[Lieu] Mersant

[Taliesin]

Le barde répondit que c'était une excellente idée, surtout si le disparu n'avait pas l'habitude de se parer de gris. Bien sûr, il n'avait quasiment porté que des vêtements de défunts, depuis son arrivée sur Mersant, ce qui n'était pas sans lui causer un certain malaise. Toutefois, semblables scrupules ne faisaient pas le poids face à la recherche d'efficacité.
Après le départ du capitaine, et comme ses propres "emplettes" étaient terminées, il se mit à surveiller mine de rien Victor et Benoit, cherchant à repérer les objets auxquels ils s'intéressaient le plus. Il ne savait pas s'ils étaient inclus dans la portion du trésor dévolue aux enfants ; cependant, cela ne coûtait rien de garder l’œil ouvert puis d'en toucher un mot à Valaellyn lorsqu'il la croiserait. En tout cas, Longuehune avait eu une attention touchante et il ne manquerait pas de l'en remercier s'il en avait l'opportunité. Pour le reste, il garderait le secret absolu, désireux de ne pas gâcher la surprise aux garçons.
Enfin, quand ceux-ci se lasseraient de tourner autour des tables, il leur proposerait de l'accompagner sur la Liberté, pour qu'il y dépose son armure et ses armes. Ensuite... Et bien, il aviserait en fonction de ce qu'ils souhaitaient faire.

[Galathée]

Les deux garçons étaient surtout intéressés par les armes et les armures, dont ils comparaient les mérites en novices peu avertis. Ils n'osèrent cependant pas les toucher, de peur d'être sermonnés par l'elfe ou par l'un des soldats en faction. Taliesin put ensuite les entraîner vers la Liberté où l'équipage travaillait ferme pour préparer le voilier avant la traversée. Il retrouva aisément ses marques à bord, le dortoir désormais pratiquement désert, le craquement des deux mâts aux voiles repliées, la coquerie déserte, la petite salle de réunion. Il nota que la Liberté portait désormais un autre nom, que l'on avait peint par-dessus l'ancien. Il naviguerait à bord de la Vouivre, un nom un peu plus mystérieux, un rien plus sinistre.
Les deux garçons cavalèrent en tous sens avant d'être rappelés à l'ordre par Gauthier, qui suggéra à Taliesin de les emmener se dépenser ailleurs. Et ils se retrouvèrent à nouveau sur le port, sans réel objectif...

[Taliesin]

Ne pas avoir de but précis ne le dérangeait en rien. La paisible oisiveté étant un luxe dont il ne jouirait bientôt plus, il comptait bien en profiter encore un peu. Et puis, il se fiait à l'imagination des gamins : ils ne tarderaient pas à avoir une nouvelle idée, à se lancer dans une nouvelle course effrénée qui, avec un peu de chance, les conduirait une fois encore vers la lande. Il pourrait se contenter de les suivre d'un pas nonchalant, les mains dans les poches, réfléchissant à ses ultimes préparatifs. En réalité, il pensait ne rien avoir oublié, mais mieux valait malgré tout y songer à fond avant le départ. Après, il serait trop tard... Ah, par exemple : s'il voulait écrire l'histoire des événements qui venaient de se dérouler sur l'île, se procurer encre, plume et parchemin serait une bonne chose. Restait à savoir si ce serait bien prudent d'entamer un tel récit alors qu'il se rendait vers Melandis : si les autorités locales fouillaient le navire... Non, peut-être valait-il mieux qu'il grave tous les faits dans sa mémoire et ne les couche qu'ultérieurement sur le papier. Quand il serait en prison, par exemple : il aurait tout le temps nécessaire, à ce moment-là...

[Galathée]

Les gamins ne reprirent pas tout de suite la route de la lande : ils musardèrent sur le port puis entreprirent l'escalade de la butte du phare, dont ils ignoraient le rôle lors des événements qui avaient précipité la fin de la prise de Mersant. Une fois dans les ruines, ils s'extasièrent devant les traces calcinées de la boule de feu de l'ensorceleur drow, avant de repartir à pleine vitesse vers les herbes. Plus d'une fois, ils s'immobilisèrent devant l'entrée d'une grotte, leur élan brusquement coupé, avant de reprendre leurs activités. Leurs pas les menèrent finalement vers la plage. Pour Taliesin, celle-ci était synonyme d'assaut nocturne, mais les enfants eurent tôt fait de la ramener à un usage beaucoup plus ludique. Ils commencèrent par tracer des messages aux dieux sur le sable, armés de grands morceaux de bois flotté, et le barde put constater qu'il était temps qu'ils retournent l'un et l'autre à l'école, et d'urgence. Ensuite, ils entreprirent de bâtir un "Fort de Luménis" pour affronter la marée montante. C'était une chance qu'ils ne se soient pas changés sur l'heure du midi...

[Taliesin]

En redécouvrant ce qui avait été un champ de bataille, l'elfe ne put s'empêcher de glisser une main dans sa poche et de frôler, du boit des doigts, le pipeau qui s'y trouvait. Que se serait-il passé, s'il avait pensé à en jouer au moment opportun, lors du second assaut ? La magie de l'instrument aurait-elle suffi à repousser les pirates ? Mersant ne serait-elle jamais tombée en leur pouvoir ? Rien n'était moins sûr et pourtant, face au doute qui subsistait, il éprouva un lancinant sentiment de culpabilité.
Cherchant à s'y soustraire, il porta les yeux sur l'océan. Ses réflexions changèrent alors de nature mais n'en devinrent pas plus réjouissantes... Il songea aux abysses insondables qui s'ouvraient à quelques encablures de la côte, ces abysses dans lesquelles il avait bien failli disparaître à tout jamais. Il se demanda si Umberlie lui gardait rancune pour avoir tué Squale, pour avoir échappé de justesse à sa punition. Tenterait-elle de s'en prendre à lui à la première occasion ? Là encore, mieux valait ne pas s'attarder sur le sujet. Sans quoi, l'approche du grain le plus insignifiant le plongerait dans une profonde angoisse...
Avec un soupir, Taliesin se détourna des vagues, se concentrant sur le jeu des enfants. Cette fois, ses pensées finirent par suivre un cours plus léger, plus lumineux, et il ne tarda pas à sourire. Comment ne pas ressentir une bouffée d'espoir, face à leur incroyable résilience ? Les épreuves traversées ne les avaient pas privés de leur talent pour s'amuser d'un rien... Il en était heureux. Profondément.

[Galathée]

Une fois installés dans leur fort hérissé de coquillages, d'os de seiche, de pinces de crabe démantibulées, de galets et de bois flotté, les deux petits garçons réalisèrent que la mer, loin de s'approcher, battait en retraite. Furieux de sa défection, ils se ruèrent alors dans sa direction, en poussant des cris de guerre. Perdu dans ses pensées douces-amères, Taliesin se rendit compte trop tard qu'ils entendaient mener le combat jusque dans les rangs de l'ennemi. Victor et Benoît pénétrèrent dans les vagues à toute vitesse et se mirent à battre l'écume à grands coups de bâton, bientôt trempés (et ravis).

[Taliesin]

Les enfants, il fallait les surveiller comme du lait sur le feu, si l'on ne voulait pas assister à de véritables catastrophes. C'était une vérité que Taliesin connaissait pourtant bien. Et voilà qu'il avait suffi d'un instant d'inattention pour qu'il la réapprenne à ses dépens...
-Mais vous êtes fous ou quoi ? tonna-t-il en s'approchant à grandes enjambées.Sortez de l'eau tout de suite !
Avec un peu de chance, ils seraient moins trempés qu'ils en avaient l'air et une prompte galopade vers leur cabine suffirait à les prémunir contre tout refroidissement. L'elfe espérait qu'il en irait ainsi, comme il espérait que nul clerc ne croiserait leur chemin. Sinon, il serait bon pour de tonitruants reproches...

[Galathée]

Mais Victor et Benoît étaient plus trempés qu'ils n'en avaient l'air. En fait, il n'était pas une parcelle de leur anatomie qui ne soit humide. Victor avait même de l'écume dans les cheveux et Benoît une algue brune sur l'épaule. Ils regardèrent Taliesin, de l'eau jusqu'aux cuisses, toujours belliqueux.
" Allez, sois pas rabat-joie ! Y'a du soleil !" s'exclama Victor.
Il n'avait pas tort : il faisait même beau et la brise, pour une fois, était tiède. Après tout, le printemps était désormais bien avancé.

[Taliesin]

Il soupira. Peut-être était-il trop prompt à se faire du souci, après tout. Et de toute façon, vu leur état actuel, les laisser s'attarder un peu ne changerait rien.
-Bon, d'accord, fit-il. Mais vous ne resterez pas trop longtemps quand même. L'eau doit être glaciale.
S'ils étaient frigorifiés en sortant, et si le soleil paraissait insuffisant à les sécher, il utiliserait le pipeau pour jouer "Contre la nuit". Avec un peu de chance, un feu de camp apparaitrait. Et même si ce n'était qu'une lanterne, il pourrait toujours s'en servir pour allumer un tas de bois flotté.

[Galathée]

L'eau était effectivement glacée, le barde s'en rendit compte à la première éclaboussure qui l'atteignit et le força à reculer. Mais ce n'est pas comme s'il avait réellement oublié l'emprise terrible de la mer se refermant sur lui jusqu'à la suffocation, quelques jours plus tôt. Le froid seul avait manqué lui faire perdre connaissance et il avait fallu toute l'horreur de l'étreinte du Squale pour le forcer à se battre.
Mais les enfants étaient dotés de cette énergie sublime qui repousse le gel (à moins qu'ils ne soient pourvus d'une couche de graisse de baleine juvénile) et ils semblaient ne pas y prêter la moindre attention. Ils bondirent et galopèrent, finirent par se plonger intégralement dans l'onde grise, Benoît but la tasse, Victor fut renversé par une vague rebelle, et ils rirent de bonheur, avant de subitement quitter les flots pour cavaler sur la plage, à nouveau, puis regrimper sur la lande, forçant le barde, plus éprouvé qu'il ne le pensait, à les reprendre en chasse.

[Taliesin]

Il avait mésestimé leur besoin de se défouler, comme sa réaction face au contact de l'eau glacée. Quoi qu'il en soit, et malgré son trouble fort déstabilisant, il ne pouvait se permettre de les laisser filer : les dieux seuls savaient ce qu'ils avaient en tête. Et puis, il avait beau faire relativement bon, ils allaient vite attraper froid, trempés comme ils l'étaient.
[color=#FFFFF66]-Mais où allez-vous comme ça ?[/color] leur cria-t-il en cavalant à leurs trousses aussi vite que possible.

[Galathée]

Les enfants étaient déjà trop loin pour l'entendre et le vent éparpilla ses mots. Quand il arriva sur la lande, il les trouva étalés sur un rocher, au soleil, comme deux lézards alanguis. Il n'y avait nul témoin en vue, personne pour l'accuser de négligence, et ni Victor, ni Benoît ne semblaient souffrir de leur trempette. Ils avaient un sourire béat et leurs côtes se soulevaient encore, signe de leur cavalcade. Victor éternua, ce qui fit rire Benoît, puis Victor, et ils gloussèrent, allongés sur leur caillou. Le soleil était agréable, mais il leur faudrait bien deux heures avant d'être secs...

[Taliesin]

Le barde s'immobilisa et, les mains sur les genoux, passa un long moment à tenter de reprendre son souffle.
-Dites, vous n'avez vraiment aucune pitié pour un convalescent vieux d'un siècle et demi... finit-il par haleter.
Il se redressa et toisa les deux gamins. S'il avait eu des doutes quant à la nécessité d'intervenir, l'éternuement de Victor les avait définitivement dissipés.
-Allez, quittez-moi tout ça avant d'attraper la crève et d'obliger les clercs à vous soigner, reprit-il. Vous seriez bons pour boire leurs potions - vous savez, ce genre de mixture dont l'efficacité se mesure à l'atrocité du goût - et moi, je passerais pour l'adulte le plus irresponsable qui soit...
De nouveau, il envisagea d'utiliser le pipeau pour essayer d'allumer un feu. Mais il y aurait de la fumée, ce qui ne manquerait pas d'attirer du monde : il ne faudrait alors que quelques minutes pour que l'incident parvienne aux oreilles de Valaellyn et de ses confrères... Jouer "Les Damoiselles d'Eauprofonde", plutôt ? Il rechignait à le faire, ne se souvenant que trop bien de la leçon que lui avait enseignée Lathandre.
Il jeta un regard au soleil, indécis. Bah, le dieu ne lui en voudrait sans doute pas pour si peu, non ?

[Galathée]

Le petit air coquin s'éleva tandis que Victor et Benoît se débarrassaient de leurs nippes trempées. Ils avaient l'air, l'un et l'autre, soucieux de ne pas être vus, car ils disparurent derrière le rocher pour enlever la fin de leurs vêtements. Un petit nuage doré surgit de nulle part, éblouissant un moment les enfants et le musicien, et le présent du pipeau apparut. Il s'agissait de deux serviettes épaisses et de deux lots de vêtements secs, à la taille des garçons. Petit clin d'oeil sans doute, les tuniques étaient marquées d'un soleil radieux sur le pectoral gauche. Taliesin pensa pendant une seconde qu'il s'en était tiré à bon compte, jusqu'à ce qu'il remarque, posé entre les deux piles, un petit opuscule toilé de bleu. Il s'intitulait "De la bonne éducation des garçons, volume III : 8 à 12 printemps. Petit manuel du tuteur exemplaire." Il n'y avait pas d'auteur, mais un petit soleil rose était dessiné sur la tranche.

[Taliesin]

-Génial, même Lathandre trouve que je m'en sors lamentablement mal... lâcha-t-il d'un ton déprimé en comprenant la nature de l'ouvrage.
Poussant un profond soupir, il reposa doucement le livre, s'empara des serviettes et, d'un geste adroit, les envoya au sommet du rocher, là où Victor et Benoit pourraient les récupérer sans avoir à se montrer.
-Et une livraison de serviettes, une.! annonça-t-il. Séchez-vous bien ! Quand vous en aurez terminé, je vous expédierai vos nouvelles tenues. Je suis sûr qu'elles vous plairont.
Et puisqu'il n'avait rien d'autre à faire, il récupéra le manuel et l'ouvrit. Peut-être n'aurait-il jamais l'occasion de mettre en pratique les conseils qu'il contenait - ce serait difficile, derrière les barreaux -, mais qui sait, d'ici un siècle ou deux...

[Galathée]

Les deux gamins attrapèrent les serviettes puis, quelques instants plus tard, les vêtements. Ils ne firent aucun commentaire sur la petite broderie dont ils étaient ornés et reparurent ensuite, toujours joyeux et satisfaits. Il fallait avouer que la coupe de leur tenue était plutôt élégante, peut-être trop même, connaissant les deux garnements. Mais ils paraissaient en être conscients et ils déambulèrent, fiers comme des coquelets, devant le barde. Entretemps, celui-ci avait réalisé que ce qu'il avait pris pour un livre sérieux, était en fait un carnet aux pages totalement blanches, à l'exception de la première, sur laquelle on avait inscrit ces quelques mots : "que celui qui parvient à l'écrire, le fasse publier sur le champ ! Et soyez d'ores et déjà béni !"

[Taliesin]

L'elfe sourit. Deuxième enseignement de la journée : ne jamais se fier à ses aprioris lorsqu'on recevait un présent du seigneur de l'aube !
Après avoir empoché le livre, il contourna le rocher, emballa les frusques humides dans l'une des couvertures tout aussi trempées, fourra ce ballot dégoulinant sous son bras et récupéra les serviettes. Ainsi chargé, il rejoignit les enfants.
-Messeigneurs, si vous en êtes d'accord, mon humble personne se propose de vous escorter jusqu'au port, afin que vous ne courriez aucun risque de froisser ou de salir vos princières mises.

[Galathée]

Les deux gamins pouffèrent et prirent des airs de grands seigneurs.
" Non, mon brave, vous devez aller de l'avant pour nous annoncer ! s'écria Victor.
— Et jeter des petits pétales de fleurs sous nos pieds, aussi, ce serait chouette... ajouta Benoît. Il y a justement plein de petits crocus par là..."
Mais ils n'attendirent pas que Taliesin leur obéisse et dévalèrent bientôt le chemin vers le port. A l'ouest, le soleil commençait à décliner, signe que la nuit, et le moment des au revoir, ne tarderait plus.

[Taliesin]

Déjà vaguement mélancolique, le barde les suivit d'un pas tranquille. Il les escorterait jusqu'à leur cabine - ne serait-ce que pour y déposer son chargement de linge mouillé, s'il ne trouvait pas meilleur emplacement sur le trajet - puis les laisserait pour aller quérir encre, plume et papier : même s'il n'écrivait pas son récit durant le voyage, cela pourrait toujours servir. Enuite, il rejoindrait l'équipage de la LIberté dont il partagerait sans doute le repas. Enfin, s'il n'était pas prévu que Valaellyn et Victor assistent au grand part, il irait leur faire ses adieux. Plus que jamais, il avait hâte que ces moments pénibles soient derrière lui.

[Galathée]

Une fois remonté sur la Lumineuse, auprès de son frère, Benoît décida d'y rester, et seul Victor redescendit à terre avec Taliesin. Le ciel s'était à présent vraiment obscurci et ils gagnèrent l'auberge pour le souper. Cette fois, Valaellyn se joignit à eux. L'équipage de la Liberté prit cependant son repas sur le pouce, laissant les trois amis en tête à tête. L'atmosphère était loin d'être légère, mais Victor, en bon petit soldat, tenta de meubler les silences en narrant ses aventures du jour à la prêtresse qui, soulagée de le voir sous un jour plus agréable, l'encouragea avec énergie. Mais les péripéties de la journée avaient fatigué Victor et Taliesin comprit que le petit garçon ne tarderait pas à aller se coucher. Non, il ne tiendrait pas jusqu'aux petites heures. Il finit d'ailleurs par bâiller et prit la main du barde.
" Tu me reconduis à bord ? Je ne voudrais pas tomber dans l'eau."
Valaellyn les laissa partir, décochant un sourire encourageant à l'elfe.
Dehors, le ciel était piqueté de milliers d'étoiles et il faisait à nouveau frisquet. Protégé par sa graisse de baleine, Victor semblait ne pas s'en soucier.

[Taliesin]

L'elfe demeura un moment silencieux, ne sachant comment débuter leur dernière conversation avant le départ. N'en ayant guère le cœur, aussi. Toutefois, il finit par prendre le taureau par les cornes :
-Victor, j'ai discuté avec Val, à propos de tes crises... Elle en parlera aux Lathandrites qui vont guérir Jehan : peut-être pourront-ils t'aider. Il est aussi possible qu'elle se renseigne auprès des autres temples. En revanche, pour Loth Imarhil... Comme moi, elle pense que ce serait mieux que tu fasses le voyage avec Galathée. Ou avec nous deux, bien sûr. Si les clercs ne sont pas en mesure de te soigner, il te faudra donc attendre, j'en suis désolé. Mais la ferme est bien protégée, le capitaine Longuehune me l'a dit : ni toi ni les Merlus ne courrez le moindre danger. Il n'y a donc aucun risque tu aies une nouvelle crise, puisqu'elles ne surviennent que dans des situations critiques...

[Galathée]

Victor opina du chef, gravement.
" Oui, je pense que tu as raison. Valaellyn, elle connait personne à Loth Imharil... Ce sera mieux si tu es avec moi et si Galathée peut donner son avis. Mais je la connais, elle te fera confiance. Si tu penses que c'est une mauvaise idée, elle te suivra. Surtout que ce sont des elfes, tout ça..."
Il fit quelques pas lents sur le quai, sans réelle volonté de rejoindre la Lumineuse.
" Mais si les Lathandrites, ils ne peuvent rien faire... et les autres non plus... Je voudrai pas qu'on oublie, d'accord ? Parce que pour moi, c'est important. J'ai envie de devenir barbare si je le décide, mais pas parce qu'il y a quelque chose en moi qui me force à tout casser."

[Taliesin]

-Nous n'oublierons pas, répondit-il, presque solennel. Galathée et moi avons à cœur que tu te sentes bien et nous ne laisserions jamais irrésolu un problème qui t'embête à ce point. Nous nous en occuperons donc dès que possible et n'abandonnerons pas tant que nous n'aurons pas trouvé la solution à tes crises. Tu peux en être certain, Victor.
Et si Galathée et moi ne sommes plus en mesure de le faire, d'autres personnes tiennent à toi et s'en chargeront, songea-t-il sans rien en dire, évidemment.

[Galathée]

Victor parut se satisfaire de la réponse et pendant quelques minutes, il ne dit rien, tout en continuant à musarder. Il s'arrêta cependant brusquement et fit volte-face. Il alla fourrager à l'intérieur de sa nouvelle tunique et en sortit quelque chose. Une grimace déforma son visage.
" Je te le donne, avant que je n'oublie..."
C'était le petit renard.
" Il est presque sec... mais je crois qu'il va sentir plus l'eau de mer que le Victor. Peut-être que tu devras le relaver avant de le donner au bébé, sinon il va s'empoisonner, je ne sais pas..."
Il avait l'air plutôt piteux.
" Enfin, il aura vécu des aventures, s'il pouvait parler, il les raconterait !"

[Taliesin]

-Oui, et je suis sûr qu'il dirait à quel point il a apprécié cette journée. C'était vraiment chouette. Je suis heureux qu'une telle occasion se soit présentée et que Benoit ait pu la partager avec nous.
Il examina distraitement l'animal en tissu.
-Je vais attendre l'avis de Galathée avant de le laver : ce serait bête que tu l'aies si longtemps gardé sur toi pour rien... Et puis, qui sait ? En plus de te connaître déjà un peu, son futur propriétaire, grâce à l'odeur de la mer, sera peut-être à jamais préservé de la peur des tempêtes ! Ce n'est quand même pas rien, d'avoir pour peluche le premier renard marin de Toril ! A mon avis, ses fabricants, à Loth Imarhil, n'imaginent même pas qu'il soit allé si loin, qu'il ait vécu tant de choses... Et ça n'est pas fini ! Une longue traversée, un séjour à Mélandis, puis le grand voyage de retour...
Il le glissa dans sa poche.
-J'ai hâte qu'il ait terminé son périple. Hâte que Galathée et le bébé soient enfin en sécurité sur Hélonna. Mais je suis déjà content que ce puisse être ton cas, bonhomme. Sincèrement, ça me fera beaucoup de bien de penser que tu ne crains pus rien, que tu es avec les Merlus... Je sais que tout ne sera pas rose, qu'attendre sans avoir de nouvelles te pèsera. Cependant... Essaie de ne pas trop t'inquiéter, d'accord ? Pense à toutes les épreuves que nous avons déjà surmontées, à tous les miracles qui se sont produits... Franchement, quand je réfléchi à tout ça, je ne vois aucune raison pour que cette ultime expédition ne se termine pas bien.

[Galathée]

" Honnêtement, je trouve que c'est à la fois rassurant et inquiétant... Parce que s'il t'arrive encore autant de choses... Je ne le souhaite pas. Mais je tâcherai d'être sage, de mon côté, et je vous attendrai."
Il eut un sourire.
" Je sais que vous reviendrez. Pas demain, bien sûr, mais vous reviendrez. C'est dommage qu'on a perdu les cailloux bleus, mais quelque part, c'est mieux, je crois. Je vais tenir juste parce que j'ai confiance. Et j'espère que pour toi, les choses seront plus faciles, désormais, même si je sais que Mélandis, ce sera pas gai, de toute façon... Mais bon. La ferme sera toujours là quand vous reviendrez, et on viendra accueillir le bateau à Luménis, et on organisera une fête incroyable ! Et je suis certain que les Luméniens te laisseront tranquille. Au moins le temps qu'on fasse la fête."

[Taliesin]

Taliesin s'efforça de réprimer une grimace. Les propos que lui avaient tenus Kerun prouvaient assez qu'il serait emprisonné dès sa descente de bateau. Et s'il n'eut pas le cœur de détromper l'enfant, il se refusa cependant à lui mentir complètement.
-Je ne sais pas comment ça se passera... avoua-t-il. Mais la seule chose qui compte, c'est que nous revenions. Le reste... On avisera en temps utile.
Il tendit la main et serra l'épaule du garçon.
-Je sais que tu n'aimes pas quand les adultes font des promesses qu'ils ne sont pas sûrs de pouvoir tenir. Alors je m'abstiendrai. Mais il y a au moins une chose que je peux te promettre sans la moindre hésitation : je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour retrouver Galathée. Et j'ai bon espoir d'y parvenir je sais qu'elle est en vie et j'ai une indication sur le quartier où elle se trouve. C'est déjà beaucoup. Énormément, même.

[Galathée]

Le petit garçon écouta en opinant du chef, les lèvres pincées, jusqu'à ce que Taliesin lui fasse ses dernières révélations. Victor parut alors surpris, puis instantanément, ses yeux s'emplirent de larmes.
" Comment tu sais où elle est ? Comment tu sais qu'elle est vivante ? Tu ne peux pas dire des choses pareilles... Tu ne peux pas dire des choses pareilles si elles ne sont pas vraies !" dit-il d'un ton sourd.

[Taliesin]

La réaction de Victor le prit complètement au dépourvu. Il ne l'avait pas anticipée et pourtant, il aurait dû : on ne pouvait tenir pareils propos sans les étayer de preuves. Sans quoi, ils passaient pour des mensonges.
-Victor, je te jure que ce que je t'ai dit est vrai, reprit-il, plus grave encore que précédemment. Galathée est vivante. Elle se trouve dans un quartier huppé de Mélandis, un quartier avec des jardins. Je comprends que tu aies du mal à croire que je connaisse de telles choses et pourtant, je les connais. Quant à savoir par quel moyen...
Il se mordit la lèvre, se souvenant de la lettre accompagnant la flûte magique. Mais comment ne pas en dire davantage, s'il voulait que l'enfant le prenne au sérieux ?
-Ces informations ont la même provenance que le pipeau. Une personne à qui on peux se fier, crois-moi. conclut-il.

[Galathée]

Victor parut sceptique, tendu, puis son sourire revint et il hocha la tête.
" D'accord, fit-il. Alors tu vas la retrouver."
Son expression se fut mutine, alors que ses yeux étaient toujours humides.
" Mais tu as pensé que si elle s'est habituée au luxe d'une grande villa mélandienne, elle ne voudra peut-être pas revenir avec toi, tes poches percées et tes promesses de nuit à la belle étoile ?"