich, brièvement, avant de fixer le mur, la table, le plateau avec le petit déjeuner figé. Puis de chercher, un instant, le regard du clerc.
-Je.. Je suis désolé, Albérich, dit-il à mi-voix. Nous le sommes tous. J'ai conscience que ce sont là des mots creux, convenus, que n'importe qui dirait en la circonstance. Pourtant... Ils sont sincères. Nous sommes tous désolés pour ce qui s'est passé. Vraiment. Je voulais que tu le saches...
Il s'interrompit, parut vouloir ajouter quelque chose, mais s'en abstint.

Albérich pinça les lèvres pour chasser l’émotion. Il était désolé lui aussi. Désolé pour lui-même, pour Euryale, Erwan et Hector, pour les paladins qu’il ne connaissait pas. Il était désolé pour Marcus et pour Tybert, pour le temple, même pour Luménis. Mais il imaginait mal le dire à l’intendant, là.
Détourner les regards pour ne pas s’apitoyer. Il savait pourtant qu’il ne pourrait pas s’extirper facilement du rôle de la victime, pas tant qu’il serait sous les yeux de ceux qui savaient, ou pensaient savoir, ou avaient imaginé le pire et l’atroce sans que personne ne leur ait rien raconté. Or il n’avait pas l’intention de raconter. Pas même à Marcus. Probablement surtout pas à Marcus.
« Aucun d’entre nous n’est responsable de ce qui s’est produit. » finit-il par dire, tentant d’esquisser un léger sourire.
Il aurait voulu pouvoir ajouter quelque chose de plus léger, quelque chose qui aurait renvoyé le cauchemar au placard, mais il s’en sentit incapable.
Parce qu’il devait sans doute d’abord se prouver à lui-même qu’il n’était pas seulement une victime, et pour l’instant, il se sentait juste éminemment fragile, dramatiquement vulnérable, à deux doigts d’un point de rupture qu’il redoutait de franchir.
Et Marcus espérait sans doute, à travers tout, qu’il n’avait pas changé. Qu’il émergerait plus fort de l’épreuve. Qu’il relativiserait, regarderait demain, comme font tous les Lathandrites.
Il fait beaucoup trop noir, Marcus.
Alors il n’ajouta rien.

La Couronne de Cuivre

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Quête : un désir de crépuscule

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Quête : Brumes

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