La Couronne de Cuivre

" J'enverrai quelqu'un regarder dans les refuges de la périphérie. On y a envoyé les enfants, comme vous le savez... Et si votre fils a réussi à rejoindre Champsdor, on l'y aura envoyé, qu'il le veuille ou non."
Amrod lui ouvrit la porte et ils regagnèrent la petite place au dehors. Le soleil s'était levé, discrètement, et le ciel était désormais bleu gris. L'atmosphère était beaucoup plus détendue, plus rien ne tombait du ciel.
" Je ne sais pas pourquoi ils n'attaquent que la nuit... Sans doute y puisent-ils une certaine énergie, je l'ignore. Mais c'est tant mieux, quelle qu'en soit la raison : il nous faut bien une accalmie."

Taliesin acquiesça.
-En effet, fit-il.[color=#FFFF666] Et je porterai cette information à la connaissance de maître Wilmarin : qui sait s'il ne pourra pas en déduire des choses quant à la nature des cultistes et de leur pouvoir ?[/color]
Lui-même se demandait quelle entité malfaisante ces fous pouvaient bien vénérer. Un diable, peut-être, ou un démon...

" J'espère surtout que vous allez trouver les mots pour le faire venir... Sans son intervention, je crains que l'assaut ne soit donné rapidement. Et je le comprends. Les dégâts que ces fanatiques sont en train de causer à Champsdor s'accumulent nuit après nuit, et les pertes humaines seront bientôt plus élevées que le nombre de prêtresses qui se trouvent là haut."
Compte tenu du calme qui régnait désormais dans les rues, Amrod s'était permis de prendre un chemin plus direct vers sa villa.
" D'autant que, si ça se trouve, ils se renforcent plutôt que de s'épuiser. On ne sait pas ce qu'ils ont là haut. Ils pourraient très bien avoir un portail ou quelque chose du genre..."

-Espérons qu'il n'en soit rien. Mais dans tous les cas, il faut vraiment régler ce problème au plus vite, oui.
Il coula un regard vers les hauteurs, vers l'abbaye.
-Je m'efforcerai de convaincre maître Wilmarin. Je ne peux pas promettre de réussir, mais soyez assuré que je ferai tout mon possible.

Ils gagnèrent la villa et traversèrent son étrange barrière miroitante, avant d'entrer. Les serviteurs étaient levés, désormais, et s'affairaient dans les couloirs. Le majordome les informa que "ces dames prenaient leur petit-déjeuner dans le jardin" et que "le petit garçon dormait dans la chambre jaune". Amrod tourna un regard interrogatif vers le barde, le laissant décider de ce qu'il convenait de faire.

-Je vais quand même aller lui parler fit le barde. Ensuite, si vous en êtes d'accord, j'irai saluer Cordélia. Mais ce sera bref, dans un cas comme dans l'autre : je sais que le temps presse.
Ce qui était sûr, c'est que s'il prenait prétexte que Baptiste dorme pour partir sans dument l'informer de ses intentions, celui-ci risquait de le prendre très mal.

La chambre jaune était décorée très sobrement, dans les tons de ses rideaux, de son tapis et de son couvre-lit. Baptiste s'éveilla dès que le barde en eut franchi le seuil, un peu comme s'il l'avait guetté dans un demi-sommeil. Il se redressa sur son séant et bailla doucement tandis qu'il approchait. La lumière du jour naissant perlait au travers du lin des tentures, mais vu l'état de fatigue de l'enfant, cela ne l'empêcherait sans doute pas de se rendormir rapidement.
" Je parie que tu repars." observa-t-il, sur un ton résigné.

Il acquiesça.
-Oui : je repars dans la Lorien, pour essayer de convaincre maître Wilmarin de prêter main-forte aux habitants de Champsdor. Cela paraît indispensable, compte tenu de la puissance magique dont disposent les membres de la secte. Et donc voilà, je venais t'en informer, comme promis.

" Et j'apprécie." dit le petit garçon avec un sourire un peu las.
Il s'appuya à son oreiller.
" J'imagine que c'est encore la meilleure nouvelle possible... Tu t'éloignes des combats et de cette abbaye maudite. Moi je vais rester. Je dirai bonjour à Victor de ta part quand il arrive. Avec Cordélia en ces murs, c'est le meilleur appât."

Sauf que Victor était peut-être déjà aux mains des cultistes et que, même si ce n'était pas le cas, il n'entendrait pas forcément parler de la présence de Cordélia ici. Mais, bien sûr, il ne dit rien de tout cela.
-Ça marche. Je te laisse te reposer et je te dis à bientôt.
Et il s'apprêta à tourner les talons. Un détour par le jardin puis ce serait le départ pour la Lorien.

" Bon voyage." dit le garçon, sans le quitter des yeux tandis qu'il regagnait la porte et sortait.
Il ne lui fallut que quelques secondes pour déboucher dans le jardin, car des portes y donnaient le long des couloirs et il lui suffit de pousser la première. Après cette nuit enflammée, il faisait curieusement bon, et même tranquille, dans la cour arborée de la villa. Il trouva Cordélia à l'endroit où il avait rencontré Armod et la princesse Elwyn pour la première fois. Elle était seule, sirotant une tasse de thé. Elle paraissait en bonne santé, sans doute un peu plus maigre que lorsqu'il l'avait vue pour la dernière fois, et lui décocha un sourire un peu goguenard en le voyant arriver.
" Mais qui voilà ! On m'avait dit que tu étais mort !"

-Eh bien, jusqu'à aujourd'hui, je craignais moi-même que ceux qui t'ont dit cela ne s'en soient pas tirés... Heureusement, nous nous sommes tous trompés.
Il sourit.
-Ravi de te voir saine et sauve.

Cordélia sourit.
" Saine, je ne sais pas. Sauve, c'est sûr. Et je te le dois, une fois de plus. Merci. Mais avec toutes ces dettes, comment vais-je m'en sortir ? Tu ne voudrais pas te mettre dans une situation inextricable, un de ces jours ? Histoire que je puisse te tirer d'affaire ?"

-Pour le coup, je n'étais pas seul et je ne serais parvenu à rien sans l'aide de mes camarades : je ne t'ai même pas exfiltrée de l'abbaye, puisque nous avons été séparés et qu'il m'a fallu me replier sans savoir ce qu'il était advenu de vous. Mais si malgré cela, tu te sens redevable... Bah, dis-toi que tu pourrais plus qu'amplement me sauver la mise : si d'aventure Victor se présente ici plutôt que de foncer tête baissée dans les griffes de la secte, je serai ton débiteur. Et plutôt deux fois qu'une.

" Ah non, ça ce n'est pas possible, dit Cordélia en secouant la tête d'un air faussement contrit. On lui laissera un petit mot. Ou Baptiste lui dira. Parce que moi je viens avec toi voir le sage elfe. Je suis restée coincée ici bien trop longtemps. J'ai besoin d'air pur et de grand galop. Et puis tu seras content d'avoir de la compagnie, tu verras. Peut-être que je pourrai te sauver la mise en route !"

Et voilà qu'elle s'y mettait, elle aussi... Quelle idée stupide avait-il eu de vouloir lui dire bonjour ?
-Cordélia, je serais ravi de voyager avec toi, mais j'ai peur que maître Wilmarin ait l'impression que j'essaie de lui forcer la main, si je te conduis à lui... D'accord, peut-être a-t-il une moins mauvaise opinion des humains qu'il ne veut bien le dire, à moins simplement qu'il ne laisse leur chance à ceux qui m'accompagnent, mais... les négociations risquent d'être encore plus difficiles. Par ailleurs, et je ne plaisante pas, j'ai peur que si Victor apprend que tu es dans la Lorien, il y fonce aussitôt tête baissée, sans rélféchir, sans laisser personne le retenir.
A moins bien sûr qu'il ne soit déjà capturé.

" En quoi ma présence forcerait-elle la main de ce vieux magicien ?"
Elle sourit.
" Je veux bien rester hors de la forêt, si tu veux. Je t'attendrai à la lisière et nous ferons la chemin du retour ensemble. Je veux dire... J'ai le droit d'être dans la Vallée, quand même, non ? Et puis pour Victor... Tu ne crois pas que tu exagères un peu ? Je ne suis pas sa mère."

-Oh, je n'exagère nullement. Baptiste t'a-t-il raconté ce qui s'est passé ?
Il sourit.
-Sinon, eh bien, je le ferai en chemin.
Ce compromis lui convenait, d'autant qu'il lui épargnait une longue joute verbale.

Elle sourit et se leva.
" Bon, je vais chercher mes affaires. Baptiste m'a dit que Victor s'était enfui. Mais il m'a dit aussi qu'il avait probablement saisi le premier prétexte venu pour partir à l'aventure."
Elle eut un léger soupir, presqu'attendri.
" Il y en a, des comme ça. Ce n'est pas facile, mais... finalement, s'ils étaient sages, on s'ennuierait davantage, non ?"

Il fit la moue.
-Peut-être. Mais je dois avouer que même si je ne souhaite pas que mes mômes soient sages comme des images, ce serait un peu plus simple, et un peu plus reposant, s'ils tenaient ne serait-ce qu'un minimum compte de mes consignes et cessaient de foncer tête baissée vers le danger...
Enfin, dans le cas de Victor, sans doute était-ce pathologique...

Cordelia lui emboîta le pas vers l'intérieur de la villa, abandonnant son thé sur la table, où, sans aucun doute, un serviteur viendrait le chercher rapidement.
" En même temps, les enfants sont comme des... éponges. Ils observent ce qui se passe autour d'eux et l'imitent. Tu n'es pas exactement la personne la plus tranquille du monde. Tu diras que tu ne le cherches pas, mais... ça revient au même, au final."

-Sauf que je ne suis plus un enfant, que je réfléchis avant d'agir et que je ne me lance pas dans des actions suicidaires...
Sourire en coin.
-Mais allez, avoue : tu l'as déjà croisé et il t'a grassement payée pour jouer son avocate, dans l'espoir d'atténuer sa punition...

" Je l'aime bien, ce petit." dit Cordélia en s'immobilisant devant une pièce dont elle poussa la porte.
C'était une chambre agréable, meublée avec soin, comme toutes celles de la villa d'Amrod. La jeune femme n'avait pour ainsi dire plus aucune possession, il ne lui fallut donc que quelques minutes pour attraper des bottes et une veste, sans doute un don de leur hôte. Elle s'assit sur le lit pour enfiler les premières.
" Mais je comprends que tu sois inquiet... Cela dit, avec tout ce qu'il a traversé... Ce ne sera jamais un enfant ordinaire. Moi je lui ferais confiance. Il va se débrouiller. S'il arrive jusqu'ici, il comprendra vite ce qui s'est passé et il se renseignera avant de tenter d'aller à l'abbaye. Ce qui est de toute façon impossible en ce moment, si on n'a pas d'ailes."

-Tu ne l'as pas vu à l’œuvre... soupira-t-il. Pour te donner une idée, avant que les choses ne dégénèrent vraiment, il s'est faufilé en pleine nuit au milieu du campement des centaures et ce, pile au moment où des gens manipulés par la secte s'apprêtaient à l'attaquer. Certes, il n'était pas au courant de cela, mais n'en reste pas moins que c'était un acte stupide qui a failli aboutir à sa mort et à la mienne. Et le pire, dans cette histoire, c'est que cela ne lui a pas servi de leçon, que malgré nos discussions, mes mises en gardes, il s'est enfui de chez maître Wilmarin pour traverser une forêt pleine de dangers et interdite aux humains, pour se jeter ensuite dans le guêpier qu'est cette vallée...
Il secoua la tête.
-Je l'aime, là n'est pas la question, mais je ne peux plus lui faire confiance. Il se fiche de ce que je dis, de ce que je pense, il ne m'obéit plus le moins du monde et il n'a manifestement aucune conscience du danger... Bref, dans de telles conditions, je ne peux assurément plus voyager avec lui : le risque que cela finisse mal est trop grand.

" C'est toi son père, c'est toi qui décides. Mais je pense que tu y gagnerais à imaginer des modes... de fonctionnement avec lui... plutôt que de lutter. Je n'en sais rien. Regarde-moi : j'ai planté ma famille. Je me dis parfois que peut-être... mais bon. Les regrets, c'est inutile. Les choses sont comme elles sont."
Elle regagna le couloir et ils se dirigèrent ensemble vers la sortie de la villa, avec son allée de cailloux multicolores.
" Amrod a dit qu'il allait nous faire préparer des chevaux."

-Oh ? Il avait deviné que tu viendrait ?
Il sourit, pas mécontent d'abandonner le sujet Victor, lequel était un problème auquel, malheureusement, il ne voyait aucune solution.
-Mais donc oui, le trajet jusqu'à la forêt se fera à cheval. J'espère que tu aimes galoper !
Car il n'y avait pas de temps à perdre...

" Il n'a rien deviné, je lui ai dit que je viendrais. Il n'a pas fait de commentaires. Il est plutôt sympa."
Elle eut un léger sourire.
" Un excellent hôte. Beaucoup de goût. Et plutôt joli garçon."
Elle rit joyeusement tout en gagnant le bâtiment latéral, d'où s'échappaient les odeurs délicieuses de l'écurie.
" Je prends le gris." annonça-t-elle en apercevant deux chevaux légers, sellés et bridés, qui les attendaient à l'extérieur.

Cordélia avait donc pris sa décision avant même d'en discuter avec lui...
L'elfe se dit que cela pourrait être reposant, pour une fois, d'avoir affaire non plus à de fortes têtes le mettant constamment devant le fait accompli mais à des personnes plus conciliantes face auxquels ses arguments pourraient avoir ne serait-ce que d'un minimum de prise.
D'un autre côté, avec ses interlocuteurs actuels, la situation était simple : il n'avait qu'à renoncer à convaincre, qu'à laisser faire. Qu'à lâcher prise, en quelque sorte.
-Ca me va, répondit-il simplement.

La jeune femme lui jeta un regard en coin, peut-être sensible à son changement d'humeur, mais elle n'ajouta rien et enfourcha le cheval qu'elle s'était choisi. Le second était un hongre tacheté, à l'encolure joliment arquée, qui ne manquait pas d'allure. Sans doute était-ce une constante dans ce qui franchissait les portes de la villa d'Amrod. Il regarda l'elfe approcher avec curiosité et le laissa monter en selle sans manifester d'inquiétude. Taliesin constata que les fontes étaient pleines. Le palefrenier, un homme d'une quarantaine d'années aux manières calmes, comme beaucoup de ses confrères, s'approcha d'eux.
" Maître Amrod s'excuse de ne pouvoir venir vous saluer en personne, mais il a été appelé dans le quartier sud-est pour des questions d'approvisionnement. Il vous a fait porter des provisions pour le voyage. Pensez-vous avoir besoin d'un cheval supplémentaire ? Pour le seigneur elfe que vous devez ramener ?"

Taliesin réfléchit puis secoua la tête.
-Je vous remercie mais je pense que ce ne sera pas nécessaire : maître Wilmarin dispose sans doute de moyens de se déplacer. Et si d'aventure je me suis trompé, je lui cèderai mon propre cheval et j'userai de magie pour revenir.
Des chevaux pouvaient s'avérer utiles, ici : il ne voulait donc pas vider l'écurie d'Amrod.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile