La Couronne de Cuivre

HRP : Talie loupe toujours ses jets de dés, tu devrais le savoir

Asmodeus était mal à l’aise de ne pouvoir aisément se repérer et trouver son chemin. Jouissant d’une très bonne mémoire et d’un excellent sens de l’orientation, il n’avait pas ce genre de difficultés habituellement.

Mais cet environnement était vraiment très spécial et il commençait à peine à l’appréhender. Il devait se montrer patient pour en découvrir et en intégrer les règles, si possible en bénéficiant des informations que pourraient lui livrer Grêle et sa maîtresse.

En attendant, il était satisfait d’être parvenu à retrouver son chemin et se promit de faire montre de plus de préparation quand il se risquerait à nouveau en dehors. En établissant un plan des lieux ou en laissant quelques points de repère par exemple… Ce serait plus long mais il avait tout son temps. Mais avant d’entreprendre une autre sortie, il devait décider de ses prochains mouvements :

- Un endroit très intéressant en effet. Quant à ses règles, elles ne posent pas vraiment de problème pour qui peut franchir une croisée quasiment à volonté.

« Vous pouvez faire ça ? demanda Grêle, une lueur d’intérêt passant dans son sombre regard. Ce n’est pas donné à tout le monde. Vous vous servez d’un sortilège ? Ou d’un objet ? »

Le mort-vivant semblait avoir conservé un peu du caractère du gamin qu’il était jadis. En tout cas, il y avait quelque chose de juvénile dans sa curiosité exprimée aussi ouvertement, dans sa posture également.

« Quoi qu’il en soit, on ne devrait pas trop traîner sans quoi on risque d’avoir de la visite. »

Asmodeus avait récemment eu maille à partir avec un certains nombre d'énergumènes plus ou moins juvéniles et il craignit un instant de revivre ce cauchemar pour les nerfs. Cependant, il n'était pas dupe de ce qu'une partie de cette naïve curiosité était en fait un excellent moyen d'en apprendre beaucoup sur lui. Pour le compte de cette dame Irélia, la charognarde peut-être ?
Ceci étant, il ne pouvait pas vraiment dissimuler le précieux objet en sa possession car il allait bientôt devoir l'employer. Bien plus tôt qu'il ne l'avait prévu. Bien plus tôt qu'il ne l'aurait voulu. C'est pourquoi il hésita :

- Le processus prend moins d'une seconde et c'est une bonne cachette ici... Est-ce que tu penses vraiment qu'une retraite est nécessaire ?

Grêle parût hésiter. Il observa la sortie du caveau et chercha ses mots.

« Il est possible qu’on ne nous trouve pas ici. Car effectivement, c’est une bonne cachette. Cela dit, si on nous trouve malgré tout, il est possible que fuir la Gisombre ne soit pas suffisant. Je ne vous apprendrais rien en affirmant que vous n’êtes pas le seul à pouvoir changer de plan. Ne vaut-il pas mieux disparaître sans tarder et ainsi éviter de fâcheuses complications ? »

Le Morbide eut son terrible sourire, témoignage de sa malice. Son ton déférent était par contre de nature à flatter l’égo des puissants.

La sagesse voulait en effet qu’Asmodeus suive ce conseil de prudence : il ne savait rien ou presque de ce plan qui n’était pas le sien et se montrer trop téméraire – malgré son grand pouvoir – était le plus sûr moyen de faire échouer ses plans.

Mais il n’aimait pas trop l’idée de se sauver dès les prémisses de la première difficulté. Il avait un peu l’impression de gaspiller l’une des gouttes de la fiole du Façonneur. Il était bien trop conscient de leur nombre limité et de leur caractère précieux.

Malgré ces objections, sa décision était déjà faite mais il prit tout de même le temps de répondre et de demander :

- Sauras-tu contacter ta maîtresse dans le plan matériel ? Saura-t-elle t’y trouver rapidement ? Il faudra sinon revenir ici sans savoir si la menace que tu ressens est toujours présente ou non.

« Ho, n’ayez crainte Asmodeus. Ma maîtresse me retrouvera sans mal et, au besoin, je suis en mesure de la contacter. Son retour ne devrait être qu’une question d’heures. Un jour tout au plus. Et je gage que vous apprécierez sa compagnie. »
Grêle s’était exprimé avec une assurance polie. Il se remit ensuite à observer l’entrée du caveau.

Lorsque Asmodeus déboucha la fiole des larmes d’ombre, le même phénomène se produisit que la première fois. La brume opaque engloutit l’endroit. Lorsqu’elle se dissipa, le caveau n’avait pas changé. Le cimetière avait par contre reprit son aspect ordinaire. L’aube était proche. Le ciel semblait pâlir à l’horizon. Mais pour l’instant, c’était encore la nuit.

« Ha, ce bon vieux plan matériel ! déclara Grêle avec ironie. Il me rappelle quand j’étais encore un pauvre morveux sans avenir. M’enfin, ça commence à dater. Vous savez, j’ai soufflé ma 157ème bougie il y a peu. Vous avez quel âge, vous, si c’est pas indiscret ? »

Bigre, il prenait un violent coup de jeune ! Mais il avait une excuse toute trouvée pour éluder cette question embarrassante :

- C'est une question indiscrète, si. Mais si tu ne crains pas la lumière du jour, il n'y a pas un instant à perdre : le cimetière est bien plus paisible à traverser de jour et ce qui s'est passé en Gisombre est un contretemps suffisant sans chercher à attirer l'attention des premiers badauds. Viens, c'est par là !

Il lui désigna la direction vers laquelle ils pourraient rejoindre une des entrées des catacombes et des couloirs donnant accès à son domaine. Normalement, ils pourraient largement l'atteindre avant que le jour ne soit levé.

Asmodeus avait donc quitté son repaire en compagnie de Dame Irélia et de Grêle. Les voilà à présent tous trois dans le fameux caveau depuis lequel il était possible de rejoindre la Gisombre. La liche observa l’endroit avec attention. Son serviteur, qui connaissait déjà l’endroit, éprouva plus de curiosité pour le squelette d’un rat mort. La voix de sa maîtresse le fit sursauter.

« Bien Grêle, je n’ai plus besoin de toi. »

Il s’inclina.

« Bien Maîtresse. Bonne chance pour votre projet.
- La chance n’y sera pour rien. Seul le talent compte. Tu devrais le savoir.
- Oui oui, je le sais. »

Sur ce, il s’en alla, disparaissant rapidement en haut des marches. Dame Irélia se tourna vers la momie.

« Je présume que vous Connaissez les règles de cette croisée ombreuse. Je vous laisse procéder. »

La méfiance d’Asmodeus n’avait pas diminuée avec le départ de Grêle mais il pouvait au moins se rassurer sur le fait que son ami et allié fantomatique l’avertirait probablement si la créature repassait par son domaine. C’était une piètre consolation et qui rendait plus criant encore le besoin de renforcer ses défenses et d’établir des gardes de confiance pour pallier ses absences.

Mais l’heure n’était pas au doute mais à l’action : plus tôt ils se mettraient à la recherche des artefacts et plus vite il serait de retour chez lui pour mener à bien ses autres projets. Il sortit donc sa fiole et répondit un peu évasivement à la liche :

- Les règles ne sont pas importantes pour le moment : Asmodeus dispose d’autres moyens de se rendre en Gisombre.

Et de procéder, l’air de rien, sans vraiment chercher à cacher qu’il était en possession de la fiole remise par le Façonneur. Tant pis si cela suscitait un peu plus la convoitise de la liche : il ne pouvait pas vraiment l’éviter.

Tout fonctionna correctement. Bien que le paysage n’ait guère changé, Asmodeus sut avoir gagné la Gisombre. Il restait désormais sept doses dans sa fiole, fiole qui attira bien sûr la curiosité de Dame Irélia.

« Qu’est-ce que ceci ? » ne tarda-t-elle pas à demander en fixant les larmes d’ombres bouillonner dans la potion de nouveau bouchée.

La liche jeta ensuite un coup d’œil dans le caveau pour vérifier qu’aucune présence indésirable ne se trouvait dans les parages. C’était le cas. Rien ne menaçait les morts-vivants.

Encore une fois, Asmodeus jugea préférable de jouer franc jeu : ne pas répondre à la curiosité de la liche ne pouvait que renforcer sa volonté de découvrir davantage que ce qu’il voudrait bien lui dire par elle-même. Il répondit donc avec le même ton détaché qu’il employait depuis qu’il l’avait rencontrée :

- C’est une sorte de clé qui affranchit des règles de passage. De façon fort limitée malheureusement mais c’est toujours une ressource bien utile en la circonstance. Mais Asmodeus ne doute pas que vous vous attendiez à ce qu’il dispose de bon nombre de ressources sinon vous ne vous seriez pas associée à lui, n’est-ce pas ? Et en parlant d’association, par où proposez-vous de commencer ?

« Je propose d’aller droit au but, si la situation s’y prête. Le Roi de Cendre réside dans sa citadelle. Je dis "sa", mais je ne sais combien de temps ce mot sera juste. Au rythme où vont les évènements, la chute du démon pourrait bien avoir lieu dans les prochaines heures. Ou bien mettre des jours à arriver. Difficile de savoir mais il faut mettre toutes les chances de notre côté pour ne pas se faire doubler. On élimine ce qui nous barre la route, on évite ce qui ne peut pas être éliminé, voilà le plan. »

Pas si étonnant que la liche se soit heurtée à une belle déconvenue ! Elle semblait du genre à foncer dans le tas et réagir ensuite aux conséquences, presque l’inverse de lui-même en fait ! Ou alors c’était l’appât du gain et la crainte de se le voir passer sous le nez qui l’incitait à tant négliger la prudence. Mais peu importait : Asmodeus pensait avoir la capacité de se désengager si les choses tournaient mal : en attendant, il serait assez vigilant pour eux deux :

- Honneur aux dames alors : Asmodeus surveillera vos arrières. De toute façon, c’est vous qui connaissez le chemin.

Avoir la capacité de se désengager ? Asmodeus savait que la liche avait été défaite. Or les liches étaient des magiciens puissants. Ce qui pouvait vaincre Dame Irélia devait probablement pouvoir le vaincre aussi. Et il existait bien des moyens pour empêcher les fuites. Suivre la magicienne mort-vivant pouvait donc être lourd de conséquence... si les choses se passaient mal, ce qui n’était pas non plus certain.

Quoi qu’il en soit, Dame Irélia acquiesça et sortit du caveau d’un pas impérieux. Dehors, la brume gouvernait toujours sans partage. Le jour s’était levé mais la couverture nuageuse était telle qu’on pouvait se croire à l’aube, ou au crépuscule. Un petit groupe de zombis erraient dans l’allée aux pavés fatigués. Les cadavres ambulants ne prêtèrent pas d’attention à la liche et à la momie. La voie semblait libre, pour l’instant.

HRP : jet de chance effectué et réussi. D’autres vont suivre.

La liche et la momie poursuivirent leur périple à travers les tombes et la grisaille. L’air humide, la fraicheur sépulcrale, le vent soupirant... le cimetière de la Gisombre était imprégné d’une tragique fatalité. Quelques minutes durant, tout demeura calme. Puis il y eut ce petit bruit... Un bruit de pelle... Quelqu’un creusait ou rebouchait un trou. Cette personne, Asmodeus ne tarda pas à la deviner, silhouette indécise, voutée, près d’une tombe fraiche. Deux canidés massifs étaient assis à ses côtés. Ceux-ci se levèrent et se mirent à gronder. Les molosses avaient des yeux brillants comme du charbon ardent et de leur gueules dentues s’échappait de la vapeur. L’homme se redressa, sa pelle en main. Il semblait affublé d’obscurité. Impossible de voir son visage. Sa voix, en revanche roula de façon menaçante :

« Profanateurs ! Puissiez-vous mourir mille fois ! »

Dame Irélia, avec un grognement de mépris, brandit son bâton et un rayon vert en fusa, frappant l’ombre humaine, qui chancela. Les énormes chiens, eux, se ruèrent en avant, vers les deux morts-vivants.

HRP : jet de chance raté.

Une rencontre était malheureusement prévisible et Asmodeus ne mit donc peu de temps à réagir. Dame Irélia l’ayant cependant devancé, il nota qu’elle s’en prenait à la silhouette humanoïde. Lui préféra viser le molosse le plus proche, sans doute le premier qui serait sur eux :

Asmodeus -> Esquilles -> Molosse

S’il avait bien calculé son coup, le sort créerait une fracture qui avait toutes les chances de briser la charge du monstre. Mais, au cas où, il préparait déjà son bâton et il avait un sortilège de protection en tête.

Bon, il était temps de passer à la vitesse supérieure : Asmodeus avait eu l’occasion de recueillir quelques informations sur la façon dont se battait sa complice et aussi sur les ennemis qu’ils devaient affronter. Les flammes soufflées par les molosses pouvaient le mettre en difficulté et il en déduisait que les monstres ne devaient pas y être sensibles. Plutôt que d’utiliser une classique mais efficace colonne de feu, il opta pour un autre sortilège :

Asmodeus -> Dévastation -> molosse le plus avancé

Ce fut radical. La bête s’effondra dans un gémissement déchirant et son corps velu se couvrit de cloques affreuses, suppurantes. Dame Irélia en profita pour le frapper de son bâton. Le corps de l’animal fut traversé par une décharge verdâtre, le faisant convulsionner. Sans chercher à l’achever, la liche s’avança vers le second chien qui souffla sur elle ses flammes.

« Assez de perdre du temps ! » gronda Dame Irélia, qui semblait à peine avoir remarquer le feu.

Un rayon vert et trois coups de bâton plus tard, le chien était mort. Il était manifeste que la liche économisait ses pouvoirs.

« L’ombre humaine a fuit. Qu’il aille au diable ! » cracha-t-elle en écrasant de son talon le crâne du premier chien.

Asmodeus constatait avec soulagement que la liche avait choisi la même stratégie que lui : économiser ses sorts et réserver les plus complexes de son répertoire pour les situations vraiment tendues : car nul doute que cette petite confrontation aurait des allures d’escarmouche avant la fin de la journée. Savoir que la liche se défendait au corps à corps était une autre bonne nouvelle : c’était là une ressource que leur condition de mort-vivant rendait illimitée.

- Il n’y a rien à tirer de ces carcasses alors mieux vaut se remettre en route, vous avez raison.

Et de lui emboîter à nouveau le pas en redoublant encore de vigilance.

Les rires semblaient être ceux d’une fillette mais leur tonalité désincarnée suggérait plutôt un fantôme. Quoi qu’il en soit, le duo poursuivit sa route à travers les brumes malsaines de ces terres mortes. Après ce qui semblait avoir été une éternité, les limites du cimetière apparurent sous la forme de haut murs partiellement effondrés. À la grille se tenait une silhouette encapuchonnée tenant une lanterne au feu bleuâtre. La lanterne grinçait sinistrement au gré du vent. Dame Irélia s’immobilisa à quelques mètres de l’apparition et se tourna vers la momie.

« Cher Asmodeus, j’espère que vous n’avez rien contre l’idée de vous séparer d’une pièce d’or. Cette personne fait payer le passage et nous n’avons guère le temps de la contrarier, d’autant plus qu’elle pourrait représenter un adversaire coriace. »

Asmodeus haussa les épaules et répondit aussitôt d’un ton flegmatique :

- C’est un prix modique pour s’assurer un passage discret et tranquille. Il vaut mieux éviter les combats autant que possible pour ne pas attirer l’attention et réserver ses ressources ! Je vous laisse négocier le passage ?

Il produisit une pièce d’or tirée de sa bourse et la tendit à la liche. Mais peut-être le gardien des murs réclamerait un paiement individuel ?

C’était le cas et Dame Irélia le fit comprendre à Asmodeus. Elle produisit sa propre pièce d’or et s’avança vers le gardien du portail. Elle ne dit mot et se contenta de déposer la pièce dans la main flétrie qui se tendait vers elle. L’individu rangea la pièce dans sa hotte et la liche passa. Voilà venu le tour de la momie. Le gardien, cependant, ne tendit pas la main. Au lieu de cela, une voix, comme une brise funèbre, sortit des ténèbres de son capuchon.

« Ceux qui œuvrent pour la mort peuvent aller librement au royaume des morts. »

Et la momie put passer sans payer. Dame Irélia sembla mal le prendre mais elle ne fit pas de remarque.