La Couronne de Cuivre

A la réflexion, la mention de la druidesse n’était sans doute pas une bonne idée… Mais l’officier ne semblait pas susceptible de les aider de toute façon… Kasumi se devait cependant d’essayer une dernière tentative :

- Si vous préférez ne pas exposer les jeunes aigles à plusieurs cavaliers, est-il possible qu’un aigle plus âgé soit sans maître ? Désolé d’insister mais c’est soit ça, soit nous serons obligé de solliciter l’aide des mages peut-être. Et vous devez savoir comment ils sont prompts à se vanter de leurs réalisations pour prendre toujours plus d’influence…

C’était là sa dernière carte à jouer et le commandant devait en être tout aussi conscient que lui-même.

L'officier parut hésiter un instant. La mention des mages l'avait fait tiquer... autant que celle d'Eärundra finalement.
- Il faut que j'y réfléchisse. Généralement, les aigles meurent avant leur maîtres, cependant. Le cas de figure inverse est plus rare... Il faut que j'en discute avec notre soigneur, il me dira ce qu'il est est. Peut-être que.... mais quoiqu'il en soit, je refuse tout net de confier l'un de nos oiseaux, même âgé, à une druidesse. Donc si c'est avec elle que vous partez, ce ne sera pas possible.
- En quoi la présence d'Eärundra vous dérange-t-elle ? intervint la grand-mère, d'un ton où perçait l'irritation.
- Elle n'est pas citoyenne de la cité, elle ne respecte pas nos traditions... et c'est une druidesse ! Elle serait capable de ne pas rendre l'aigle, de l'encourager à retrouver sa liberté...
Peut-être, après tout, était-ce ce qu'elle avait fait, lorsqu'elle avait, autrefois, volé sur un aigle...
- Il se trouve que sa mère était une amie proche et que j'ai une entière confiance en elle, poursuivit la grand-mère d'un ton sec.
- Et moi, absolument aucune. Cette druidesse ne s'approchera pas de nos montures !

Kasumi répondit d’un ton plus neutre que son aïeule, espérant passer pour raisonnable et ne pas donner l’impression de forcer l’officier dans ses retranchements.

- Je ne suis pas moi-même citoyen de votre belle cité… Et Eärundra est celle qui nous a aidé le plus jusqu’ici et la seule à avoir des contacts qui nous permettraient de localiser rapidement le shaman à l’origine de la malédiction. Elle m’a prouvé à de nombreuses reprises qu’elle était digne de confiance. Nous nous en remettons néanmoins à votre décision et aux garanties que vous jugeriez nécessaires de nous demander.

L'officier secoua la tête, apparemment guère convaincu.
- Si je confie un de mes aigles à Eärundra, je sais qu'il ne me reviendra pas... Ou qu'il sera devenu trop sauvage pour nous être encore utile. Je ne vois pas trop quelles garanties je pourrais vous demander pour nous prémunir de ça ! Ou alors... savez-vous à combien on estime la valeur de ces aigles ? A cinquante mille pièce d'or ! Avez-vous une telle somme à nous proposer en guise de dédommagement si jamais l'aigle ne revenait pas ?
La grand-mère secoua la tête, négativement, avec un soupir.
- S'il s'agit d'un aigle âgé, qui n'est plus lié à quiconque, il ne vous est plus utile de toute façon, intervint Tilmandil.
- Oui, sauf que je ne suis absolument pas certain que nous ayons un tel oiseau dans nos voleries. C'est extrêmement rare... et la dernière mort d'un soldat avant le terme de son service remonte à plusieurs années déjà. Je ne sais pas si son aigle est toujours de ce monde. Et est-ce qu'un seul aigle vous suffirait ?

Kasumi appuya d’un geste du menton la remarque opportune de son demi-frère avant de répliquer au commandant d’un ton aimable et courtois :

- Dans l’idéal, nous aurions l’utilité d’un second animal mais nous avons bien conscience que vous en demander un est déjà considérable. Je suis certain que vous ferez au mieux de vos capacités et vous remercie déjà du temps et de l’aide que vous nous avez consacrés.

Le commandant avait laissé la porte entrouverte et Elryndel avait tenté autrefois de lui enseigner qu’il valait parfois mieux laisser les idées faire leur chemin que leur forcer un passage. Et, plus important encore, que pour amener une partie adverse à davantage de concessions que ce qu’elle était prête à accorder, mieux valait savoir ajourner les négociations en finissant sur une touche à moitié positive que sur un désaccord. Le commandant avait dit qu’il se renseignerait sur la disponibilité éventuelle d’un aigle et ne semblait plus rejeter aussi fermement l’idée qu’Eärundra participe à l’aventure. On ne pouvait décemment espérer mieux dans un délai aussi court. Le demi-elfe espérait aussi qu’ils s’accordent sur un délai raisonnable pour obtenir la réponse qu’ils attendaient mais il préférait en laisser l’initiative au commandant pour qu’il garde l’impression de maîtriser les événements. S’il n’y venait pas de lui-même, il lui poserait cependant la question avant de quitter le bureau du militaire.

Mais sa grand-mère, plus abrupte de caractère sans doute, se chargea de poser la question que Kasumi avait pour le moment éludée.
- Dans combien de temps pouvons-nous espérer une réponse ?
Le commandant ne répondit pas immédiatement, lui jetant un regard sombre. Il réfléchit cependant quelques instants, avant de lâcher, presque à regret.
- Demain, en début d'après-midi.
- Nous vous remercions infiniment de votre obligeance, commandant, fit Tilmandil d'un ton empreint de respect -qui n'était certainement qu'une façade-. Nous sommes bien conscients que vous avez d'autres obligations, et nous ne vous ferons pas perdre davantage de temps.
- Nous reviendrons demain, confirma l'aïeule en le saluant brièvement de la tête.

Kasumi avait croisé les doigts en constatant que la question un peu abrupte de sa grand-mère avait crispé le commandant. Mais finalement ce n’était pas une mauvaise chose qu’ils se soient ainsi réparti les rôles. Si le demi-elfe avait dû être celui poussant le commandant dans ses retranchements, sa nature et le fait qu’il soit étranger auraient sans doute fourni des excuses toutes trouvées au commandant pour rejeter fermement leur demande et aurait gâché tous leurs efforts minutieux. Sincère cependant, le demi-elfe conclut d’un ton reconnaissant :

- Encore une fois merci commandant. Je vous souhaite la bonne journée et à demain dans ce cas.

Il préféra le saluer en s’inclinant d’une allure martiale que de lui tendre une main qu’il aurait pu refuser de serrer. Ne restait plus qu’à attendre désormais. Et probablement se renseigner discrètement sur les autres possibilités. A commencer par les mages et particulièrement les devins disponibles en ville. Leurs services ne seraient pas forcément bon marché ou plus accessibles mais tant qu’ils restaient discrets pour ne pas risquer de braquer les gardes ailés, mieux valait prévoir plusieurs cordes pour son arc que s’en remettre à la chance et la bonne volonté d’une seule faction.

Un garde les raccompagna jusqu'à la sortie et ils se retrouvèrent dans la rue. Elvylith prit la tête de leur trio, les entraînant dans une rue adjacente où se trouvait une minuscule taverne.
Kasumi repéra sans peine la chevelure rousse de sa compagne, clairement visible parmi les autres, attablée avec Riniel. Et la rôdeuse dut, peut-être, sentir son regard posé sur elle, puisqu'elle se retourna et sourit, leur faisant signe de les rejoindre.
- Alors ? firent-elles simultanément.

Kasumi tira une chaise à sa grand-mère avant d’en prendre une autre à la table d’à-côté pour en laisser une à son demi-frère. Evidemment, il se plaça tout près de sa compagne avant de répondre enfin d’un ton à demi optimiste :

- Nous en saurons plus demain en début d’après-midi. Le commandant a tout d’abord rejeté notre requête avant que les arguments de d’Elvylith et de Tilmandil ne le ramène à de meilleures dispositions. Ce n’est pas gagné pour autant… Nous devrions envisager d’autres options sans trop attendre à mon avis.

Le rôdeur saisit discrètement l’une des mains de Sylvia sous la table et lui adressa un sourire tranquille. Il ne voulait pas lui donner trop d’espoir cependant. Peut-être devraient-ils tout de même se séparer prochainement si le commandant pouvait mettre à leur disposition les deux aigles.

- Et de votre côté ? J’espère que nous n’avons pas interrompu une discussion intéressante. Quoique… Tout dépend de quoi vous parliez en fait !

- Oh, de... de pas grand-chose en fait... hum... "
- Je lui racontais quelques anecdotes de ton enfance, fit Riniel de son ton rêveur.
Bien sûr, elle ne précisa pas lesquelles.
- Je me doutais que ça ne serait pas gagné, cela dit, soupira le grand-mère. Mais... je ne vois pas trop quelles autres options on pourrait envisager...

Kasumi se mit à rougir de confusion mais jeta tout de même un regard un peu appuyé à sa tante. Il ne pouvait pas ouvertement lui reprocher d’assouvir en partie la curiosité bien naturelle de sa compagne mais il n’était pas tout à fait à son aise avec l’idée de perdre tout contrôle sur ce que l’on racontait de lui. Il dédia tout de même un sourire tranquille à Sylvia pour bien lui montrer qu’il ne lui en voulait aucunement puis répondit à l’interrogation de sa grand-mère :

- J’espère que Riniel ne disait pas trop de mal…Mais pour ce qui est des autres moyens à envisager, j’avais pensé à solliciter l’aide de quelque devin du temple de Sehanine Archelune ou du collège de magie. Enfin, j’ignore si c’est envisageable. Dans tous les cas, il nous faudrait agir avec une grande discrétion pour ne pas risquer de nous aliéner le commandant.

La grand-mère eût une petite grimace dubitative.
- Je dois dire que j'ai moins confiance dans les devins et leur magie qu'en une exploration par les airs...
- Un bon devin pourrait certainement nous apporter beaucoup, objecta Tilmandil.
- Oui, peut-être... mais à quel prix, et avec quelle fiabilité ?
- J'ai ouï dire que leurs propos sont souvent peu compréhensibles, assez ésotériques, fit remarquer Riniel. Qu'ils répondent parfois à côté de la question posée...
- Ca dépend lesquels, protesta Tilmandil.
- Tu as déjà eu affaire à eux ?
- Non, mais....
- Bon. Moi, si.
Le ton était sans réplique.
- De toute façon, il faut tenter tout ce qu'on peut... Peut-être que ceux du temple sont plus fiables...
- Comme vous voulez. Mais allez-y sans moi.

Kasumi fut quelque peu surpris par la réaction plutôt virulente de sa grand-mère à l’égard des mages. Visiblement, il y avait une mauvaise histoire derrière cela mais ce n’était probablement guère diplomate de l’interroger dans un lieu public et surtout dans un tel moment. Peut-être y aurait-il moyen d’interroger discrètement Tilmandil plus tard mais il y avait plus important à décider pour l’heure :

- Si vous en êtes d’accord, je propose de nous rendre au temple de la Lune en fin d’après-midi. C’est moins risqué que de rendre visite ouvertement aux mages. Et cela n’engage à rien. Le temple est ouvert au public, j’imagine ?

Cette question s’adressait aux trois elfes mais particulièrement à sa grand-mère mais il se tourna vers la rôdeuse avant d’avoir obtenu une réponse et ajouta avec enthousiasme :

- C’est vraiment un spectacle que tu dois voir, Sylvia. Surtout la cérémonie des vêpres ! enfin, si ça t'intéresse bien sûr...

- Oui, bien sûr, ça m'intéresse...
Sylvia avait les yeux brillants de curiosité. Mais la discussion entre la grand-mère et Tilmandil l'avait elle aussi quelque peu inquiétée, et Kasumi la devinait d'humeur un peu anxieuse.
- Tu crois vraiment qu'ils peuvent nous aider ?
La grand-mère leva les yeux au ciel avec un haussement d'épaules expressif, mais ne dit rien.
- La cérémonie des vêpres a lieu juste avant le coucher du soleil, intervint Riniel. Mais le temple ferme, un peu après, pour la nuit, et seuls les prêtres veillent encore. Si vous souhaitez obtenir une audience, n'y allez pas au dernier moment, il y a souvent un peu trop de monde...

Kasumi perçut l’anxiété de Sylvia et caressa discrètement la main toujours dans la sienne tant pour la rassurer elle que lui-même sans doute. Il répondit en affichant un certain optimisme :

- Je pense que ça vaut la peine d’essayer en tous cas. Les adeptes de Sehanine Archelune sont spécialisés dans ces disciplines même si, dans mes souvenirs, ils s’intéressent plus au monde onirique qu’aux événements plus concrets. Si des prêtres peuvent nous aider à localiser l’asabi, je n’en vois pas d’autres en tous cas. On pourrait se rendre au temple après le déjeuner pour avoir plus de chances d’obtenir un entretien avant les cérémonies. Pour les mages, j’hésite… En connais-tu, Tilmandil ? Ou fait-il demander à Galawen peut-être ?

Le barde hocha la tête.
- Oui, il vaut mieux demander à Galawen. Elle enseigne à l'université des mages, elle a des contacts... En tout cas, elle saura où s'adresser.
La grand-mère eût une grimace particulièrement expressive, mais n'ajouta rien.
- Il est près de midi, nous devrions rentrer manger un bout, qu'en dites-vous ? proposa Riniel, peut-être en partie dans le but de changer de sujet de conversation.
- c'est une bonne idée, oui. A moins que tu ne veuilles emmener ta chère et tendre dans l'un des restaurants du coin, pour un déjeuner en tête à tête ? Quoique... Un dîner est sûrement plus approprié...

Le sourire de Kasumi s’élargit à cette perspective et il tourna encore une fois son visage vers Sylvia et son regard brilla d’émotion en lui posant la question :

- Quelle bonne idée ! Ce serait vraiment un plaisir pour moi de t’emmener manger dehors mais tu préfères peut-être un déjeuner tranquille à la maison puis un petit dîner romantique avant d’assister à la représentation au temple.

Un déjeuner à la maison permettrait en outre de faire le point et d’interroger Galawen au sujet des mages. Si quelqu’un pouvait se renseigner sans perdre de temps et discrètement, c’était bien elle.

Sylvia avait légèrement rougi, sans doute parce qu'il y avait un peu trop de monde assistant à leur conversation.
- Hum... Et bien, heu... je préférerais plutôt le dîner romantique... avant d'assister à la cérémonie... si ça te convient.
Elle sourit un peu timidement, rosissant encore davantage.
- Et bien, dans ce cas, rentrons, conclut simplement la grand-mère. Enfin, moi en tout cas, il est temps que je rentre. Peut-être que vous avez encore, les uns et les autres, d'autres choses à faire en ville ?
- Non, je rentre avec toi, répondit Riniel.
- Moi aussi, fit Tilmandil en se levant. Ce que j'ai à faire attendra cet après-midi.

- Bien sûr que ça me convient !

Le rôdeur avait répondu avec spontanéité et enthousiasme, ses yeux brillant de plaisir anticipé. Il ajouta aussitôt d’un ton ingénu :

- Et je suis certain que Tilmandil saura nous conseiller l’endroit idéal pour un dîner romantique ! Je n'ai pas du tout son expérience de ce genre de lieux surtout ici, à Everaska.

Sentant que Sylvia n’était tout de même pas très à son aise, il n’insista pas dans cette voie et répondit à sa grand-mère d’un ton plus neutre :

- Je pense que nous allons aussi rentrer avec vous : il ne doit pas être loin de l’heure de déjeuner et nous avons quelques affaires à déposer aussi. Oh, et tant que j’y pense, le pâtissier que tu nous as conseillé te souhaite le bonjour et se rappelle à ton bon souvenir, grand-mère. Il semblait déçu que tu ne viennes plus acheter de ses gâteaux.

Tout en lui adressant un sourire doux, il sortit le sachet de friandises et le lui tendit.

La grand-mère ouvrit le sachet avec un sourire vaguement attendri.
- Il a toujours été adorable, répliqua-t-elle simplement d'un ton rêveur.
Mais déjà elle se levait, saisissant sa canne -qui semblait surtout être là comme marque de son âge, sans lui être réellement indispensable-, et se dirigeait vers la sortie. Ils n'eurent d'autre choix que de la suivre.

Le trajet de retour se déroula beaucoup plus rapidement que l'aller. Les trois elfes qui les accompagnaient connaissaient par cœur la cité et en oubliaient de s'émerveiller devant chaque demeure, chaque jardin. Kasumi voyaient les yeux de Sylvia s'écarquiller et s'efforcer de tout voir à la fois, de ne rien omettre, au point qu'elle faillit une fois ou deux trébucher dans un obstacle qu'elle n'avait pas vu, se retenant de justesse au bras de son compagnon.

A en juger par le fumet émanant de la cuisine lorsqu'ils parvinrent à la maison d'Elryndel, le déjeuner n'allait pas tarder à être servi. La maître des lieux et Galawen avaient déjà pris place à la grande table, et semblaient les attendre, avec impatience pour la magicienne, et une indifférence morose pour son compagnon.

Kasumi aurait bien laissé Sylvia admirer les joyaux de la cité à son aise mais ils devaient s’adapter au rythme des elfes pour qui ce décor splendide devait être tellement familier qu’il en était devenu presque banal.

Au final, l’odeur appétissante qui les attendait à la maison les récompensa de leur choix et de leur diligence à rentrer sans plus s’attarder en chemin. Mais le demi-elfe perdit un peu de son excellente humeur en voyant l’air maussade et contagieux de son père. Il s’efforça malgré tout de lui adresser un sourire tranquille tout en le saluant avant sa compagne. Devançant les questions de cette dernière, le demi-elfe s’attabla après avoir tiré une chaise à côté de lui pour Sylvia et annonça d’un ton se voulant optimiste :

- Le commandant va se renseigner pour ce qui est de nous prêter un ou deux aigles. Nous en saurons plus demain en début d’après-midi. D’ici là, nous pensions explorer d’autres pistes pour repérer l’asabi. Galawen, peut-être pourriez-vous aider à contacter un mage versé en divination…

La magicienne haussa un sourcil.
- De la divination ? Oui, bien sûr, je connais des mages versés là-dedans...
Ce qui lui valut un regard plutôt noir de la grand-mère, dont elle ne s'offusqua pas.
- Mais il faut pouvoir leur poser une question précise... et ils ne peuvent pas toujours répondre avec précision, parfois leur réponse est tellement flou qu'on a l'impression d'avoir dépensé une fortune pour rien. et ça coûte assez cher d'ailleurs...
Kasumi nota qu'Elryndel, malgré son air accablé, écoutait tout de même attentivement la conversation.
On les interrompit à ce moment-là pour poser sur la table un immense plateau comportant une multitude de petits plats variés, dont beaucoup à base de fruits et de miel. La cuisinière avait probablement voulu donner à Sylvia un échantillon de tout ce que la cuisine elfique avait de particulièrement délicieux.

La piste consistant à recourir à la magie profane semblait plus complexe que Kasumi ne l’avait envisagée et sa grand-mère semblait toujours hostile à l’idée d’y recourir. Peut-être valait-il mieux se la réserver en dernier recours et bien réfléchir aux questions qu’ils seraient susceptibles de poser à un mage disposé à les aider. Du reste, savoir quelle information solliciter exactement serait plus qu’utile pour la visite au temple de la déesse elfique des mystères.

- Si j’ai bien compris le plan d’Eärundra, il nous faudrait soit repérer l’endroit où nous pourrions entrer en contact avec l’asabi qu’elle connait mais nous aurions alors besoin d’elle pour nous le décrire. Soit demander où nous pourrions intercepter le shaman lui-même. Mais ce serait sans doute primordial d’en apprendre plus à son sujet avant de le rencontrer.

Le rôdeur fut interrompu dans ses réflexions par l’arrivée du déjeuner. Celui-ci s’avérait impressionnant et incroyablement appétissant. Kasumi sourit en lisant l’appétit et la surprise dans les yeux de sa compagne et lui laissa l’initiative de choisir parmi les plats proposés si élégamment tout en complimentant le serviteur :

- Je vois que la cuisinière s’est encore une fois surpassée. Il faudra vraiment que je parvienne à lui soutirer une ou deux de ses recettes secrètes un jour !

- Je suis sûre que tu en connais déjà quelques-une, répondit Sylvia avec un sourire. Je me souviens de quelques plats savoureux que tu préparais autrefois...
Elle semblait ne pas savoir par quel bout attaquer le déjeuner, aussi finit-elle par prendre un tout petit peu de chaque plat, imitée aussitôt par Riniel et Galawen, puis les autres convives. Elryndel mangeait peu, vraiment peu... mais mangeait tout de même.
- L'asabi qui m'a envoyé chercher cette maudite racine se nomme Huasasth, finit-il par dire. Il prétendait être un guérisseur, peut-être était-il un shaman... Je pense qu'on ne peut se fier à rien de ce qu'il nous a dit. Même son nom est peut-être faux...
- Il serait peut-être plus facile de trouver celui que connaît Eärundra, intervint Tilmandil. On aurait dû lui demander son nom.
La grand-mère grimaça.
- Je ne suis pas certaine qu'elle vous l'aurait donné. S'il est druide, comme elle... il y a certains secrets qu'ils ne partagent qu'entre eux, et ils ont une certaine loyauté les uns envers les autres...

Kasumi avait dédié un sourire lumineux à Sylvia pour son compliment et s’était servi à sa suite pour éviter de se concentrer sur la chaleur qu’il sentait monter dans ses joues. La conversation reprit bien vite son tour sérieux et le rôdeur s’efforça de mémoriser les informations révélées par son père au sujet de leur ennemi. Peut-être ne leur serviraient-elles pas mais il se réjouissait au moins qu’Elryndel semble décidé à prendre un rôle plus actif dans leur enquête. Retrouver l’autre asabi promettait de s’avérer tout aussi problématique comme s’empressa de faire remarquer le demi-elfe d’un ton neutre :

- S’il s’avère possible de rencontrer l’un des mages, je pense que la présence d’Eärundra sera nécessaire pour rendre l’entreprise moins aléatoire. Il faudrait donc qu’il accepte de nous suivre en dehors de la ville dans les cavernes où elle nous attend certainement. Je doute qu’aucun d’eux n’en soit très enchanté mais si vous avez un candidat en tête, Galawen, cela vaudrait la peine de creuser cette piste, non ? Peut-être simplement en se renseignant sur la possibilité d’un rendez-vous après-demain si la réponse du commandant venait à être négative et que les prêtres ne pouvaient pas nous aider davantage.

- Je n'ose imaginer la fortune qu'ils demanderaient pour, non seulement faire usage de leur pouvoir de divination, mais en plus se déplacer... Et on a déjà fait appel à leurs services pour trouver l'origine du mal, sans succès.
- Il faut tenter le coup, quand même. Se renseigner, au moins, insista Tilmandil.
La grand-mère haussa les épaules, mais n'insista pas.
- Faites comme bon vous semble. Mais n'oubliez pas que la fortune familiale est relativement limitée, tout de même...
- Je sais...
- Je me charge de me renseigner dans l'après-midi, conclut Galawen d'un ton neutre, évitant toutefois de croiser le regard de l'aïeule.

Kasumi adressa un regard apaisant à sa grand-mère avant de répondre d’un ton assuré après les interventions des autres elfes :

- Ne t’en fais pas, ça ne coûte rien de se renseigner juste pour évaluer toutes nos options. Merci de vous en occuper, Galawen : vous êtes décidément la mieux placée pour nous aider dans cette voie. Mais je crains que le plan d’Eärundra soit celui avec les meilleures chances de succès même si nous ne le saurons pas avant demain.

Disant cela, il songea à nouveau à la possible séparation prochaine et tourna un regard un peu désolé vers sa voisine de table, tout prêt à la rassurer elle aussi si elle montrait les signes d’en avoir besoin. Après tout, il leur restait toute une journée à passer ensemble dans le pire des cas et en tête-à-tête pour une bonne partie qui plus était.

Sylvia sourit aussi bravement qu'elle put, même si son sourire avait des allures de grimace.
Le dîner se passa dans un silence relatif. La grand-mère semblait perdue dans ses pensées et ne chercha pas à mener la conversation. Elryndel était toujours d'humeur morose : peut-être ne voulait pas croire aux espoirs qui se présentaient à eux. Riniel, Galawen et Tilmandil ne parlèrent que de sujets sans importance, concernant des amis de la famille que Kasumi ne connaissait guère, ou diverses affaires de la cité. Sylvia paraissait un peu perdue, et son regard accrochait souvent celui de son compagnon.
Mais au fond, peut-être que le silence n'était dû qu'au fait qu'ils étaient occupés à déguster des plats succulents.

Malgré la teneur des conversations pas forcément très légères et l’humeur morose d’une partie non négligeable des convives, y compris de sa chère et tendre, Kasumi aurait eu bien du mal à ne pas faire honneur aux plats fins qui leur avaient été proposés. Appréciant les saveurs délectables de son enfance à chaque bouchée, il fut pris d’un élan de douce nostalgie d’autant plus forte qu’il retrouvait une partie des membres de sa famille autour d’un moment de simple convivialité. L’impression était tout de même des plus étranges de revenir après toutes ces années et de trouver ainsi réunis des fragments si disparates de son passé le renvoyant tant à la cité des elfes qu’à son séjour bienheureux au campement des rôdeurs. Parviendrait-il à l’intégrer à ce qu’il était devenu, à ce qu’il avait vécu si loin à l’ouest ? Devait-il renoncer simplement à cette voie qui n’aurait été qu’un égarement et simplement en tirer quelques enseignements ? Non sans doute… Même s’il avait renoncé à Astrée, à leur amour sincère et au futur qu’il aurait peut-être bâti avec elle dans des circonstances différentes, il lui restait des amis, des expériences et un certain attachement à sa nouvelle cité. Un regard plus appuyé à sa compagne lui apporta une partie de la réponse à ces questions insolubles : il devait faire confiance à l’avenir, à ses amis, à son amante et adviendrait ce qui devait advenir.

Le repas se prolongea par un moment de calme autour d'une théière, où Tilmandil dut raconter, devant l'insistance de Riniel, une partie de leurs aventures de la haute forêt -exercice dont il se tira parfaitement bien après avoir protesté, pour la forme, qu'on ne lui laissait pas le temps de mettre tout ça en chanson. Il avait cependant attendu que Galawen accompagne Elryndel qui désirait se reposer dans sa chambre : il n'aurait peut-être pas osé narrer leur combat contre les araignées en leur présence.

- J'imagine que vous allez vous rendre au temple, soupira finalement la grand-mère, comme l'après-midi avançait doucement. Je préfère ne pas vous accompagner, si cela ne vous ennuie pas. Tilmandil saura aussi bien que moi, j'imagine, ce qu'il convient de faire. Enfin, je l'espère...
- Bien sûr !, protesta l'intéressé. Voulez-vous qu'on y aille tout de suite ? Ou est-ce que vous avez d'autres choses à faire avant ?

La Couronne de Cuivre

[Everaska] Quête: Racines