La Couronne de Cuivre

L'élémentaire d'eau activa la deuxième alcôve, mais la manifestation magique fut cette fois plus spectaculaire : toute la pierre bleue de la ruine se mit à luire légèrement et un son étrange s'éleva dans l'air, un bruissement, comme le murmure d'une cascade ou d'un torrent. Taliesin eut l'impression d'entendre un chant ténu, derrière le frissonnement liquide, mais la brusque illumination s'éteignit peu à peu, ne laissant plus que les runes scintillantes apparentes.
" On parle d'un truc comme ça, dans tes notes ?" murmura Baptiste.

-Non. Mais il me semble avoir lu que les recherches menées sur une autre ruine avaient permis de déterminer qu'elle était liée sinon à l'eau en général, au moins à la mer. Et ce qui est certain, c'est qu'il existe des vestiges de différentes couleurs.
Il fixa les symboles avec intensité.
-Bon, recopions ça puis passons à l'alcôve de l'air. Ensuite, nous ferons le point sur nos découvertes.

L'élémentaire de l'air illumina la dernière alcôve en bon état. La ruine dans son ensemble demeura inerte mais Baptiste recopia les trois symboles. Ensuite, ils purent regarder ce qu'ils avaient obtenu : douze symboles différents, liés par trois aux quatre éléments. Seul l'élémentaire de l'eau avait eu un effet plus général sur les vestiges.
Au-dessus d'eux, le ciel grisait petit à petit, signe que la journée touchait à sa fin.

-Je crois qu'il est temps de remballer nos affaires, d'aller récupérer nos deux constructeurs de cabanes puis de rentrer au port : ce soir, nous devrons discuter des modalités de notre expédition à Champsdor. Mais si nous avons du temps, et si cela te tente, nous pourrons aussi essayer de voir, dans les livres qu'on m'a fait parvenir, à quo correspondent ces symboles.

" J'aimerais ça, oui." dit Baptiste en souriant.
Il se tourna vers le sous-bois.
" Je vais aller les chercher : ils ne veulent pas que tu voies la cabane avant que ce ne soit terminé."
Après lui avoir confié ses dessins, le gamin détala donc dans la broussaille. Il lui fallut environ un quart d'heure avant de reparaître avec les deux autres : soit ils étaient en plein travail, soit leur repaire n'était pas exactement juste à côté...

Il ne leur posa aucune question à ce sujet : dans l'immédiat, ils tenaient à conserver le secret sur leurs travaux et il entendait bien respecter ce désir.
Quoi qu'il en soit, sitôt la troupe réunie, il vérifié qu'ils n'avaient rien oublié puis donna le signal du départ.

Et ils retraversèrent champs, prés et potagers, désormais déserts. Seul la fumée qui s'échappait non loin des tentes au milieu des pâturages signalait l'existence de quelqu'un quelque part. Il ne faisait pas encore nuit, cependant, et les oiseaux chantaient joyeusement dans les arbres et les blés. Ils parvinrent à Vauxgrisants avec leurs chèvres et leur mulet. Yann les attendait à la porcherie et sourit en les apercevant.
" Voici nos joyeux aventuriers ! s'exclama-t-il, avant de se tourner vers Taliesin. Est-ce que je peux récupérer les chèvres ? Mon ami les réclame et... je peux essayer de les garder encore, mais si vous en avez fini avec elles..."

Il sourit.
-Ces braves chèvres ont accompli des miracles et le désherbage est terminé : tu peux donc les ramener à ton voisin. Et je ne saurais jamais assez te remercier d'avoir eu cette idée, elle nous a plus que grandement facilité la tâche.

" Bah, c'était peu de choses. Mais tant mieux si ça a aidé ! C'est le bon sens de la campagne !" dit-il avec un clin d'oeil.
Il s'empressa ensuite de rassembler les animaux et partit dans les rues du village. Baptiste rentra dans la ferme tandis que Victor emmenait le mulet vers l'écurie. Titus, qui était resté près du barde, fila brusquement vers la cour.
" Messire Taliesin !" s'exclama alors une voix, essoufflée, juste derrière le barde.
C'était Démétrius, le clerc du village, et il avait manifestement couru pour le rattraper avant qu'il n'entre.
" Est-ce que vous auriez deux minutes à me consacrer ?"

-Bien sûr, répondit-il, amical.
Et de se demander ce que le clerc avait à lui dire de si urgent. Des villageois avaient-ils trouvé étranges ses voyages quotidiens vers les bois et le fait qu'il y passe toute la journée ?

Il sourit et reprit son souffle pendant quelques secondes.
" Voilà... Je me demandais... vu que vous êtes barde... et que les bardes sont très... érudits... Hum... Si par hasard vous parliez le sylvestre ?"

Il acquiesça.
-Oui, j'ai la chance de le parler. Auriez-vous reçu la visite de quelque être de la forêt ?
Il était rassuré mais préférait pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué : après tout, si un habitant de la Lorien s'était subitement manifesté, cela pouvait avoir un rapport avec ce qui s'était passé aux ruines durant l'après-midi...[/color]

Le prêtre sourit, manifestement soulagé.
" En fait, nous avons un problème avec des... nomades. Des centaures. Ils sont installés dans les pâturages, au pied de la butte, depuis bientôt... deux veilles. Les gens ont peur pour leur bétail et eux-mêmes ne se sont pas montrés très réceptifs avec nos précédentes ambassades. Je pense qu'ils parlent le commun, mais si nous avions quelqu'un qui parle le sylvestre, pour, vous savez, leur prouver notre bonne volonté... Ce serait vraiment très apprécié."

Il songea aux tentes dans les pâturages et réalisa subitement qu'il avait complètement oublié d'en parler à Yann et à sa mère.
-Je n'ai pour ainsi dire jamais eu l'occasion de discuter avec des centaures mais je vous aiderai bien volontiers. J'aurais juste besoin de savoir quand vous voulez leur envoyer une nouvelle ambassade : j'avais prévu de me rendre à Champsdor demain et si on a réussi à m'obtenir une audience avec la princesse elfe qui en séjourne en ce moment, il n'est pas certain que je puisse décaler... Mais si nécessaire, je pourrai probablement raccourcir mon voyage.

" Et bien, en fait... Nous nous demandions si vous... accepteriez d'y aller seul. Ces... créatures... semblent assez remontées contre les humains, voyez-vous, et il n'est pas impossible qu'elles refusent de nous parler..."
Il soupira.
" Il y a eu quelques maladresses, j'en ai peur. L'idée serait de... repartir sur de bonnes bases, en quelque sorte."

Taliesin acquiesça;
-Y aller seul ne me dérange pas du tout.
Il prit quelques instants de réflexions.
-Pensez-vous nécessaire que j'y aille dès ce soir ? Ce serait faisable...

La réponse de Taliesin parut ravir son interlocuteur, même s'il demeura très embarrassé.
" Nécessaire, sûrement non... Je veux dire, ils sont là depuis des jours et des jours, maintenant... Un de plus, un de moins, ça ne changera pas grand chose. Nous aimerions surtout savoir... quand ils ont l'intention de partir... Ils mettent vraiment beaucoup de gens mal à l'aise et... Enfin bref. J'imagine que ce sera déjà quelque chose s'ils acceptent de vous parler."

Il acquiesça.
-Ah, c'est vraiment dommage que j'aie prévu ce voyage à Champsdor pour demain et que les démarches pour obtenir une audience soient déjà lancées. Il faudrait que j'envoie quelqu'un là-bas, pour voir où ça en est, pour voir si je peux ou non décaler cette excursion... Aller voir les centaures dès ce soir ne me pose aucun problème mais si c'est pour que les discussions soient ensuite, par la force des choses, interromputes un ou deux jours...

" Des discussions... Vous savez, je ne crois pas que ce soient des créatures... très portées sur le langage, si vous voyez ce que je veux dire."
Il grimaça.
" Mais ça peut attendre votre retour de Champsdor. C'est déjà très aimable de votre part de bien vouloir nous rendre ce service."

-Allons, ce n'est vraiment pas grand chose.
Il hésita.
-C'est sûr que remettre cela disons à après-demain m'arrangerait beaucoup. Mais s'il se produisait un incident d'ici là, je ne pourrais que m'en vouloir d'avoir temporisé...
Cruel dilemme.

" C'est difficile à prévoir, dit le clerc. Certaines personnes sont assez remontées : depuis qu'ils sont là, les éleveurs se sentent obligés de rentrer leurs bêtes la nuit, vous voyez, alors qu'avant, on laissait le bétail dehors toute la saison... Du coup, c'est évidemment un surcroît de travail... Mais pour l'instant, je pense que la frange modérée a le dessus. Personne n'a envie d'entrer en réel conflit avec eux : nous sommes des gens pacifiques et... ce sont manifestement des guerriers entraînés."

Il réfléchit.
-Pensez-vous pouvoir encourager vos voisins à garder leurs distances, pour éviter tout risque d'incident ? En les assurant que j'irai parler aux centaures dès mon retour de Champsdor ? Je l'avoue, je n'ai pas l'habitude de gérer ce genre de situation mais... Je vous assure que je ferai mon possible pour que tout ce règle au mieux.

" Je m'y efforcerai, dit le clerc avec un sourire. Il n'y a pas de raison que cela dégénère subitement demain."
Il fit un pas en arrière.
" Mais je vais vous laisser goûter à votre soirée. Avez-vous déjà récolté des chansons intéressantes ?"

Il préféra être honnête. Enfin, presque.
-Pour l'instant, je me suis surtout renseigné sur la région et la vie de ses habitants auprès de Mona et de Yann. Mais le reste ne tardera pas à venir.
Il sourit.
-Encore désolé de ne pas pouvoir m'occuper des centaures dès à présent. J'espère vraiment que ce délai ne sera pas préjudiciable.

" Ne vous en faites pas." dit le clerc.
Il lui serra ensuite la main et le salua, puis s'en repartit dans les rues. Victor revint de l'écurie, débarbouillé, et jeta un oeil sur Taliesin avant d'entrer à l'intérieur sans poser de questions. Une douce odeur s'échappait désormais de la salle à manger.

Taliesin soupira.
S'il était ravi de pouvoir rendre service, il commençait néanmoins à s'inquiéter pour son programme qui allait chaque jour s'alourdissant. A ce rythme, ce n'étapt pas d'une veille qu'il aurait besoin pour en venir à bout, mais bien d'un mois...
Tout en se dirigeant vers la maison, il songea que c'était une bonne chose qu'ils aient grandement progressé aux ruines, ce jour-là. En effet, il ne savait pas quand il aurait l'opportunité d'y remettre les pieds.

Ils mangèrent des tourtes, ce soir-là, qui parurent fasciner Baptiste et plurent beaucoup à Victor. C'était moins le cas de Titus qui semblait trouver peu à son goût ce genre de nourriture dans laquelle identifier les différents composants était plus ou moins impossible. Mona les questionna sur leurs journées et Baptiste se fit un plaisir, pour une fois, de raconter ce qu'ils avaient découvert et comment ils avaient procédé. Victor se plaignit qu'on ne l'avait pas averti que cela allait être spectaculaire. Yann aussi paraissait un peu déçu de ne pas avoir assisté à l'illumination de la ruine, même s'il ne le verbalisa pas franchement.
La conversation passa ensuite sur leurs projets du lendemain.
" Qui y va, alors, à Champsdor ?" demanda Mona.

-Baptiste a très envie de venir mais Victor ne s'est pas encore prononcé. Quant à Titus... Et bien, je crains que se rendre à Champsdor soit trop risqué pour lui, même si cela le tentait, ce qui n'a d'ailleurs rien de certain. Mais je ne sais pas si je peux le laisser seul avec vous. Entendez-moi bien : je vous fais entière confiance pour veiller sur lui. Mais vu comme il est... timide, disons, je ne sais pas si ça ne serait pas un peu rude pour lui...
Oui, tout ça n'était pas simple.

" Je peux l'emmener avec les cochons, proposa Yann. On ira dans les bois. Enfin, s'il accepte de venir avec moi ?
— Je crois qu'effectivement, à Champsdor, ce n'est pas une bonne idée, dit Mona. Les gens ont parfois les idées un peu étroites. Il ne passera pas pour un enfant ordinaire. Ou même elfe, malheureusement. Il a ses jambes qui plient bizarrement.
— C'est bête, intervint Victor. Dans une grande ville, personne s'en ferait."
Il ne s'était pas prononcé, pour le reste.

-Et est-ce que venir à Champsdor te tente ou pas ? s'enquit-il.
Si le garçon répondait par l'affirmative, ce serait encore plus compliqué.
Mais au pire, il pourrait faire ce premier voyage seul et en envisager un second au moment du départ, par exemple.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile