La Couronne de Cuivre

-Ils sont organisés, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais ils le sont... Comme nous l'étions nous-mêmes : ils ne donnent pas l'impression de disposer d'un plan précis de la cité ou d'informations sur les bâtiments à visiter en priorité. Bref, ils essaient de mettre sur pied une fouille méthodique même s'ils y consacrent des effectifs réduits et si, comme pour nous, c'est un peu au petit bonheur la chance. Sachant qu'eux n'ont pas le soutien d'une élue de Tymora...

" Mais donc, si je récapitule... Il y a une partie des Ithiliens au fort, une partie aux mines, une partie qui nous traque — peu, si j'ai bien compris — et une partie qui fouille les bâtiments, dit le Luménien. A-t-on une idée du nombre d'hommes dans chacun de ces quatre groupes ? Est-ce que j'en oublie ? Est-ce que... on ne devrait pas demander à Giovanni de nous rejoindre pour disposer aussi de ses observations ?"

-Il m'a fait un rapport détaillé mais si nécessaire, oui, nous pouvons le faire venir.
-En matière d'effectifs... Les traqueurs sont une vingtaine : des gens très expérimentés, visiblement, qui restent groupés, demeurent sur leurs gardes... Il faut, de surcroit, leur ajouter un nombre légèrement moindre de mercenaires qui opèrent de leur propre côté. Concernant les explorateurs, ils travaillent aussi en une seule unité forte d'une trentaine d'éléments. Prudence et vigilance sont également de rigueur en son sein.

" Si tu as les informations, pas besoin de le faire venir." intervint Hubert, qu'Albérich devina cependant surpris que le barde ait préféré faire son rapport à la juge qu'à lui-même.
Le Luménien, de son côté, décida de ne pas s'en formaliser. S'il fallait redéfinir les rôles de chacun, ils le feraient en temps voulu.
" Donc cinquante à la recherche de choses diverses. Ça en laisse environ deux cent cinquante distribués entre les mines et la forteresse. Giovanni a-t-il pu te dire combien ils étaient dans chaque groupe, environ ? Moitié - moitié ? A-t-on une idée de l'endroit où se trouvent le mage et le clerc expérimentés ?"

Marthe grimaça.
-Je me suis mal exprimée. Giovanni m'a fait un rapport détaillé, c'est vrai... mais pas plus détaillé que celui qu'il vous a fait : le but était simplement que nous soyons à égalité. Et je pense que s'il n'a pas pu nous communiquer de chiffres plus précis... C'est simplement qu'il n'en dispose pas. Mais je peux me tromper et le convoquer ne prendra guère de temps...

Hubert paraissait réticent et ne dit rien. Albérich l'observa, observa Marthe.
" Avoir une idée générale de leur répartition serait quand même utile... Mais nous verrons plus tard. Il y aura peut-être d'autres points sur lesquels nous aurons besoin d'éclaircissements. Autant ne pas le déranger dans l'immédiat."
Il n'ajouta rien, inquiet de prendre trop de place. Ezéchiel avait sûrement eu le temps de réfléchir à la situation, de son côté. Après tout, il n'avait pas paru ravi de les rejoindre : c'est qu'il avait son plan.

Les réflexions de Marthe avaient manifestement suivi le même chemin.
-A présent que nous sommes tous au point sur la situation et les forces en présence... Ézéchiel, as-tu des suggestions quant à la manière dont nous pourrions nous sortir de ce mauvais pas ?
Le rôdeur haussa les épaules.
-Ca ne va étonner personne mais dans l'absolu, puisqu'une attaque frontale n'est pas envisageable, j'aurais privilégié une tactique de guérilla visant tant à les affaiblir qu'à les effrayer. A présent que je sais que Frida et des renforts arriveront d'ici peu, je me dis que nous pourrions les attendre, ce qui rendrait toute opération plus efficace. D'un autre côté, je sais que les prisonniers n'ont pas la vie facile et que plus le temps passera, moins ils l'auront.

Hubert croisa les bras et demeura silencieux. Albérich poussa un bref soupir.
" Je suis pour examiner la possibilité d'une action unique, d'envergure et radicale. Je ne veux pas dire qu'il faut le faire... mais au moins l'envisager, dit-il finalement, embarrassé. Je conçois que les opérations de guérilla sont les plus... aisées à mettre en oeuvre, compte tenu de l'environnement, mais elles sont aussi les plus risquées pour nos concitoyens. Tant que nous ne bougeons pas, les Ithiliens n'ont pas intérêt à malmener leurs prisonniers. Mais si nous les attaquons, il y aura des représailles. Je sais que certains d'entre vous les pensent inévitables, mais pour ma part, ça ne me parait pas être une fatalité. A mon sens, il y a au moins deux options possibles. La première est de frapper directement à la tête : il y a des passages secrets partout dans la forteresse et si le Duc y réside... Il doit y avoir moyen de nous glisser jusqu'à lui pour le neutraliser. Je sais qu'il est lourdement protégé... Mais nous ne manquons pas de ressources, nous-mêmes. De surcroît, nous avons des gemmes, de la documentation sur celles-ci, et sans doute des objets qui en utilisent le pouvoir dans les vitrines des étages. Ce que j'ai lu à leur sujet ce matin me donne à penser qu'elles pourraient provoquer des miracles pas forcément meurtriers, notamment en décuplant la puissance de nos sortilèges. Ma seconde option était de neutraliser le groupe de la mine et de nous servir de leurs uniformes pour réinfiltrer la forteresse au moment du changement d'équipe. Mais cela demande beaucoup de travail d'espionnage, pas forcément aisé, avant de pouvoir éventuellement passer à l'action..."
Il eut un léger sourire.
" En même temps... Je n'ai aucune notion de ce genre de situations. J'aimerais juste que personne d'autre ne perde son aimé, son frère ou son enfant. Nous avons assez saigné comme ça."

-Je te comprends, j'aimerais également qu'il en aille ainsi mais je crains que croire que cela soit possible est se bercer d'illusions. Même si nous réussissons le coup parfait, il y aura toujouurs des Ithiliens revanchards pour s'en prendre aux prisonniers avant que nous ne parvenions à les neutraliser. Ceci étant dit, je suis également prêt à envisager toutes les solutions à notre disposition, du moment que leur mise en oeuvre ne nécessite pas des veilles entières. Nos compagnons souffrent, nos ennemis ne les ménagent pas et si l'exploitation de la mine va trop lentement à leur goût, il pourraient chercher des solutions pour obtenir davantage d'esclaves. En nous obligeant à nous rendre, par exemple.

Albérich acquiesça.
" Je sais. Mais je ne vois pas en quoi les méthodes de guérilla nous permettent d'avancer davantage... Est-ce que... puisque c'est à elles que tu imagines recourir... tu peux m'expliquer exactement comment tu vois les choses ? Très pratiquement. Combien de temps, aussi, tu imagines que cela va prendre pour que les Ithiliens partent ? Je ne demande qu'à être convaincu."

-J'ai dit que c'était la méthode que j'aurais privilégié... dans l'absolu. Mais tu auras remarqué que je me suis gardé de l'employer, alors que, crois-m'en, j'aurais eu bien des opportunités d'abattre de l'Ithilien. Mais cela risquait d'avoir des contrecoups douloureux pour nos compagnons captifs, contrecoups que je souhaite éviter autant que possible.
Il soupira.
-Je n'ai pas d'idée préconçue sur la manière de régler cette affaire. Je pense savoir comment participer à une guérilla, c'est tout : cela réclame de la discrétion, de la rapidité, des choses auxquelles ma formation me prépare. Pour autant, je ne suis pas convaincu que ce soit la meilleure voie à suivre, je ne l'ai mentionnée que parce qu'on m'a explicitement donné mon avis. Pour le reste, comme je l'ai déjà dit, je suis prêt à envisager toute option du moment qu'elle ne laisse pas trop longtemps nos compagnons aux griffes des envahisseurs.

" Le problème, c'est quelle que soit l'option que nous choisissons, il faut qu'elle ait le résultat escompté, dit le Luménien. Mais sans doute suis-je en train de brûler des étapes."
Il se tourna vers Marthe.
" As-tu un avis, sur ces questions ?"

Elle secoua la tête.
-Pas sur les moyens pratiques. Mais de manière générale, je pense que tu as prononcé la phrase clef : quelle que soit l'option choisie, elle doit porter ses fruits, car à mon avis, nous n'aurons pas de seconde chance. Alors même si cela me met profondément mal à l'aise, j'ai l'impression que nous aurions peut-être intérêt à temporiser. D'abord parce que nous pourrions glaner d'utiles informations dans les livres, des informations susceptibles de nous procurer des moyens d'action supplémentaires. Ensuite parce qu'en espionnant notre ennemi, nous pourrions découvrir des failles ou arriver à déterminer quel plan est réalisable ou non. Enfin parce que nous aurons sous peu des renforts grâce auxquels la donne sera considérablement changée.

" Faire entrer trois cents personnes ici sans que les Ithiliens ne s'en rendent compte... Ça ne va pas être évident, dit alors Hubert. Ils savent qu'ils approchent. Ils savent par où. Nous allons devoir demander à Frida de contourner la ville à bonne distance pour s'approcher par une autre porte. Or le Duc sait que nous avons des clercs puissants avec nous. Il sait donc que nous avons communiqué avec Frida. Ils vont être vigilants... et prêts à les saisir. Ce sera nettement plus prudent qu'ils demeurent à l'extérieur.
— Frida dit que c'est impossible."
Le paladin poussa un bref soupir.
" Alors il faut peut-être envisager d'organiser une véritable diversion... Histoire que les Ithiliens soient loin de l'endroit où ils passent...
— On peut aussi imaginer de les convoyer sur plusieurs jours, en groupes restreints d'une vingtaine de personnes...
— Et c'est peut-être un registre où nos amis paludiers pourraient nous aider. Frida pense que rester dehors est difficile dans ces conditions hivernales. Mais les gens du crû le font par défaut."

-Seulement pour des tâches incontournables. Sinon, aussi habitués soient-ils à ses conditions de vie difficiles, ils restent bien au chaud chez eux. Je comprends donc Frida quand elle dit que s'attarder trop longtemps à l'extérieur serait extrêmement risqué pour la colonne. D'autant qu'il lui faudrait trouver un lieu de bivouac adéquat...
Soupir.
-Nous pouvons aussi décider d'agir avant leur arrivée. Mais cela laisse peu de temps. Et si nous échouons, ce sera la catastrophe absolue. Pour les prisonniers, pour nous, pour la colonne enfin.

" Peut-être devrions-nous nous concentrer sur les informations qui nous font défaut et dont nous aurions potentiellement besoin dans un premier temps... dit Albérich. Comment se répartissent le restant des troupes entre la mine et la forteresse ? Où sont gardés les prisonniers ? Quel parcours empruntent-ils exactement pour se rendre à la mine, ce genre de choses...
— Le Duc est-il présent en personne ?
— Pensez-vous utile que nous tâchions d'entrer en contact avec quelqu'un dans la forteresse même ?"

-Dans l'absolu, cela pourrait être utile, oui. Mais j'ai peur que si les Ithiliens n'ont pas pris des mesures pour nous empêcher de contacter l'ensemble des prisonniers, cela signifie que ceux-ci ne disposent pas d'informations exploitables. Par ailleurs, je crains que si le contact se produit à un moment inopportun, alors que des gardes se trouvent dans les parages, par exemple, et que si la personne contactée trahit par son attitude ou par ses paroles qu'il se passe quelque chose d'inhabituel... Cela ne lui vaille de sérieux ennuis.

C'était curieux qu'Ezéchiel envisage des méthodes qui causeraient sans nul doute des ravages dans les rangs civils, mais qu'il rechigne à tenter de contacter quelqu'un à l'intérieur par peur des retombées.
" A mon avis, ils ne savent pas tout contrôler, dit Albérich. N'importe quel prisonnier aurait des choses à nous apprendre ne fut-ce que sur leur nombre, leur humeur, leurs habitudes... mais mon objectif est surtout de savoir si les communications passent ou si, comme nous, ils sont dans un endroit complètement imperméable à ce type de sortilèges. En d'autres mots... Sont-ils, eux-mêmes, capables de se contacter quand l'un d'entre eux est dehors, et l'autre dedans ? Ça me semble crucial si nous voulons intervenir d'un côté sans que l'autre n'en prenne conscience."

-Fort bien.
-Pas d'objection non plus.
Marthe se tourna vers Hubert.
-De nous tous, tu es le moins démuni pour avoir une opinion en ce genre de matière. Pourtant, tu es celui qu'on a le moins entendu... Que penses-tu globalement de tout cela ?

" Tu te trompes, Marthe, je n'ai jamais été dans ce genre de situations, dit le paladin. Dans toutes les prises d'otages que j'ai eu à régler à Solarcis, j'étais en position de force. De mon expérience, l'assaut frontal est la solution à réserver aux situations désespérées. Pour le reste, la négociation et l'infiltration portent d'habitude davantage leurs fruits. Mais dans tous les cas... ça n'a rien à voir avec ce à quoi nous sommes confrontés."
Il haussa les épaules.
" C'est vrai que si nous pouvions neutraliser le groupe qui se trouve à l'extérieur, ce serait formidable, mais j'ai de gros doutes quant à la faisabilité de ce plan. En fait, je n'ai aucune représentation des lieux... et beaucoup trop d'éléments nous manquent. Je n'arrive pas non plus à savoir s'il est réaliste d'imaginer que nos meilleurs éclaireurs aillent espionner l'ennemi dans ce genre d'environnement confiné... Je veux dire... les tunnels sont étriqués et... rectilignes... Il n'y a pas beaucoup d'endroits où se cacher."

Ézéchiel acquiesça.
-Je crains en effet que l'espionnage doive se limiter à la forteresse...
-Pas forcément. Giovanni m'a dit que vous aviez réussi à sauver une partie du trésor du tumulus : peut-être contient-il des objets utiles. De surcroit, Albérich, le sieur des Rosières ou nos magiciens pourraient avoir des sortilèges adéquats...

Albérich acquiesça.
" C'est certain que je peux opérer une scrutation sur un des prisonniers. Même s'ils ont protégé la forteresse, ils ne peuvent pas dissiper toute magie dans les tunnels. Je ne saurai pas espionner un ennemi, mais l'un des nôtres, sans difficulté, je pense. Il faut juste que je sois sûr que la personne est hors de la forteresse, sinon j'aurai gaspillé mon sortilège... sauf, là aussi, si la forteresse n'est pas complètement protégée.
— Protéger toute une forteresse de la magie, ça doit être... plus ou moins impossible, non ? demanda Hubert.
— Sauf s'ils ont emporté des artefacts magiques très puissants avec eux. Mais dans ce cas-là, j'ai bon espoir qu'ils soient aussi limités que nous."

-Ils ont très bien pu, aussi, entasser les captifs dans une unique salle de grande taille et ne protéger contre la magie que celle-ci, ainsi que les quartiers des "prisonniers de marque", fit Ézéchiel. Si je n'ai rien vu de la manière dont les Ithiliens traitent nos compagnons, j'ai entendu des bribes de conversation à ce sujet et... Je crains que leurs conditions d'hébergement ne soient pas très agréables.
-Il faudra qu'Albérich teste ses sortilèges. Ensuite, nous serons au moins en partie fixés.

" Installer un sanctuaire prend vingt-quatre heures, dit le Luménien. Mais nous ne savons effectivement que très peu de choses sur leurs effectifs et la magie à leur disposition. En même temps... Si Louis les a informés de nos forces... Ils ne devaient pas s'attendre à si forte partie. Agnès, Barthélémy, Gabriel et les mages, ce n'est pas grand chose... Ils ne peuvent pas avoir prévu la présence de Thibault et la mienne, par exemple.
— Mais ils ont pu être prudents.
— Oui. Dans le même temps... Je ne peux pas croire qu'ils soient si bien préparés. Louis ne savait pas grand chose. Et ils n'ont pas pu communiquer avec Lothar autrement que par bribes...
— Ils ont pu le scruter, cependant. Comme tu t'apprêtes à le faire.
— Je suppose que oui."

-De toute façon, mieux vaut ne pas sous-estimer leur puissance magique. Nous savons déjà qu'ils ont des sortilèges leur permettant de couvrir de très longues distances très rapidement, que ce soit par téléportation ou d'une autre manière : le temps écoulé entre la rupture du contact avec la colonne et l'assaut des ithiliens est trop bref pour qu'il en soit autrement.
-Sans compter qu'il doit au moins y avoir un ou deux bardes à leur service. Oghma n'est-il pas l'un des dieux tutélaires de cette profession ? Or, les bardes ne sont pas manchots en matière de magie...

Albérich croisa les bras en acquiesçant et poussa un bref soupir. La situation lui semblait à nouveau inextricable. Ils n'était pas de taille, pas assez nombreux, avec des otages vulnérables chez l'adversaire. Il se tut un instant et songea à Lathandre. Il ne pouvait pas se laisser aller.
" Bon. Prenons les jours qui viennent pour continuer à lire et faire nos tests magiques. Dans le même temps, sans doute les éclaireurs peuvent-ils évaluer ce qu'ils peuvent rassembler comme informations sans se mettre en danger..."

Marthe acquiesça. A contrecœur, sembla-t-il.
Ezéchiel, indéchiffrable, finit par le faire également.
-N'oublions pas, non plus, d'envoyer des espions à la forteresse. Si nous nous accordons un délai, il faut le mettre à profit de toutes les manières possibles.

" Et il faut continuer à vider les bâtiments avoisinants, dit Hubert. Par contre... je pense que c'est bien si Giovanni peut ne repartir que demain. Il lui faut un peu de temps pour se préparer..."
Albérich acquiesça.
" Je vais rassembler les lanceurs de sorts, de mon côté. Peut-être que d'autres idées émergeront."

-De mon côté, j'imagine que je vais participer aux recherches livresques... fit Marthe, hésitante.
Ézéchiel resta silencieux quelques instants.
-Pour ma part, et à moins que vous n'y voyiez un inconvénient, je participerai à l'une ou l'autre expédition à l'extérieur, si vous en avez prévu cet après-midi... dit-il enfin.

" Je pense que c'est bien si tu reprends la direction de ce type d'opérations, dit Hubert. Tu connais mieux vos possibilités que nous... Je peux éventuellement en discuter avec toi, si tu le désires, mais... il n'y a que toi qui peux dire ce qui est réalisable ou pas, et vu que tu étais dehors tous ces derniers jours... Tu as sans doute des idées à creuser."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue