La Couronne de Cuivre

C'était bien son intention, d'autant qu'étrangement, en l'instant, il ne se ressentait pas le moins du monde du long périple qu'il venait d'achever.
Cependant, conscient que la rôdeuse avait eu une longue journée de travail puis une soirée riche en émotions fortes, il ne manquerait pas de lui proposer, au moment opportun, de l'aider à se délasser grâce à quelques massages.

Et ce fut l'aube, bien trop tôt sans doute, surtout en cette saison.

Galathée rabattit la couverture sur ses yeux en maugréant. Taliesin, lui, n'était qu'à moitié reposé, les habitudes du lieu l'ayant ramené à un sommeil plus ordinaire. Il lui semblait qu'un bébé avait pleuré, brièvement, au coeur de la nuit, mais il n'en était pas tout à fait sûr. La rôdeuse soupira à nouveau, puis se glissa — presque littéralement — hors du lit.
" Tu ne dois pas te lever." dit-elle en commençant à s'habiller.
Elle avait quitté la pièce avant même qu'il ne put songer à quoi répondre.

Il se leva pourtant.
Comme tous les jours à la ferme, il y aurait du travail et il entendait bien prendre sa part.
De surcroit, il voulait avoir du temps pour consulter son courrier, histoire de régler rapidement les choses si, d'aventure, il y avait des affaires urgentes. Bon, la curiosité jouait aussi, évidemment...
Bref : prestement habillé, promptement descendu au rez-de-chaussée, il entreprenait déjà de se rendre utile.

Personne n'était réveillé, à part Guillhem qui avait enfilé un manteau au-dessus de sa chemise de nuit.
" Ah, Taliesin... Tu peux faire le thé, tu crois ? Ce serait formidable s'il pouvait y avoir du thé, pour une fois, quand on revient..."
Galathée était déjà sortie, deux seaux à bout de bras. Le coq chanta quelque part dehors.
" Faut que je me grouille, sinon on va avoir des omelettes à la place des oeufs..."
Il se carapata à l'extérieur. Dans la cuisine, Taliesin trouva tout le nécessaire pour faire le thé. Il localisa aussi une pile d'enveloppes qui l'attendaient. Quatre, exactement, dont deux presque identiques, envoyées manifestement par la même personne, à la plume maladroite mais lisible. Une autre portait l'écriture de Valaellyn, qu'il reconnaissait depuis longtemps, une autre des pattes de mouche difficiles à décrypter.

Taliesin sut museler sa curiosité le temps de lancer le thé et de mettre la table.
Mais pas davantage.
On était barde ou... on ne l'était pas.
Or donc, voilà qu'il décachetait la première des deux enveloppes à l'écriture malhabile, se demandant bien qui en était l'auteur.

Le pli avait été écrit par un paladin nommé Jacob d'Eredhun. Il était court, daté d'un mois plus tôt, et donnait rendez-vous au barde à l'auberge de Pré-aux-Sources, idéalement dans les deux jours. Il ne disait pas ce dont il voulait parler mais se disait mandaté par Armand de Faisanlys, le commandant des paladins de l'Aster à Luménis, et suggérait que la chose était privée et urgente. Le second pli, posté trois jours plus tard, recommandait au barde de prendre contact avec la commanderie luménienne dès que possible, puisqu'il n'avait pu se rendre à l'entrevue proposée dans le courrier précédent.

Taliesin ne put réprimer une grimace.
Il espérait qu'il n'y avait pas de souci concernant Baptiste mais... pour quel autre motif les paladins pourraient-ils bien vouloir le contacter ?
Il n'en voyait aucun.
Conclusion : expédition à la commanderie le jour-même où le lendemain.
Avec un soupir, il commença à ouvrir l'enveloppe couverte de pattes de mouches.
En croisant mentalement les doigts pour qu'elle ne contienne pas de nouvelles du même accabit.

C'était Guéric et il fallait s'armer de courage et d'une sacrée imagination pour deviner ce qu'il cherchait à raconter. Mais à force de déduction, de paris hasardeux et de comparaison de lettres d'un mot à un autre, Taliesin put plus ou moins comprendre la teneur de son message (ou en tout cas, le croire). La Liberté avait repris la mer, direction Mélandis, avec une mission un peu trouble. En effet, l'abolition officielle de l'esclavage dans l'empire mélandien paraissait une aubaine fantastique pour les Luméniens retenus sur place : ils allaient pouvoir rentrer au pays sans obstacles. Constance était persuadée qu'il y avait un piège, mais il fallait s'y rendre pour en juger. L'idée était, le cas échéant, d'embarquer un maximum d'affranchis pour les ramener, et de faire des allers-retours tant que c'était nécessaire. Il tâcherait d'envoyer des nouvelles dès que possible. Ah oui, et Gauthier avait réintégré le pont. Une longue histoire. Guéric lui-même n'était pas enchanté mais c'étaient ces foutus lathandrites avec leur tendance à pardonner. Bref. Il embrassait les enfants, surtout les petits, et aussi le barde, sur les deux joues, et Galathée, et même Guillhem ! Et il espérait pouvoir venir passer l'hiver au sol, et pourquoi pas un peu à la ferme, s'il y avait une place dans la grange !

Cela avait été ardu, mais le jeu en avait valu la chandelle. Car il était ravi, vraiment, d'avoir des nouvelles du halfelin et très touché, aussi, qu'il ait pris le temps de lui écrire...
De meilleure humeur, et s'étant promis qu'il relirait cette missive plus tard, pour en percer tous les secrets, il enchaîna avec celle de Valaellyn. Il espérait que tout se passait bien pour elle et... ne tarderait pas à être fixé sur la question.

Guillhem et Galathée revinrent pendant qu'il lisait, le premier avec un panier d'oeufs, la seconde les mains vides : le lait frais était tout de suite entreposé dans la petite laiterie, où il était traité pour en faire du beurre, du fromage ou du lait de consommation.
" On fait des crêpes ? demanda Guillhem. Les gosses aiment les crêpes.
— Et les Guillhem aussi. Bonne idée." dit la rôdeuse en souriant.
Valaellyn prenait de leurs nouvelles, racontait les siennes, en termes fleuris et bien choisis, toujours aussi émerveillées par Loth Imharil. Elle avait manifestement un soupirant, ou peut-être deux, c'était difficile d'en juger, et son courrier respirait le bonheur. Galathée s'assit à côté de l'elfe.
" Pas de mauvaises nouvelles, j'espère ?"
Guillhem venait de reparaître avec un grand plat, du lait, des oeufs et de la farine, et s'assit en bout de table, pour ne pas les déranger.

-Je ne sais pas... avoua-t-il.
Il désigna la lettre qu'il tenait.
-J'ai reçu des nouvelles de Valaellyn ainsi que de Guéric : ils vont bien tous les deux. Mais les deux autres courriers émanaient d'un paladin mandaté par la commanderie de Lathandre qui, il y a un mois, voulait me donner rendez-vous au village pour me parler d'une affaire, je cite, "privée et urgente". Comme je n'ai pu répondre, il m'invite à prendre contact au plus vite avec son ordre.
Soupir.
-Je ne te cache pas que cela m'inquiète et que je vais donc me rendre à Luménis sans tarder pour tirer les choses au clair.

Galathée prit les enveloppes et les examina.
" C'est bête, s'il les avait adressées à moi, je les aurais ouvertes et j'aurais tiré ça au clair avant ton retour... Cela date déjà d'il y a plus d'un mois."
Elle sourit.
" Si c'était si urgent, nous en aurions eu d'autres nouvelles, tu ne crois pas ? Mais si ça t'inquiète... Vas-y. Je pense que je vais rester ici, cependant. Baptiste a besoin d'un peu de stabilité, et je n'oserais pas laisser Guillhem tout seul avec tous les enfants... Mais peut-être que Victor aura envie de descendre à Luménis, si tu veux de la compagnie."

Il hésita.
-Je comptais vraiment faire une visite éclair, histoire d'être de retour au plus vite et, donc, de pouvoir vous aider. Du coup, à moins que Victor ne se lève très tôt... je crois que j'irai seul. Quitte à organiser une autre expédition, plus longue, dans les jours à venir, pour lui et tous ceux que ça pourrait tenter.

" D'accord, je comprends. Si Minuit est fatigué, et il doit l'être, ce pauvre ami, tu peux prendre Tempérance. Elle a du coffre et elle a un sacré entraînement, avec tous les trajets que je lui fais faire. Elle tient bien la chaleur, en plus, et la journée promet d'être abominable. Je te conseille de partir vite et de rentrer tard... Sinon vous risquez les coups de chaleur. Prends de l'eau aussi et... je me tais, tu sais voyager mieux que moi !"
Elle sourit.
" Je vais te confier Retour. Tu seras gentil avec lui. Ne l'oublie pas en plein soleil. Et comme ça, si tu étais coincé à Luménis, tu sauras nous prévenir."

Il grimaça.
-Attends... Je n'ai vraiment, vraiment pas prévu de passer la journée à Luménis. J'imaginais la chose comme un aller-retour bouclé en une matinée. Mais si tu penses que c'est imprudent compte tenu de la chaleur, je peux faire ça demain, en partant en fin de nuit. Bien sûr, peut-être serai-je retenu par cette affaire, mais si ça peut être réglé vite...

HRP : c'est deux bonnes heures, Luménis, non ? Peut-être même trois ? Tu avais le souvenir que c'était plus court que ça ? Je me fierai à ton souvenir... Je n'en sais plus rien.

" A mon avis, si tu pars maintenant, ça ira... ça dépend un peu le temps que ça te prend. Tu ne peux pas être certain que les paladins seront disponibles à ta convenance, Taliesin."
Elle sourit.
" A ta guise. Une partie du trajet est abrité sous les arbres. Mais ne crève pas le cheval parce que tu as envie d'être vite rentré : on peut franchement désherber sans toi."

HRP : C'est exactement ce que j'imaginais. Mais je me disais qu'il était 6-7 h, donc que l'aller-retour en une demi-journée était possible... Après, c'est toi qui décide : moi, tout me va.

-Je préfère encore désherber que rester oisif et solitaire à Luménis après un si long voyage...
Il sourit.
-Mais "Ne remets pas à demain ce que tu peux faire aujourd'hui", comme dit le dicton : alors je vais y aller et... advienne que pourra. Je te dis donc à... une prochaine fois !
Il espérait vraiment que ce serait vite réglé. Mais vu ce qui s'était passé dans la vallée, il s'attendait à tout.

HRP : Ben... Disons qu'il est 6h30... plus 3, ça fait 9h30... plus une heure à Luménis, 10h30, oui, d'accord ça fait 13h30... mais c'est l'heure où ça tape sec... Il peut faire l'aller-retour à ses risques et périls...

Elle se leva avec lui et l'accompagna dans l'écurie. Tempérance leva la tête de son box à leur entrée et hennit doucement pour les saluer. Pendant que Taliesin dénichait la selle et la bride de la jument, Galathée fouinait dans un autre coin du bâtiment. Elle en revint avec une petite cage en bois, dans laquelle se trouvait une colombe blanche, qui émit un petit roucoulement interrogatif.
" Prends soin de Retour. Il m'est très utile, et Reviens n'est pas encore complètement au point."
Elle embrassa le barde sur le front.
" Tu es sûr que tu as tout ce qu'il te faut ? Tu n'as rien mangé, déjà... Tu m'as l'air... de paniquer un peu, Taliesin."

HRP : Non mais tu as raison. Il se posera dans une taverne et rentrera le soir.

-Non, ne t'en fais pas : je n'imagine rien de particulier, je veux simplement savoir de quoi il retourne rapidement, histoire justement de ne pas commencer à m'inquiéter.
Il prit précautionneusement la cage.
-Pour le reste, ne t'en fais pas non plus : je prendrai soin tant de Tempérance que de Retour, je mangerai dans une auberge et je reviendrai quand il fera moins chaud. Et si d'aventure j'étais retenu là-bas, je ne manquerai pas de t'en informer.

" Tu es sûr que tu ne veux pas que j'aille te chercher une crêpe ou deux... Non ? Bon, d'accord."
Elle haussa les épaules.
" Tu sais, au risque de me répéter, nous n'en sommes pas à un jour ou deux... Ça fait plus d'un mois qu'ils voulaient te parler."
Elle ouvrit cependant la porte de l'écurie plus largement.
" Tout ça, c'est pour éviter d'avoir à changer les petits, je parie."

-Que nenni : je veux régler les soucis au plus vite, histoire d'être tout à vous ensuite.
Il embrassa sa compagne.
-Allez, plus tôt je serai parti, plus tôt je serai revenu. Et demain, je ferai ma part de travail. Je ferai même le double pour pallier mon absence imprévue, histoire que tu puisses souffler un peu !

" Demain, notre nounou sera de retour !" s'exclama Galathée en riant.
Tempérance s'ébroua et sortit dans la cour, son pas étouffé par la terre qui en couvrait le sol, et plus loin le sable blond du chemin qui menait à la route.
" A peine arrivé, déjà reparti. Les hommes, quand même."
Elle lui fit signe tandis qu'il s'éloignait au trot vers la campagne luménienne...

HRP : je te laisse faire la transition et un premier post d'ambiance matinale estivale, toi qui viens du sud

-Si ça n'avait tenu qu'à moi, je n'aurais pas bougé de la ferme avant des lustres... prit-il le temps de répondre. Mais il semble que le destin en ait décidé autrement.
Et cela l'ennuyait : après pareil voyage, tout barde itinérant qu'il ait été jadis, il avait envie de rester tranquille.
Enfin, ce qui devait être fait... devait être fait.
Il quitta donc le domaine et s'engagea sur le chemin, ne tardant pas à adopter une bonne allure. Pas vraiment pour aller vite, puisqu'il lui faudrait passer toute la journée à Luménis. Non, c'était surtout pour profiter de la relative fraicheur qui ne s'attarderait plus très longtemps.
Et qui s'attarda moins longtemps encore qu'il ne l'aurait cru.
Car sitôt passée l'aube, les rayons brûlants d'un soleil de plomb la chassèrent promptement, son souvenir ne s'attardant que brièvement dans le fond de l'air. Puis ce ne fut plus que touffeur pesant de tout son poids sur la campagne jaunie.
Et c'est en nage qu'il s'approcha enfin des portes de la ville, en compagnie des voyageurs qui, comme lui, n'avaient pas pu se mettre en route à une heure encore plus matinale.

Depuis son départ du Palais de Justice de Luménis, quatre bonnes heures s'étaient écoulées. Quatre bonnes heures à cheminer sous l'impitoyable soleil, à faire quelques haltes, aussi, à l'ombre des arbres, afin de laisser souffler sa vaillante monture.
Mais enfin, trempé de sueur et le moral plus que jamais en berne, il était de retour au bercail.
Ce qui ne signifiait pas pour autant qu'il allait se reposer.
Non, au contraire, il allait s'occuper.
Cela commencerait par un séjour à l'écurie, où il installerait confortablement tant Retour que Tempérance, où il les abreuverait et les nourrirait, où il prodiguerait à la jument les soins qu'elle avait amplement mérité.
Ensuite, il serait toujours temps d'annoncer la nouvelle à Galathée... et de lui demander une longue, longue liste de tâches à accomplir.

Il n'eut pas le loisir de la tranquillité qu'il avait projetée : Victor, Marius et Benoît étaient dans la cour, aux prises avec une chèvre qui refusait de se laisser traire. Le premier était furieux, le second hilare, le dernier surexcité. A peine eurent-ils aperçu Taliesin qu'ils abandonnèrent la poursuite et la chèvre récalcitrante en profita pour se carapater, filant dans l'étable et sans doute dans les prés au-delà.
" Tu es parti sans prévenir ! s'exclama Victor, reportant sa mauvaise humeur sur l'elfe. C'est in-ter-dit !"

Tout bien réfléchi, peut-être aurait-il dû s'attarder en ville. Car, vraiment, il ne se sentait pas d'humeur.
-Je suis juste allé en ville pour des démarches qui t'auraient ennuyé au plus haut point, répondit-il néanmoins posément. Alors ne t'en fais pas, tu n'as rien manqué.
Il réprima un soupir.
-Bon, mais il faut que je m'occupe de Tempérance. La pauvre, ça n'a pas été marrant de me convoyer, par cette chaleur...

" Tu peux la lâcher directement au pré, dit Benoît. C'est là que sont tous les autres. Comme c'est un jour où elle travaille pas, normalement, elle a le droit d'être dehors. Même si après elle sera crasseuse, mais Galathée s'en occupe toujours le soir après le souper elle dira rien."
Victor observait le barde avec un air soupçonneux, manifestement bien conscient qu'il se passait quelque chose.
" C'était quoi, ces démarches ?"

Il se fendit d'un demi sourire.
-Je t'ai inscrit comme apprenti dans un atelier de couture. Prépare tes bagages, tu commences dès demain.
Il avait rarement plaisanté avec aussi peu de conviction.
-Allez, j'installe Retour à sa place, je mène Tempérance au pré, puis je vais voir ta mère.
Et de se mettre en mouvement.

" Je peux prendre Retour ! S'il te plait !" s'époumona Benoît en le suivant.
Marius et Victor le suivirent dans l'écurie. Le premier était toujours un peu effrayé par les animaux, mais Victor l'aida à ranger la selle et la bride de l'animal, puis à le bouchonner rapidement. Tempérance avait très soif et but longuement. Retour rejoignit le pigeonnier en roucoulant.
Ensuite ils gagnèrent l'extérieur, emmenèrent le cheval jusqu'au pré où ils le libérèrent. Tempérance partit vers la zone d'ombre à pas lents, les naseaux au ras du sol.
" Galathée est dans les bois, dit Victor. Avec Titus et Jehan, je pense."

-D'accord.
Il réfléchit.
[color=#FFFF666]-Tu penses qu'ils en ont pour longtemps ? Je ne voudrais pas non plus les interrompre...[/color]
D'un autre côté, il se voyait mal attendre jusqu'au soir. D'autant que dans l'intervalle, il ne pourrait pas dire à Baptiste ce qui se passait : Galathée était, elle aussi, concernée au premier chef et voudrait plus que probablement être là quand il le ferait.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins