La Couronne de Cuivre

Albérich était heureux, mais un peu décontenancé, par la facilité avec laquelle le Chauntéen avait accepté sa proposition. En même temps, elle faisait sens, il regrettait de ne pas l'avoir amenée en conseil, mais cela ne faisait que renforcer sa conviction qu'il ne devait plus y aller. La tension qui y régnait l'empêchait de penser droit, l'amenant à se recroqueviller sur lui-même pour se protéger, sans autre chose à l'esprit que l'angoisse du conflit. Il pouvait être beaucoup plus efficace en agissant en marge, en fonction des décisions qui y étaient prises. Evidemment, cela signifiait abandonner Hubert, mais le paladin était nettement plus solide que lui, et il s'en sortirait, avec Ezéchiel pour l'appuyer. De toute façon, ils étaient conscients de devoir marcher sur des oeufs : Agnès ne faisait aucun compromis, et comme ils ne pouvaient pas la perdre, ils seraient forcés d'obéir à chacune de ses humeurs.
Au temps pour la démocratie, songea le Luménien, avec un peu d'amertume.
" Merci beaucoup. Je reviendrai demain."
Il se leva et quitta la tente, réalisant qu'il dégageait une odeur de transpiration terrible. Dans son empressement à mettre son idée en oeuvre, il avait abandonné le paladin seul dans la tour, avec tout le matériel, et il se sentit un peu coupable. Mais il avait foi en Hubert : il comprendrait. Il décida plutôt de descendre aux Thermes pour se décrasser et, pour fêter sa menue victoire, se raser. Ensuite, il irait préparer son premier tournoi, démarcher les corps de métier, compulser le recensement.

La matinée s'écoula somme toute rapidement. Albérich ne manquait pas de travail et lorsqu'il alla parler du tournoi à certains de ses compagnons de voyage, il rencontra aussitôt un écho favorable : un peu d'animation, un peu de distraction, voilà ce dont tout le monde avait manifestement besoin... et envie. Au cours de ses pérégrinations, il aperçut Étienne à plusieurs reprises : celui-ci avait entrepris de discuter avec les colons, de les informer de son départ à la tête de l'expédition, de leur en expliquer les raison et, sans doute, de les rassurer. De ce que le Luménien put en voir, Hubert ne s'était pas trompé : les gens prirent la chose plutôt bien.
Quant au paladin lui-même, il avait fini par aller se coucher et par s'endormir d'un sommeil de plomb. D'un sommeil dont le tira pourtant la vive animation qui gagna le sous-sol lorsque survint la fin de l'école et l'heure du repas.

Hubert n'avait pas assez dormi. Entre le conseil et l'entraînement, il avait perdu la moitié de sa matinée et si l'animation l'arracha à son sommeil, il se sentait encore tout ankylosé. Il se leva cependant pour gagner la cantine. Une tasse de thé le réveillerait, puis il tâcherait de mettre la main sur Ruth et Alban pour organiser leurs activités de l'après-midi. Malgré les remous du conseil, la vie devait suivre son cours et on ne lui avait rien demandé de prendre en charge. Il s'occuperait de la sécurité extérieure tandis qu'Agnès et Ignace géraient l'intérieur. Il n'avait absolument aucune confiance en leurs compétences en la matière, mais il devait s'en contenter. Il fallait aussi qu'il réunisse son état major pour discuter de la réorganisation de leurs forces, en l'absence des hommes d'Etienne et de Louis. L'un dans l'autre, il devait se laisser le temps d'émerger, ce qui prendrait sans doute un certain temps, vu son état.

Il n'eut aucun besoin de chercher ses écuyers : ceux-ci vinrent spontanément le trouver sitôt qu'il eut terminé son repas - moment qu'ils avaient sans doute guetté avec impatience.
-Mince, vous avez pas l'air très en forme... constata Ruth d'un ton désolé.
-Si vous voulez, nous pouvons remettre à demain le programme dont vous nous avez parlé hier... proposa Alban.
-Ou alors je vais m'occuper des chevaux pendant que m'sire Hubert se charge de ton instruction ? C'est pas fatiguant, l'instruction !
-C'est toi qui ds ça ? Alors que tu ne cesses de répéter que l'école t'épuise ?
-C'est pas pareil pour toi, t'es un bon élève !

" Non, non, on ne change pas le programme. Un chevalier ne peut pas baisser les bras parce qu'il est un peu fatigué. Et j'ai juste besoin d'un peu de temps pour me mettre en mouvement. Ça ira mieux dans quelques minutes. Déjà, j'ai l'estomac plein, à présent."
Ce qui risquait de l'endormir encore davantage, mais il évita de la mentionner.
" Allons nous occuper des chevaux tous ensemble. Je veux voir comment vous vous y prenez et s'il vous reste des questions. J'imagine que les palefreniers vous ont déjà bien écolés et Robert t'avait sûrement appris tout le nécessaire, Alban. Mais on ne sait jamais. Et un petit rappel est parfois opportun."

Ils gagnèrent donc les écuries, où l'on avait installé côte-à-côte les chevaux de feu Robert, d'Albérich et d'Hubert, peut-être justement en vue de semblables leçons. Le paladin constata que Ruth avait appris à une vitesse incroyable et qu'elle s'en tirait très bien, même si demeuraient quelques maladresses, quelques imperfections. Quant à Alban, il maîtrisait parfaitement les diverses techniques, mais il se montrait si minutieux, si précautionneux que chaque opération lui prenait plus de temps qu'elle ne l'aurait dû.

Alban avait manifestement un peu peur, ce qui ne facilitait pas les choses. Hubert prit le temps de lui expliquer ce qui était crucial : vérifier la bouche, les sabots, le passage de sangle, de ce qui était plus accessoire, comme le brossage superficiel ou le démêlage des crins. Bien sûr, s'ils avaient le temps, il était toujours bon de réaliser un pansage complet, mais dans les faits, il était fréquent de devoir harnacher son cheval à la hâte, et en campagne, on n'avait souvent pas l'occasion de s'appesantir sur les détails. Avec Ruth, il corrigea les menues erreurs, attirant son attention sur le sens des actes plus que sur la manière de les réaliser. Il lui parla musculature et sensibilité, confort et confiance. Il constata que le fer avant-droit de Douce était en train de se décrocher, en profita pour parler maréchalerie avec les enfants, avant de les emmener vers la forge avec la jument. Il avait l'intention, si Ulrich le lui permettait, de reclouer le fer lui-même, un petit acte technique qu'un chevalier devait pouvoir improviser en cas de besoin. Ensuite, ils passeraient aux choses sérieuses et monteraient en selle. Il se demandait s'il ne mettrait pas Alban sur Grand Vent, histoire de l'aider à se détendre, mais malgré sa gentillesse, le destrier était énorme et l'effet n'irait peut-être pas dans le sens espéré...

L'atmosphère de la forge était évidemment surchauffée, mais en rien enfumé : le système d'évacuation d'air inventé par les Anciens montrait ici toute son efficacité. Ulrich ne vit aucun inconvénient à ce que le paladin change le fer de la jument, et il officia donc sous le regard attentif des deux enfants. Une fois l'opération terminée, ils revinrent aux écuries pour la séance d'équitation, séance durant laquelle Hubert vit confirmé ce que lui avaient dit ses écuyers : Alban, s'il connaissait les principes et ne les appliquait consciencieusement, demeurait peu à son aise, là où Ruth était déjà une cavalière émérite. On sentait même que, si le terrain s'y était prêté, elle se serait volontiers livrée au grand galop ou à quelques sauts...

Une digne fille de la Trouée, songea Hubert avec un sourire, en la voyant démonter.
Il ne savait pas si elle avait eu accès à un cheval bien souvent, mais il devait y avoir quelque chose dans le sang des habitants de cette région, une affinité naturelle, des origines centaures, ou quelque chose comme ça.
Alban se décoincerait avec le temps, mais Hubert devrait veiller à reprendre les choses à un niveau plus basique avec lui. Ce n'était peut-être pas une bonne chose qu'ils s'entraînent ensemble, dans le domaine. Leur différence de niveau était manifeste. S'il en avait eu la liberté, il aurait été lui acheter un cheval spécialement pour son écolage, qu'il aurait ensuite conservé. La jument de Robert était un animal de qualité, mais qui ne ferait jamais un bon destrier.
" Très bien. Nous allons nous arrêter ici." annonça le paladin en mettant pied à terre à son tour.
Il se tourna vers Alban.
" Nous avions parler de faire le point sur ce que Robert ne t'avait pas encore appris... s'il y a quoi que ce soit."

Les deux écuyers échangèrent un regard.
-Et bien... commença-t-il.
Il baissa les yeux, rougissant déjà.
-Il y a bien une question a laquelle messire Robert n'a pas répondu...
Il vira au rouge pivoine, prit quelques instants pour rassembler tout son courage, ce qui parut fort difficile.
-Messire... Hum... Comment on fait les bébés ?

HRP : mdr

Hubert les dévisagea, stupéfait.
" Ha. Et bien..."
Les paladins ne mentent pas.
" Hum. Et bien... Quand un homme et une femme... dorment ensemble... Il leur arrive de... hum..."
Cela faisait-il vraiment partie de l'apprentissage d'un futur chevalier ?
Sans doute que oui.
" ... avoir des relations... sexuelles..."
Ils savaient de quoi il s'agissait, ils avaient été enfants, et tous les enfants passaient par une période d'exploration innocente.
" Ensuite... Il arrive que vienne un enfant. Par quel miracle, je ne sais pas exactement. Quelque chose doit s'échanger, je suppose."
Il était sûrement écarlate.
" Autre chose ?"

L'écuyer acquiesça imperceptiblement.
-Et... Les choux... Les roses... Les cigognes... Ça intervient quand ? souffla-t-il, à peine audible.
C'est alors que Ruth, n'y tenant plus, fut prise d'un irrépressible fou-rire. c'est à peine si elle ne se roula pas par terre.
-C'est bon, Alban... Tu as... Relevé le défi ! articula-t-elle péniblement, avant d'être derechef emportée par son hilarité.
Son ami, lui, ne savait plus ou se mettre.

Ainsi, c'était une farce... Hubert posa les poings sur ses hanches et dévisagea la fillette et l'écuyer rubicond, goguenard.
" Je vois. Et toi, Ruth, dis-moi, quel était ton défi ? Ou bien... Qu'est-ce qu'Alban a gagné ? J'imagine que ce n'était pas complètement gratuit."
Ces deux-là formaient vraiment un duo improbable... mais curieusement efficace.

Ruth fit la grimace.
-Ben si, c'était gratuit, il a pas voulu me donner de défi ni avoir de récompense... maugréa-t-elle.
-Ruth essaie de me rendre... plus déluré, murmura Alban. Mais... Messire, je vous présente mes excuses pour cette plaisanterie de mauvais goût.
-Arrête, tu gâches tout !

Hubert leva les yeux au ciel.
" Misère. Vous faites la paire, tous les deux. Allez plutôt me ramener les chevaux puis chercher vos armes, que je vous montre ce qu'il en coûte de se moquer de moi. Oh, et Ruth, prends donc ce marteau de tes rêves. On va voir ce que tu vaux un peu plus lourdement armée."
Il fallait qu'elle parvienne à dénicher quelque chose à sa taille, cependant, ce qui n'était pas gagné. Pendant qu'ils pansaient les animaux, il irait tirer à l'arc pour perfectionner sa technique. La visée commençait à plus ou moins aller, mais il voulait pouvoir tirer ses flèches le plus rapidement possible, et c'était à ce niveau qu'il était encore loin d'être satisfait.

Ainsi fut fait : il gagna la nef et tira à l'arc, tandis que ses écuyers s'occupaient des chevaux. Ce ne fut pas très long, et ils ne tardèrent pas à reparaître, équipés de pied en cap, la gamine tenant à deux mains un marteau que, selon toute vraisemblance, elle avait emprunté à un jeune nain. Quoique l'arme soit peut-être un peu trop lourde pour elle, la fillette la maniait plutôt bien et semblait relativent à l'aise.
-Je crois que tu as de la barbe qui pousse... souffla Alban à l'occasion d'une pause.
Son amie se fendit d'un large sourire.
-M'sire ! C'est un miracle ! Il PLAISANTE ! OUAH, ma méthode FONCTIONNE !

Hubert n'avait plus combattu contre quelqu'un armé d'un marteau depuis des lustres, et il lui fallut un peu de temps pour reprendre ses marques, d'autant que la gamine frappait comme une brute. Mais une fois qu'il fut dans le mouvement, il retrouva ses sensations et commença, comme il l'avait annoncé, par montrer à ses écuyers qu'on ne se moque pas impunément de son maître... avec humour, cependant. Quand il les eut un peu baladés, il revint aux choses sérieuses et reprit le travail minutieux de leur technique. Il laissa Ruth s'exprimer, pour observer son style et sa maîtrise. S'il décelait du potentiel, il ferait venir quelqu'un d'habitué à manier ce genre d'armes pour juger de l'utilité qu'elle se spécialise dans le marteau. Elle pouvait apprendre les deux armes, de toute façon.

De fait, la gamine s'en tira bien : il faut dire qu'une arme exploitant au maximum la force brute et le primat de l'attaque devait coller à sa nature. Néanmoins, elle n'en oublia pas tout ce qu'il lui avait appris, pensa à parer, à se déplacer, à guetter le bon moment... Alban ne fut pas non plus en reste, et Hubert constata que sa petite riposte, loin de les décourager, les poussa plutôt à se démener sans réserve. Bref, quand les exercices se terminèrent, ils étaient épuisés, trempés de sueur et d'excellente humeur.

" Tout le monde aux thermes." annonça le paladin, satisfait de son équipe.
La seconde suivante, alors qu'ils rassemblaient leur matériel, il se sentit envahi d'une courte bouffée d'angoisse, qui se mua en détermination froide. Agnès pouvait dire ce qu'elle voulait, il ne laisserait personne menacer ces enfants, même si ça la faisait grincer des dents. Mais ils savaient se défendre, c'était déjà une bonne chose.
Une fois qu'ils eurent tout rangé, il les accompagna vers les hauteurs et l'eau chaude qui effacerait les stigmates de leur entraînement.

C'était l'un des rares moments de la journée où les thermes étaient déserts. Du moins, presque déserts : la seule personne à s'y trouver était Giovanni qui, concentré, examinait les mosaïques tout en en faisant de rapides esquisses.
-Ton nouveau maître... souffla Ruth en gratifiant Alban d'un coup de coude amical.
Le barde se retourna alors.
-Ah, aurais-je enfin trouvé mes premiers modèles ? lança-t-il, sur le ton de la plaisanterie.

Hubert sentit qu'il changeait légèrement de couleur mais se contenta de décocher une grimace au barde attardé, avant de se dévêtir dans un coin et de gagner l'eau chaude. Les enfants lui avaient donné du fil à retordre, Albérich s'était bien défendu le matin même, il avait peu dormi, il était globalement tendu... Il avait besoin de mitonner dans un coin, comme il l'avait fait pendant des années et des années, aux thermes de Solarcis. Une fois leur bain terminé, il avait l'intention d'avoir une ultime conversation avec les enfants. Ensuite, il essaierait sans doute de retrouver Albérich pour voir comment il s'en tirait.
" Tu as décidé de rester, alors, finalement ?" demanda-t-il cependant à Giovanni.

Le Sunite acquiesça.
-Honnêtement, passer mon temps à voir un écuyer, très sympathique au demeurant, parvenir à ouvrir en un tournemain des coffres dont j'ai été incapable de venir à bout... Cela aurait été trop rude pour mon amour-propre.
Il eut un sourire embarrassé.
-C'est de l'orgueil mal placé, je sais bien. Mais... D'accord, je n'ai peut-être pas un cœur absolument pur. Cependant, je ne crois pas être quelqu'un de mauvais pour autant... Cette histoire ust un peu vexante, pour tout dire.

Hubert s'appuya sur le bord du bassin avec un léger sourire.
" Je comprends. Et puis tu pourras découvrir les fresques plus tard. Elles t'ont attendu pendant des millénaires, quelques jours n'y changeront rien."
Il redevint sérieux.
" Albérich pensait que c'était peut-être lié à nos origines... Que certains d'entre nous seraient les descendants des anciens habitants de la ville, quelque chose comme ça. Je n'y connais rien en magie, je dois dire... J'imagine que c'est possible. Le coeur pur... Je n'en sais rien. Je n'ai sûrement pas le coeur pur, mais peut-être qu'il y a différents modes d'ouverture... C'est un peu surprenant que ces jeunes elfes n'aient rien pu faire, tandis que Ruth la pourfendeuse y est parvenue. Mais c'est vrai que je ne connais pas ces gosses."

-Ce sont les copains de tes écuyers : ils ont donc forcément un bon fond. Quant à toi... Sérieusement, Hubert, qui peut avoir un cœur plus pur que celui d'un paladin ? Pour le reste...
Il haussa les épaules.
-La théorie d'Albérich pourrait bien être fondée. Il faudrait que je me replonge dans les documents, je suis sûr que j'y verrais plus clair. Mais ça attendra que j'ai digéré mon échec... Et pour que cela arrive, je me concentre sur ce que je sais faire : le dessin.

Hubert pinça les lèvres, il n'aurait pas imaginé que Giovanni serait réellement vexé par son incapacité à ouvrir les coffres. Il manqua lui dire qu'il n'y avait pas de réel mérite à y être parvenu, qu'il n'avait pas l'impression d'avoir le coeur plus pur qu'un autre, mais qu'il était simplement obligé d'agir d'une certaine manière, ce qui n'était pas tout à fait la même chose. Mais le barde n'avait manifestement pas envie d'en parler, aussi le laissa-t-il tranquille et se consacra-t-il à ses propres ablutions. Il surveilla les enfants du coin de l'oeil, pour être certain de pouvoir sortir en même temps qu'eux, tout en glissant dans une agréable rêverie, déconnectant, un moment, des nombreux soucis qui ternissaient son humeur.

Le barde n'ajouta rien, ne tenta pas à nouveau de le convaincre de lui servir de modèle et se concentra derechef sur les mosaïques. Quant aux écuyers, une fois leurs ablutions terminées, ils nagèrent un moment. Ce ne fut pas très long, cependant : peut-être une conséquence du fait qu'ils venaient ici toutes les nuits, à moins, simplement, qu'ils ne veuillent pas lui faire perdre son temps. Dans tous les cas, ils sortirent bientôt de l'eau, nettoyèrent rapidement leurs frusques puis gagnèrent la salle voisine.

Hubert les suivit. Il attendit qu'ils soient seuls pour reprendre la parole.
" Nous avons bien travaillé aujourd'hui. Vous avez à présent quartiers libres jusqu'au moment de notre tour de garde. Je voudrais cependant vous parler d'une chose importante."
Il hésita. Ces enfants étaient sous sa responsabilité et ce n'étaient pas des imbéciles. De surcroît, Alban savait qu'Hubert avait détecté une aura maléfique.
" Ce que je vais vous dire, vous ne devez le répéter à personne. J'ai besoin que vous me le promettiez sur votre honneur d'écuyer."

Le sourire détendu des gamins s'était dissipé, remplacé par une expression extraordinairement sérieuse. Sans doute débordaient-ils déjà d'une foule de questions, mais ils n'en posèrent aucune.
-Je jure sur mon honneur d'écuyer que je ne répéterai jamais ce que vous allez nous dire, finit par articuler Alban, la main sur le cœur.
-Je jure aussi de ne rien dire. Aussi sur mon honneur d'écuyer, enchaîna Ruth, à peine moins solennelle.

Le paladin opina du chef.
" Comme tu le sais, Alban, comme tu l'apprends, Ruth, il existe, à l'intérieur de la communauté, une âme maléfique. Je l'ai détectée il y a quelques jours. Nous ne savons pas qui c'est, ni quelles sont ses intentions. Le conseil a pris des mesures, que je ne peux pas vous détailler, pour tenter de l'arrêter. Je ne dis pas ça pour vous faire peur, je dis ça pour que vous soyez vigilants. Nous n'avons pas de raison de penser que cette personne veuille nous nuire dans l'immédiat. Elle est, comme nous, coincée dans ce fort, et les cannibales la tueront comme ils nous tueront, s'ils mettent la main sur elle. En cela, elle a besoin de nous pour survivre. Mais si vous observiez quoi que ce soit d'étrange, quelqu'un au comportement bizarre, aux propos inquiétants... Je veux que vous me préveniez. Ne prenez pas de risques, ne portez pas d'accusations. Mais soyez sur vos gardes."

Ils gardèrent le silence une bonne minute. Alban était sérieux, concentré. Ruth, elle, semblait décontenancée. Mais elle ne fut pas longue à retrouver son allant coutumier.
-Très bien, m'sire. On sera vigilants.
-Et si nous remarquons quoi que ce soit d'inquiétant, nous viendrons aussitôt vous en prévenir.
Ils échangèrent un regard.
-Mais du coup... On a quand même le droit d'aller aux thermes en pleine nuit, alors que la plupart des adultes dorment ?
-Ou bien seriez-vous rassuré si nous restions dans notre dortoir ?

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée