La Couronne de Cuivre

Rien qu'à voir l'expression ravie d'Alban, l'on comprenait à quel point la perspective de faire une ronde en compagnie d'Hubert le rendait heureux. Il s'empressa donc de lui emboiter le pas et, ensemble, ils allèrent trouver les paires de sentinelles. Toutes confirmèrent être parfaitement au courant des tours qu'étaient susceptibles de jouer les feux-follets, et elles jurèrent leurs grands dieux que, jamais, elles ne quitteraient leur poste sans autorisation : en cas d'incident, elles en parleraient plutôt au prochain guetteur de passage pour qu'à son tour, il en informe le paladin. En revanche, si elles avaient bien vu des lumières, elles n'avaient entendu nulle voix, ce qui signifiait que les esprits des marais avaient concentré leurs efforts en un unique point du périmètre.

Cet aspect, couplé à la préparation des sentinelles, était rassurant. La marche dans la pénombre, aux côtés de l'écuyer ravi, avait réussi à rasséréner le paladin. Il se sentait toujours terriblement coupable, et terriblement stupide, d'avoir été à deux doigts de la catastrophe, mais il ne pouvait pas laisser ces pensées, aussi légitimes soient-elles, peser sur sa concentration. Or, c'était le propre des ruminations que d'affaiblir l'organisme. Il savait qu'il lui faudrait confesser ce manquement à quelqu'un pour s'en débarrasser quelque peu. Sans doute l'honneur exigeait-il qu'il s'en ouvre à Robert, d'autant que l'incident lui reviendrait immanquablement. Sans doute le chevalier serait-il déçu, peut-être le relèverait-il de ses fonctions, et Hubert devait l'accepter, il le méritait... Mais Lathandre était le dieu des secondes chances et Hubert avait besoin de penser qu'il y avait droit, à cette seconde chance. Il apprendrait de ses erreurs. Aussi en parler à Robert n'était-il peut-être pas la chose à faire... Il pouvait plutôt s'en ouvrir à la tranquille bienveillance d'un ex-aubemestre...
Mais y songer était ruminer et ruminer était dangereux. Aussi remit-il Alban en piste et de son côté, retourna-t-il à sa surveillance minutieuse, bien décidé à ne plus faillir.

Il ne fut victime d'aucun autre traquenard et les lueurs des feux-follets parurent même se raréfier : peut-être les esprits des marécages étaient-ils échaudés par leur échec ? Quoi qu'il en soit, l'écoulement du temps retrouva sa prime monotonie, jusqu'à ce qu'un groupe nombreux se porte à la rencontre d'Hubert. A sa tête se trouvait le chevalier, le visage encore chiffonné de sommeil.
-Voici la relève ! annonça-t-il. Pour vous mais aussi pour vos vaillantes sentinelles : j'ai mieux calculé mon coup, cette fois ! J'espère que tout s'est bien passé jusqu'ici...

Le problème, quand on était paladin, c'était qu'on était incapable de mentir. Et Hubert était trop fatigué pour parvenir à trouver des circonvolutions langagières propres à éluder la question de Robert sans malhonnêteté.
" A part que votre écuyer m'a empêché d'aller me noyer dans une tourbière, tout s'est bien passé, dit-il, contrit. Mais je potasserai mon manuel des monstres marécageux d'ici demain soir et ça ne se reproduira plus. Les sentinelles ont été exemplaires, de leur côté, malgré la ruse des feux follets. J'espère que votre garde sera plus sereine."

-Ces satanés esprits vous ont donc joué un mauvais tour ? s'enquit-il, d'un ton où ne perçait nul reproche. Ce n'est pas plus mal : ce serait arrivé tôt ou tard, de toute façon, et puisque cela s'est révélé finalement sans conséquences, cela constituera pour nous tous une utile leçon. Pouvez-vous me dire ce qui s'est produit, exactement ?

Hubert sentait qu'il s'était empourpré. Il faisait heureusement très sombre.
" Et bien... il y a eu des appels à l'aide... assez loin... Jusque là, c'était plus ou moins comme attendu. Et puis Alban s'est mis à patauger dans leur direction... Evidemment, je savais qu'il n'aurait jamais fait une chose pareille sans demander la permission... En fait, non, il n'aurait jamais fait une chose pareille tout court... Mais la voix, Robert, misère, les éclaboussures, le gosse était en train de se noyer... Enfin, je n'ai pas d'excuses, Frida m'avait mis expressément en garde quelques minutes plus tôt... Heureusement le vrai Alban a surgi avant que je ne parte dans la broussaille... et c'en est resté là. Mais j'ai eu de la chance et j'ai agi de manière irréfléchie. Je dois m'endurcir... et davantage me préparer. Les sentinelles en savent plus que moi."

-D'abord vous ne devez pas culpabiliser, Hubert : je me serais sûrement laissé prendre, moi aussi, surtout s'ils avaient utilisé la même voix à mon encontre, fit-il, réconfortant. Ensuite, comme je le disais tout à l'heure, cette mésaventure nous sera très utile, pour peu que nous en tirions les enseignements. Nous pourrions, par exemple, charger une personne d'aller immédiatement vérifier si celui ou celle dont les feux-follets tentent d'usurper l'identité se trouve toujours bien à l'intérieur du périmètre, afin de dissiper tout doute. De surcroît, peut-être avez-vous remarqué quelque chose susceptible d'éventer les tours de ces maudites créatures ?

Hubert secoua la tête, embarrassé.
" Hormis une légère différence dans la voix... et que je n'ai perçue qu'une fois Alban à côté de moi... Non. Je veux dire... Ils modulent leur lumière comme ils le désirent, miment ou créent des bruits d'éclaboussures, de végétation, et adaptent leur discours à leur interlocuteur de manière stupéfiante. Cette chose s'exprimait exactement comme Alban : les mêmes inflexions, le même vocabulaire, la même attitude... Honnêtement, je les pensais beaucoup plus... rustres que ça. Moins organisés. Moins retors. Je ne vois pas bien ce qu'on peut faire... hormis, par principe, décider de ne porter secours à personne. Il faudrait pouvoir les voir distinctement mais ils sont évidemment tout juste hors de portée."
Il soupira en grimaçant.
" A part avertir les gens que nous n'irons les récupérer hors du cercle sous aucun prétexte, et espérer que cela suffise pour que personne ne se laisse tenter... Je ne sais pas. Peut-être est-ce finalement une mauvaise idée de laisser les guetteurs ou les patrouilleurs travailler en solitaire. Si l'un d'entre eux est entraîné hors du périmètre, nous ne pouvons pas le savoir. Votre idée d'envoyer quelqu'un vérifier est sans doute nécessaire, mais dans le cas présent, par exemple, il n'y en avait pas le temps. Si Alban avait réellement été dans le marais, il se serait noyé avant que je n'obtienne de réponse. C'est sans doute un risque à courir, mais il faut que je l'avale, personnellement. C'est dommage que nous n'ayons pas un rôdeur au compagnon chouette ou hibou, ça aurait été pratique."

-Nous avons le lynx de Varamyr : ça n'est déjà pas si mal.
Robert mit les mans dans le dos et, quelques instants, fit les cent pas.
-Bon, aux grands maux, les grands remèdes, reprit-il en s'immobilisant. Un : nous annoncerons demain que quiconque serait assez imprudent pour s'aventurer dans les marais ne pourra compter sur aucune aide. Deux : les sentinelles fixes comme mobiles iront désormais par paire, et nous procéderons à un nouveau recrutement, la seconde catégorie étant peut-être moins exigeante que la première. Trois : deux personnes, une pour chaque moitié de la nuit, seront désignées pour jouer le rôle de vérificateurs en cas de besoin.
Il soupira.
-Je ne vois pas ce que nous pouvons faire de plus...

" Non, moi non plus, fit Hubert avec un soupir. Mais vous observerez peut-être d'autres éléments pendant votre seconde moitié de nuit... Je vous la souhaite moins mouvementée, même si je sais que vous serez moins vulnérable que moi."
Il sourit.
" Je vous souhaite une bonne garde, Robert. Je vais aller rejoindre les chevaliers dans leur antre."

Le conseiller le regarda droit dans les yeux et déclara, très sérieux :
-Hubert, s'il m'arrive la même chose qu'à vous, mon premier réflexe sera de foncer tête baissée dans le piège. Et si c'est la voix d'Alban dont ces créatures usent, j'aurai beaucoup, beaucoup de mal à résister, même après ce que vous m'avez raconté, même en sachant qu'il se trouvera dans l'endroit peut-être le plus sûr du camp, puisqu'il dormira dans ce fameux antre... Alors, je vous en prie, ne vous mettez pas martel en tête pour ce qui s'est passé. Rien de grave n'en est ressorti. Au contraire, nous avons pu améliorer notre système de défense... Alors, sincèrement, je crois que tout est pour le mieux.
Il tendit la main, lui serra l'épaule.
-Essayez de ne plus y penser, mon ami. Et dormez bien.

Hubert songea à protester, mais Robert avait décidé de passer l'éponge, aussi en profita-t-il lâchement. Il avait besoin de dormir sur toute cette affaire, de retrouver son calme, de faire le point. En reparler lui avait fait réaliser à quel point il était passé près d'une catastrophe, pour lui-même et sans doute pour l'expédition. Il ne pouvait pas se permettre de faire des erreurs. Si un autre homme, n'importe lequel, avait couru dans le marécage à la poursuite d'un fantôme, il lui aurait passé un savon mémorable, il le savait. Et Robert le savait aussi.
Il ne dit cependant rien, salua le chevalier, et partit vers la tente des chevaliers, où Alban se trouvait peut-être déjà ou ne tarderait pas à le rejoindre, de toute façon. Chemin faisant, il songea à sa propre mortalité et aux risques qu'il encourait. Cela ne l'effrayait pas outre mesure, mais cela faisait longtemps qu'il n'avait pas réfléchi à la possibilité de mourir avec autant d'acuité. Bien sûr, il rejoindrait Lathandre, et en cela, ce n'était qu'une étape à franchir. Mais s'il devait trépasser, il voulait que cela ait un sens et une valeur pour les autres. Et puis il n'était pas complètement pressé...

Hormis les quelques silhouettes des sentinelles qui, venant d'être relevées, regagnaient rapidement leurs pénates - Alban marchait ainsi à quelque distance derrière le paladin -, le bivouac était complètement désert. Complètement désert mais non totalement endormi : de certains chariots filtraient des rais de lumière et les échos de conversations murmurées. Rester les bras croisés toute la journée ne devait pas encourager les colons les plus énergiques à se coucher tôt, et peut-être ce constat d'allure anodine pouvait-il s'avérer utile, en fin de compte : avec le plan du camp en poche, Hubert, si le souhaitait, était en mesure d'identifier assez précisément les guetteurs, lesquels étaient susceptibles de constituer au moins des patrouilleurs convenables...
La tente des chevaliers, elle, était obscure et silencieuse : ses occupants avaient gagné le pays des songes.

Hubert était passablement fatigué, vidé par les émotions des dernières heures, mais il décida de battre le fer tant qu'il était encore chaud. Après tout, il était probable que la moitié des occupants de chacun des chariots dormait déjà, tandis que quelques irréductibles bavardaient à mi-voix, aussi serait-il plus facile de les identifier en les prenant sur le fait... Il se doutait que la plupart ne seraient pas ravis de troquer leurs conversations tranquilles contre un boulot de patrouilleur, mais la sécurité de la communauté devait primer, et Hubert se fichait d'entamer sa popularité en réquisitionnant les noctambules. Il décida cependant de commencer par faire appel à la bonne volonté des gens avant de leur imposer quoi que ce soit. Si tout le monde se trouvait des excuses, il finirait bien par devoir se montrer plus directif.

Situé près des écuries, le premier chariot dans lequel il pénétrait abritait des palefreniers devisant paisiblement tout en buvant une coupe - de bière, apparemment. Arnaud était du nombre et le moins que l'on puisse dire est qu'il fit une drôle de tête en apercevant le paladin. Cependant, ses compagnons parurent également surpris.
-Un problème, messire Hubert ? s'enquit l'un d'eux, vaguement embarrassé.

Ah, les palefreniers... Ils avaient déjà beaucoup de travail, ce n'était sans doute pas une bonne idée de leur en donner davantage.
" Je suis désolé de vous déranger, fit-il avec un sourire. Je cherche des noctambules pour renforcer mon équipe de garde... Comme c'est l'heure de la relève, et que vous êtes encore debout, j'en ai déduit que vous n'étiez pas en manque de sommeil... Cependant, je m'en voudrais de vous épuiser alors que votre contribution à notre expédition est cruciale et qu'elle risque de le devenir chaque jour davantage... Je vais donc vous laisser bavarder et aller débaucher d'autres candidats."

Les palefreniers s'entreregardèrent.
-C'est sûr que monter la garde, là, maintenant, tout de suite, ça me tente pas des masses, d'autant qu'on allait se mettre au lit... fit celui qui s'était déjà exprimé, provoquant chez ses confrères un concert d'onomatopées approbatrices. Mais si dans les jours à venir, vous avez vraiment...
-Vraiment vraiment.
-Voilà, vraiment vraiment besoin de renforts, ben, on y réfléchira. le tout, c'est de nous prévenir à l'avance, pour qu'on puisse, heu... s'y préparer psychologiquement.

Leur manque d'enthousiasme n'était pas surprenant, mais pas réjouissant non plus. Hubert ne se sentait pas d'humeur à en entendre davantage.
" Ce n'était pas pour ce soir, de toute façon, dit-il avec un sourire contraint. Mais je reviendrai vers vous si je ne trouve vraiment vraiment personne d'un rien plus... motivé."
Sur un léger salut du buste, il abandonna le chariot des palefreniers et se dirigea vers un autre endroit encore illuminé. Il n'avait pas l'intention d'y passer les maigres heures de sommeil qui lui restaient, mais maintenant qu'il avait commencé... il fallait qu'il trouve au moins un volontaire, c'était une question d'honneur.

Il déboucha ensuite au beau milieu d'une assemblée où semblaient réunies toutes les personnes âgées de la communauté, dont les grands-mères qu'il avait remarquées le soir du bal. Ces vieillards plus ou moins chenus jouaient aux cartes avec passion tout en buvant des tasses de thé, le fumet qui émanait d'elles laissant entendre qu'on y avait adjoint, peut-être, un soupçon d'alcool.
-Bien le bonsoir, messire de Maleval, dit courtoisement l'une des ancêtres. Que nous vaut l'honneur de votre visite ?

Misère, songea Hubert, j'ai épuisé toute ma chance pour la nuit, je ferais mieux d'aller dormir.
Il n'était pas question qu'il aille recruter parmi les vieux insomniaques. L'humidité leur donnerait certainement des courbatures et puis... ce n'était pas convenable, simplement.
Mais les paladins ne mentent pas.
" Je... heu... me suis trompé de tente..."
Ce qui était la plus stricte vérité !
" Je vous souhaite une bonne fin de soirée."
Et de s'éclipser aussitôt...

Mais ses hôtes éphémères ne l'entendaient pas de cette oreille, et ils l'interpellèrent avant qu'il n'ait pu s'éloigner.
-Tout va bien, messire de Maleval ?
-Vous faites une bien grise mine...
-Vous êtes sûr que vous ne voulez pas un petit remontant ?
-Ou faire une partie de cartes ? Vous savez, ça détend...

Le paladin sourit.
" Vous êtes gentils, mais j'ai encore à faire avant d'aller me coucher et je n'ai pas votre allant nocturne... Mais je retiendrai cette invitation pour des temps plus fastes, lorsque nous serons arrivés à bon port."
Sur un salut, il regagna la froidure. Bon. Il allait tenter un dernier chariot, peut-être en essayant de comprendre ce qui se disait à l'intérieur avant d'entrer... histoire de savoir à qui il avait affaire avant de faire chou blanc une ultime fois...

Hubert s'approcha donc d'un troisième véhicule éclairé. On s'y livrait à une discussion animée et, parmi les voix des débatteurs, il reconnut celles de Roxane et de son homologue demi-elfe. On avait apparemment demandé aux deux bardes d'envisager la possibilité que, durant l'un des soirs à venir, ils acceptent de distraire les enfants. Pas totalement hostiles à cette perspective, ils semblaient même s'être mis d'accord sur le principe de leur raconter des histoires. En revanche, ils ne parvenaient pas à s'entendre sur leur nature : Roxane arguait que des légendes concernant les Landes seraient à la fois distrayantes et utiles, puisqu'elles mettraient les gamins en garde contre les nombreux périls qui y étaient tapis. Son collègue, lui, avançait que cela ne ferait que les effrayé, ce qui, à son avis, ne serait guère productif.

Hubert n'en était plus à une déconvenue près, aussi ne négligea-t-il pas le chariot qui abritait les deux bardes. Ils auraient sans nul doute du pain sur la planche s'ils devaient distraire la marmaille, mais ils n'étaient pas seuls à discourir, aussi y avait-il peut-être là des victimes propres à se sacrifier pour la survie de la communauté. Le paladin s'annonça en s'éclaircissant la gorge puis écarta la toile du véhicule pour jauger le public et envisager un angle d'attaque.

Hormis ceux des deux bardes, le seul visage sur lequel il pouvait mettre un nom était celui de Gabriel, le clerc de Lathandre. Quant aux autres membres du groupe, tous assez jeunes, il les connaissait seulement de vue et aurait été bien incapable de dire de qui il s'agissait.
-Hubert ? s'étonna Roxane tandis que les autres le saluaient amicalement du geste et de la voix. Quelque chose cloche-t-il ? Il ne me semble pas, parce que sinon, nous aurions entendu le branle-bas de combat, mais...

Le paladin sourit à la jeunesse réunie. Voilà un vivier qui s'annonçait prometteur... bien que probablement frivole et prompt à la bonne excuse. Mais il n'en était plus là. Déblatérer son petit discours de recrutement ne lui coûtait pas grand chose et même s'ils se débinaient tous, il aurait mémorisé les visages et pourrait les vendre à Robert dès le lendemain.
" Rien ne cloche, mais nous sommes en manque de sentinelles, je fais donc le tour des noctambules pour voir s'il n'y aurait pas, parmi ces adeptes de la vie nocturne, de valeureuses personnes prêtes à troquer le confort de leur chariot contre une place vigilante au coin du feu. Pas cette nuit, bien sûr, mais demain soir."
Pourquoi tourner autour du pot ? Ils n'étaient pas nés de la dernière pluie...

Un profond silence tomba à l'intérieur du chariot. Sur les visages, on pouvait lire des grimaces, des moues dubitatives mais également quelques expressions hésitantes.
-Veiller en discutant, c'est une chose. Veiller sans mot dire, il y a de quoi très vite s'endormir, fit quelqu'un.
-Faut d'abord passer un test, c'est ça ? Celui où on doit ramper dans la boue ? demanda un autre.
-Impossible de monter la garde, en ce qui me concerne : je dois préparer mes sorts durant la nuit !
-Hum, occuper les mômes et jouer les sentinelles, les deux me vont, mais pas les deux en même temps.
-Si on me laisse dormir tranquillement toute la journée, je veux bien essayer d'enchaîner, intervint le Lathandrite.

Hubert n'était pas certain de pouvoir retenir qui disait quoi... mais certains semblaient presque réceptifs. Notamment le petit Lathandrite.
" Gabriel, je vous suggère de bien dormir demain, car votre offre n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd."
Il sourit au reste du groupe.
" Bon, je m'étais fixé pour mission de trouver au moins un volontaire et je l'ai trouvé ! Je vous souhaite de bons palabres, dames, messires, et je m'en vais dormir."
Il s'inclina poliment et repartit dans le noir, bien décidé, cette fois, à aller se pelotonner quelque part sous une couverture. La nuit menaçait d'être bien trop courte, déjà.

La tente des chevaliers était toujours aussi obscure et silencieuse que la dernière fois où il s'en était approché. Ses fontes, comme la veille, étaient déposées à l'entrée, bien en évidence, et les respirations régulières qui l'environnaient lui signalèrent que tous ses compagnons de chambrée dormaient. Tous, hormis peut-être Alban, qui se tournait et se retournait sous ses couvertures. Quoique le gamin soit peut-être, simplement, victime de quelque mauvais rêve.

En s'installant, Hubert se demanda si son aura apaisante à laquelle Albérich semblait attribuer des vertus formidables aurait le moindre effet sur la nervosité du gosse. Lui-même était désormais passablement vanné et il doutait de résister assez pour longtemps pour en observer le résultat. Il se retourna quelques secondes sous sa couverture, lui aussi, chassant les événements de la nuit dans un repli tranquille de son esprit, et préféra conjurer des pensées plus agréables, de jours futurs, meilleurs, ensoleillés. Cela lui suffit pour glisser rapidement dans le sommeil...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée