La Couronne de Cuivre

" Non. Continuez à faire ce que vous faites. Vous êtes capables de vous défendre au besoin. Soyez juste vigilants. Cette personne a déjà eu mille opportunités de nous nuire et elle ne l'a pas fait, jusqu'ici. Il n'y a pas de raison que, subitement, alors que rien ne bouge, elle décide de passer à l'action. Même si elle le faisait, elle n'a aucune raison de s'en prendre à vous. Donc, surtout, pas de panique. D'autant qu'il y aura des rondes, la nuit, désormais. Je voulais juste vous enjoindre à me rapporter toute activité suspecte que vous surprendriez. Et de veiller l'un sur l'autre, comme vous le faites déjà."

-Vous en faites pas pour ça ! Je veille à ce qu'il ne soit pas trop sérieux...
-Et moi, à ce qu'elle ne soit pas trop délurée.
Nouvel échange de regard.
-N'empêche, on va être vos espions ! C'est trop bien !
-Enfin, des espions qui ne furèteront pas mais se contenteront d'ouvrir grands leurs yeux et leurs oreilles.

" C'est l'idée, oui, dit Hubert en regardant Ruth droit dans les yeux. Dans ce registre, Ruth, il n'y a pas de quoi plaisanter. Prends exemple sur ton camarade. Tu sais ce que je pense des initiatives irréfléchies."
Il n'ajouta pas qu'ils étaient tous les trois bien placés pour savoir ce qu'elles coûtaient.
" Bon. Je vais vous laisser. Juste..."
Il se tourna vers Alban, légèrement embarrassé.
" Est-ce que je pourrais t'emprunter ton livre sur les..."
Il prit conscience de la présence de Ruth et se sentit rougir.
"... les combattants du bien..."

Le petit garçon acquiesça.
-Bien sûr, messire. Si vous le souhaitez, je peux vous l'apporter tout à l'heure. Sinon...
Et il lui indiqua la salle où il dormait et même l'emplacement de son lit de fortune.
Ruth sembla hésiter un moment à faire une remarque - peut-être sur les lectures de son ami -, mais elle garda finalement le silence. Le rappel à l'ordre du paladin l'avait mouchée. Pour un temps, du moins.

" Je vais aller te le chiper. J'ai quelques heures devant moi avant le souper, et je ne suis plus en état de faire grand chose."
Il sourit aux enfants, pressa doucement l'épaule de Ruth, puis se rhabilla avant de partir chercher le livre. Il avait l'intention de lire le chapitre sur les aasimars, histoire de comprendre ce qu'il était peut-être, et de savoir ce dont il était capable. Il avait besoin de certitudes en la matière, de vérifier l'intuition du gamin par lui-même. Certes, Alban, Giovanni ou Albérich observaient certaines choses, mais lui seul savait ce que c'était que d'être lui. Et ne plus être sûr de son identité était extrêmement déstabilisant.
Une fois en possession du livre, il avait l'intention de se retirer dans l'une des tours, dans une petite salle tranquille, où personne ne lui poserait de questions malvenues sur ses lectures.

Il rallia rapidement le dortoir, remarqua le lit d'Alban, près duquel étaient rangés son petit baluchon et le paquetage de Robert. Deux livres étaient en vue, signe que le gamin continuait à les compulser : l'un traitait des ordres de chevalerie et des ordres de paladins, l'autre des forces du bien.
Hubert se dirigea alors vers l'escalier le plus proche et, ce faisant, trouva les sous-sols un peu plus calmes qu'à l'ordinaire : la Communauté avait vu partir un dixième de ses membres, ce qui n'était pas rien. Enfin, il gravit les marches, s'installa dans une pièce désertée et put lire tout son saoul tandis que l'après-midi s'écoulait, que le soir s'approchait...

Hubert n'était pas grand lecteur et il s'en tint à son programme. Une fois qu'il eut terminé son chapitre, investi de ses nouvelles connaissances, il quitta la tour pour gagner le chariot où il était sûr de trouver Albérich. Il ne se trompait pas. Le Luménien était penché sur ses documents, menton dans les mains, et il avait l'air de dormir. Le paladin se souvint qu'il n'entendait rien et tapa du pied pour s'annoncer, ce qui amena son ami à relever les yeux. Il avait l'air calme mais vieilli. Hubert eut envie de se précipiter vers lui pour l'étreindre, et, bien sûr, se figea d'autant plus.
" Je te dérange."
Albérich se déboucha les oreilles.
" Pardon ?
— Tu es occupé ?
— Pas vraiment. Assieds-toi."
Le paladin s'exécuta. Ils restèrent un instant silencieux, s'observant au-dessus du bureau. Au léger sourire du Luménien, Hubert comprit qu'il songeait à la même chose que lui, au nombre de fois qu'ils s'étaient retrouvés dans cette exacte position, à Solarcis, pendant l'automne. Mais, cette fois, ils ne pourraient pas finir la soirée autour d'un verre aux Lumières du Large.
" Qu'a dit Barthélémy ?
— Il a dit oui. Facilement, même. Il a l'air presque aussi décidé que toi."
Hubert hocha la tête avec une grimace étonnée. Il s'était attendu à ce que le vieux Chauntéen soutienne Agnès.
" Il le fera demain. Nous verrons à ce moment-là.
— D'accord."
Albérich eut un haussement d'épaules.
" Je ne peux pas t'en dire plus.
— Je ne venais pas pour ça, à vrai dire."
Hubert était embarrassé, le Luménien le dévisagea avec circonspection.
« Je t’ai parlé des théories d’Alban sur ma nature.
— Tu serais un aasimar, oui. C’est plausible, nous en avons déjà parlé.
— Alban avait pioché ça dans un livre. Que j'ai lu, à présent. Enfin, juste le chapitre sur les aasimars, je dois être honnête, et j’ai vu qu’ils étaient capables, naturellement, de lancer un sortilège qui s’appelle Lumière du Jour. Or, je n’ai absolument aucune idée de comment m’y prendre. »
Albérich avait froncé les sourcils.
« C’est un sort que tu connais, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Est-ce que… tu pourrais… Je sais que c’est délicat, compte tenu de ta situation, et…
— Hubert, si c’est une particularité naturelle, tu ne devrais pas avoir besoin que je t’enseigne la manière dont lancer ce sortilège. Tous les aasimars ne vénèrent pas Lathandre. Si je parvenais à te l’apprendre, ce serait probablement simplement de la magie divine, liée à ta profession de paladin.»
Le paladin pinça les lèvres, manifestement ennuyé.
« J’ai besoin d’être sûr de savoir ce que je suis, Albérich. Je ne sais pas comment m’y prendre, or ça me semblait être quelque chose de fondamental. J’imagine que les autres… leurs parents leur expliquent, je n’en sais rien !"
Albérich soupira.
" Ecoute... Si tu veux, nous pouvons essayer. Mais je ne t’enseignerai pas les paroles du sortilège. Cela fausserait la donne, je pense.
— Merci. Merci beaucoup. C’est important pour moi. »
Il sourit mais jaugea l'attitude du Luménien, inquiet de l'effet de cette demande sur son humeur. Il savait que ce n'était pas anodin, mais ne voyait pas qui d'autre pourrait l'aider.
« Je peux te poser une question ?
— Bien sûr.
— A quoi est-ce que ça sert, au juste, de faire de la lumière quand on voit dans le noir ?
— A illuminer les autres, Messire Megrall. A t’illuminer toi."
Albérich resta un moment silencieux puis sourit à son tour.
" C'est gentil." dit-il simplement.
Hubert rougit malgré lui.
" Allons manger."
Le Luménien acquiesça et ils sortirent dans la pénombre.

La cantine était évidemment comble : en ce domaine, le départ de l'expédition n'avait rien changé. En revanche, on en parlait. Beaucoup, même : apparemment, les colons se demandaient quelles merveilles elle découvrirait dans la cité, et ils étaient déjà impatients d'avoir des nouvelles. Ils discutaient aussi du futur tournoi, signe que l'information avait commencé à filtrer. Bref, il y avait de l'animation, et ces nouveautés avaient semblait-il enrayé la lente dégradation du moral. Quant aux vives tensions qui déchiraient le Conseils, elles n'en avaient pas débordé.

Albérich et Hubert mangèrent en bonne compagnie, avec les instituteurs. La conversation demeura légère, alimentée surtout par les menues aventures des enseignants. Ensuite, ils se séparèrent. Le Luménien demeura avec sa tablée, tandis que le paladin gagnait les remparts pour son tour de garde. Il retrouva Ruth et Alban au même endroit que la veille et les mena sur la même portion de chemin de ronde. Il faisait noir, il faisait froid, et il réalisa qu'il n'avait pas demandé aux enfants si leur nuit avait été tolérable. Mais ils étaient présents l'un et l'autre; et il les engloba de son aura tandis qu'ils scrutaient la grisaille du crépuscule.
Les deux gosses regagnèrent les caves à peu près au moment où Albérich entamait sa lecture somnifère du jour. Il avait déniché un opus sur la linguistique naine, ce qui s'avéra une mauvaise idée : ses tentatives d'imiter les inflexions gutturales de la langue amusèrent beaucoup trop son auditoire pour le mener aux portes du sommeil.
Et puis ce fut la nuit.

Celle-ci différa des précédentes, car il n'y eut pas de cris.
Ils cessèrent peu après que les écuyers aient quitté les remparts, s'achevant sur un hurlement particulièrement glaçant.
Puis ne resta plus que la musique magique créée par Ariel et Giovanni.
Ce changement imprévu amena les sentinelles à redoubler de vigilance, mais rien d'inquiétant ne se produisit.
L'aube arriva enfin. La musique s'interrompit.
Ne subsista que le silence.

C'était très inquiétant. Les cannibales allaient attaquer, Hubert en était convaincu. Il laissa les remparts au sous-officier qu'Etienne avait choisi pour le remplacer puis fit mander, immédiatement, ses officiers, ainsi que Giovanni et Ezéchiel. Sans doute faudrait-il organiser une réunion du conseil, mais cela pouvait attendre. Il fallait d'abord qu'ils soient tous parfaitement clairs sur la procédure à suivre en cas d'assaut. Ils en avaient déjà parlé, bien sûr, mais les derniers jours avaient été monotones et ils s'étaient enfoncés dans une routine trompeuse. Avec un peu de chance, Ignace avait préparé leur retraite, mais les colons n'avaient pas été avertis de cette possibilité, pas plus qu'ils n'avaient discuté de la manière dont ils se replieraient, le cas échéant. Hubert voulait croire, cependant, que si le fort tombait, ce ne serait pas lors du premier assaut. En même temps, c'était étrange : ils venaient de perdre cinquante personnes, dont quarante bons combattants, soldats et civils, et les cris cessaient subitement. Curieuse coïncidence, quand on savait l'ombre à l'intérieur des murs...

Le début de la réunion eut au moins le mérite de le rassurer sur certains points. D'abord, suite au départ de deux des membres de l'état-major, les choses s'étaient réorganisées naturellement : les mercenaires tenaient toujours les murs nord et ouest, Gaspard et Étienne s'étaient partagés les autres. Ensuite, chacun avait encore bien à l'esprit les mesures décidées au moment de leur installation dans le fort : le code à base de sonneries de cors, le déploiement successif des différents types de défenseurs... Tout était parfaitement au point.

Hubert se réjouit du sérieux de son équipe. Cela n'apaisait pas vraiment son sentiment d'urgence mais il avait davantage confiance en leur capacité à résister.
" Il me reste quelques questions. D'abord, disposons-nous de tout ce dont nous pourrions avoir besoin sur les remparts. Je sais que nous sommes bien équipés en flèches, nous avons déjà empilé des cailloux, mais tout projectile est bon à prendre... J'ai lu... hum... que certains assiégés se servaient du contenu de leurs latrines pour le déverser sur l'ennemi... et nous pouvons sans doute imaginer d'utiliser de l'eau bouillante. Bien sûr, il nous faudra du combustible, mais en cas d'urgence, ce n'en est pas un mauvais usage."
Il se tourna vers Giovanni.
" Je voulais aussi savoir si Ariel avait pu progresser avec les engins que nous avons trouvés hier."

-Il m'a dit ce matin s'être bien battu avec la première baliste mais être sur le point d'en triompher. J'imagine que du coup, il pourra monter beaucoup plus rapidement les deux autres. En revanche, il n'a pas encore pu regarder la catapulte. Oh, et tant que j'y pense... Hier, j'ai suggéré à Ignace, pour varier notre ordinaire, que soit préparé un repas à la mode antelucienne. Il m'a répondu que malheureusement, cela demanderait trop d'huile, et qu'il tenait à réserver une bonne partie de celle dont nous disposons pour nos assaillants.
Quant aux autres types de projectiles, ils avaient tout le nécessaire, l'assura le reste de ses officiers.

" Nous devrions peut-être trouver de l'aide, pour Ariel. Peut-être certains de vos hommes, Guillermo, y connaissent-ils quelque chose ? Il faudra ensuite réfléchir à l'endroit le plus opportun pour les installer, sans doute en fonction de leur portée et de leur angle de tir... Là encore, je suis ouvert à toutes les suggestions."
L'huile bouillante était une bonne nouvelle. Il fallait encore qu'ils décident de la manière dont ils la chaufferaient : sans doute l'idéal était-il d'installer des braseros dans les tours d'angle désertées.
" Dans un autre registre, nous devons malheureusement évoquer la possibilité de la chute du fort. Je nous crois capables de résister plutôt efficacement, mais je ne suis pas devin, et en bon Lathandrite, j'ai tendance à espérer le meilleur. La situation nous oblige à envisager le pire. Avec l'ouverture d'une voie vers Clairétoile, nous pouvons faire fuir tous les civils dans ce couloir, il nous reste un certain nombre de chevaux et le matériel a déjà été acheminé au sous-sol. Nous devons néanmoins discuter de la manière dont nous organiserons cette éventuelle retraite, afin qu'elle se fasse dans les meilleures conditions possibles. Certains d'entre nous devrons continuer à combattre à ce niveau-ci, tandis que les autres accompagneront le repli pour protéger les arrières du groupe civil. Une possibilité est d'abandonner les remparts et la cour, de gagner le sous-sol; et de refermer l'issue derrière nous, avec une bonne avance, histoire que les cannibales perdent du temps à chercher l'entrée du passage secret."

Ses subordonnés acquiescèrent : ce plan leur convenait fort bien.
-Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais que ma compagnie constitue l'arrière-garde, intervint Guillermo. C'est une question d'honneur et, sur un plan pragmatique, je pense qu'elle constituera un obstacle de taille. Par ailleurs, je suggérerais d'installer des portes, ou au moins des barricades, au pied des quatre escaliers conduisant aux sous-sols. Si elles sont assez solides, les cannibales mettront du temps à les défoncer et lorsqu'ils pénétreront à l'intérieur, le passage secret sera déjà refermé depuis un bon moment. S'ils n'ont pas la moindre idée de la pièce par laquelle nous avons quitté les lieux, ils pourraient bien au mieux ne jamais le trouver, au pire mettre la main dessus alors que nous serons déjà loin.

" Ça me semble une excellente idée, dit Hubert. Et je vous remercie pour votre proposition. Il est certain que votre compagnie donnera du fil à retordre à nos adversaires, s'ils devaient arriver jusqu'à nous."
Il se tourna vers les autres.
" Ezechiel, en cas de repli, tu prendras — si tu es d'accord — l'avant-garde avec les autres éclaireurs. Les hommes de Gaspard et Edgar accompagneront la retraite des civils en les encadrant. Ted sera responsable d'armer les civils, il faudra l'en avertir, sans doute en tandem avec Ignace. Il faudra prévenir la panique et museler les mauvaises initiatives. Guillermo prendra l'arrière garde. Les lanceurs de sorts et les archers resteront à l'arrière de la colonne. Giovanni... Je ne sais pas si le couloir qui file vers Clairétoile a déjà été bien examiné... Vu sa situation et le rôle de ces avant-postes, il est peut-être équipé de défenses... Herses, mécanismes d'éboulement, je ne sais pas. La structure a l'air solide et a tenu des siècles, j'imagine que nous aurons peu de chance de la faire s'effondrer derrière nous..."

-C'est peu probable, en effet : d'après Roxane, c'est vraiment du très bel ouvrage... Et ni elle ni les autres n'ont repéré de piège ou de mécanisme quelconque. Cependant, si tu penses qu'un autre examen est nécessaire...
Edgar se racla la gorge.
-Mon capitaine, est-ce que cela ne vaudrait pas le coup... d'organiser des exercices d'évacuation ? Comme ça, si on doit vraiment battre en retraite, les gens sauraient ce qu'ils doivent faire et paniqueraient moins... Et comme tout le monde est désormais au courant qu'il sera peut-être nécessaire de se replier, et que nous préparons une telle éventualité... Cela ne plomberait peut-être pas trop l'ambiance...

" Il est certain qu'il faut organiser la chose... Je ne sais pas si nous devons aller jusqu'à l'exercice... Peut-être. Il faut en tout cas prévoir les choses précisément, que chaque personne sache exactement ce qu'elle doit faire en cas d'alerte. Qui doit se replier immédiatement, qui doit se charger du matériel, qui doit aller s'armer auprès de Ted. Nous devrions sans doute définir tout cela avec Ignace. Il faudrait que nous définissions un sous-groupe de personnes en charge de cet aspect. Edgar, je ne sais pas si tu as le temps, compte tenu des entraînements... Peut-être toi, Gaspard, si tu le sens ? Il nous faudra aussi un code de retraite."

-Très bien, j'irai voir Ignace. Peut-être suffira-t-il que je serve de relai entre l'état-major et l'intendance : celle-ci constitue un groupe efficace, qui a déjà bien encadré la Communauté quand il a fallu abandonner les chariots... et dans toutes les autres circonstances.
-De mon côté, je réfléchirai au code. Sans doute faudra-t-il utiliser autre chose que des cors, pour éviter totue confusion, mais compte tenu des pouvoirs dont disposent les bardes, cela ne devrait pas poser problème.

" Songez au fait qu'il ne nous en reste que deux, et que Giovanni sera déjà très occupé. Il faudra avertir Ariel et nous assurer qu'il ne s'expose pas, si son concours est crucial à cet égard. Une solution alternative est à envisager."
Il se tourna vers Giovanni.
" Peux-tu voir, d'ailleurs, si Ariel veut un coup de main avec ses constructions ? Nous devrions pouvoir lui envoyer des gens pour l'aider... Peut-être des civils qui ont de l'expérience dans ce genre de domaines : un des assistants du forgeron ou le charpentier, je ne sais pas. Enfin, vous savez sans doute que nous avons réussi à ouvrir les coffres du sous-sol, hier. Ils contiennent des armes d'excellente facture. Je vous enjoins, si vos hommes en ont besoin, d'aller chercher du bon matériel. Cela vaut pour vous aussi, Guillermo, même si je suppose que vous êtes déjà parfaitement équipés."

-Merci pour votre proposition mais, effectivement, nous avons déjà ce qu'il nous faut. Peut-être n'est-ce pas aussi efficace que vos trouvailles ; néanmoins, nous y sommes habitués, et je pense qu'il est préférable que ces découvertes aillent à des membres de la Communauté.
-J'irai voir Ariel dès que possible, et je lui chercherai de l'aide si nécessaire.
-L'un de mes hommes a quelques connaissances en matière d'armes de sièges. Il peut intervenir si vous le jugez opportun.
-D'accord. Merci.

" Parfait, dit Hubert. Si tout le monde sait ce qu'il a à faire, nous pouvons lever la séance. Je pense que je vais me rendre au conseil, ensuite je passerai voir où tu en es, Gaspard, et nous verrons ensuite pour ces palissades, Guillermo."
Il avait très envie d'aller se percher sur les remparts, mais il devait faire confiance aux équipes prévues.
" Edgar, si tu as des candidats valables, nous devons envisager de les recruter officiellement dans nos forces armées, du moins jusqu'à la fin de la crise. Nous en reparlerons tout à l'heure, mais réfléchis-y. Je pense surtout aux archers. Je suppose que les meilleurs combattants sont tous partis avec Etienne."
Si plus personne n'avait à ajouter quelque chose, il comptait retrouver Albérich pour s'enquérir des résultats de Barthélémy, avant de retrouver le conseil. Manger et dormir viendraient ensuite, peut-être.

-Je vais y réfléchir, mais le recrutement sera pas forcément évident... fit Edgar, vaguement dubitatif. Parmi les bons tireurs, il y a pas mal de jeunes encore sous la responsabilité de leurs parents, ou de gens qui ont une famille... Enfin, j'y réfléchirai.
Sur ce, la réunion s'acheva, et Hubert put entreprendre de mettre son programme en œuvre.

***

Un peu plus tôt, c'est la voix du même ancien sergent qui avait tiré Albérich de son sommeil agité. Passé les récriminations habituelles - les instituteurs ne se privèrent pas, ce qui était une tradition désormais bien ancrée -, tout le monde se leva et gagna la cantine pour un rapide petit déjeuner. Enfin, chacun partit vaquer à ses occupations.

Albérich espérait ne pas tomber sur Agnès en chemin, mais dans le pire des cas, ils s'échangeraient un bonjour poli avant de se séparer. Et si la prêtresse était avec le Chauntéen, ils trouveraient bien un moyen de s'éloigner. Il se rendit donc dans la pièce qui servait de dispensaire. Il ne savait pas si Barthélémy préférerait tenter une divination ou voudrait dialoguer avec sa déesse. Le Luménien ne savait pas ce qui était préférable. Autrefois il aurait été chercher les réponses directement à la source divine, mais aujourd'hui, il ne parvenait plus vraiment à croire que les dieux puissent les aider dans leurs misérables existences terrestres. Mais cela dépendait sans doute de la relation privilégiée que Barthélémy avait eu le temps de développer avec la Grande Mère, au fil des années.

Tymora devait être de son côté, car seul le Chauntéen se trouvait au dispensaire. Il était en train de vérifier les réserves de plantes médicinales et plus particulièrement les herbes favorisant le sommeil, jugea-t-il.
-Bonjour, Albérich, dit le vieillard, chaleureux.
Du geste, il l'invita à s'assoir.
-Alors, quelles question devrai-je poser ?

" J'imagine que les questions dépendront des réponses. Tu dois pouvoir en poser une petite dizaine..."
Il grimaça.
" Penses-tu pouvoir... obtenir ce qui nous intéresse ? J'hésitais à te proposer une divination plutôt d'une communion. C'est plus risqué mais cela nous aiderait peut-être de manière plus claire..."
L'idéal aurait été d'envisager de faire les deux, en fonction du résultat de leur premier choix.
" Les questions qui me viennent sont : Y a-t-il une âme maléfique parmi les colons ? Y en a-t-il plus d'une ? Vont-elles agir avant l'arrivée à Clairétoile ? Y en a-t-il dans le groupe d'Etienne ? Les mesures décidées par le conseil suffiront-elles ? Il est probable que Chauntéa ne connaîtra pas la réponse à toutes ces questions, mais si elle peut déjà nous éclairer sur certaines... Aussi... L'âme mauvaise est-elle de mèche avec les cannibales ?"

Barthémely resta silencieux un moment, songeur. Lorsqu'il ouvrit la bouche pour répondre, on entendit des pas, puis le pan de toile fermant l'infirmerie fut écarté, révélant Agnès.
-Désolé, je ne savais pas qu'il y avait quelqu'un... fit-elle. Je repasserai.
Et de tourner les talons.
-Je commencerai par interroger la Grande Mère, et s'il y a trop d'"inconnus" parmi les réponses, je procèderai à une divination, reprit le clerc quand sa consœur se fut suffisamment éloignée.

Albérich acquiesça. L'apparition d'Agnès le mettait un peu mal à l'aise, mais il n'en dit rien.
" Très bien. Allons-y, dans ce cas."
Le temps d'incantation était long, il faudrait patienter.
" Commençons pas les premières questions... En fonction des réponses, j'en trouverai d'autres. Nous devons commencer par savoir si l'âme mauvaise est un colon ou un mercenaire, et s'il y en a plus d'une."
Il se tut. Il aurait aimé pouvoir interroger Lathandre mais il fallait qu'il fasse confiance au Chauntéen, il n'avait pas le choix. Evidemment, si c'était lui, le traître, tout ça n'aurait servi à rien.

Une fois l'incantation terminée, le clerc ferma les yeux, puis ses lèvres s'animèrent, murmurant des phrasess tout juste audibles, si bien qu'Albérich dut tendre l'oreille pour les saisir.
-Y a-t-il une âme maléfique au sein de la Communauté ? Oui. Y en a-t-il plusieurs ? Oui. S'agit-il de mercenaires ? Oui. S'agit-il de colons ? Oui.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée