La Couronne de Cuivre

Sylvia le rejoint avec souplesse, quoiqu'un peu plus laborieusement : il dut tendre la main pour lui venir en aide, ce qui leur permit au passage de se retrouver l'un contre l'autre un bref instant comme elle se hissait à ses côtés. Elle semblait n'avoir d'yeux que pour lui... mais elle se ressaisit bien vite, détournant avec effort ses yeux des siens pour observer la pièce.
- Qu'est-ce que tu as vu ?
Elle n'avait pas lâché sa main, peut-être juste par oubli, peut-être pour prolonger le contact, peut-être pour se rassurer...

Le rôdeur osa un petit sourire en constatant que Sylvia faisait manifestement tout pour rester proche de lui. A moins qu’il ne se fasse des idées ? Non, l’expression faussement innocente de la rôdeuse et la main qu’elle avait soigneusement gardée dans la sienne étaient éloquentes. Ne sentant aucun danger immédiat, il se permit une remarque anodine juste pour le plaisir de voir comment elle y réagirait :

- C’était très étrange : comme les yeux d’un félin qui m’ont regardé un instant avant de disparaître vers le mur. Puis, j’ai vu la plus belle femme du monde me rejoindre et j’ai oublié à quoi il ressemblait exactement. Tu crois que j’ai des hallucinations ?

Il avait bien l'intention de fouiller la pièce à la recherche de la moindre trace et d'éventuelles autres issues avant de redescendre. Mais cette fouille pouvait bien attendre quelques secondes encore.

Sylvia rougit sous le compliment. Elle ouvrit la bouche sans trouver, visiblement, de réplique appropriée, et finit par lancer après quelques instants.
- Est-ce que je dois comprendre que tout ça n'était qu'un prétexte pour me réveiller ? Tu sais pourtant que tu n'as pas besoin d'inventer un hypothétique intrus pour cela...
Elle souriait, le dévorant des yeux, toute proche, s'approchant encore. Sans attendre sa réponse, elle l'embrassa sur les lèvres, passionnément. Elle semblait avoir totalement oublié le danger. Ou peut-être n'y croyait-elle pas ?

Kasumi ne put s’empêcher de réagir au contact si sensuel de la rôdeuse en laissant glisser sa main libre au creux de ses reins puis plus bas encore, s'attardant un bref instant sous ses chausses tandis qu’il lui rendait son baiser sans arrière-pensées. Quand Sylvia le laissa reprendre son souffle, il répondit enfin, la voix un peu rauque et haletante et le regard brillant :

- Ce que tu es incorrigible ! Mais je ne peux pas t’en vouloir : c’est une des nombreuses raisons pour lesquelles je t’aime et c’est tellement agréable. Cela dit, j’ai vraiment vu quelque chose sinon je ne me serais pas lancé dans ce genre d’acrobaties pour monter ici. Il y en aurait eu d’autres bien plus douces à expérimenter si nous étions resté en bas…

Rougissant de sa propre audace, le rôdeur fit un effort pour balayer la pièce du regard sans pour autant faire mine de se dérober à l’étreinte de la jeune femme. Il ajouta finalement - d’un ton plus sérieux mais un peu incertain :

- Je dirais bien que je suis désolé d’avoir interrompu ton sommeil si paisible mais ce ne serait pas tout à fait honnête. En tous cas, tu ferais peut-être bien d’aller prendre quelques heures de repos le temps que je finisse d’inspecter cette partie de la tour. Je te promets de te réveiller si de nouvelles idées d’exploration de haute voltige me viennent en tête !

-Mmmh.. Tu es sûr que tu ne veux pas faire quelques exercices de hautes voltiges en bas, maintenant que je suis réveillée ?
Elle rit.
- Je plaisante... Si vraiment tu as entendu quelque chose, mieux vaut en avoir le coeur net. Tu es sûr que tu ne veux pas que je reste en renfort ? Je sais qu'on ne voit rien de particulier, mais... Bon, d'accord, je descend, mais je reste éveillée et je guette ton retour, si j'entends quoi que ce soit d'étrange je reviens !
Et elle s'en fut dans l'escalier, le laissant seul.

Dès qu’elle eut disparut par la trappe menant à l’étage inférieur, Kasumi trouva les lieux bien moins accueillants, plus inquiétants. Il avait promis à Sylvia de revenir vite la rejoindre mais il entendait tout de même explorer à fond cet étage, en quête d’un indice susceptible d’expliquer l’étrange phénomène auquel il avait cru assister. Il commença par examiner le mur, en particulier le côté vers lequel il avait cru percevoir la fuite du félin. Puis, si ce premier examen ne donnait rien, il inspecterait le reste de la pièce et chercherait un passage vers un niveau supérieur s’il y en avait un. Ce faisant, il chercha à faire le vide en lui, à contrôler sa respiration, à ouvrir ses sens à son environnement. Montrez-vous !

Le mur par lequel Kasumi avait cru voir disparaître le félin était un mur tout ce qu'il y a de plus ordinaire, fait de pierres grossièrement taillées. Au-dehors, il savait qu'il n'y avait que le vide.
Il ne perçut nulle signe de vie, excepté peut-être un ou deux rongeurs inoffensifs. L'examen du plafond lui révéla qu'il était juste sous le toit de la tour, donc qu'il n'y avait rien à rechercher au-dessus. La pièce était entièrement vide, poussiéreuse, envahie de déjections de mouettes, comme celle où il dormait avec Sylvia.
Au moment où il allait renoncer, il perçut un mouvement sur sa gauche. Juste une ombre, féline, plus grande qu'un chat cependant, qui frôlait le sol de pierre. Il eut le temps de voir, à nouveau, deux yeux jaunes qui le fixaient avant que l'étrange créature, se voyant découverte, disparaisse de nouveau, se fondant dans la pierre.
Au même moment, il crut entendre une voix, comme tout à l'heure. Une voix de femme. Il n'arrivait pas à savoir d'où elle venait. de la gauche, peut-être. Non, de la droite. Ou d'en haut... Il réalisa petit à petit que c''était une intonation douce familière, une voix qu'il avait entendue pendant de si longues années... Mais il n'arrivait pas à comprendre ce qu'elle disait. Elle chantonnait, plutôt. Puis ce fut plus net :
- Fais attention avec ce couteau, mon grand... Ca n'est pas un jouet...
Et à nouveau, il l'entendit fredonner. Puis la voix s'atténua.

Kasumi se frotta les yeux à plus d’une reprise. Etait-ce son imagination, le fait de retourner sur ses terres ancestrales ou la fatigue accumulée qui lui jouaient un tour si étrange ? La panthère fantomatique, la voix douce aux inflexions incompréhensibles qui prit subitement tout son sens le laissèrent pantois, les yeux écarquillés par la perplexité. Sans trop savoir comment, il se retrouva assis à fixer le mur où avait disparu le félin en dernier, son épée posée sur le sol devant lui. Il s’entendit murmurer tout en se sentant immédiatement un peu ridicule, déplacé, incrédule :

- Maman ? Cela ne se peut… Est-ce toi ? Qu’attends-tu de moi ?

La voix ne répondit pas. Il l'entendit cependant plus fort, plus nette. Elle fredonnait. Il reconnut la berceuse qu'il affectionnait particulièrement lorsqu'il était petit. Elle s'interrompit, à nouveau, pour quelques mots intelligibles.
- Oh, c'est un beau cadeau que tu l'as fait là...
Avant de se remettre à chantonner. Il l'entendait mieux maintenant, reconnaissait quelques mots de-ci, de-là. Mais cela semblait venir de loin, très loin. Et de partout à la fois.
- .... dans la forêt, le loup ....
.... dans la prairie, le lièvre .....
.... dans la savane, le lion ....
... dans les montagnes.....
La voix s'éloigna encore. Disparut. Puis, quand il eut renoncé à la guetter et se remit à observer autour de lui, il aperçut à nouveau la panthère, à deux mètres de lui, ou plutôt une forme sombre et translucide mais qui lui évoquait irrésistiblement cet animal. Elle le fixait de ses yeux jaunes. Elle pencha la tête de côté, comme pour mieux le voir. Sans fuir. Sans agressivité non plus. Plutôt... de la curiosité. Puis, d'un bond, elle disparut à travers le mur.

Le rôdeur s’était laissé porter par les paroles qui avaient bercé ses veillées d’enfance, se remémorant de doux souvenirs enfouis au plus profond de sa mémoire, des moments oubliés, heureux, simples et paisibles. Mais le sens profond des paroles lui échappait encore totalement, le reliant à la conscience, le forçant à les analyser avec lucidité, le maintenant éveillé et ouvert au monde réel. Ce faisant, il se sentait tiraillé entre deux mondes comme il l’avait toujours été : mi-elfe, mi-homme, mi-citadin, mi-sylvestre, tiraillé comme aujourd’hui, à la croisée de son destin entre ces lieux de son passé et ceux si lointain de son présent, tiraillé entre un amour trahi et un amour naissant à moins que ce ne fût l’inverse, déjà. Tout semblait se mêler en une ronde infernale alors qu’il fixait le regard de l’animal, si c’en était bien un.

- De quel cadeau parles-tu ? Que me veux-tu, esprit ?

La voix s'était éloignée, peu à peu, jusqu'à disparaître. Il avait la sensation de l'entendre, encore, très loin, mais peut-être n'était-ce qu'un effet de son imagination, un écho de ce qu'il venait d'entendre. Mais non... elle revenait, fredonnant un autre air, réminescence d'années si lointaines. Trop loin, trop indistincte, et pourtant clairement reconnaissable.
Et presque aussitôt la panthère, ou du moins son fantôme, bondit à nouveau devant lui, émergeant du mur. Elle fit quelque pas, allant et venant d'un mur à l'autre, mais sans hâte, presque majestueusement. Ses yeux ne quittaient pas Kasumi, l'observant, le guettant. Elle finit par s'approcher, presque à contre-coeur, ou peut-être méfiante. Un pas, puis un autre. Son regard fut attiré par la broche que Kasumi portait, en forme de tête de loup. Elle l'observa, puis pencha la tête de côté, et contempla à nouveau le rpodeur. Un regard indéfinissable. Presque... un adieu ? Et puis, subitement, elle se volatilisa. Elle n'avait pas bondi à travers le mur, cette fois-ci. Elle avait juste perdu sa substance, en quelques secondes. Il n'y avait plus rien.
La voix de sa mère disparut au même moment. Et il eut beau attendre, guetter de toutes ses oreilles, elle ne revint plus.

Cette soudaine absence fut inexplicablement vécue comme une perte inestimable, comme si une partie de lui qui aurait pu être, qui aurait pu se réaliser et qui ne l’avait pas été lui était ôtée tout à coup. Ce n’était pourtant qu’une possibilité manquée, un présent alternatif perdu depuis des années mais il avait la sensation de le perdre encore à l’instant même comme s’il avait été bien réel jusque-là. C’était une sensation indéfinissable et pourtant d’une tristesse abyssale. Cela faisait tant écho au passé qu’il avait cru enterré à jamais, au passé que le puissant souffle du destin avait exhumé, magnifié, rendu à nouveau possible. Et pourtant, avec la perte qu’il avait l’impression de subir avec la disparition de la panthère, de la douce voix de sa mère, il prenait la mesure de tous les choix qu’il avait jamais fait, de toutes ses erreurs aussi, de toutes les routes qu’il avait choisies ou non de ne pas emprunter. Alors que ses sensations lui renvoyaient à nouveau les échos d’une réalité bien tangible, il ne put retenir un torrent de larmes, restant agenouillé, seul dans les ombres, voûté sur son chagrin ravivé.

Rien ni personne ne vint le déranger, et il put vider son chagrin, seul dans cette pièce ouverte aux quatre vents, sans nul autre témoin qu'un vieux mulot qui fila devant lui, émergeant d'un interstice entre deux pierres, et disparut presque aussitôt en se laissant glisser le long du mur écroulé.
Il n'y eut plus de voix, il n'y eut plus d'ombre de panthère. Seul le silence, rompu parfois par le ululement d'un oiseau de nuit. Les nuages masquaient toujours les étoiles, et la pluie se mit à tomber, ruisselant sur les vieilles pierres, tombant à grosses gouttes sur le plancher mal abrité, l'éclaboussant au passage.
Un coup d’œil par la trappe toujours ouverte lui apprit que sa compagne dormait à poing fermé. Le temps avait dû passer sans qu'il s'en rende compte. Son épée désormais éteinte en témoignait.

Kasumi finit par se redresser, tous ses muscles passablement ankylosés en particulier ceux de son dos, de ses jambes, de ses bras… Tu te fais vieux ! Son chagrin tari, sa tête un peu vide lui tournait et il eut un vertige de s’être redressé un peu trop rapidement. Mais, après un dernier regard à la pièce ouverte à tous les vents, il récupéra son épée et la remit calmement au fourreau avant d’emprunter la corde qui le ramènerait en-dessous. Il ne pouvait pas décrocher le grappin ni fermer la trappe sans aide ni sans bruit aussi décida-t-il que cela devrait attendre le matin. Il n’avait du reste plus aucune impression de danger ou de présence intruse maintenant que le phénomène qui l’avait intrigué avait pris fin.

Après avoir vérifié que Sylvia dormait paisiblement et avoir remonté la couverture qui avait glissé de ses épaules, il emprunta l’escalier menant au rez-de-chaussée en essayant de ne pas faire de bruit. Après une rapide inspection des environs, il se dirigea vers la forme endormie de Tilmandil et entreprit de lui secouer doucement l’épaule, avec égard pour ne pas le brusquer : il était cependant grand temps qu’il aille lui-même prendre deux ou trois heures de repos.

Tilmandil ouvrit les yeux presque aussitôt. Il semblait relativement frais et dispos. Bien plus en tout cas que lorsqu'il s'était couché.
A l'autre bout de la pièce, Eärundra dormait. Ou méditait, peut-être. En tout cas elle était allongée, immobile, les yeux fermés.
Se dressant sur son séant, il murmura :
- Une attaque ? Des revenants, des fantômes ? Ou bien c'est juste mon tour de prendre la garde ?
Fronçant les sourcils, il ajouta.
- Tu as une drôle de mine... Un souci ?

Le rôdeur secoua la tête en signe de dénégation tranquille avant de répondre tout en éludant la question qu’il n’avait clairement pas l’intention d’aborder au milieu de la nuit. De plus, la présence des deux femmes endormies n’incitait pas vraiment aux bavardages inutiles. Le rôdeur se contenta donc de quelques mots, dans un murmure :

- Oui, c’est ton tour, désolé. Rien de vraiment inquiétant mais je suis exténué et j’ai cru entendre un bruit au deuxième étage alors nous sommes allé l’explorer avec Sylvia. Inutile d’y faire des rondes cependant, il n’y a rien là-haut. Oh, et j’ai placé des pièges sonores en travers des issues alors fais attention si tu souhaites aller dehors.

Puis, il ajouta tout de même d'un ton léger pour finir sur une note plus douce :

- Et de ton côté ? Cela s'est bien passé avec Eärundra et Léo ? Aucun des deux ne t'a mordu ?

Tilmandil secoua la tête et murmura :
- Je suis indemne, comme tu vois. Du reste, Léo est resté dehors... Je ne sais pas s'il dort, s'il chasse ou s'il fait le guet, mais j'aime autant ne pas l'avoir ici. Même si j'ai pu le caresser et aider à changer son pansement... je déteste ça. Et imagine qu'en pleine nuit, mal réveillé, il me confonde avec un gibier... Non, décidément, je préfère qu'il soit loin !
Il se leva et enfila rapidement quelques vêtements pour lutter contre la fraîcheur de la nuit, et fouilla dans son sac, en sortant de l'encre et un parchemin.
- Puisque tout est calme, je vais tuer le temps en composant... je ne sais pas... une ode aux navigateurs d'eau douce peut-être... Allez, Bonne nuit petit frère !

Kasumi lui adressa un regard attendri, appréciant de plus en plus le frère dont il n’aurait jamais soupçonné l'existence quelques semaines auparavant. Son attitude qui lui avait paru tout d'abord détachée et inconséquente lui était devenue inexplicablement plus agréable, plus rafraîchissante et légère aussi maintenant qu’il le connaissait un peu mieux. Qu’il savait que derrière ses attitudes emphatiques, il cachait une grande complexité et peut-être pas autant d’assurance qu’il aimait à en afficher.

- Bonne nuit, petit frère ! Et oui, l’âge réel ne compte pas, ça non !

Puis, sur un sourire amusé, le rôdeur grimpa souplement l’escalier menant à l’étage et à la couche où l’attendait une Sylvia parfaitement endormie. Il la regarda un instant, son cœur battant un tout petit peu plus vite tandis qu’il se débarrassait de sa tunique et prenait timidement place à ses côtés. Il se glissa sous la couverture en faisant attention à ne pas la réveiller. Au bout de quelques secondes, n’y tenant plus, il se laissa glisser de côté pour se lover contre elle, humant le doux parfum de ses cheveux sans oser toutefois lui donner un baiser dans la nuque, de peur d’interrompre son sommeil si paisible. Il l’enserra tout de même d’un de ses bras tout en poussant un profond soupir de satisfaction en trouvant cette place décidément bien confortable.

Le sommeil ne tarda guère à venir, et la nuit se déroula paisiblement sans alerte inquiétante. Il avait besoin de dormir, après ses ébats de la nuit précédentes, la fatigue de la journée, les émotions de la soirée. Il ne s'éveilla même pas lorsque sa compagne prit son tour de garde, le laissant seul sous les couvertures.
Ce fut elle qui le réveilla, d'un léger baiser sur les lèvres. Le jour était levé, des dizaines d'oiseaux rivalisaient de joyeux trilles.
-Bonjour mon amour. Je n'ai pas eu le coeur de te réveiller plus tôt, tu dormais si bien...
L'aube était en effet passée depuis un moment déjà, et les bruits provenant de l'étage inférieur indiquaient que les deux elfes préparaient le petit déjeuner.

Kasumi se sentait passablement ensommeillé malgré plusieurs heures de sommeil paisible aussi garda-t-il un instant les yeux fermés tout en attrapant d’instinct la main de Sylvia pour qu’elle ne s’éloigne pas. Après un soupir d’aise pour avoir savouré son tendre baiser et ses mots tout aussi doux, il répondit d’un ton calme en ouvrant les yeux pour contempler son visage :

- Ce n’est pas possible que ce soit déjà le matin car je rêve encore qu’une magnifique nymphe des bois m’embrasse et m’ouvre son cœur. La réalité ne peut pas être aussi parfaite…

Sur un sourire rieur, il se redressa sur son séant pour attraper sa compagne par la taille et ajouter joyeusement :

- Je dors si bien auprès de toi. Et c'est si doux d'être réveillé ainsi. Faut-il déjà que nous partions, mon aimée ?

Sylvia sourit, les yeux pétillants de malice.
- Et bien... ça dépend si tu veux subir les moqueries et les sous-entendus de ton frère toute la journée... Tu sais bien que moi, je suis toujours partante pour... tout ce que tu voudras... ça, par exemple...
Et, plongeant ses yeux dans les siens, elle l'embrassa avec fougue, le faisant basculer sur leur couche sans lui laisser un seul instant pour respirer, s'allongeant sur lui. La lueur malicieuse de ses yeux semblait indiquer que c'était par jeu... ou par provocation ?

Kasumi ne put dissimuler la façon dont son corps frémit au contact de celui de la rôdeuse. Il sentit une douce tension naître et s’épanouir dans son bas ventre et sous ses chausses sous la simple pression des hanches de son amante, sous la caresse ferme et un peu brute de ses jambes enserrant ses cuisses pour l’immobiliser. Mais plus que tout, il ne pouvait plus détacher son regard des yeux dans lesquels il se perdait désormais si facilement. Prisonnier volontaire, il laissait à présent ses mains courir dans son dos sans même s’en rendre compte, sans pudeur ni timidité combien même cela relevait sa tunique de manière fort indécente. Entre deux baisers, il marmonnait des protestations sans grande conviction, en tous cas une bien moins forte que celle affichée par chacun de ses gestes.

- Pourquoi faut-il que tu me tortures ainsi, charmante séductrice ? Tu sais bien que je n’ai plus la force de te résister… Comparé à ce que tu me fais ressentir d’une simple caresse, les railleries de Tilmandil sont un bien faible prix à payer. Tu pourrais simplement leur dire que j’ai besoin d’encore une heure de sommeil, ou deux tout au plus…

Il sentit le souffle de Sylvia devenir plus rauque, et ses caresses se firent plus insistantes, plus suggestives.
- Oh, les marmottes ! Le petit déjeuner est servi !
C'était la voix de Tilmandil, faisant preuve de moins de discrétion cette fois-ci qu'au campement où il avait soigneusement pris soin de ne pas les déranger.
Sylvia détacha ses lèvres des siennes, parut chercher une confirmation dans son regard avant de répondre.
- On arrive dans quelques minutes... laissez-lui le temps d'émerger du sommeil !
Il crut entendre un rire narquois en bas, mais déjà Sylvia lui soufflait à l'oreille.
- Il va falloir se contenter de quelques minutes mon amour... Mais j'en ai tant envie... Juste quelques minutes... intenses...
Il sentit sa main se faufiler sous ses chausses, incisive, tandis que ses lèvres approchaient à nouveau des siennes. Elle était bien décidée à profiter de leurs dernières minutes d'intimité...

Kasumi avait failli revenir à la réalité en entendant la voix de son frère mais la proposition et la présence charnelle de Sylvia lui fit perdre tout sens de la raison. Il écarquilla les yeux sous l’étonnement de sa proposition mais son corps avait déjà réagi favorablement, ses mains dénudant frénétiquement sa partenaire juste assez pour pouvoir la posséder tandis qu’elle révélait sa virilité déjà impatiente. Ce fut elle qui dirigea leur étreinte, dicta son rythme effréné, ne lui laissa aucun répit, presqu’aucune initiative, étouffa ses râles de plaisir de baisers enfiévrés par soucis de discrétion bien futile. Il ne leur fallut que quelques minutes pour parvenir au paroxysme du plaisir, partageant un orgasme débridé qui les laissa tous deux incrédules. Le rôdeur avait les yeux écarquillés, un peu embués mais son large sourire en disait long sur le fait qu’il était maintenant tout à fait éveillé. Le souffle court, il murmura aux oreilles de Sylvia :

- Je t’aime.

- Moi aussi, souffla Sylvia d'un ton rauque, aussi essoufflée que lui. C'est si bon d'être dans tes bras...
Mais le murmure de voix qui leur parvenait du rez-de-chaussée indiquait clairement qu'il était temps pour eux de rejoindre le reste du groupe.
Sylvia fut la première à se redresser, et s'habilla en un tournemain, craignant peut-être davantage une remarque désobligeante d'Eärundra que les taquineries du barde.

- Aaaah ! Le cri de Tilmandil était excessif, certes. Il avait levé les bras au ciel, comme si leur arrivée était un événement hautement attendu. Ce qui du reste était peut-être le cas...
Eärundra se contenta de pincer les lèvres, leur lançant un regard vaguement réprobateur mais résigné. Avec peut-être une pointe d'amusement. Mais minuscule, imperceptible...
- Kasumi, si tu continues à jouer les marmottes, on va finir par croire que tu veux nous laisser exprès tout le boulot à faire...
Et pour appuyer ses dire, il leur désigna tout leur paquetage impeccablement rangé. Il ne restait au sol que deux portions de petit déjeuner.
- Mais... c'était bien notre objectif ! répliqua Sylvia sans se laisser démonter, en s'asseyant devant le sien, tandis qu'Eärundra levait un regard désespéré au ciel.

Le rôdeur trouvait soudain que ses pieds étaient très intéressants pour lui éviter de relever la tête et ainsi éviter de croiser le regard des deux elfes plus de quelques secondes. Son teint pivoine était du reste très éloquent quand il prit place aux côtés de Sylvia, sans avoir décoché plus d’un mot pour leur dire bonjour comme si de rien n’était. Après avoir avalé la moitié de sa portion avec une rapidité admirable, il osa enfin une réplique des moins convaincantes. Mais c’était malgré tout une tentative louable :

- Désolé mais je n’ai pas dormi autant qu’il aurait fallu. Cette tour est vraiment étrange. Vous n’avez rien remarqué vous-mêmes ? Mais bref… Puisque vous avez tout savamment préparé et que nous pourrons – en conséquence - bientôt vous octroyer le grade de « rôdeur apprenti », nous allons vite la laisser derrière nous. Eärundra, pensez-vous que Léo devra monter avec nous aujourd’hui ?

Tout en laissant aux deux elfes l’opportunité de répondre, il se replongea dans la dégustation de son petit-déjeuner.

Eärundra ne répondit pas immédiatement. Son regard s'était figé à la première phrase de Kasumi. Peut-être même n'avait-elle pas entendu la suite....
- Oui... Moi aussi j'ai trouvé cette tour bien étrange, cette nuit.
Elle avait fixé sur lui son regard vert, incisif, cherchant à savoir sans doute à quoi il faisait allusion. Mais il n'y avait nulle trace de taquinerie dans ses yeux. Elle était parfaitement sérieuse.
Elle se tourna vers Tilmandil, puis Sylvia.
- Vous n'avez rien remarqué de particulier durant vos veilles ?
Le barde et la rôdeuse hochèrent négativement la tête, avec un bel ensemble, un regard inquiet de Tilmandil et un regard presque outré de Sylvia. Eärundra reporta son attention sur Kasumi, le regard inquisiteur.

Kasumi avait perçu la réaction de Sylvia et il lui saisit discrètement la main tant il souhaitait que sa relation avec la druidesse ne s’envenime pas alors qu’il répondait à cette dernière d’un ton posé, avec le recul d’une – courte – nuit de sommeil et d’un réveil des plus agréables :

- Moi j’ai eu une expérience que je ne saurais expliquer. Comme si j’avais été hanté par certains souvenirs…

Après quelques secondes d’hésitation qu’il mit à profit pour croiser le regard de Sylvia et de son frère, il ajouta d’un ton un peu moins assuré :

- En fait, j’ai même cru percevoir le fantôme du familier de ma mère et même sa voix pendant un bref instant… Je sais, cela parait fou, surtout dit comme ça mais j’ai vraiment eu cette impression. Evidemment, j’ai peut-être rêvé. Ce ne serait pas étonnant que ce soit lié à mon retour ici, à la recherche de notre père qui plus est.

Eärundra hocha la tête. Elle ne paraissait plus se soucier de Sylvia et Tilmandil, et ses paroles ne s'adressaient clairement qu'à Kasumi.
- J'ai l'impression que cet endroit fait revivre en nous certaines choses... Votre mère... la mienne.
Son regard se fit mélancolique.
- Mais pour ma part, je n'ai vu nul fantôme, bête ou humain. Simplement entendu des voix... Pourtant, ma mère avait un familier elle aussi. Peut-être l'avez-vous vu parce que c'est ici qu'elle vivait. J'imagine que vous ne savez pas ce qu'il est devenu après la mort de votre mère ?

Kasumi posa un regard étonné sur la druidesse comme elle évoquait sa propre mère… et sa perte. Il considéra un instant l’hypothèse et la question d’Eärundra sans parvenir à se forger une opinion tranchée. Il répliqua tout de même d’un ton sincèrement peiné :

- J’ignorais que vous étiez orpheline. Veuillez accepter mes condoléances, Eärundra. Le familier de votre mère était-il un lion, lui aussi ? Je dois reconnaître que j’ignore ce qu’il est arrivé de la panthère de ma mère. Elle a fui après sa mort et je ne suis pas resté suffisamment au camp pour la chercher comme je l’aurais peut-être du… J’étais jeune et j’ai commis bon nombre d’erreurs, aveuglé que j’étais par le choc.

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines