La Couronne de Cuivre

" Comme je vous l'ai dit, ils ne peuvent pas se résumer à quelques mots... Ce sont des... essences profondes. Dame Mahaut est associée... à l'air, au changement, à la curiosité... au mouvement... à l'énergie... à la jeunesse. A la beauté, sans doute aussi, mais elle n'est pas la seule. Fracasse est aussi associée à la beauté. Et le Prince aussi, dans un certaine mesure, même si lui, ce serait plutôt la noblesse... ou la prestance... quelque chose comme ça. Lui, il est le maître des cycles et du recommencement, de la tradition, de la forêt, des esprits sauvages. Il y a le Rouge. Et Fracasse, donc. Et puis la Mort. Les autres, je ne les connais pas, ils sont loin d'ici."

-Ah, le Rouge, le frère de Victor et moi-même lui avons échappé de justusse lors d'un premier et très bref séjour dans ce monde.
Il sourit.
-Merci beaucoup pour vos réponses. C'est un sujet passionnant, et je vais voir si je ne peux pas mettre la main sur quelques livres, afin de pouvoir l'approfondir...

" Des livres ?"
Elle rit doucement.
" Vous trouverez peut-être une échoppe ou l'autre dans les travées du festival, mais Féérie est parole et geste, pas tellement écrit."
Elle se tourna vers Victor.
" C'est du lait d'hippogriffe. Parfois un peu lourd sur l'estomac, mais tu m'as l'air d'un garçon solide."
Victor tendit la main vers le verre qui contenait le liquide transparent, but une gorgée et écarquilla les yeux de stupeur.
" C'est glacé !
— Eau de flocon première neige. C'est la boisson la plus rafraichissante qui existe. Et la plus pure."

Tout en attendant son tour pour gouter - cette petite dégustation lui plaisait beaucoup -, Taliesin réfléchissait à ce qu'il venait d'apprendre.
Certes, dame Mahaut n'était sans doute pas foncièrement maléfique. N'en restait pas moins qu'elle était ambitieuse et que, pour servir ses projets, elle n'hésitait pas à mentir ou à tuer. Il ne regrettait donc pas son choix, puisqu'il s'agissait d'éviter l'assassinat d'un malheureux victime d'un puissant maléfice. Et, qui sait, de mettre fin à ce dernier.

On aurait effectivement dit de l'eau très froide et délicieusement propre, un peu comme le concentré de mille petits flocons de neige tombés sur la langue. Victor opta ensuite pour la tasse remplie d'un liquide pailleté d'argent. Il se mit presqu'aussitôt à tousser et fit la grimace.
" Ça, c'est pas possible, dit-il.
— Le concentré de magie est sans doute trop fort pour un palais humain."
Elle tendit la tasse à Taliesin. Celui-ci trouva le breuvage pétillant, crépitant même, mais franchement agréable. Il ne goûtait rien de connu, rien à quoi il eut pu se raccrocher.
" Larme de licorne. Très prisé des magiciens. Cela... aiguise les sens."

-Oh...
Il termina la tasse mais... ne put s'empêcher de culpabiliser.
-C'est bon, mais je n'ose pas imaginer la manière dont on obtient les fameuses larmes...
A moins que les licornes ne les fournissent de leur plein gré, il était peu probable qu'il y regoûte un jour.

" Oh, il n'y a rien de sinistre là-dedans. Une fois l'an, les licornes se rassemblent et se racontent des histoires tristes. C'est une vieille tradition. Elles se remémorent leurs disparus et pleurent pendant toute la nuit. Leurs larmes forment des ruisselets dans la Clairière Mélancolique et c'est le privilège d'une ancienne race de fées, les Pilous, de puiser dans ces cours d'eau éphémère pour en faire ce nectar."
Elle sourit.
" Les derniers vous font peur, je vois. Allons, allons, il faut oser."

-Oh, c'est simplement que nous savourons !
Mais il ne fallait pas, non plus, l'accaparer trop longtemps : ses clients pourraient avoir besoin d'elle.
Aussi s'attaqua-t-il à l'épais liquide rouge. Jusqu'ici, il n'y avait pas eu de mauvaise surprise : il ne voyait donc pas de raison que cela change.

C'était moins mauvais que cela en avait l'air, mais c'était néanmoins très épais, sirupeux, comme un caramel liquide avec un arrière goût poivré qui n'était pas désagréable. Victor le trouva à son goût, lui aussi.
" C'est du jus de sage-champignon.
— C'est bon."
Elle sourit.
" Je vais devoir vous abandonner. Mais juste une chose avant cela. L'épée. Elle apparaît régulièrement au Festival mais jusqu'ici, personne ne l'a arrachée de sa pierre. Je ne crois pas qu'elle soit très magique. C'est davantage... une histoire de folklore. Mais en même temps, il est certain qu'elle ne se laisse pas prendre par n'importe qui."
Elle sourit à Victor.
" Celui qui la soulève ne deviendra pas roi, ou je ne sais quoi."

-Mais sans doute serait-ce dommage de ne pas tenter le coup, ne serait-ce justement que pour vivre un moment de folklore.
Il sourit.
-Merci pour cette dégustation et pour tout le temps que vous nous avez consacré : nous n'allons pas vous retenir davantage. Enfin, si : quelques instants, pour percer le mystère de cette dernière boisson !
Il s'agissait du liquide noir dans la dernière tasse, qu'il allait s'empresser de goûter.

" C'est de l'eau du marais aux vouivres. Ne faites pas cette tête, c'est délicieux."
Sur un clin d'oeil, elle les abandonna.
" Je bois pas ça. Si ça se trouve, il reste des têtards dedans." décréta Victor.

-Peut-être. Mais peut-être aussi que cela a des propriétés magiques : si la scève de tout à l'heure est réputée faire grandir, qui sait si ce breuvage n'est pas connu, par exemple, pour conférer le pouvoir de respirer sous l'eau ?
Quoi qu'il en soit, lui-même allait goûter. Au moins une gorgée.

Et c'était spécial mais pas mauvais, beaucoup plus léger que ce que l'aspect aurait pu laisser penser. La saveur était sucrée, fruitée même, et il y avait de petits morceaux un peu plus solides, particulièrement savoureux.
" Tu vas devoir mettre ta tête dans un étang pour tester, alors. Mais moi j'ai assez bu."
Il étouffa un bâillement.
" Dis... Puisqu'on est tranquilles, pour une fois... Qu'est-ce qu'on va faire de Titus et de Marius ?"

Le barde finit le contenu de la tasse avant de répondre.
-Marius fera ce qu'il voudra : il est à ce point têtu et indépendant qu'espérer lui imposer quoi que ce soit, même pour son bien, est voué à l'échec. Alors je pense qu'il finira par partir de son côté. Mais qui sait, peut-être trouvera-t-il un chouette endroit où s'attarder, sur le chemin du retour : ça me rassurerait pour lui, en tout cas.
Il s'interrompit quelques instants.
-Quant à Titus, j'ai promis de lui trouver une famille et je tiendrai parole. Là encore, peut-être des opportunités se présenteront-elles avant notre retour à Luménis. Mais si ça n'est pas le cas, il séjournera chez nous, le temps de trouver une meilleure solution.
Dans un cadre plus sauvage, déjà : ce n'étaient pas leurs petits bois qui allaient le satisfaire...

" Ils vont rentrer tous les deux chez nous, tu le sais, et tu fais semblant de rien. Tu dis que Marius peut aller où il veut, et il va vouloir rester avec nous, tant que tu ne le déposes pas dans un orphelinat. Titus... Galathée va l'adorer. Elle a l'habitude des animaux sauvages, elle va l'apprivoiser plus vite que toi."
Il eut un sourire.
" Et Guillhem n'aura plus de problèmes de main d'oeuvre."

-C'est beaucoup plus compliqué que ça, Victor. Et ça n'a rien à voir avec le fait que je les apprécie ou non : j'aime beaucoup Titus, vraiment, ainsi que Marius, même si jel e connais moins. Non, beaucoup d'autres choses entrent en ligne de compte.
Il secoua la tête.
-Des choses comme l'argent, la place et surtout, surtout, le temps. Marius et Titus ont le droit... méritent qu'on s'occupe d'eux. Qu'on s'occupe vraiment d'eux. Ils méritent des parents... à plein temps. Et cela, nous n'avons pas vraiment les moyens de le leur offrir. Ou alors, ça se ferait au détriment de vous quatre.

Victor eut un sourire triomphant.
" Sauf que Guillhem, il en avait sept, des enfants. Et qu'il les élevait tout seul, de surcroît, et qu'à moi, ils n'ont pas l'air malheureux, ou en mal d'amour, ou je ne sais quoi."
Il croisa les bras.
" Et puis Marius et Titus, ce ne seront jamais vraiment tes enfants, même si tu t'occupes d'eux. Galathée serait sûrement contente d'avoir une petite fille aussi, même si c'est une fille qui raconte qu'elle est un garçon. Et de l'argent, on en a plein, vu qu'on a ramené du trésor de Mersant. Et de toute façon, avec la ferme de mon grand-père, on peut quasiment se nourrir sans devoir rien dépenser. Galathée gagne bien sa vie. Toi tu aimes bien t'occuper de nous. Tout ce que tu racontes, c'est des excuses. La seule chose qui n'en est pas, c'est ce qu'on ressent dans son coeur. C'est vrai que ça, c'est pas évident, et si tu n'as pas envie qu'ils restent, il faudra que tu leur dises tôt ou tard."

-Tu dis qu'ils ne seront jamais vraiment mes enfants... Mais est-ce que tu ne trouves pas ça terriblement triste ? Est-ce que tu ne trouves pas qu'ils méritent de rencontrer des gens qui deviendront vraiment leurs parents ?
Il croisa les bras à son tour.
-Et si l'on suit ton raisonnement... Si, sur le chemin du retour, l'on croise d'autres enfants solitaires, ou qu'on m'en confie encore quelques-uns dans le but de leur trouver une famille... La meileure solution serait également de les ramener à la maison ?

" Je n'ai pas dit ça. Mais ici, c'est trop tard. Tu les as gardés trop longtemps. Marius... Il fait son rebelle, mais il a toujours envie d'être près de nous... de moi, par exemple. Je sais que je le rassure. Et il adore tes histoires. Il est petit et il est... inquiet... mais que tu le rejettes, tu ne crois pas que ce serait le pire ? Pour lui ? Je ne dis pas, ce serait formidable qu'il se trouve quelqu'un mais... pour l'instant, la seule chose qu'il entrevoit, c'est de rester ici. C'est vrai qu'on pourrait le laisser ici, je suppose, y'a plein de créatures, pourquoi pas une petite fille en plus ? Mais dans le même temps, il se ferait sans doute manger par un troll dès la fin du Festival. Et Titus... Titus, il ne sera jamais un humain... ou un elfe... Il ne sera jamais comme nous. Je ne suis pas sûr qu'il ait besoin de parents comme les gens ont besoin de parents. Il a juste besoin... Je ne sais pas de quoi. On ne peut pas le laisser sous un arbre, si ? Baptiste ne serait sûrement pas d'accord. Il a envie d'apprendre le sylvestre."

-Je crois que le plus simple, pour moi, serait de tous vous vendre à un restaurant gastronomique pour ogres... répondit-il, esquissant un sourire en coin.
Mais déjà, il retrouvait son sérieux.
-Pour Titus, la situation est très claire : je lui ai dit que si nous ne trouvions pas de bonne solution pour lui au cous de notre périple, nous l'accueillerons chez nous le temps qu'il faudra pour poursuivre les recherches. Concernant Marius, il n'est pas impossible qu'il fasse une heureuse rencontre au cours du trajet... Bref, pour résumer : je ne vais pas les abandonner ou les rejeter, s'ils faut qu'ils restent à la maison, ils resteront à la maison, où je les accueillerai de bon cœur, mais ce ne serait pas la solution idéale. Or, c'est celle-ci que je cherche.

" Le mieux est l'ennemi du bien, récita doctement Victor.
— Et de toute façon, il t'en faut sept." ajouta Lola, en apparaissant soudain à côté d'eux.
Elle leur décocha un sourire puis se rembrunit.
" Mais où est Baptiste ?"

-Ne t'inquiète pas : il voulait dormir, alors il est resté dans notre alcôve. Nous, nous avons eu envie de descendre tester quelques boissons locales...
Il jeta un regard alentours.
-Mais sans doute ne tarderons-nous pas à aller prendre un peu de repos.
De toute façon, discuter ici ne serait pas très prudent.

" Alors moi j'ai été au caveau, dit la petite fille. Et les nouvelles sont pas formidables. L'esprit m'a dit que l'épée, c'était la nécessité, ou quelque chose comme ça. Que ça ne servait à rien de la chercher. Il m'a aussi dit que je n'avais aucune chance d'être l'élue, mais ça je le savais déjà."
Elle haussa les épaules.
" Et sinon, tu dois toucher un arbre. Un qui n'est entravé par rien. Un arbre libre."

-D'accord. Merci.
Les consignes du prince... Lesquelles impliquaient probablement de quitter le festival.
-Concernant l'épée, on pourra toujours tenter d'aller voir l'esprit nous-même... Sinon, eh bien, peut-être la croisons-nous simplement en nous promenant dans la forêt.

" Quelle prophétie à la noix." remarqua Victor.
Il se leva.
" Bon, ben allons nous coucher, alors. Sauf si tu veux d'abord trouver cet arbre."

Il secoua la tête.
-Non non. On fera ça demain. Enfin, tout à l'heure. En attendant, dormir un peu nous fera du bien.
Il s'efforcerait d'entrer en rêverie. Mais même s'il basculait dans le sommeil humain, il n'aurait aucune crainte de se réveiller trop tard : vu la bande réunnie dans l'alcôve, il n'y avait aucun risque que cela advienne.

Une fois n'est pas coutume, il parvint à rester en Rêverie. Mais le résultat fut des plus déstabilisants : il traversa des univers oniriques de cités elfiques anciennes, magnifiques, telles qu'il n'en existait certainement aucune sur Hélonna. Il y prit part à des banquets, des récitals, des réunions, des duels, une guerre. Son fil de conscience était trop ténu pour qu'il puisse réellement prendre la mesure de ce qu'il vivait, mais il y avait là de réels souvenirs, les siens, ceux d'autres. Sans doute n'avait-il jamais été aussi proche de la pulsation commune de son peuple.
Aussi lui fallut-il un certain temps pour reprendre pied dans l'instant lorsqu'un charivari de gamins déchaînés l'arracha à sa transe. Ils jouaient à une sorte de jeu de chat, si ce n'est que l'un d'entre eux — Lola, à l'instant — était dissimulé sur une couverture et tentait d'attraper les autres.

Il ne les interrompit pas, en profitant au contraire pour émerger tranquillement, pour songer à la suite des opérations.
Il fallait trouver un arbre libre, sans entrave, et le toucher. Y en avait-il à l'intérieur du Festival ? Il pourrait consulter Lola à ce sujet.
Le souci, c'était qu'il ne savait pas ce qui se passerait ensuite. Seraient-ils téléportés loin d'ici ? Auquel cas, il valait mieux d'abord se procurer de l'équipement. Et, peut-être, se rendre au caveau : certes, ils savaient déjà que chercher l'épée ne servait à rien mais, au moins, pourraient-ils découvrir s'ils collaient ou non à la prophétie.
Enfin, il verrait bien comment tout cela s'enchaînerait...

Dès que Victor vit que Taliesin avait quitté sa transe, il courut vers lui.
" On y va ?"
Lola le rassura sur la présence d'arbres libres dans le Festival.
" Les plus gros servent de soutien ou sont décorés, mais si on fait quelques pas dans le bois, on trouve toujours un arbuste qui a échappé aux cordes et aux rubans."

-Parfait : nous allons donc commencer par là. Nous verrons bien ce qu'il en ressort !
Réflexion faite, il doutait que cela les téléporte sans espoir de retour : s'ils étaient surveillés, pareille disparition ne serait pas très discrète, donc ne servirait pas les projets du prince. Ils pouvaient donc, raisonnablement, remettre à plus tard l'achat de matériel et l'éventuelle excursion dans la Zone Glauque.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Escapade en Féérie