La Couronne de Cuivre

Hubert n'avait pas été épargné par l'embrasement du diable et il réalisa avec horreur que ses vêtements brûlaient. Pire, à présent que la bête était morte, il prit conscience de la morsure des flammes contre sa peau. Il devait s'extirper de la fournaise sous peine de succomber avec son adversaire. Trébuchant, il fit volte-face et se rua vers la porte, espérant la franchir sans trop de casse et, s'il y parvenait, atteindre la neige au dehors. L'idée qu'il puisse y avoir quelqu'un pour l'aider ne lui traversa même pas l'esprit, trop stupéfait, encore, d'être vivant.

Il franchit l'arche, voulut bifurquer en direction de l'escalier le plus proche.
Des silhouettes s'écartèrent, mais un courageux tendit la main, l'attrapa par le coude.
Ce fut ensuite le déluge.
Eau. Fumée.
Plus de flammes.
-Edgar, je crois que ça suffit...
-Pour lui, oui. Maintenant, occupez-vous de l'intendance.
-Voulez-vous... Une potion de soin, mon capitaine ?

Trempé, sonné, Hubert frissonna malgré lui.
" Je... je pense que j'ai encore..."
Il regarda ses mains comme si elles appartenaient à quelqu'un d'autre, puis les posa sur sa poitrine. Il n'avait pas tout utilisé pour Ruth et Alban, mais il n'était pas certain d'avoir encore l'énergie suffisante... S'il pouvait juste apaiser la souffrance insupportable des brûlures, ce serait un début. Il se sentit perdre pied et s'appuya sur l'homme le plus proche de lui.
" Je crois que j'ai besoin de m'asseoir."

La magie divine fit son effet, le soulageant immédiatement. L'instant suivant, on l'aidait à s'assoir, à s'appuyer contre le mur voisin.
-Où es Barthélemy ?
-Dans la tour sud-est.
-Il faut le faire chercher.
-Hubert a demandé à ce qu'il reste auprès de ses écuyers...
Non loin, les colons faisaient la chaîne, se passant des seaux plus que probablement remplis aux thermes.

Hubert les écouta sans vraiment les entendre. Il était conscient de faire un léger malaise. Il n'avait rien mangé le matin même, dormi quelques heures la veille, il avait été puiser loin dans ses ressources, sans parler de ce prodige qui lui avait permis de prendre le dessus. Il finit par se plier en deux et poser le visage entre ses mains. Les événements des dernières heures s'entrechoquaient dans son esprit, il avait l'impression qu'il aurait dû dire quelque chose aux hommes autour de lui, les mettre en garde ou les remercier ou les féliciter, ou il ne savait pas très bien quoi, au juste. Il se demanda comment allaient les enfants, où était Albérich, et il fallait prévenir Etienne, absolument, qui avait sûrement emmené des suppôts du démon avec lui, à son insu. Mais il ne se sentait pas la force de faire quoi que ce soit, à la seconde présente.

Ses compagnons demeurèrent un moment silencieux, sans doute à l'observer.
-Je m'en occupe, finit par dire Giovanni.
Des pas qui s'éloignent. Qui reviennent.
-Veux-tu boire un peu d'eau, Hubert ? Un petit remontant, peut-être ? Veux-tu que je demande à Barthélemy de venir ou...
Il se mit à murmurer.
-Ou à Albérich ?

" Je ne sais pas." murmura finalement le paladin.
Il se redressa.
" Il faut... que les choses... que les gens... les cannibales pourraient toujours attaquer... Nous ne pouvons pas nous relâcher..."
Il sourit au barde.
" Je me sens très fatigué."

HRP : à l'issue de cette journée de RP riche en émotions et en péripéties, j'ai l'honneur de t'offrir mon 20.000ème post !

-Oh, je me doute que tu es encore plus épuisé que tu ne le sens, murmura le barde. Mais s'il y a au moins une chose que je peux faire pour te soulager, c'est te rassurer : les archers se tiennent prêts à intervenir, de même que nos soldats pour l'heure dirigé par Gaspard et que les mercenaires. Ézéchiel circule parmi les colons, pour les rassurer. Là haut, les sentinelles veillent au grain... Bref, tu n'as pas à te ronger les sangs : tout va bien.

HRP : et je suis honorée ! (f)

Hubert acquiesça.
" Je crois que je vais aller me reposer... Est-ce que tu penses que tu pourrais... demander à Albérich de venir... et aussi faire descendre les enfants... Je ne suis pas certain que je parviendrai à m'endormir avant de les avoir vus."
Il eut un sourire contraint.
" Je ne suis pas sûr qu'il soit bon pour un paladin d'être sentimental, mais c'est sûrement la fatigue..."
Il se servit du bras de Giovanni pour se remettre debout.
" Merci de ton aide, Giovanni. Je suis désolé de t'avoir... réquisitionné et projeté dans cette affaire mais... je suis heureux d'avoir pu compter sur ton soutien."

Le Sunite rit doucement.
-C'est gentil à toi de dire ça, Hubert, mais honnêtement, je n'ai été d'aucune utilité, ni lors du combat dans la tour, ni lors de ce... duel épique dont je ne suis pas tout à fait sur d'avoir saisi la nature. Je me suis contenté de veiller un peu sur tes braves écuyers et à présent, je fais de mon mieux pour te soutenir. Vraiment, ça n'est pas grand-hose.
En réalité, il le soutenait au sens propre comme au figuré : Hubert n'était pas en état de se déplacer tout seul. Le constatant, Giovanni héla Edgar, qui se trouvait dans les parages, et lui demanda d'aller quérir Albérich, Barthélemy et les deux enfants, précisant qu'il fallait les conduire non au dispensaire - il évoqua une "zone sinistrée" - mais bien dans la salle où Hubert dormait ordinairement. Puis, l'aidant toujours, il l'entraîna dans cette direction.

" Je savais que tu étais là, et c'était déjà quelque chose." dit le paladin en se laissant guider.
Il aperçut avec soulagement l'endroit où il avait dormi ces derniers jours et désigna sa couche à Giovanni. Il sourit en apercevant le livre d'Alban, qu'il avait rangé près de ses fontes. C'était peut-être Lumière du Jour, en fait, ce sortilège qu'il avait lancé malgré lui. Ça avait fait beaucoup de lumière, en tout cas, et les démons n'aimaient sûrement pas ça. Mais l'effet était un peu plus spectaculaire que ce qu'il avait imaginé... Il fallait qu'il se change : il était trempé, ses vêtements en lambeaux noircis, et il essaya de s'extirper de ces guenilles pour passer sa tunique de nuit. Il n'était pas certain qu'il lui restait grand chose d'autre à se mettre. Ensuite, il attendrait les enfants et Albérich. Il ne savait pas si les premiers avaient repris connaissance, il espérait que le second n'était pas trop défait. Il fallait juste qu'il résiste au sommeil, et il n'était pas sûr d'y parvenir...

A quelque distance de là...
-Albérich !
Depuis qu'il était allé tirer Edgar et Gaspard de la nef où il s'entraînaient, une dizaine de minutes s'étaient écoulées. Une dizaine de minutes durant lesquelles bien des choses s'étaient produites : il avait entendu ce qui lui avait semblé être les échos d'un duel et, beaucoup plus nettement, des hurlements inhumains ; il avait vu les colons s'entreregarder, incrédules, inquiets, puis Ézéchiel circulant parmi eux, leur expliquant qu'un incident s'était produit mais qu'il ne s'agissait pas d'un assaut des cannibales, qu'ils ne devaient pas paniquer car tout était sous contrôle ; il avait senti, enfin, une forte odeur de fumée tandis qu'au loin, on réclamait de l'eau.
Les traits du sergent étaient marqués ; toutefois, remarquant le regard de l'ancien aubemestre, il s'empressa de lui adresser un sourire rassurant.
-Hubert aimerait que vous veniez le voir... dit-il. Il vient d'abattre Ignace. Enfin, l'horreur qui se faisait appeler Ignace et qui, du peu que j'en ai vu, m'a quand même sacrément fait penser à une sorte de... démon. Mais vous en faites pas ! Le capitaine lui a réglé son compte puis il s'est soigné tout seul comme un grand et là... Il a juste l'air d'avoir un gros coup de fatigue. Giovanni l'a conduit à son dortoir : je peux vous y mener, si vous voulez.

" Je sais où ça se trouve..." murmura-t-il.

Au moment où Hubert avait reparu des hauteurs, couvert de sang et fébrile, Albérich lui avait obéi sans broncher, comme ensorcelé par sa détermination glaciale, soulagé, quelque part, que quelqu’un pense pour lui. Il avait été incapable de lui résister ou de le mettre en garde, de lui dire adieu ou de le supplier de ne pas y aller. Malgré son état de stress et la honte qu’il ressentait à l’idée d’avoir compromis leur intervention, il n’avait pas dissocié, ce qui était en soi un progrès. Pourtant, il savait que Barthélémy avait raison, qu’Ignace n’était pas un simple intendant cruel et dément, qu’il y avait quelque chose derrière cette surface anodine, et surtout qu’il ne pourrait être d’aucun secours à son ami.
Mais l’urgence l’avait guidé, car la seule aide qu’il pouvait encore apporter à Hubert était d’aller quérir, au plus vite, ceux qui pourraient réellement le soutenir dans son combat. Edgar, d’abord, au sous-sol. Il l’avait informé rapidement de la situation, d’une voix blanche, la présence d’âmes maléfiques, la révélation de leur identité, la nécessité de vaincre. Le sergent edhoran avait filé vers les hauteurs, l’épée en main. Il avait ensuite retrouvé Guillermo dans sa chambre et le mercenaire avait été tout aussi prompt à réagir, abandonnant sa partie de dés et donnant des ordres stricts à ses hommes.
Albérich s’était senti mieux. Légèrement. Il avait cherché Ezéchiel.
Le rôdeur s’était, en bon conseiller, tourné vers la communauté, et Albérich, malgré son angoisse, en avait fait de même. Pourtant, le fracas de la lutte résonnait à présent dans le ventre du fort, le visage des colons reflétait incompréhension, peur, danger, il avait fallu contenir ce mouvement et l’apaiser, alors même qu’il n’avait qu’une seule chose en tête, redescendre et aider Hubert, aussi inutile et impossible cela soit-il. Il avait senti ses entrailles se tordre et le sang lui monter à la tête, manquant le terrasser. Mais il avait tenu bon, en songeant à Marthe, à la manière dont elle aurait fait face, à sa dignité, sa force, dont il voulait s’inspirer. Elle l’avait choisi, comme Robert avait choisi Hubert, il devait se montrer à la hauteur de l’instant.
Le bruit s’était intensifié, d’autres gens avaient émergé de la cave, convergeant vers la cour enneigée. Il avait décidé d’aller à la source. L’idée qu’Hubert puisse se faire tuer était insupportable, il avait la sensation que quelque chose était en train d'aspirer sa vie à l’extérieur de lui-même... Il avait été arrêté par quelqu’un, qui lui avait intimé de remonter, qu’il ne ferait qu’encombrer, déranger, distraire, se mettre en danger, qu’il fallait avoir foi.
Diable, il avait foi, mais il avait peur aussi.
Puis il y avait eu cette odeur de brûlé, violente, l'appel pour l'eau...
Le temps s'était suspendu pendant une poignée de secondes qui lui avaient paru éternelles.
Et Edgar, enfin, avait eu pitié de lui...

Avec un sourire maladroit, il revint au sergent.
Un démon ?! Comment une telle chose avait-elle pu se produire...
" Je vais aller voir... Merci."
Il ne se sentait pas bien vaillant mais il n'avait aucune excuse, aussi hâta-t-il le pas pour gagner les caves.

Lorsqu'il pénétra dans le dortoir, ne s'y trouvait qu'Hubert, visiblement endormi, et Giovanni, veillant sur lui, l'expression sereine.
-Il s'est effondré comme une masse. La fatigue et les émotions fortes ont eu temporairement raison de notre paladin. Pour le reste, il m'a l'air d'aller plutôt bien...
Le barde sourit.
-Je ne suis pas certain d'avoir vraiment assimilé tout ce qui s'est passé et tout ce que cela implique, mais une chose est sûre : c'est un sacré gibier que tu as débusqué, et des félicitations s'imposent.

En découvrant son ami assoupi, Albérich se sentit envahi par une bouffée d'un sentiment qu'il identifia comme étant... de la reconnaissance. Il s'assit à côté de lui et leva les yeux sur Giovanni.
" En réalité, c'est Hubert qui l'a débusqué... Je n'ai fait qu'hâter son identification, grâce à Barthélémy... Et si j'avais su que cela se passerait ainsi, je ne suis pas certain que j'aurais été le confronter dans son intendance... J'ai l'impression d'avoir jeté tout le monde dans la gueule d'un loup démoniaque..."
Il regarda à nouveau Hubert. Il avait envie de le toucher, pour vérifier qu'il était vivant, même s'il le voyait respirer tranquillement. Hormis son teint plus rouge que d'ordinaire, hormis des cheveux manifestement brûlés, il avait l'air indemne.
" Qu'est-ce que c'était ? Edgar parle... d'un démon ?"

-Hum, à mon avis, un dédmon n'aurait pas pu travailler aussi longtemps et aussi efficacement au service de la Communauté : il aurait forcément craqué, perpétré des horreurs qui nous auraient mis la puce à l'oreille... Alors je pencherais plutôt pour un diable. Je me demande encore comment Hubert a réussi à en venir à bout, car c'était... un sacré morceau.
Il jeta un regard au paladin, revint à Albérich.
-Vous formez un bon duo : lui a flairé la bête et donné le coup de grâce, toi, tu l'as identifiée. Tu as beau t'en défendre, mais il fallait y penser, à demander à Barthélemy d'interroger sa déesse. Il fallait oser, aussi, malgré les décisions contraires que ces traîtres avaient imposées au Conseil...Et heureusement que ce problème a été réglé dès à présent : le temps passant, ils auraient dévoyé, pourri la Communauté de l'intérieur, sans compter les nouveaux alliés qu'ils se seraient recrutés...
Il frissonna.
-En fait, je préfère ne pas y penser.

Albérich passa les mains sur son visage. Il s'était passé tant de choses invraisemblables depuis le matin... Il n'arrivait pas à réaliser qu'Ignace et Agnès étaient morts, l'un et l'autre. Ils avaient encore siégé au conseil la veille, ensemble... Ils s'étaient opposés, bien sûr, mais ils s'étaient érigés en défenseurs de la morale, les accusant d'avoir cédé à l'ombre et... le Luménien avait regretté de ne pas pouvoir penser comme eux. Et c'était parce qu'il s'était métamorphosé, parce que les Sharites l'avaient changé, profondément, qu'il avait pu prendre les mesures nécessaires. L'ombre l'avait armé contre elle-même. C'était presque paradoxal.
" Barthélémy a vu qu'ils n'étaient pas seuls... Même en imaginant qu'Ignace ait été leur maître... Il va falloir amener ses derniers alliés à se dévoiler. Sans leur chef, ils doivent être déboussolés, nous devons pouvoir les réintégrer... Et le conseil... Il va falloir faire des déclarations, organiser un semblant de transition..."
Dire qu'il avait voulu quitter le conseil... Quelle ironie.
" Et prévenir Etienne. Oh dieux, Etienne... Comment va-t-il supporter ceci ?"

-A cela aussi, je préfère ne pas trop songer. Parce que ça va être terriblement rude, pour lui...
Il grimaça, se reprit, sourit à nouveau.
-Mais chaque chose en son temps. Déjà, tu dois te reposer : tu n'as pas exactement été épargné par les événements... Tu peux le faire avec d'autant moins d'inquiétude qu'il y a du monde sur le pont, du monde qui prend les choses en main et s'en sort très bien. Oh, et ne sois pas trop pessimiste : Barthélemy n'a pas dit qu'ils avaient d'autres alliés. Il a dit que s'ils en avaient, il ne les avait pas vus. C'est quand même une énorme différence : si ça se trouve, ils sont tous tombés. Et si ce n'est pas le cas, je suis certain que des mesures seront très rapidement prises pour les débusquer.

Albérich acquiesça.
" Je ne vais pas me reposer. Je dois aller parler avec Ezéchiel. Le conseil ne peut pas s'effacer maintenant : les gens vont se poser des questions, et à juste titre. Dès qu'Hubert sera sur pied, nous devrons faire une déclaration officielle... Décider vers quel type de leadership nous nous dirigeons dans les jours à venir... Reprendre l'intendance... Oh diable, tu as raison, je ne devrais pas y songer..."
Il soupira.
" Comment vont les enfants ? Hubert a dit qu'ils étaient vivants... qu'Agnès était morte... Etait-ce, elle aussi, une sorte de... bête ?"

Il secoua la tête, la mine soudain attristée.
-Non. C'était... une prêtresse de Loviatar. Elle avait trouvé la couverture parfaite. A moins qu'elle n'ait été réellement Ilmate, au départ... Je n'en sais rien. Je n'ai même pas le courage d'y réfléchir, tellement...
Il soupira.
-Quant aux gosses... Ils lui ont tenu tête, et ils lui auraient sans doute donné beaucoup de fil à retordre si elle ne les avait pas accablés de sortilèges, notamment pour briser le moral... Mais Hubert les a soignés et j'imagine que Barthélemy a dissipé les restes de magie néfaste. Ils ne devraient pas tarder à arriver, tous les trois : notre paladin a demandé à les voir.

Une Loviate. Albérich manqua avoir un haut-le-coeur. L'idée qu'une servante de cette déesse infâme puisse avoir levé la main sur les gosses... Il eut beaucoup de mal à ne pas se recroqueviller sur lui-même. Il y avait encore quelque chose, dans sa carcasse, qui se souvenait des sortilèges de Noir Dessein, et il ne pouvait que compatir... Alban qui avait déjà tellement pris... et la pauvre Ruth qui avait dû charger bille en tête, fidèle à son tempérament...
Il frissonna.
" Ce sont des mômes courageux... C'est une chance que vous soyez arrivés à temps..."
Tant de risques, et ils avaient pourtant vaincu la créature... C'était à peine imaginable. Il souffla, conscient qu'il ne mesurait encore qu'imparfaitement ce que cette matinée allait signifier pour la communauté. Ils avaient perdu un clerc et leur intendant irréprochable... mais ils avaient gagné la lumière...

-Heureusement qu'Hubert est arrivé à temps, tu veux dire : c'est lui qui a tout réglé ! Moi, à part observer et brailler quand un sortilège m'a atteint après avoir traversé notre ami sans lui faire ni chaud ni froid... Enfin, l'avantage, c'est qu'en tant qu'observateur extérieur à l'action, je pourrai objectivement en faire un récit... Ou une chanson. Ça m'en fait trois sur le feu, tiens... Je crois que tant d'inspiration pour ce genre de chose, ça ne m'était jamais arrivé. Il faut dire qu'entre ses duels épiques et l'ouverture des coffres grâce aux fesses magiques d'un pal...
Il se mordit violemment la lèvre.
-Oups, je n'étais peut-être pas censé parler de ça. Hum... Heu... Je vais vous laisser un peu seuls, je crois...

Albérich le dévisagea avec une grimace interloquée.
" Les fesses magiques ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?"
Hubert remua dans son sommeil et bascula sur le dos avec un soupir. Il demeura cependant parfaitement endormi.
" Vous avez des occupations bizarres, tous les deux."
Mais le barde était sunite, et Hubert était assurément bien de sa personne. Ce n'était peut-être pas surprenant, tout compte fait.

-Ce n'est pas du tout ce que tu crois ! protesta le barde. C'est juste que le premier coffre s'est ouvert quand Hubert s'est assis dessus, et c'est ce dernier qui a commencé à délier sur le pouvoir de son postérieur... Bon, je n'ai pas été en reste, évidemment... Mais on est très vite passé à ses mains magiques, potentiellement l'objet d'une autre chanson, elles aussi, et...
-Et ? fit une petite voix très intéressée.
Le barde changea de couleur.
Ruth et Alban se tenaient sur le seuil du dortoir, Barthélemy dans leur ombre. Avec leurs frusques déchirées et ensanglantées, leurs visages et pâles tirés, leurs yeux rougis et un peu hagards, ils faisaient peine à voir. Mais ils étaient vivants. Bien vivants.

Albérich ne sut pas exactement comment réagir. Il ne leur était rien, mais il avait de l'affection pour eux, et ils avaient partagé de menus moments. Il leur sourit doucement, sans trouver la force de se lever. L'image de la Loviate, d'Agnès, s'imposa dans son esprit. Ils auraient dû mettre les gosses en sécurité avant d'aller affronter leur adversaire : il aurait été si facile de leur épargner toute cette souffrance. La honte le submergea et il baissa les yeux.
De son côté, Hubert dormait profondément, absolument imperméable aux personnes et aux conversations autour de lui. Albérich remarqua le petit tas de ses vêtements brûlés, abandonné dans un coin, ruisselant d'eau.
" Venez vous asseoir... proposa-t-il finalement. Il dort mais je suis sûr qu'il sentira que vous êtes tout près."
Et ensuite, il faudrait qu'ils se lavent et qu'ils se changent. Il les accompagnerait. C'était le moins qu'il puisse faire.

Giovanni et Barthélemy échangèrent un regard.
-On va vous laisser.
-Si Hubert a épuisé tout son pouvoir de guérison, et s'il lui reste quelque chose à soigner, dis-lui de venir me trouver, Albérich.
Les deux hommes leur sourirent puis s'esquivèrent, tandis que les écuyers venaient s'assoir près du paladin endormi. Ils l'observèrent avec des yeux ronds, et, à voir leurs yeux humides, il devint vite évident que les dommages encore visibles sur sa personne ne les laissaient pas insensibles.

Albérich les regarda partir avec un peu d'appréhension, se retrouvant entre le paladin assoupi et les enfants blessés. Il avait l'étrange impression d'être un intrus, peut-être parce qu'il se sentait coupable. Les paroles de Barthélémy lui avaient fait réaliser combien Hubert avait dû être blessé dans son combat, il se souvint de la souffrance indicible de la brûlure, eut à moitié envie de soulever les couvertures pour en juger, et puis ne fit rien. S'il avait été gravement meurtri, il aurait sans doute été incapable de dormir, or il semblait juste épuisé.
Il releva les yeux sur les enfants.
" Est-ce que ça va ? leur demanda-t-il finalement. Giovanni m'a dit combien vous avez été braves... Hubert doit être immensément fier de vous."

Les écuyers avaient acquiescé à sa question. En revanche, ce qui suivit leur arracha une grimace embarrassée.
-Brave, peut-être...
-...et encore, seulement au tout début...
-...mais efficaces, par contre...
-Mon tigre, il a même pas eu le temps de la toucher.
-C'est toujours mieux que moi : j'ai même pas pu utiliser le sceptre une fois.
-On a de la chance que messire Hubert soit arrivé : lui, il a vraiment été efficace. Et super courageux.
-Et vous aussi... Barthélemy nous a raconté ce qui s'est passé...
-On a de la chance de vous avoir tous les deux. Vraiment.

Albérich se sentit encore plus embarrassé. Ils étaient gentils, en plus d'être courageux. Polis, reconnaissants, humbles.
" Hubert est un paladin d'une certaine expérience, dit Albérich avec un calme sourire. Imaginez ce que vous serez à son âge... Il n'a probablement pas vécu le quart du tiers de ce que vous avez traversé. Vous serez des chevaliers formidables, quand le temps sera venu. C'était son rôle de vous venir en aide et son rôle de défaire le mal qui s'était immiscé dans notre communauté. Il l'a pleinement rempli, je suis d'accord avec vous... Mais vous n'avez démérité à aucune seconde. Vous vous êtes attaqués à une... prêtresse puissante. D'autres n'auraient même pas osé l'affronter."
Lui, par exemple. Une Loviate. Il réprima un frisson.
" Est-ce que vous voulez vous changer ? Dormir ? Manger quelque chose ? Je ne crois pas qu'Hubert va s'éveiller de sitôt. Je pense qu'il a pas mal de sommeil à rattraper."

Ils échangèrent un regard.
-Je ne sais pas trop ce dont j'ai envie... avoua Alban.
-Pareil, fit Ruth. Je suis un peu... perdue, je crois.
Ils soupirèrent de concert.
-Est-ce que vous pensez qu'on peut... rester ici tous ensemble, un moment ?
-Juste un petit moment ?
Ils observèrent le paladin endormi, se frottèrent les yeux.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée