La Couronne de Cuivre

Gabriel l'observa quelques secondes.
-Du moment que tu ne me demandes pas de les laisser tomber plusieurs jours d'affilée, je serai conciliant.
Il sourit.
-Mais, à moins bien sûr que tu n'aies quelque chose d'autre à me dire, je vais devoir y retourner : après tout, j'ai dû réquisitionner du monde pour pouvoir m'absenter et... Les malheureux à qui cette mission est tombée dessus sans crier gare ont peut-être déjà très hâte qu'elle se termine.

" Bien sûr. Bonne fin de journée."
Une fois le clerc reparti, Albérich se tourna vers les mages et se remit au travail, exactement comme le matin-même. Il s'entretiendrait avec ses pairs à nouveau après le repas : il voulait qu'ils organisent précisément les sortilèges mémorisés d'un jour au suivant, mais il voulait y réfléchir encore avant de finaliser une liste. Il reprit le volume qu'il avait commencé plus tôt, se dénicha un fauteuil, et reprit sa lecture, plus fastidieuse car non aidée d'un sortilège cette fois, s'arrachant rapidement à l'environnement.

Tandis que Gabril s'en allait retrouver ses ouailles et que Thibault retournait dans la grande salle, où on serait sûr de pouvoir le trouver s'il fallait qu'il se joigne à une expédition, tandis qu'Albérich et les mages se plongeaient dans la lecture d'antiques volumes, Hubert et Ézéchiel, eux, achevaient de planifier les sorties de l'après-midi. Le rôdeur n'avait pas reparlé d'espionner l'ennemi : il resta sur le principe d'explorations de bâtiments et ne trouva rien à redire aux mesures déjà prises par le paladin.

Puisqu'il en avait eu la permission explicite du conseil, Hubert décida de sortir avec le groupe d'exploration. Il craignait trop qu'Albérich change d'avis et ne revienne à la charge dès la nuit tombée, soulevant des objections qu'il serait obligé d'écouter.
" Sommes-nous assez nombreux pour former deux équipes ? Toi et Thibault d'un côté, Varamyr et moi de l'autre, quelque chose comme ça ? Gaspard sortait aussi, note, je pourrais vous l'adjoindre... Plus le reste de tes hommes et des soldats répartis entre nos deux équipes ?"

-Cela m'irait très bien. Pour toi comme pour moi, un groupe d'éclaireurs fouillera un bâtiment puis passera à un autre pendant que l'équipe de fouille prend la relève dans le premier. Hum, et effectivement, je suis pour que Gaspard dirige, de mon côté, ladite équipe de fouilles.
Il hésita.
-Je le connais mieux que le sieur des Rosières et... je sais à quel point il est carré et respectueux des consignes.

" Je serais bien venu avec toi, pour qu'il y ait un lanceur de sorts divins dans chaque équipe mais... Varamyr et Thibault ne se connaissent pas du tout... et je pense mieux de séparer les conseillers... On ne sait jamais."
Il eut un sourire encourageant.
" Et Gaspard et Thibault se connaissent un peu, maintenant. Ils ont oeuvré ensemble ces derniers jours... Je sais que notre ami sunite peut être fantasque mais je pense qu'il est conscient de la nécessité de ne pas faire n'importe quoi."
S'il n'y avait plus rien à discuter, ils pouvaient rassembler leurs groupes et sortir aussitôt.

-Je ne voulais surtout pas sous-entendre que je me défiais du sieur des Rosières ou que je le pensais capable d'actes irréfléchis. Simplement, je trouve que pour diriger ce type d'expéditions, un militaire est mieux préparé...
Moins de vingt minutes plus tard, ils étaient parés. Hubert se rendit compte qu'ils auraient eu assez d'effectifs pour constituer trois groupes d'éclaireurs. Mais pour former autant d'équipes de fouille, il aurait fallu recruter des civils... Quoi qu'il en soit, et même s'ils venaient à envisager cette possibilité, cela devrait attendre le lendemain : pour l'heure, il fallait partir si l'on voulait faire quelque chose avant la tombée e la nuit.
Enfin, pour la première fois depuis qu'ils s'y étaient installés, Hubert put s'éloigner de leur refuge.

Il en ressentit un étrange sentiment de libération. Ou pas si étrange que ça, tout bien réfléchi. Même s'il pouvait s'y astreindre, il n'aimait pas l'oisiveté. D'autant qu'il n'avait pas eu de travail précis à effectuer à l'intérieur : juste... attendre. S'entraîner un peu. Et puis attendre encore. Réfléchir à des situations qu'il ne maîtrisait pas suffisamment pour que la moindre idée lumineuse germe dans son esprit. Non, décidément, il était mieux dehors, même si fouiller des vestiges antiques n'était pas particulièrement son créneau non plus. Au moins pouvait-il bouger, et c'était inestimable. Il mena son équipe dans le sillage du groupe de Varamyr, vers le bâtiment qu'ils avaient choisi, toujours un peu au hasard, sur la carte. Il était déjà tard, la sortie ne pourrait durer très longtemps...

Faute d'être palpitante, l'après-midi changea au moins de l'ordinaire...
Le seul et unique bâtiment que purent visiter Hubert et son groupe avait probablement été un lieu d'enseignement ou de formation : la taille des salles, ce qu'il subsistait de mobilier, l'organisation globale le laissait en tout cas à penser. Ils mirent la main sur quelques documents en très mauvais état mais... rien de plus.
Sauf quand l'on s'en remettait à Ruth, la chance était chose capricieuse...
Quand la nuit s'annonça, il fallut se résoudre à rentrer à la base. La troupe du paladin retrouva celle du rôdeur et constata que celle dernière n'avait pas été beaucoup plus heureuse qu'elle.

Hubert ne s'était pas attendu à faire des découvertes miraculeuses dès sa première sortie aussi rentra-t-il passablement satisfait. Il s'était dérouillé les jambes, revenait vivant, sans avoir commis d'imprudences. Il se demanda quand même s'il ne devrait pas emmener Ruth avec lui. Mais alors il faudrait aussi prendre Alban, et il n'avait pas envie d'exposer les enfants au danger si ce n'était pas absolument nécessaire. Bref, l'un dans l'autre, il faudrait se passer de leur élue de Tymora sauf en cas de réel problème.
Une fois rentré, il se dirigea vers les thermes, histoire de se décrasser avant le repas. Ensuite, il irait voir si Albérich ou Marthe avaient découvert des choses intéressantes dans les livres, avant de passer à table. Avec un peu de chance, la soirée lui permettrait d'aller déambuler sous les arbres d'un jardin ou l'autre, voire d'explorer des zones plus excitantes dans les ténèbres d'une pièce isolée...

Albérich avait acquis des connaissances théoriques supplémentaires sur les gemmes. Il avait même une idée plus précise des incroyables possibilités qu'elles offraient. En revanche, pour les aspects plus pratiques... C'était moins glorieux.
Marthe, pour sa part, avait réussi à identifier quelques édifices intéressants, dont la caserne principale de la garde urbaine et l'équivalent d'une université de magie.
Quant aux mages, aux institeurs ou même à Giovanni... Ils étaient toujours au travail et n'avaient pas encore présenté leur rapport.

Hubert et Albérich s'installèrent face à face pour manger. Le Luménien avait les yeux un peu rouges, le paladin posa la main sur son genou, sous la table, et lui insuffla une minuscule goutte d'énergie curative. Albérich manqua rire.
" C'est juste d'avoir lu toute la journée...
— Ça n'est pas pour ça qu'il faut le subir.
— Le corps est solide, Hubert, ça serait passé en une petite heure...
— Je n'aime pas te voir souffrir."
Cette fois, le clerc rit.
" J'avais les yeux qui piquent. Maintenant, j'y vois à nouveau clair. Grâce à toi, je vais pouvoir lire toute la soirée, encore !
— Ah non, misère ! Ce n'était pas du tout mon objectif !
— Rassure-toi. J'ai d'autres projets : je voudrais discuter avec Thibault et Gabriel des sorts à mémoriser. Nous devons commencer à calculer finement ce que nous avons à disposition."

Ils avaient presque terminé de manger lorsqu'une Agathe fatiguée mais souriante vint les trouver.
-Bon, on a pu identifier quatre symboles supplémentaires, annonça-t-elle non sans une once de fierté. Un pour l'amphithéâtre du premier, un pour l'observatoire du second et deux correspondant à des galeries où sont exposés des objets étranges. Il reste encore du pain sur la planche mais... c'est un bon début.

" Formidable, dit Albérich, c'est du beau travail ! Il faudra qu'on emmène Ruth dans ces différents endroits pour qu'elle déniche les panneaux de commande, puis nous pourrons les activer... Enfin... pour autant qu'ils ne nous révèlent pas à l'extérieur... J'ai un peu peur de l'observatoire, il doit se voir de loin, et si nous mettons toute une machinerie en mouvement, les Ithiliens pourraient nous apercevoir... mais les galeries sont prometteuses... et je ne crois pas avoir vu cet amphithéâtre, encore."

Le sourire de l'institutrice se fit mutin.
-En même temps, Albérich, as-tu vu beaucoup de salles de ce bâtiment ? Je ne crois jamais t'avoir croisé dans les étages... A franchement parler, ce manque de curiosité est indigne d'un membre de l'Académie ! Et être débordé par ton travail, ce n'est pas une excuse : tu pourrais rogner sur ton sommeil. A l'inverse, Hubert, lui, a fait honneur à notre docte confrérie en explorant une bonne part de ce lieu...

" Ah, tu as raison, je devrais y remédier...
— Je peux te faire visiter, si tu veux." dit le paladin d'un ton qu'il espérait dégagé.
Le Luménien lui jeta un petit coup d'oeil en coin puis acquiesça.
" J'aimerais voir cet amphithéâtre en tout cas... Il pourrait peut-être nous servir pour les assemblées, s'il est assez grand pour accueillir tout le monde."

-Il l'est assez, je pense.
Elle jeta unr egard en direction de ses collègues.
-On a laissé une liste des signes à ton intention dans la salle des livres. Mais sur ce, je vous abandonne : nous allons essayer de faire une ultime tournée avant que nos "lits" ne nous rappellent à eux. Bonne soirée à vous !
Sur ces mots, elle s'en fut.

" Vu la dureté de ces lits, je ne sais pas qui y songe avec envie." murmura Hubert à moitié pour lui-même.
Albérich lui sourit.
" Les fauteuils ne sont malheureusement pas plus confortables...
— Est-ce qu'il n'y a pas du lin dans ces plantes qui poussent ? Du chanvre ? Du coton ? On devrait pouvoir se tisser des choses...
— Il n'y a pas de quoi faire une chemise, si tu veux mon avis. C'est davantage un jardin botanique qu'un lieu de production."

Leur repas terminé, ils rallièrent la salle des cartes où Marthe et Ézéchiel ne tardèrent pas à les rejoindre.
L'on commença par le bref rapport des très peu productives expéditions du jour. Puis Marthe parla des bâtiments qu'elle était parvenue à identifier par l'entremise des livres à leur disposition - en particulier celui choisi par Alban. Avec les plans dont ils disposaient également, ils purent précisément localiser l'école de magie, qui se trouvait non loin de la bibliothèque. La caserne, d'après certains textes, était dans un quartier bien plus éloigné.

L'école de magie semblait un bon objectif pour commencer.
" Peut-on imaginer diviser les éclaireurs en deux groupes ? Un premier irait reconnaître les lieux jusqu'à la caserne, un second s'occuperait de l'école de magie, que nous viderions en priorité ? demanda Albérich. Comme ça, une fois l'école gérée, la route jusqu'à la caserne sera connue et nous pourrons enchaîner immédiatement ?"
Hubert se tourna vers Ezéchiel.
" Nous pouvons peut-être directement investiguer les deux lieux..."

-Possible mais difficile. Et risqué.
Le rôdeur observa à nouveau les plans.
-Concernant la caserne... Il faudrait qu'une équipe s'absente une journée entière : elle est loin d'ici, dans un secteur que nous n'avons pas encore visité, si bien que repérer l'itinéraire prendra du temps, d'autant plus que nous pourrions avoir affaire à des monstres... Quant à l'université, elle se dresse dans une zone où les Ithiliens sont particulièrement susceptibles de s'activer, ce qui réclamera une approche extrêmement prudente...

" Alors ciblons l'université en priorité : il faut que nous la vidions avant qu'ils ne mettent la main sur les trésors qu'elle renferme." proposa Albérich.
Hubert pinça les lèvres.
" Mais nous risquons de nous retrouver face à face avec l'ennemi.
— Je sais mais... pour l'instant, toutes les armes que nous avons découvertes étaient de bonne facture, mais finalement classiques : des épées, des boucliers, des cottes de mailles. Les soldats ithiliens sont déjà équipés de matériel de bonne qualité. S'ils en trouvent un peu plus, cela ne changera pas fondamentalement la donne... Mais par contre, la magie, et plus particulièrement la magie des gemmes, est potentiellement dévastatrice. Si les Ithiliens se l'approprient, non seulement nous ne récupérerons pas notre ville, mais Hélonna tout entière pourrait voir son équilibre basculer."

-Je suis d'accord : du moment que nous acceptons les risques qu'elle comporte, cette opération doit être prioritaire, acquiesça Ézéchiel. Mais nous devrons donc monter cette expédition avec une minutie toute particulière. D'une part, elle doit être suffisamment armée pour faire face à l'équipe d'exploration ithilienne si par malheur nous tombons nez-à-nez avec elle. D'autre part, elle doit comprendre des effectifs suffisants et adéquats afin que nous soyons sûrs de récupérer tout ce qu'il y a de plus important dans le bâtiment. Car nous n'aurons sans doute pas l'occasion d'y faire une deuxième visite.

" Le sac de contenance pallie le problème du transport, mais c'est vrai que plus il y aura de mains, plus vite cela sera réglé...
— Mais combien d'hommes est-il possible de faire cheminer discrètement dans les couloirs ? Quinze ? Vingt ? As-tu une idée de la taille des groupes d'exploration ithiliens ? Et circulent-ils sous terre ou dans les tunnels ? Peut-être pouvons-nous emprunter le chemin qu'ils n'arpentent pas... de nuit, si nécessaire."

-Comme je vous le disais ce matin, leur équipe d'exploration est forte d'une trentaine de personnes. De ce que j'en ai vu, elle privilégie les déplacements par les tunnels pour se rendre dans le secteur qui l'intéresse mais, une fois sur place, elle opte pour des déplacements en surface : il faut dire que le réseau souterrain est par endroits on ne peut plus labyrinthique...
Il se tut quelques secondes, concentré.
-Constituer un groupe aussi important que le leur me paraît envisageable, si tant est qu'il comporte suffisamment d'éclaireurs compétents : c'est eux qui devront prendre les devants, repérer les Ithiliens et trouver une solution pour les éviter, le cas échant. Cependant, plus que le nombre global, c'est la qualité des membres de l'équipe qui comptera, surtout pour la fouille. Nous ne pourrons pas rester dans cette école de magie très longtemps et pourtant, il faudra essayer de trouver tout ce qu'elle renferme de puissant. S'ils ne nous ont pas déjà devancés, nos ennemis nous suivront de près et eux auront tout loisir... de passer des jours dans le bâtiment, s'ils le souhaitent.

" Trente personnes qualifiées... Ça veut dire vider le groupe de toutes ses compétences martiales et magiques. C'est extrêmement risqué.
— Nous ne sommes pas obligés d'envoyer tout le monde. L'ensorceleur n'est pas porté sur les bouquins, et Gaspard pourrait rester ici aussi. Et au moins un clerc. Comme toi, par exemple.
— Evidemment." fit Albérich avec un sourire entendu.
Hubert ne releva pas.
" Ça nous ferait les mages, Giovanni, Gabriel et Thibault, Edgar et moi, toi, Ezéchiel, et Varamyr, plus tes hommes et les miens. Est-ce que c'est ce que tu imaginais ?"

-Oui. Enfin, presque.
Il eut une légère grimace.
-Mais j'aurais ajouté Ruth. Quand on voit les prodiges dont elle est capable, quand on voit son efficacité, le temps qu'elle peut faire gagner... Je me dis que se priver de son don, sachant comme il est ardu de trouver les choses secrètes que recèle cette cité, serait se tirer une flèche dans le pied.

" Je savais que quelqu'un dirait ça." dit Hubert, résigné.
Il soupira.
" Si j'emmène Ruth, je dois emmener Alban. Misère, ça va m'ajouter une dose de stress dont je me serais bien passé."
Il secoua la tête.
" Mais c'est raisonnable. Soit Ruth et Alban en plus. Je les surveillerai."
Finalement, c'était peut-être une manière de s'assurer qu'Hubert ne prenait pas des initiatives folles, aussi le Luménien ne dit-il rien. Idéalement, il aurait aimé que les enfants ne soient pas mêlés à cette affaire, mais Ezéchiel avait raison et lui-même pensait, plus que quiconque, peut-être, que la gamine avait réellement été touchée par la déesse.

Marthe ne protesta pas. Mais il était évident que l'idée que des enfants soient embarqués dans une opération aussi risquée la mettait mal à l'aise. Quant à Ézéchiel, sa grimace s'était accentuée.
-Hubert, je comprends et je respecte le fait que tu sois soucieux de maintenir une équité entre tes deux écuyers, commença-t-il, hésitant. Malheureusement, je crains qu'en la circonstance, il faille sursoir à ladite équité. Car là où Ruth sera pour toi une source d'inquiétude tout en étant extrêmement utile à l'expédition, Alban... sera juste une source d'inquiétude.

" Ezéchiel a raison. Et je pense qu'Alban sera capable de comprendre, murmura Albérich, d'un ton apaisant.
— Bien sûr, dit Hubert. Il va comprendre. Ça ne l'en blessera pas moins."
Il soupira.
" Mais je lui parlerai. Et si nous voulons être prêts pour partir demain, nous avons intérêt à prévenir les personnes concernées dès à présent."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue