La Couronne de Cuivre

Arthur n'avait rien compris au discours des deux Mélandiens sur les couloirs, l'est, l'ouest, et compagnie. L'orientation, c'était une affaire de rôdeur, pas de paladin, et il n'avait plus la moindre idée de l'endroit où ils se trouvaient. Comme il n'était pas très sûr de savoir ce qu'ils faisaient, non plus, hormis se promener pour ne pas être rattrapés, il se retourna vers les deux hommes.
" Bon... Et on était supposés faire quoi, maintenant ? Trouver une porte à refermer pour pouvoir dormir ? J'ai pas vu beaucoup de portes, récemment... et aucun escalier vers le bas. Comme c'est vous qui tenez la carte, même si c'est juste une carte mentale, il va falloir que vous guidiez."

Rodolphe se tourna vers Hector, lequel leva les yeux au ciel.
-Mais vous pouvez pas vous souvenir un peu de ce que je raconte, histoire de m'éviter de devoir tout répéter à chaque fois ? En plus, je suis pas cartographe, moi : je suis aubergiste ! Bon... Hum... Là, c'est la tour sud-est, qui est théoriquement vide, qui abrite théoriquement de quoi barricader un escalier. Ce couloir, il longe la muraille sud. Au bout d'un moment, sur la droite, y aura un passage menant au croisement. Vous savez, ce fameux croisement où il y avait des archers, où on a failli être pris en tenaille ? Bon. De ce croisement, si on reprend à droit, et donc vers l'est, on reviendra sous le donjon. Avec l'escalier qui monte et l'unique escalier qui descend.
Il croisa les bras.
-Voilà. Maintenant que j'ai fait ma part du boulot, vous décidez de la suite des opérations. Non mais.

Arthur soupira. Il détestait être le chef. Il ne savait pas être le chef. Il n'avait jamais voulu être le chef.
Il se mit à réfléchir. S'il prenait une initiative, elle serait mauvaise. Donc il devait fatalement faire le contraire de ce qu'il aurait voulu faire. Logique. Le problème, c'est qu'il ne savait pas quoi faire, puisqu'il ne savait pas quel était leur objectif. Il commençait à être rudement fatigué.
" Prenons les choses dans l'ordre." dit-il, pour gagner du temps.
Le plus prudent semblait d'aller se barricader dans la tour vide. Mais c'était donc sans doute la mauvaise idée. Repartir en arrière, repasser les croisements, tout ça pour — stupéfiant d'efficacité ! — revenir à leur point de départ semblait stupide, suicidaire et extrêmement ridicule. C'était donc sans doute la bonne idée. Personne n'était obligé de savoir qu'ils s'étaient épuisés en vain. Et puis en parlant de vin, il y en avait justement dans la pièce où ils avaient abandonné le corps de Grimaud.
" Bon, retournons au donjon. Au point où nous en sommes..."

-Retour à la case départ, soupira Rodolphe. C'était bien la peine de se donner tout ce mal.
-Allez, on a quand même éliminé pas mal de zombies ! Si on continue comme ça, des p'tits tours du château entrecoupés de p'tites siestes, on finira peut-être par occire tous nos ennemis ! Ou, au moins, on tiendra le coup jusqu'à l'arrivée des secours.
-Quels secours ?
-Chais pas... Arthur, il y a bien des gens qui doivent te chercher, non ?
-Hector, si des Manostiens ou des Luméniens se pointent, soit on mourra en les combattant, soit on sera faits prisonnier.
-Bon, alors des troupes à nous !
-Là, c'est Arthur qui se fera tuer ou capturer.
L'ancien aubergiste grimaça.
-Tout ça est d'un compliqué...

" Il faudrait déjà que ces renforts, quels qu'ils soient, arrivent à vaincre Destertres et son bouquin maudit, ce qui n'est pas gagné, dit Arthur en repartant dans le couloir, l'épée au poing. Notre meilleure chance, finalement, c'est de trouver une bonne cachette et d'espérer que Destertres se lasse. Il ne va probablement pas se contenter d'un petit château perché dans la campagne. Une fois qu'il l'aura pris, il ira se balader. Nous sortirons à ce moment, si vous n'êtes pas complètement ivres morts."
Il tentait d'écouter les bruits autour de lui, de détecter la présence de morts-vivants. Même si ce n'était pas très utile : s'il y en avait, il faudrait de toute façon les combattre, alors...
" Et sinon... Tant que mon père n'a pas répondu aux exigences du comte, je suppose que je ne risque pas grand chose. Une fois qu'il les aura refusées, ce sera un autre problème, mais d'ici là... Je suis quand même coincé dans un château plein de Mélandiens. Alors un peu plus ou un peu moins, ma foi..."

-Il y a Melandiens et Melandiens, Arthur... souffla Rodolphe. Monsieur le comte est un fidèle de Tempus et son sans de l'honneur est... impressionnant.
-Mais parmi les autres nobles ou les autres officiers, il y a des adeptes de toutes les divinités malveillantes qu'on puisse imaginer, et des gens pour qui l'honneur, ma foi... Si tu tombais sur un Bainite, il ferait dire à l'Empereur que tu es mort en combattant, et il te ramènerait au temple le plus proche pour te sacrifier.
-Les Bainites, ils adorent sacrifier les paladins. Et puis les licornes et les gosses. De vraies ordures. Mais ils sont connus pour être loyaux.
-Loyaux envers qui ? Leur dieu ou l'Empereur ?
-Ah ça... Mais de toute façon, tu tomberas par sur des Bainites, Arthur.
-Ouais. On trouvera bien un moyen pour que tout le monde s'en sorte.
Ils n'avaient toujours pas atteint le croisement, toujours pas noté la moindre trace d'ennemis.

" Honnêtement, je préférerais mourir en affrontant des Sharites ou des Bainites ou des Cyriciens que pourrir des années durant dans une chambre surveillée par des Tempusiens, en attendant qu'un accord de paix improbable survienne entre nos nations, dit Arthur d'un ton désolé. Et je pense que malgré les bonnes intentions du comte, s'il est un vrai Tempusien, il doit pouvoir le comprendre."
Il continua sa progression. Avec le croisement viendraient les ennuis, il en était plus ou moins persuadé. C'était surprenant qu'aucune flèche n'ait encore volé dans leur direction. Leur torche aidait à la visée.
" Mais vous avez raison. Les Manostiens viendront et après quelques échauffourées, chacun battra en retraite, probablement... Est-ce que ce château est un point stratégique important ? Enfin, je sais que vous n'y connaissez rien, mais..."

-Oh, on n'y connaît absolument rien, c'est sûr, mais on entend quand même les officiers discuter...
-Ce castel est un bon point d'ancrage local, et Destertres a été malin de le choisir comme base pour mener ses rafles et faire des prisonniers. Cependant, ça n'est en rien une place forte décisive, et monsieur le comte ne s'y serait jamais rendu si la nouvelle de ta capture ne lui était pas parvenue. D'ailleurs, il n'avait aucune intention de s'y attarder, il voulait te conduire en des lieux... plus sûrs.
-Bref, il ne se sacrifiera pas pour la conserver. Malheureusement, sa foi et son honneur lui interdiront de fuir s'il n'y est pas absolument contraint. Je crains donc qu'il n'y ait davantage que quelques escarmouches si nos forces respectives viennent à se rencontrer...
Ils atteignirent le fameux couloir s'ouvrant sur la droite. Point de flèches, encore, point d'adversaires. Juste le silence.

Arthur opina du chef.
" Ne vous en faites pas, dit-il avec un pauvre sourire. Il est probable que personne ne me cherche de toute façon. Si d'autres Mélandiens surviennent et bien... Je ne vous en voudrai pas quoi qu'il advienne. Je pense que je comprends votre situation, mine de rien. Il y a ce qu'on voudrait faire et puis ce qu'on peut faire, c'est toujours comme ça. La nécessité... a peut-être été mal avisée. Mais voilà... Il faut bien aller de l'avant."
Réprimant un soupir, il se décala légèrement dans l'embrasure du couloir, jetant un oeil dans le noir où, il le savait, il ne verrait rien.

Il ne vit rien, effectivement. Ne détecta rien, non plus.
-C'est sûr qu'il y a des trucs qu'on doit faire, dit Rodolphe après avoir échangé un regard avec son comparse. On nous demande d'obéir aux ordres.
-Mais tu vois, le dernier ordre qu'on a reçu, c'est d'aller te rejoindre. Et on s'est exécutés.
-Depuis, plus rien. Du coup, pauvres de nous, on est des petits soldats tout déboussolés.
-Le côté positif, c'est que quoi qu'on fasse, on peut pas trahir, vu qu'on a pas d'ordres à enfreindre.
-C'est assez rassurant, je trouve. Ça laisse une bonne marge de manœuvre.
-Ouais.

" Sauf que vous savez très bien que je suis le prisonnier de votre comte et qu'il ne voudrait pas que vous me laissiez m'enfuir, quoi que vous en dites. Ce serait une tache sur son honneur, une tache indélébile, s'il retournait auprès de votre Empereur en m'ayant laissé filer, moi, le fils du général adverse. Et vous vous inquiétez de vos familles... Ce que je comprends très bien... Voudriez-vous qu'elles pâtissent de la honte que vous auriez causée à votre chef ? Chef que vous respectez et estimez, au demeurant ? Nous ne nous connaissons pas, tous soldats déboussolés que vous êtes. Moi-même, je ne pourrais pas vous laisser filer en imaginant que vous alliez ensuite tuer mes compatriotes sur le champ de bataille."
Il finit par s'engager dans la direction qu'il espérait être celle de l'escalier descendant dans les sous-sols.

-Sauf que la honte de monsieur le comte serait encore plus grande si tu étais tué par Destertres.
-Ou si la personne commandant les renforts décidait de faire de toi sa prise de guerre. Faut jamais négliger les rivalités entre officiers ou grands seigneurs...
-Pour le reste, des tas de nos concitoyens se feront tuer quoi qu'il arrive. Alors sauf ton respect, c'est pas ta libération qui changera quoi que ce soit.
-Bref, sois pas si pessimiste, Arthur. Les Lathandrites, ils sont pas censés être plein d'espoir et tout le tintouin ?
Ils atteignirent le croisement : hormis les cadavres des zombies qu'ils avaient terrassés, on n'y voyait rien de particulier.
-C'est encore à droite, fit Hector.
-C'est surtout trop simple... souffla Rodolphe.

Arthur ne s'expliquait pas vraiment que le comte puisse préférer le voir filer que de passer entre les mains d'un autre officier de l'armée mélandienne. Ne serait-ce pas... une forme de trahison ? Qui avait ordonné sa capture, au bout du compte ? Quelqu'un avait dû les avertir de sa présence et leur donner son signalement... ce n'était pas comme s'il était sur les pièces de monnaie, et il ne ressemblait pas particulièrement à son géniteur... Mais ensuite ? Tous ces conflits lui semblaient bien compliqués... mais ses compagnons avaient raison : il fallait qu'il en tire profit. Sauf qu'il avait donné sa parole. Défendre le donjon pour sauver les prisonniers. A quoi cela rimerait-il si d'autres, plus puissants, venaient à leur secours ? Les engagements du comte ne deviendraient-ils pas caducs ? Qu'est-ce qui empêcherait un autre Mélandien, d'une autre obédience, de les tuer tous et de prétendre que Destertres était passé par là ? Qu'est-ce qui les empêcherait, d'ailleurs, de se ranger du côté du nécromancien et de prétendre que le Tempusien avait trahi ?
Il n'en avait aucune idée. Il ne servait à rien d'y songer. Rodolphe avait raison : tout était trop silencieux et trop dégagé.
" Que faisons-nous ? On peut retourner vers la tour déserte, si vous pensez que Destertres nous guide."

-Je sais pas si Destertres nous guide. Mais cette voie absolument dégagée... Soit il prépare un assaut sur le donjon, soit...
-Soit il joue au chat et à la souris avec nous. Et évidemment, on n'est pas le chat.
Ils grimacèrent, embarrassés, hésitants.
-Et si on le prenait au dépourvu ? Il s'attend à ce qu'on aille se planquer. Alors si, au lieu de ça, on faisait une action d'éclat ? Genre tenter d'ouvrir les portes du château pour que la brume se dissipe et que les renforts puissent entrer ?
-Vu notre état de fatigue, ça foirerait à tous les coups.

" Non, non, il a raison, ça me tente bien, une action suicidaire. Ça me donne l'impression que je vous gagne petit à petit à ma cause, dit le paladin. Ce que je n'ai pas compris, dans ce superbe plan, c'est qu'il faudra bien... nous plonger dans la brume pour atteindre le mécanisme d'ouverture des portes. Tu penses que la contamination sera lente et que tu ne deviendras zombie qu'après avoir réussi ton coup d'éclat ? Ou bien tu as un pouvoir magique que tu nous as caché jusqu'ici ? Ou alors, c'est un mécanisme bizarre qui n'est pas à proximité de la porte en question ?"
Il n'y connaissait rien en architecture militaire dorrandine, tout compte fait.
" Sans compter que nous n'avons aucune certitude que la brume va se dissiper. Je veux dire, elle m'a l'air bien stagnante, comme ça... et puis je ne sais pas s'il serait très indiqué de l'envoyer se répandre sur la campagne environnante... Mais c'est quand même mieux que de tourner en rond pendant quelques heures à la recherche de vin dorrandin, je suppose."

Ils en restèrent bouche bée.
-Nous convertir à ta cause ? Oublie pas qu'Hector a pour projet de prendre d'assaut une commanderie pour en libérer les malheureux novices. Et je le soutiens, parce que c'est une noble cause.
-Et mon plan, il a rien de suicidaire ! Les mécanismes pour abaisser le pont levis et soulever la herse sont dans une sorte de bâtiment qui se trouve au-dessus des portes, sur le repart...
-Lui dis pas ça ! Tu vois bien qu'il veut y aller tout de suite alors qu'on est épuisés... On se fera massacrer par les morts-vivants que Destertres aura placé là...
-Hum, t'as raison. Oublie ce que j'ai dit, Arthur : c'était une boutade. Les mécanismes sont dans la brume, et tu veux pas devenir un zombie, pas vrai ?

La paladin posa son épée sur le sol, puis s'assit par terre.
" Allez, on se repose dix minutes, puis on va lâcher la brume sur la campagne. C'est une bonne idée. Comme ce sont les Mélandiens qui la possèdent, en ce moment, ça leur fera les pieds, d'avoir des vaches zombies et des moutons zombies sur les bras... Enfin. Ça vous fera les pieds. Mais comme si j'ai bien compris, il y a peu de chances que les Mélandiens du dehors soient vos copains, ça vous est un peu égal... Et puis je suis paladin, je suis buté. Maintenant que vous m'avez donné une idée suicidaire, je ne vais pas la lâcher !"
Il sourit.
" Bon, honnêtement, je trouverais extrêmement... surprenant que la brume décide de quitter la cour pour nous faire plaisir, mais vu que vous avez viré Talos de votre belle cité, il va peut-être qu'il va nous lever un vent spécial pour se venger. Ce serait très mélandien, si j'ai bien suivi."

Les deux Mélandiens étaient restés debout et, à voir leur mine, il était évident qu'ils cherchaient des contre-arguments.
-Je peux pas tenter un truc pareil sans boire un coup, dit Hector. Les paladins sont connus pour leur... témérité, mais les aubergiste, c'est... hum... moins le cas.
-Essayons d'envisager pragmatiquement les choses, fit Rodolphe. Admettons qu'on réussisse et qu'on s'en sorte vivants. Bon, les portes seront ouvertes, et la brume sera peut-être partie. Mais qu'est-ce qui empêchera Destertres de refermer et d'user à nouveau de ce sortilège ? Rien ! Alors, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux réserver ce coup d'éclat pour un moment plus opportun ? Genre si le comte tente... une manœuvre ? ce serait plus utile, ou ça ferait au moins office de diversion...

" D'abord, Destertres ne pourra pas refermer les portes car nous les défendrons jusqu'à la mort ! s'exclama Arthur. Ensuite, il faut être sérieux. Nous ne savons rien de rien. Nous ne savons pas si quelqu'un est susceptible de venir à notre secours — le mien ou le vôtre, nous ne savons pas où se trouve Destertres et ce qu'il trame, nous ne savons pas si le comte est vivant, ce qu'il planifie... Nous ne savons rien. Alors imaginer qu'il va tenter quelque chose et que nous pourrons alors ouvrir les portes... C'est un voeu pieu. Nous ne pouvons pas communiquer avec eux. Même si nous détections un mouvement dans le donjon, comment savoir ce qu'il signifie ? D'autant que pour pouvoir le surveiller, il faudrait retrouver un point d'observation..."
Il rit.
" Nous sommes dans le noir, Rodolphe. Un aubergiste, un brasseur et un paladin contre les morts-vivants. Le miracle, c'est que nous soyons encore vivants."
Il les regarda tour à tour.
" Vous devriez aller vous mettre en sécurité dans une salle au sous-sol et me laisser faire mon boulot. J'ai traversé la mer tout spécialement pour !"

Ils poussèrent tous deux un soupire spectaculaire.
-Tu as traversé la mer tout spécialement pour mourir ? C'est ça que tu veux dire ?
-En tout cas, ça en a l'air, vu que tu veux te lancer seul dans une opération dont tu n'as aucune chance de revenir vivant.
-C'est à cause de la possibilité d'être à nouveau fait prisonnier ? Ou alors parce que... tu n'aimes pas la vie ?
-Je crois plutôt que c'est de l'impatience. Arthur veut être utile à tout prix, et il n'arrive pas à attendre le moment où il pourra réellement l'être. Parce qu'il craint de mourir ou d'être pris avant qu'il n'arrive.
-Tu lis dans les pensées, toi, maintenant ?
-Non, j'essaie juste de comprendre.

" Hector a sans doute raison. Mais il faut me comprendre. Vous... Vous êtes des conscrits. Vous avez une autre vie, dans votre village, loin d'ici. Tout ce bordel... Ce n'est pas votre truc, mais vous êtes bien forcés de vous y plier. Moi je suis un paladin. Je m'entraîne depuis des années dans un seul but : combattre le mal. Je suis au sein d'une forteresse remplie de morts-vivants. Je suis exactement à l'endroit où je dois me trouver. Et quelque part... Je n'aurais rien pu souhaiter d'autre. Alors oui... Je n'ai pas traversé la mer pour me faire tuer, mais j'ai traversé la mer pour faire mon métier. Il y a des abominations dans les couloirs... Un nécromancien et ses sbires... Pourquoi voudrais-je partir ?"
Il sourit.
" Je sais que ça sonne un peu fou, mais... c'est l'essence d'être un paladin. Si je ne suis pas capable d'y trouver mon compte aujourd'hui... C'est que je me suis fourvoyé. Et bien que les choses aient été compliquées ces derniers jours... Je ne crois pas m'être fourvoyé. Vous... Je comprends votre point de vue. Vous avez été arrachés à autre chose. Mais moi... Si je survis aujourd'hui, j'irai me battre demain. Pour la lumière. Je n'ai pas envie de vous entraîner inutilement dans la mort, cependant. Vous vous battez remarquablement bien, pour des gens dont ce n'est pas le métier. Mais je comprends votre envie de survivre. Vous ne méritez pas de tomber pour les conflits de gens que vous ne connaissez pas et dont vous ne partagez pas les valeurs. Alors allez vous cacher. C'est le mieux."

-Sauf qu'on t'aime bien, Arthur. Et à titre personnel, je me vois mal roupiller tranquillement pendant que tu te fais massacrer.
-Itou. Et même si on t'aimait pas... Te laisser faire ça, ce serait trahir sinon les ordres, au moins la volonté du comte et plus encore du lieutenant.
Ils le dévisagèrent.
-J'oserais pas affirmer que je te comprends. Mais je crois que j'y arrive un peu. Enfin, un tout petit peu. Et du coup, je me dis... Est-ce que c'est pas con que tu te fasses tuer aujourd'hui en faisant un truc dont t'as aucune chance de réchapper ? Est-ce que ça vaudrait pas mieux... De réfléchir un peu plus avant de foncer ?
-Ouais. J'aurais tendance à dire qu'un paladin mort tout jeune est beaucoup moins utile qu'un paladin qui passe toute sa vie à combattre le mal.

Arthur sourit.
" Je ne vois pas ce qui vous permet d'affirmer que je n'ai aucune chance de m'en sortir. Mon intention n'est pas d'aller me brûler pour rien. Mais si on craint toujours son ombre, on ne fait rien, au final. Si Lathandre nous enjoint à espérer de meilleurs lendemains, il met aussi le pouvoir entre nos mains. Les lendemains ne changent pas si on reste assis sur ses fesses dans la poussière d'un couloir. Un paladin n'est pas suicidaire, mais il ne peut pas non plus se permettre d'être trop prudent, à hésiter sans cesse, à se demander si, peut-être, un jour plus tard, il ne pourra pas faire mieux. Certains paladins vivent vieux, d'autres meurent jeunes. L'un dans l'autre, ce qui les différencie, ce n'est pas la témérité, c'est simplement le destin. Reculer aujourd'hui sous prétexte que peut-être d'autres opportunités se présenteront... Ce serait couard et stupide. On ne peut prévoir, une fois encore. Si ça se trouve, c'est ma seule chance de faire la différence, aujourd'hui. Mais... quoi qu'il advienne, je ne peux pas avoir peur de la mort. La mort est juste un passage vers autre chose, dans la lumière de Lathandre. C'est la récompense pour celui qui s'est donné tout entier dans l'espoir d'un monde meilleur."

Hector écarquilla les yeux, Rodolphe soupira.
-Je comprends mieux tes tendances... téméraires.
-Moi aussi. Mais avec une telle philosophie... Est-ce qu'on a pas tendance à foncer sur tout ce qui ressemble même de très loin à une opportunité, en se disant qu'au pire, si c'en était finalement pas une, bah, la vie après la mort sera meilleure que celle-ci ?
-C'est un peu l'impression que ça donne. Je veux dire... Qu'un paladin ait pour vocation de combattre le mal, je comprends. Qu'il n'ait pas peur de la mort, je comprends. Mais... Est-ce que ça veut forcément dire qu'il ne doit pas réfléchir ? Qu'il ne doit pas chercher le meilleure moyen d'être utile ?

" Je me suis mal exprimé. Bien sûr qu'un paladin doit réfléchir. Mais souvent... s'il y a une tâche risquée, difficile, potentiellement mortelle, mais nécessaire, c'est le rôle du paladin de s'en charger. Je ne dis pas que le but est de se faire tuer... mais un paladin voue sa vie aux autres. Donc si elle peut servir, même si pour cela il faut l'y abandonner... et bien, c'est ainsi. Me sacrifier pour la bonne cause... Cela ne me poserait pas de problèmes. Mais si vous pensez que c'est vain, bien sûr, je ne vais pas aller me faire tuer pour le plaisir."
Il était à moitié persuadé que, très simplement, les deux Mélandiens avaient peur. Il ne pouvait pas leur en vouloir.
" Bon, honnêtement, je ne suis pas certain que donner ma vie pour des Mélandiens passerait très bien auprès de mon Ordre... sans compter que ce serait une terrible trahison... Mais tant qu'il y a des Manostiens en vie dans le donjon, je pourrais faire un truc stupide."

Les Mélandiens échangèrent un regard et un sourire complice.
-Bon, alors, tu ne nous laisses pas le choix.
-On va aller les éliminer, de ce pas.
-C'est pour ton bien.
Évidemment, ils ne bougèrent pas d'un pouce.
-Plus sérieusement... Arthur, on va pas te mentir : même si on n'a rien contre eux, les Manostiens sont pas vraiment notre préoccupation première.
-Par contre, venger Grimaud et rendre à Destertres la monnaie de sa pièce, on en meurt d'envie.
-Mais comme on est pas paladins, comme on aimerait si possible éviter de mourir... On voudrait intervenir au moment où on aura le plus de chance de peser dans la balance... et de s'en sortir.
-Et on sait que si on agit ensemble, tous les trois, on en aura plus, de chances; Avoir un paladin comme comparse, c'est un atout précieux.

" Très bien. Vous semblez avoir des détecteurs de moments propices qui me font défaut. Nous sommes dans un couloir tout noir. Vous allez m'expliquer comment vous allez percevoir le moment où l'action de trois combattants — dont deux amateurs, pardonnez-moi — épuisés va être déterminante pour caler un mage qui peut lever des squelettes du sol, animer des mains par centaines et possède, de surcroît, un artefact maudit surpuissant."
Il se leva et s'épousseta les fesses sans faire de manières.
" J'imagine qu'il nous faut un bon poste d'observation. Sinon, il va falloir se fier aux ondes, et honnêtement... même mon aura de paladin est invisible, alors les pulsations invisibles du moment propice... Je suis trop rationnel."
Il se tourna vers Hector.
" Ô grand maître de la carte mentale ! Conduis-nous au poste d'observation sublime !"
Tant qu'ils se remettaient en mouvement, ma foi, ils finiraient bien par recroiser quelques zombies à pourfendre, histoire de se rendre utiles à un moindre degré.

Hector se gratta la tête.
-On pourrait croire que la tour nord-ouest et la tour sud-est constitueraient les meilleurs points d'observation, finit-il par dire, très sérieux. Néanmoins, ce serait un leurre. Non, nous devons nous rendre dans l'une des caves du donjon. Avec les effets de l'acoustique, la répercussion des échos, tout ça, nous saurons instantanément ce qui se trame dans le moindre recoin du château.
-Évidemment, le fait qu'il y ait du pinard dans les caves n'a rien à voir avec cette déclaration...
-Évidemment.

Une nouvelle idée germa dans l'esprit d'Arthur, mais, pour une fois, il ne fit pas l'erreur de la verbaliser à voix haute.
" Excellente idée, l'acoustique. On y va. Et puis comme ça, on pourra vérifier que le lieutenant Grimaud n'a pas bougé."
Il n'était plus trop sûr de savoir quelle direction à emprunter, aussi laissa-t-il Hector faire le premier pas avant, bien sûr, de prendre la tête de leur formidable escouade improvisée.

Ils remontèrent le couloir où leurs explorations souterraines avaient débuté et gagnèrent le pallier sans avoir croisé le moindre adversaire.
-Dites, on en a tué combien ? s'enquit Hector.
-Pas mal. Mais on a pas tout exterminé, loin de là.
-Je sais bien, mais ne plus voir âme qui vive... Enfin, non-âme qui non-vive... C'est bizarre.
-Très bizarre.
L'escalier menant aux caves les attendait, aussi obscur que silencieux.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Guerre des plaines brûlantes : UCGPLM - Arthur