La Couronne de Cuivre

Marvin - et son double par la même occasion - firent un bond impressionnant. Loin de s'offusquer de cette attaque en traître et de la familiarité dont faisait preuve Amélie devant son amie, le jeune homme partit d'un fou-rire et déclara avec amusement mais aussi une certaine tendresse :

- Ah, tu as toujours su trouver mes faiblesses ! Alors, vous en pensez quoi de cette potion ? Les ingrédients pour la faire sont assez rares mais ça vaut le coup, non ?

Angèle avait ri à son tour à la plaisanterie, heureuse de voir qu'Amélie formait avec Marvin un joli petit couple qui avait l'air d'être très complice. Elle répondit au jeune mage.

"Je pense que nous avons une mage en herbe ... Et que je devrais vraiment me méfier. S'il lui prend l'envie de créer une potion d'invisibilité ...
- Excellente idée, renchérit Amélie en passant un bras autour des épaules de Marvin, tu pourras m'apprendre, dis ?"

Et elle offrit à son entourage un grand sourire sadique avant d'éclater de rire.

Marvin fit mention d'y réfléchir en se grattant le menton avant de répliquer d'un ton hésitant :

- D'un côté, je ne demande qu'à te faire plaisir ma toute belle mais d'un autre côté, j'ai bien trop peur que tu en profites pour me faire une farce à moi ! Non, un mage se doit d'être prudent... A moins que tu n'exposes de solides arguments bien entendu !

Il avait lui aussi discrètement glissé son bras derrière les épaules d'Amélie et semblait ne pas vouloir la lâcher de sitôt.

Amélie prit un air offusqué.

"Moi, faire des farces ? Moi qui suis innocente comme un enfant qui vient de naître ! Comme vous êtes médisants ... Allons, citez-moi une seule plaisanterie que je vous aurais faite."

Elle croisa les bras et attendit, toujours serrée contre Marvin. Angèle laissa la parole à son cadet tout en sachant très bien de quoi elle-même allait parler. Mais c'est la jeune barde qui prit les devants.

"Angèle par exemple a vidé le contenu de deux seaux sur moi alors que je ne lui avais rien fait."

La paladine en resta bouche-bée. Amélie maîtrisa avec peine un fou-rire.

Marvin éclata de rire en constatant la réaction d'Angèle face à l'accusation lancée avec désinvolture par sa compagne. Il répliqua avec amusement :

- Je me vois obligé de penser qu'il y a un fond de vérité là dessous même si Amélie aime parfois présenter la situation sous un jour... inattendu. Hum, ça me rappelle d'ailleurs une anecdote...

Le jeune mage fit mine de prendre le temps de rechercher un souvenir avant d'annoncer d'un ton triomphant :

- Comme cette fois où je t'avais invitée à dîner l'auberge. Le tenancier n'en revenait pas de la quantité de cerises que tu avais dévorée. Enfin qu'il pensait que j'avais dévoré puisque tu t'étais débrouillée pour mettre tous les noyaux dans mon assiette et t'était plaint que j'aie tout mangé pour en avoir un bol de plus !

Angèle sourit pendant que la jeune barde rosissait jusqu'aux oreilles.

"Cela ne m'étonne pas. Cette demoiselle est un ventre sur pattes."

Ce fut à Amélie de faire mine de s'offusquer avant de se reprendre.

"En parlant de ventre, le mien crie famine. Je ne sais pas pour le vôtre mais moi, je mangerais bien. Et puis, on pourra tout aussi bien discuter assis et en mangeant, non ?"

Elle embrassa Marvin sur la joue et gagna à grands pas la cuisine avec la ferme intention de préparer le dîner.

"Qui m'aime me suivre."

Angèle s'effaça pour laisser passer Marvin.

"Après vous."

Le bisou le fit rosir à son tour mais Marvin ne se fit pas prier pour emboîter le pas de sa chère et tendre. Il fallait aussi reconnaître qu'il n'avait pas mangé de solide repas depuis un certain temps.

- Moi aussi je meurs de faim ! Je peux t'aider à préparer quelque-chose, peut-être ?

Mais la barde semblait parfaitement gérer la situation devant les fourneaux et Marvin fut relégué au rôle de disposer leurs trois couverts. Il adressa un sourire timide à leur hôtesse quand leur regard se croisèrent mais on sentait qu'il n'était pas encore tout à fait à l'aise en sa présence. Sans doute parce qu'il s'agissait d'une femme et que toutes semblaient l'intimider.

Angèle sans le montrer ne semblait pas non plus très à l'aise. Depuis l'arrivée de Marvin, elle avait l'impression d'être en trop. Et l'irruption de la nouveauté dans son petit univers la perturbait. Elle demeura cependant aimable avec Marvin, lui rendant chacun de ses sourire et répondit au mieux à chaque question qu'il posait.

Enfin, le repas fut prêt et les trois occupants du Clos purent se mettre à table.

"Je ne ferai pas long feu, prévint la paladine, je pense que la journée de demain va être longue. "

C'était surtout pour permettre à Amélie et Marvin de profiter de leur première soirée ensemble. Elle ajouta mine de rien.

"Si vous voulez, il y a les chambres en bas. Comme ça, vous serez tranquilles."

Amélie hocha la tête avec un petit sourire.

Quand Marvin comprit où la paladine voulait en venir, il piqua un fard aussi subit que charmant. La réaction de sa compagne - qui semblait prendre l'allusion comme étant la plus naturelle qui soit - ne fit rien pour arranger sa gêne et il trouva soudain le fond de son verre très intéressant.

- Oh, on ne voudrait pas vous déranger mais si Amélie pense que c'est mieux...

Evidemment, ils ne s'étaient pas vu depuis plusieurs semaines et c'était le genre de choses qui lui faisait envie et devait arriver mais ils auraient aussi la maison pour eux seuls dès le lendemain matin... En bref, il suivrait l'inspiration de la barde et s'en remettrait à sa décision.

Angèle et Amélie voyant Marvin piquer un fard rougirent à leur tour. La barde se fendit d'une petite pirouette.

"C'est juste que Marvin est une véritable pipelette. Je suis sure qu'il va passer la nuit à parler. Donc oui, il vaut mieux que tu restes en haut à dormir."

Elle eut un sourire espiègle, sachant très bien qui était la véritable bavarde de leur duo.

"Dors bien en tout cas. J'aimerais bien te promettre que je serai debout demain pour te dire au revoir ...
- Je n'aime pas beaucoup les au-revoir. De toute façon, nous nous reverrons à mon retour, non ?
- Il y a intérêt."

Angèle vit les yeux d'Amélie s'embuer. Gênée, elle se concentra sur son assiette en espérant que Marvin prendrait le relais.

Celui-ci posa une main délicate sur la sienne avant de se tourner vers Angèle pour lui dédier un sourire plus franc cette fois :

- Je vous souhaite un bon voyage, madame. Et je vous remercie une nouvelle fois d'avoir accepté de m'héberger durant mon séjour. J'espère moi aussi vous revoir à votre retour. Vous pourrez partir en sachant que je veillerai sur votre protégée en tous cas !

Il tourna son regard vers l'intéressée et se perdit immédiatement dans ses yeux si envoûtants.

"Je vais faire du thé. Qui en veut ?", demanda innocemment Amélie.

Angèle bien entendu leva la main avant de s'emparer des assiettes et couverts dans l'intention de faire la vaisselle. Amélie quant à elle mit l'eau à chauffer pour le thé. Ces formalités brillamment exécutées tous les trois prirent place dans le jardin avec leurs tasses.

L'air du soir était frais et emportait le doux parfum des roses. Angèle se dit qu'il allait lui manquer mais qu'au moins, les fleurs et les souvenirs seraient entre de bonnes mains.

Marvin s'installa juste à côté de sa compagne et passa un bras autour de ses épaules avant de déclarer d'un ton ravi :

- Ce jardin... Cette maison : c'est un endroit vraiment enchanteur. J'ai vraiment l'impression de me trouver à Cojum plutôt qu'à Manost. Enfin, j'imagine que nous pourrons en débattre dès que vous serait de retour, Angèle ?

Dans la magie de l'instant, le jeune-homme avait oublié le "dame d'Aulfray" et ne semblait même pas s'en être rendu compte.

"Je n'y manquerai pas, Marvin", répondit Angèle avec un petit sourire.

Voir que le jeune homme se sentait de plus en plus à l'aise lui faisait plaisir. Peu étaient ceux qui osaient l'appeler autrement que Dame d'Aulfray et voyaient au delà de sa froide carapace. Et encore beaucoup moins ceux qui connaissaient son surnom. Elle se leva doucement.

"Je vais aller dormir."

Amélie hocha silencieusement la tête. Elle allait rejoindre le salon quand elle la rattrapa doucement par la main.

"Hé, attends !"

Elle la serra un bref instant dans ses bras.

"Au revoir Frimousse. Fais attention à toi."

Avant de partir, Angèle tendit une main amicale à Marvin.

"Au revoir. C'est un plaisir d'avoir fait votre connaissance d'autant que Chandara me parlait souvent de vous. J'espère que votre séjour à Manost sera agréable."

Et elle laissa les deux amoureux tranquilles après un dernier sourire en direction d'Amélie. Les deux amoureux demeurèrent donc seuls dans l'ombre croissante. Amélie alla s'asseoir à coté de Marvin.

"Tu sais Morgan, la femme que je venais voir. Ma mère ... Elle est morte."

Surtout ne pas pleurer même si Marvin était la seule personne à laquelle elle voulait l'annoncer.

"Angèle était une de ses amies. C'est avant tout pour cela qu'elle m'a hébergée."

Pour toute réponse, Marvin lui murmura doucement "Viens ici !" puis il la serra fort dans ses bras, laissant Amélie se blottir contre sa poitrine. Il savait qu'aucune parole qu'il pourrait prononcer en cet instant ne pourrait vraiment la soulager en cet instant aussi se contenta-t-il d'être juste là pour elle le temps qu'elle vide son chagrin.

Marvin lui avait laissé tout son temps pour vider une partie de son chagrin, se contentant de la serrer très fort dans ses bras avec pour seule volonté celle d'apaiser un peu la peine de son amante. il mesurait à peine les chamboulements et les déceptions qu'elle avait eu à subir mais - même s'il n'en était jamais passé par un tel deuil - il savait mesurer le chagrin d'Amélie mieux que si c'était le sien propre. Quand elle releva la tête, il l'embrassa tendrement sur les lèvres puis dans les cheveux avant de murmurer à son oreille :

- Je suis heureux d'être là pour toi et je le serai toujours.

Puis, comme il commençait à faire vraiment frais, il ajouta avec sollicitude :

- Viens te mettre au chaud, ma douceur !

Ses yeux brillaient de son envie de la serrer encore dans ses bras, toute la nuit et de laisser advenir ce qui le devait ou non. Le désir de simplement la retrouver et pouvoir lui réchauffer le cœur.

Dans le salon, Amélie sécha ses larmes puis elle posa sur Marvin des yeux plus brillants que d'habitude. Lui seul avait pu observer ce regard là et savait très bien ce qu'il signifiait. Elle prit le temps de l'embrasser avant de le prendre tendrement par la main pour l'entraîner dans leur chambre.

Là, elle prit le temps d'allumer une chandelle à la cire moribonde avant de se tourner vers lui. Elle murmura.

"Demain, fais-moi penser à racheter de quoi éclairer la maison. Mais avant ..."

Elle l'embrassa une fois et puis une autre ...

Elle le déshabilla à son tour, laissant faire ses mains au gré de son imagination. Passèrent plusieurs heures douces avant que la lumière de la lune ne viennent éclairer leurs corps endormis. Amélie blottie contre Marvin n'entendit pas Angèle descendre tout doucement les escaliers.

La paladine but son thé assise seule à la table de la cuisine puis alla chercher parchemin et encrier et griffonna un petit mot.

"Amélie, ces quelques veilles passées en ta compagnie étaient totalement inattendues mais au bout du compte fondamentales. Tu as redonné vie au Clos, je ne l'oublierai pas. Veille sur Marvin. J'espère que tu pourras rencontrer Chandara. C'est une personne admirable et il me semble que son jumeau l'est tout autant. J'espère qu'un jour ou l'autre, tu retrouveras les racines et surtout l'affection que tu mérites. Contacte Brandon Devlin au temple de Tymora de Luménis. Avec un peu de chance, il saura te renseigner sur tes origines.
Bien à toi.
Angèle."

Elle enfila le manteau de Morgan, mit le sac à dos sur ses épaules et sans plus attendre d'avantage se rendit au temple d'Ilmater.

Arthur était heureux que Chandara ait pris la direction des opérations. Mais c'était logique : c'était elle la future hôte de ces lieux. Il avait cheminé dans Manost en observant les alentours, tiqué devant la découverte macabre mais sans être surpris — ce genre de choses était le lot de toutes les grandes villes, assurément — s'était peu à peu détendu au rythme du pas de Kelpie, de la respiration de Chandara, du battement de son propres coeurs. Le Clos des Roses paraissait un endroit charmant, la paladine y serait sûrement bien. Il se demanda comment pareil endroit avait pu se maintenir dans une métropole aussi grise, mais sans doute était-ce la preuve que les Helmites n'étaient pas aussi terribles qu'on le racontait. Avec Chandara, bien sûr. Même si elle était terrible à certains égards...

Les notes de Luth s'éteignirent pour être remplacées par un léger silence. Puis Chandara entendit un pas léger, presque imperceptible se rapprocher et la porte s'ouvrit sur une jeune femme. Cheveux bruns coiffés en chignon erratique, yeux bruns et légèrement bridés, gracile, elle était vêtue d'une tunique rouge vif dénotant sans contexte avec le gris ambiant assortie d'une jupe noire. Elle posa sur les deux paladins un regard bienveillant mais vaguement inquiet.

"Ce n'est pas ce que vous croyez, j'étais juste en train d'accorder cet instrument."

Devant l'air un peu ahuri des deux autres, elle se détendit.

"D'accord. Vous ne venez pas me dire d'arrêter de jouer. Cette ville va finir par me rendre nerveuse."

Elle finit par sourire.

"Mais cela ne nous avance pas vraiment. Que puis-je faire pour vous ?"

Chandara était resté coite durant tout ce temps, ne s’attendant certainement pas à une telle entrée en matière. Mais, plus que tout, ce qui la rendait hésitante était que la jeune-femme se tenant devant elle avait une allure étrangement familière. Elle avait pourtant beau fouiller dans sa mémoire, elle était quasiment persuadée n’avoir jamais rencontré cette personne à Manost…

Mais, finalement, elle chercha à dissiper le malentendu et prit les devants car Arthur était toujours légèrement en retrait et qu’elle sentait que c’était de toute façon de sa responsabilité :

- Bonjour, je viens de la part de Titœil Debeurré. Il m’a conseillé votre établissement car je cherche un endroit où loger. Je regrette d’avoir interrompu votre récital : il était très mélodieux. Et… oh… Je m’appelle Chandara. Ravie de faire votre connaissance.

Toujours cette impression que cette jeune femme ne lui était pas si étrangère que cela. C’était une sensation étrange et elle espérait sincèrement ne pas avoir commis un nouvel impair comme avec les Helmites dont elle avait oublié le nom lors de la campagne.

Quelques instants, Chandara vit le visage de l'inconnue s'illuminer mais elle retrouva très vite son sérieux.

"Donc vous voulez loger ici ... Si je me souviens bien, c'est effectivement une pension de famille."

Elle regarda Arthur, les sourcils froncés durant quelques secondes avant de lui sourire.

"Il y a cependant un très léger bémol que Titoeil a oublié. Je n’accueille ici que les personnes qui pourfendent les épouvantails."