La Couronne de Cuivre

-Ça dépend, fit le rôdeur. S'il est seulement question de visiter des bâtiments pour s'assurer qu'ils ne sont pas trop dangereux avant que n'arrivent les équipes de fouille, je ne suis pas plus compétent que toi quant au choix des destinations. Par contre, s'il s'agit de continuer à observer les mouvements de nos ennemis, je peux prendre cela en charge.
-Observer les Ithiliens et les mercenaires n'est évidemment pas sans intérêt. Mais j'imagine que cela dépend des effectifs dont nous disposons, de si nous souhaitons intensifier les fouilles...

" Je crois que pour être vraiment efficaces, il faudrait d'abord exploiter les livres que nous avons à disposition sur Clairétoile, dit Hubert. Hier, Alban m'en a prêté un qui décrivait pas mal de bâtiments... En croisant les illustrations avec les plans à notre disposition, nous devrions pouvoir cibler très précisément certains endroits d'intérêt... Pour l'instant, j'ai le sentiment que nous remplissons des sacs et des sacs de... trucs... dont nous ne savons que faire et que nous n'avons pas le temps d'examiner..."
C'était malheureusement un peu vrai.
" Si notre but, c'est de subtiliser aux Ithiliens des armes, par exemple... Il faut qu'on les localise plus vite qu'en errant dans les couloirs : pour l'heure, on ramasse juste du papier. "

Marthe acquiesça.
-Oui, s'il nous est possible d'identifier des lieux utiles plutôt que de continuer au petit bonheur la chance, nous ne devons pas nous en priver.
-Je suis d'accord. Mais cela n'empêche pas de poursuivre les expéditions en attendant que vous ayez trouvé des informations. Au mieux, nous pouvons avoir de la chance. Au pire, cela occupera simplement ceux qui en ont besoin.

" Bien sûr, dit Hubert. Comme je le disais : évalue ce qui te semble possible dans l'immédiat. Si tu jettes un oeil sur les cartes, tu verras que nous avons déjà commencé à vider quelques bâtiments... Nous avons fonctionné jusqu'ici en envoyant les éclaireurs faire un premier tri parmi les bâtiments, puis une seconde équipe est passée derrière pour prendre les choses intéressantes. Mais si tu as un autre fonctionnement à proposer...
— Si vous allez entrer dans ce type de détails, peut-être pouvons-nous lever la séance ?" intervint Albérich.

Ezéchiel esquissa un sourire puis secoua la tête.
-Non, désolé, répondit-il. Du moins, pas avant que vous n'ayez statué sur ma question, sachant que seul le conseil en son entier peut trancher là-dessus... Bref : se concentre-t-on sur la fouille de bâtiments ou mène-t-on de front cette fouille et l'espionnage des mouvements ennemis dans la cité ?

Albérich jeta un coup d'oeil à Hubert et celui-ci fronça les sourcils.
" Si tu estimes avoir les effectifs pour faire les deux de front, efficacement et sans risques démesurés, alors faisons les deux de front." proposa le paladin.
Le Luménien acquiesça. Restait Marthe.

Mais comme Albérich, celle-ci ne semblait pas avoir d'opinion et préférer s'en remettre à celle d'Hubert.
-Bon, je garderai cette possibilité à l'esprit, alors, déclara le rôdeur. Mais avant de savoir si c'est envisageable ou non, je vais devoir discuter avec ce qu'il reste des éclaireurs et tenir compte de deux changements. D'abord, les Paludiers qui m'accompagnaient vont probablement calquer leur attitude sur celle de l'ambassade. Ensuite, ma base étant désormais l'endroit où s'est réfugié la Communauté... Il deviendra impératif que personne ne puisse remonter nos traces jusqu'ici. Ce qui complique la donne.

" Nous pourrions définir une base relais, ni trop loin, ni trop près d'ici, si tu penses que c'est plus prudent, dit Hubert, mais il faudrait quand même que vous rentriez régulièrement... une fois par jour, peut-être même."
Albérich s'était tourné vers Marthe.
" Est-ce que tu penses que nous pourrions convaincre les Paludiers de nous assister dans ces missions ? Ou tu penses que c'est prématuré et qu'ils doivent d'abord nous jauger à leur aise ?"

-Je n'ai pas de certitude ,répondit-elle après quelques instants de silence. D'un côté, ils viennent à peine d'arriver et les solliciter immédiatement me semblerait un peu cavalier. De l'autre, nous sommes dans une situation d'urgence, sans compter qu'ils n'aiment pas les Ithiliens et, surtout, qu'ils seront sensibles à notre volonté d'aider nos compagnons : la solidarité au sein d'un groupe est fondamentale pour eux... Bref, le mieux est peut-être de leur demander franchement.

" Je vais t'accompagner pendant qu'Ezéchiel et Hubert règlent leurs problèmes techniques. Nous vous rejoindrons dès que nous en saurons davantage, mais peut-être faut-il a priori compter sans les Paludiers pour commencer..."
Tout en disant cela, il réalisait qu'il serait en fait difficile pour leurs invités de refuser sans paraître insensibles à leur situation... Dans le même temps, il avait appris à leur contact qu'ils n'étaient pas le genre à s'embarrasser de convenances. L'échange promettait d'être intéressant a minima... Heureusement, Marthe le mènerait avec une certaine expérience, déjà.

-Ne leur sautons pas dessus immédiatement, intervint cependant Marthe. Nous avons lancé le conseil dès l'arrivée d’Ézéchiel et il n'a pas duré des heures : par conséquent, les Paludiers doivent encore être en train de discuter avec les deux hommes qui ont séjourné parmi vous. D'entendre leur rapport, peut-être, car ceux-ci ont eu tout loisir de vous observer, de vous jauger..; Si leurs impressions sont bonnes, cela jouera en notre faveur. Alors laissons-leur le temps d'en terminer, ce sera de toute façon plus courtois.

" Tu as raison, dit Albérich avec un sourire contrit. Je te laisse juge du moment opportun.
— Organisons-nous sans compter sur eux aujourd'hui. Nous réévaluerons nos options demain, en fonction de leur décision." proposa Hubert.

-Oui, faisons ainsi, c'est le mieux. De toute façon, si les Paludiers veulent nous aider dès aujourd'hui, il est plus facile de répartir des renforts imprévus que de pratiquer des coupes sombres dans les effectifs.
-Penses-vous judicieux que nous fixions une fréquence pour les conseils ? s'enquit Marthe. Ou préférez-vous que nous nous retrouvions lorsqu'il y en a vraiment besoin ? Dans ce dernier cas, du moment que nous avons une idée de l'endroit où se trouvent les autres, il ne faudra pas longtemps pour nous réunir...

" Je serais pour que nous nous réunissions une fois le matin, une fois le soir, sauf si c'est impossible ou qu'une urgence exige que nous le fassions à un moment imprévu. Ezéchiel sera sans doute beaucoup à l'extérieur, de toute façon."
Hubert s'éclaircit la gorge.
" Si Ezéchiel sort... Est-ce que je peux sortir, moi aussi ? Après tout, nous avons ces singes célestes, désormais, qui ouvrent les portes aussi bien que moi..."

-Tu es resté cantonné à l'intérieur depuis que vous êtes arrivés ici ? s'étonna le rôdeur. Je compatis : ça a dû être rude. Je crois qu'à ta place, je me serais déjà pendu... Pas que les lieux soient désagréables, loin s'en faut, mais...
-A mon sens, rien ne s'oppose à ce que tu sortes, du moment que nous avons un moyen d'ouvrir les portes en cas de besoin. Cependant, et c'est également valable pour Ézéchiel, il me paraît impératif que vous ne preniez pas trop de risques. Nous avons besoin de vous.

Pendant une seconde, Albérich songea à se fendre d'une petite remarque sarcastique sur les derniers mots de Marthe, mais il s'abstint. Hubert savait exactement à quoi s'en tenir et de toute façon, il ne pouvait pas le protéger contre son gré. Le paladin saurait, il fallait l'espérer, mesurer les risques. Ce n'était pas gagné, vu ses antécédents.
" Je vais m'assurer avec Thibault et Gabriel que nous sommes toujours prêts à ouvrir les portes. Cela dit, si Thibault sort à nouveau, il pourra aussi se ménager ses propres allées-venues."
Le sourire à la fois penaud et ravi d'Hubert valait tous les discours.

-Bon et bien, je crois que chacun d'entre nous à son programme pour l'après-midi... fit la magistrate.
Elle sourit.
-Je vous dis donc à plus tard : je serai aux environs de la grande salle, au besoin.
Et elle s'éclipsa

" Je vais rassembler les lanceurs de sorts, dit Albérich, sans doute dans notre bibliothèque de fortune. Mais n'hésite pas à sortir, Hubert. Même si personne n'a le sortilège ad hoc en mémoire aujourd'hui, arrange-toi simplement pour partir le dernier et rentrer le premier."
Le paladin acquiesça et le clerc, saluant Marthe et Ezéchiel, se mit en quête des mages, de l'ensorceleur et de ses deux collègues clercs, en ce compris le vaillant bienfaiteur des enfants paludiers.

Lequel se trouvait évidemment en compagnie de ses petits protégés, dans la salle commune. Pris au dépourvu, il dut trouver des mesures d'urgence pour assurer leur encadrement : il confia la tâche à Ruth et aux jumeaux - tous trois privés de leurs maîtres respectifs - mais également à quelques colons des alentours, leur demandant de garder un œil sur la troupe.
Il fallut ensuite regrouper les autres lanceurs de sorts, ce qui prit un certain temps. Mais une fois la tâche accomplie, les choses allèrent bon train. Oui, Gabriel et Thibault pouvaient convoquer des créatures célestes. C'était également le cas de deux des lanceurs de sorts, quoiqu'ils n'aient pas mémorisé ledit sortilège. Pour le reste, non, ces derniers ne disposaient d'aucun pouvoir de divination : comme Hubert l'avait déjà constaté à plusieurs reprises, ils étaient très tournés vers l'offensive. Il fallait cependant ajouter, concernant les deux mages les plus agés, quelques possibilités en altération pour l'un, en illusion pour l'autre.

Mais Albérich ne voulait pas qu'ils s'en tiennent à un inventaire, il voulait aussi qu'ils discutent de leurs possibilités pratiques d'intervention.
" Bon, mais si je ne m'abuse, vous pourriez apprendre d'autres sortilèges, vous les mages, si nous mettions la main sur les parchemins adéquats ? Il est probable que ce genre de ressources nous attende encore dans un des bâtiments à explorer, si pas dans ce que nous avons déjà rassemblé mais pas encore examiné. Cela devra d'ailleurs être notre principal objectif des jours à venir : compulser, trier, analyser... Exploiter tout ce qui peut l'être, dans l'idée de délivrer les nôtres et de bouter les Ithiliens hors de la ville."
Il se tourna vers les clercs.
" Bon, vous deux, c'est différent... Thibault, je pense que tu seras réquisitionné pour sortir... et si on trouve une solution pour les Paludiers, je crois que toi aussi, Gabriel, tu pourrais être utile à l'extérieur..."

Si le Lathandrite opina du chef, Albérich l'entendit néanmoins murmurer :
-Reste à trouver une bonne solution.
Thibault lui, acquiesça sans la moindre réserve. Quant aux praticiens des arcanes, après avoir précisé qu'il n'était pas certain à cent pourcents qu'ils pourraient apprendre d'antiques sortilèges éventuellements découverts, ils manifestèrent leur enthousiasme pour l'étude des ouvrages collectés. Il n'y avait guère qu'Ambrosius que cela n'emballait pas : il faut dire que les ensorceleurs n'étaient pas exactement portés sur l'étude...

Albérich ne laissa pas la mauvaise humeur s'installer : il proposa à Ambrosius de se mettre à la disposition d'Hubert et Ezéchiel, avec Thibault. Il les envoya d'ailleurs vers les deux conseillers militaires et supervisa la mise au travail des mages, avant de se tourner vers Gabriel, dont il n'avait pas manqué la remarque.
" Qu'est-ce qui constituerait, à ton sens, une bonne solution ?"

Le clerc, qui était déjà en train de s'éloigner lorsqu'Albérich l'avait retenu, esquissa une légère grimace - se morigénant peut-être de ne pas avoir été plus discret - avant d'arborer un air sérieux.
-Une solution qui ne consisterait pas à les reléguer dans un coin, à les ranger dans la pile des "dossiers non urgents", répondit-il calmement. Si je dois m'absenter, il faudrait trouver pour s'occuper d'eux des gens prêts à les traiter avec patience et bienveillance.Ce qui, au vu des circonstances, ne sera pas évident.

Pourtant c'était un dossier non urgent. Ou ça aurait dû l'être, en tout cas.
" Je n'ai pas observé de comportements agressifs envers tes protégés, ni entendu le moindre commentaire... Si c'est le cas, que cela prend des proportions ingérables, il faut en référer au conseil. Nous pouvons convoquer une assemblée pour rappeler les gens à leurs valeurs."

Gabriel haussa les sourcils.
-Oh, mais tu m'as mal compris. Ou, plutôt, je me suis mal exprimé... Il n'y a pas d'hostilité ni même de malveillance à l'égard des petits Paludiers. Pas la moindre. Cependant, il y a un fossé entre ne rien avoir contre eux et... vouloir s'occuper d'eux. A ce niveau, les mieux disposés ont déjà pris les plus jeunes sous leur aile. Quant à nos autres compagnons... Ils sont soit trop occupés, soit trop préoccupés pour s'impliquer, ce que je peux parfaitement comprendre.

Albérich pinça les lèvres.
" Ruminer n'est bon pour personne. Même les plus troublés devront se trouver à faire tôt ou tard. Mais peut-être le moment est-il venu d'inviter ton groupe à se diviser, lui aussi... Certains des plus grands pourraient donner un coup de main en cuisine, par exemple... et ça me fait penser que Giovanni m'a parlé des thermes comme d'un bon endroit où les laisser se défouler."

Il hocha la tête.
-Ce serait une bonne idée, d'autant qu'ils savent tous plus ou moins nager. Mais reste le problème de leur encadrement aux moments où je pourrais être appelé ailleurs. Certes, les écuyers d'Hubert et les apprentis de Giovanni sont appréciés et font des merveilles, mais forcément, ils n'ont pas la même autorité que des adultes. Sans compter qu'ils ont leur propre vie à mener. Il faudrait donc des volontaires... Et malheureusement, ce n'est pas là une tâche que l'on peut faire de mauvaise grâce : si on la confie à des personnes qui, bien que voulant rendre service, n'ont pas le goût de ce genre de mission... Ce sera très contreproductif.

" Je sais bien."
Il pinça les lèvres. Ils avaient déjà fait un appel à volontaires qui n'avait rien donné. Il n'y avait aucune raison que cela ait changé : les gens voyaient bien que les gosses étaient encore là... même davantage que dans la forteresse, où ils avaient été maintenus à l'écart.
" Je m'en chargerai au besoin."

Le Lathandrite secoua la tête.
-Ne va pas t'infliger ça, Albérich : je sais bien que ce n'est pas ta tasse de thé. Et surtout... S'il y a besoin d'un clerc pour une mission, tu es mille fois plus compétent que moi pour y participer...
Il eut un sourire en coin.
-Au pire, s'il a quelques trous dans son emploi du temps et s'ils correspondent à mes moments d'absence, je pourrai recruter Giovanni. Il me doit bien ça, puisque je prends souvent en charge ses apprentis !

" C'est une possibilité."
Sauf que Giovanni serait sans doute encore moins enchanté que lui d'avoir à veiller sur les gosses. Mais la nécessité ferait loi.
" Mais l'idée était de dégager tous les lanceurs de sorts, pas d'en remplacer un par un autre. Nous verrons bien en temps utiles. Au pire, nous imposerons aux enfants de se distribuer entre plusieurs personnes, juste le temps de ton absence. Ils n'en mourront pas, ni les uns, ni les autres."
Ce qui ne serait peut-être pas leur cas à tous, s'ils n'y prenaient pas garde.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue