La Couronne de Cuivre

" C'est un peu... glacial à mon goût. Et foutrement risqué. Cela voudrait dire exposer Barthélémy ou les enfants... Ça me parait complètement insensé.
— Je ne suis pas féru de méthodes déloyales, même pour piéger mon adversaire, osa Hubert, embarrassé.
— Je reste convaincu qu'il faut d'abord leur proposer de se rendre, même si nous ne savons pas quoi faire d'eux."
Hubert soupira.
" C'est vraiment dans ces moments-ci que je me rends compte que je ne suis pas fait pour gouverner quoi que ce soit."
Albérich lui sourit.
" Allons. On ne peut pas triompher de tous les obstacles en un tournemain."
Il se tourna vers Ezéchiel.
" Interrogeons les colons sur la détection. En fonction de leur décision, nous aviserons sur les mesures à prendre."

Ezéchiel soupira.
-Très bien. Mais protégeons dès à présent ceux qui pourraient être menacés. S'il reste des traitres, l'issue de la consultation leur semblera assez certaine, ce qu'elle est, et sachant qu'ils seront détectés tôt ou tard, ils pourraient être poussés à certaines extrémités regrettables. Surtout s'ils avaient passé un pacte avec le diable : sa disparition les empêchera de toucher leur récompense, mais leur âme restera be et bien vendue. Hum, et comment voulez-vous que nous interrogions l'Assemblée ? Une réunion dans la nef ? Un vote par écrit ?

" Je pense que nous ne pouvons pas faire l'économie d'une déclaration, commença Albérich.
— Je vais aller organiser la protection des cibles immédiatement, fit alors Hubert en se levant. Si des âmes mauvaises sont parmi nous, elles doivent certainement se sentir déjà en sursis. Qui est menacé ? Alban, Ruth, Barthélémy ? Voyez-vous quelqu'un d'autre ? Et il faut que je sois sûr de mes protecteurs... Misère, ça veut dire les sonder.
— Ton état-major est sûr...
— Je ne peux pas affecter mes officiers à de la surveillance... Bon, Alban et Ruth vont rester avec moi, ça règlera déjà la question. La nuit, ils dormiront avec Barthélémy, qui protégera le dispensaire. Il faut que je me trouve un soldat irréprochable, qui acceptera que je le sonde."

-Mais que décidons-nous pour la consultation ? Et qu'en est-il des questions de gouvernance ? Les soumettons-nous aussi, et tout de suite, à la Communauté ?
Il grimaça.
-Oubliez. Protégeons d'abord ceux qui doivent l'être. Ensuite, nous pourrons nous réunir à nouveau pour discuter de tout cela.

" Je reviens." dit Hubert, et il fila hors de la pièce.
Albérich décocha un sourire penaud à l'éclaireur.
" Nous pouvons peut-être préparer le terrain. Je serais pour une assemblée ouverte d'abord... Peut-être deux, afin que ceux qui sont de garde lors de la première puissent s'exprimer lors de la seconde. Sur base des réflexions et remarques, nous organiserons un vote écrit. J'y mettrais deux points : la question des personnes maléfiques dans nos rangs et la question de notre mode de gouvernance. Mais nous proposerons des solutions en fonction des discussions. Je pense que c'est le plus approprié. Si les gens sont trop sonnés par les événements pour s'exprimer, nous prendrons nos responsabilités."

Il acquiesça.
-Très bien. Comme je le disais tout à l'heure, je n'ai pas la moindre expérience en ce qui concerne la direction d'un grand groupe, la gestion des dynamiques sociales... Je donne donc mon avis sur quelques points, mais honnêtement, je préfère m'en remettre à vous deux.
Il sourit.
-Du moment que vous ne me demandez pas d'animer les réunions ou de faire de longs discours, ça ira.

" Ne t'en fais pas. C'est un domaine où j'ai une once d'expérience. Je me ferai le porte-parole de nos décisions si Hubert ne veut pas discourir lui-même. Parler en public ne me gêne pas. Pour le reste... je n'ai pas davantage l'habitude de ce genre de situations. Je mentirais en disant que je ne me suis jamais retrouvé dans un espace confiné avec du danger à l'extérieur mais... il suffit d'une petite différence dans les conditions, les circonstances, les liens entre les gens, la nature de la menace, et tout est bouleversé. Nos meilleures armes sont notre instinct et notre humanité."

***

De son côté, Hubert était parti à la recherche d'Edgar, espérant trouver Ruth et Alban non loin de l'instructeur ou des chevaux, en tout cas au sous-sol. Il parlerait d'abord avec le sergent, ensuite il enrôlerait les deux enfants.

Tous ceux qu'il voulait voir se trouvaient dans la nef : ses écuyers assistaient Ted pour les exercices de leurs petits camarades, tandis qu'Edgar supervisait l'entrainement des archers. Comme toujours, l'ancien sergent se porta à sa rencontre dès qu'il l'entrevit, du coin de l’œil.
-Ah, mon capitaine, vous avez meilleure mine ! fit-il, souriant. Comme vous le voyez, et comme on nous l'a demandé, on a essayé de faire comme si de rien n'était et ça marche plutôt pas mal. Mais pardon, je parle, je parle, alors que vous veniez me trouver pour une bonne raison...

" En effet." dit le paladin avec un sourire calme.
Il jeta un coup d'oeil autour d'eux pour s'assurer que personne ne pouvait les entendre.
" Nous avons des raisons de craindre qu'il pourrait rester des colons qui s'étaient voués à Ignace, quoi qu'il ait été. J'ai besoin d'un garde du corps pour Barthélémy. Je sais que mes officiers sont sûrs, mais je ne peux pas vous affecter à ce genre de tâches... Je me demandais si, parmi les hommes qui nous restent, il en était un que tu connais de longue date, quelqu'un en qui tu aurais la plus parfaite confiance, et qui pourrait veiller sur Barthélémy."

Les traits d'Edgar s'étaient altérés.
-Il n'y a personne ici que je connaissais avant de rejoindre la Communauté, murmura-t-il. En revanche, il y a pas mal de monde à qui je fais entièrement confiance. Mais... Je ne peux jurer qu'ils ne sont pas des êtres maléfiques. Comment jurer de quoi que ce soit, quand Ignace et Agnès ont pu...
Soupir.
-Est-ce que ça ne serait pas plus simple que vous sondiez les auras de tout le monde ? Pour en avoir le cœur net ?

" J'aurais voulu que Barthélémy soit sous protection dès à présent... J'en viendrai peut-être à sonder les auras, mais même si cette décision était prise... Ça va être compliqué à implémenter."
Il eut un soupir bref.
" Peut-être puis-je demander à Guillermo, tout compte fait. Il connait bien ses hommes, sans doute pourra-t-il m'aider... Garde Ruth et Alban sous les yeux, veux-tu, en attendant que je revienne ?"
Sans attendre, il partit à la recherche du chef mercenaire.

L'intéressé arpentait les couloirs des caves, mains dans le dos, scrutant les salles près desquelles il passait, les colons qu'il croisait. Il avait l'air particulièrement attentif, comme s'il cherchait des signes. De quoi ? D'une nouvelle traîtrise, peut-être. Cela n'aurait rien d'étonnant, compte tenu de la mission pour laquelle on le payait.
-Un souci ? demanda-t-il au paladin quand celui-ci l'eut rejoint.

Hubert n'y alla pas par quatre chemins, Guillermo n'était pas homme à s'encombrer de circonvolutions.
" Je cherche un garde du corps pour Barthélémy. Le nombre de personnes auxquelles je sais pouvoir me fier est extrêmement restreint et aucun ne convient. Je sais qu'à terme, la communauté me demandera probablement de sonder les auras de ses membres, afin de débusquer d'éventuels alliés d'Ignace, mais... en attendant, je me demandais s'il y avait quelqu'un parmi vos hommes qui pourrait veiller sur notre clerc. Je compte lui demander de protéger son dispensaire d'un glyphe puissant, mais il faudrait que lorsqu'il en sort, il soit protégé... Mais cela dépasse peut-être vos attributions. Si vous avez l'homme qu'il nous faut, je pense que nous serions prêts à le rétribuer en conséquence, cependant."

Il secoua la tête.
-Nous sommes payés pour protéger la Communauté et veiller à sa bonne installation dans la cité perdue. Protéger l'un de ses membres important peut donc tout à fait entrer dans nos attributions. Et j'ai quelqu'un capable de remplir efficacement les fonctions de garde du corps sans qu'il soit menacé par un glyphe. Je vais de ce pas l'informer de sa nouvelle affectation.

" Guillermo, je ne sais pas où nous en serions aujourd'hui sans vous. Ou plutôt si, je le sais : nos cadavres pourriraient quelque part sur la route. Merci de votre aide, une fois encore."
Saluant le capitaine mercenaire, Hubert repartit dans les couloirs. Un petit arrêt chez Barthélémy pour lui annoncer qu'il serait désormais sous bonne garde — le paladin espérait qu'il serait philosophe — et il retournerait chercher les enfants. Leurs journées seraient désormais passablement ennuyeuses, mais au moins Alban aurait-il ce qu'il voulait : une place constante dans l'ombre de son maître.

Philosophe, le vieux Chauntéen le fut : il se contenta de pousser un bref soupir et de se demander, à voix haute et avec un demi-sourire, si son protecteur aimerait parler herbes médicinales, plantations, moissons...
Ses écuyers furent beaucoup plus enthousiastes. Au début, du moins : entendant la première partie du programme, ils se fendirent de sourires lumineux. Toutefois, quand Hubert leur expliqua qu'ils devraient désormais passer la nuit au dispensaire, ce fut une autre histoire : leurs mines se firent aussi déçues que désolées - finies, les joyeuses expéditions nocturnes aux thermes, devaient-ils songer. Cependant, ni l'un ni l'autre n'osa protester.

Hubert était désolé, mais il espérait que la proximité du clerc et la protection qu'il accorderait à son dispensaire leur permettraient de dormir plus sereinement. Ils se débrouilleraient pour gérer les accidents. Il rassura les enfants sur le fait qu'il s'agissait là d'une mesure transitoire. Cela le rassura lui aussi, car quand il franchit la porte de la salle du conseil improvisée, flanqué de ses deux écuyers, il se sentit particulièrement mal à l'aise. Il leur avait bien sûr rappelé que rien de ce qu'ils entendaient ne pouvait être divulgué hors de la pièce, et qu'ils devaient se montrer discrets, mais il restait que cette situation ne lui était pas naturelle. Il avait l'impression qu'il allait désormais devoir surveiller chacune de ses paroles et chacun de ses gestes.
" Voilà qui est fait, annonça-t-il à ses compagnons. Où en étiez-vous ?"

-Nous discutions de la manière dont nous consulterions l'Assemblée, répondit le rôdeur. Durant ton absence, Albérich a proposé que nous organisions deux réunions dans la nef, afin que même les personnes de garde au moment de la première puissent se prononcer. L'idée serait de récolter l'avis de nos compagnons sur les différents sujets dont nous avons débattu, puis, sur cette base, d'élaborer des propositions présentées lors d'un scrutin écrit.
Pour leur part, les écuyers étaient allés d'adosser à un mur, un peu à l'écart.

" Pourquoi pas, dit le paladin. Tant que ça ne déforce pas les remparts et que ça n'empêche pas une mobilisation rapide en cas d'alerte, je n'ai rien contre. Et je ne veux pas prendre la parole.
— Je vois. Je parlerai, dans ce cas. Il faudrait que nous décidions d'un moment opportun... Si nous voulons organiser deux réunions avant la nuit, il faudra nous dépêcher. La relève de la garde de la fin d'après-midi me semble un bon pivot : un rassemblement avant, un rassemblement après."
Hubert acquiesça.
" Si tout le monde est d'accord, faisons passer le message. Les gens peuvent choisir à laquelle des deux assemblées ils veulent se rendre, ou opter pour ne pas venir du tout, s'ils préfèrent remettre la situation dans les mains des autres."

-Il va falloir faire l'appel et autres formalités de ce genre, dit Ézéchiel. Mais cela ne posera pas problème. Comme il avait l'air de s'ennuyer après que les instituteurs l'aient relâché, j'ai demandé à Giovanni de faire le tour de la Communauté pour retrouver les copies des listes d'Ignace, savoir qui en possède, ce qu'elles décrivent... Apparemment, les nouvelles sont plutôt bonnes, à ce niveau. Comme quoi, notre intendant va continuer à nous rendre service même après sa mort, à son corps défendant.

" Il était organisé, c'est une certitude. Je me demande bien où était son intérêt..." dit Hubert, songeur.
Albérich croisa les bras.
" Nous le saurons peut-être si nous coinçons un de ses alliés. En attendant, nous ne pouvons que faire des conjectures... mais vu la puissance de la magie que nous avons découverte jusqu'ici, j'aurais bien une idée ou l'autre."
Le paladin se leva à nouveau.
" Bon. Mettons-nous en mouvement. Première réunion d'ici une bonne demi-heure, ça devrait nous laisser le temps d'avertir toutes les personnes libres."
Ces palabres, ce n'était vraiment pas son truc. Il y avait des cannibales dehors. Il ne demandait qu'une chose : qu'on lui laisse les mains libres pour leur régler leur compte.

Ils se définirent rapidement trois zones d'action et s'attelèrent à la tâche. Les colons écoutèrent leurs explications avec intérêt et la démarche du Conseil - ou plutôt, de ce qu'il en restait - fut bien accueillie par tous. Mieux encore, des personnes se proposèrent pour aller installer dans la nef les bancs non utilisés pour l'heure ou ceux actuellement placés dans la cantine. Albérich finit par croiser Giovanni, qui lui procura rapidement la liste des membres de la Communauté. Quant à Hubert, il était partout suivi par ses écuyers. Alban était discret, comme à son habitude, mais même Ruth ne semblait pas trop s'ennuyer. Pas encore, du moins.

Vint l'heure du premier rassemblement. Albérich retrouva Hubert et Ezéchiel dans la nef. Il ne savait pas encore exactement ce qu'il allait dire, mais il se laisserait porter par ce que les colons lui renverraient. C'était leur première occasion depuis longtemps de débattre, or ils avaient à peine eu le temps de reprendre leur souffle depuis l'attaque du Seigneur des Tombes. Le Luménien regarda les colons entrer et s'installer, peu à peu, dans la nef, en combattant l'anxiété qui l'envahissait peu à peu. Il avait pris la parole devant sa congrégation, mille fois, mais ce n'était pas la même chose. Ses dernières interventions publiques remontaient à Combeloup. A Solarcis, il ne s'était jamais permis de monter sur le devant de la scène, pour ne pas faire d'ombre à Béranger. Tout ça pour ça.
Dès qu'il aurait l'impression qu'un premier groupe se serait rassemblé, il se lancerait. On lui avait donné les listes d'Ignace, mais il ne savait pas bien quoi en faire : il n'avait l'intention d'obliger personne à se présenter.

Les colons continuaient à arriver, discutant entre eux, jetant de fréquents regards aux conseillers. Près de lui, Ézéchiel semblait très peu à son aise. A quelque distance, c'était également le cas d'Alban, même si lui et Ruth avaient choisi, de leur propre chef, de se tenir à l'écart du trio, près d'une colonne derrière laquelle l'écuyer semblait avoir très envie de disparaître.
Enfin, il n'y eut plus personne pour descendre la rampe et le silence commença à s'installer, ponctué de murmures de plus en plus rares et discrets.

Albérich se lança sans trop réfléchir. Tergiverser ne servait à rien dans ce genre de circonstances et ne ferait qu'accroître son anxiété.
" Comme vous le savez désormais tous, sans doute, Hubert a découvert fortuitement l'existence d'âmes noires au sein de la communauté, alors qu'il répondait à l'interrogation légitime de l'un d'entre nous quant à la couleur de son aura. Après bien des discussions, j'ai pris sur moi de demander l'aide de Barthélémy, et à travers lui de Chauntéa, pour tenter d'en savoir davantage à leur égard. Vu notre situation précaire, il nous a semblé nécessaire de limiter les chances d'une trahison. La Grande Mère nous a appris des choses terribles, et nous a permis de confronter Ignace et Agnès qui, aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, étaient respectivement une sorte de diable et une... une prêtresse vouée à la souffrance. Ils sont morts, désormais, ainsi que deux de leurs alliés qui entendaient tuer Barthélémy. Nous espérons avoir mis fin à leurs agissements, même si, en toute franchise, nous ne pouvons pas, à l'heure actuelle, en être parfaitement certains. Nous avons rassemblés aujourd'hui afin de parler du futur... mais dans un premier temps, nous sommes prêts à répondre à vos éventuelles questions..."

Il n'y en eut qu'une poignée, et portant seulement sur des points de détail liés au déroulement des événements : manifestement, Giovanni, Barthélemy et les autres avaient très bien expliqué les choses à la Communauté et il ne subsistait aucune zone d'ombre importante. Une fois qu'Albérich eut répondu à ces rares interrogations, ce qui ne lui posa aucune difficulté, quelqu'un demanda quelles mesures étaient envisagées pour débusquer d'éventuels traîtres encore infiltré dans leurs rangs. S'ensuivirent des murmures approbateurs, signe que ce point revêtait une grande importance pour une bonne partie de l'assistance.

Albérich hésita. Il avait imaginé aborder ce sujet dans un second temps, mais il ne voyait pas bien comment changer le cours de l'assemblée.
" La solution la plus simple serait de sonder les auras. Cette solution n'est pas sans limites, cependant, et l'imposer à chacun d'entre nous n'est pas une décision anodine... Je pense que... dans un premier temps... nous devons ouvrir la porte à ceux qui voudraient peut-être, parmi nous, avouer leurs fautes et s'en remettre à la justice de la communauté... dans un second temps, il est certain qu'il serait probablement utile de nous assurer que nous sommes entre personnes de bonne volonté. C'est l'une des choses que nous voulions vous soumettre aujourd'hui... Peut-être certains d'entre vous ont-ils d'autres opinions à faire valoir ?"

Il y eut alors de nombreuses interventions, témoignant du fait que les membres de la Communauté savaient qu'ils avaient le droit de s'exprimer, qu'ils y avaient été habitués au cours des précédentes assemblées et que, désormais, ils n'hésitaient plus à le faire, même s'ils prenaient soin de ne pas parler tous en même temps et de s'écouter les uns les autres.
Si personne n'était opposé à la possibilité de ménager une ouverture aux êtres maléfiques encore présents parmi eux, bien des interrogations se posaient. Puisqu'ils subissaient un siège, puisque Marthe, leur seule juge, était absente, comment organiser un procès digne de ce nom ? Et sur quelle base, si les traîtres n'avaient encore rien commis de répréhensible ? Fallait-il les emprisonner en attendant des conditions plus favorables, sachant qu'il faudrait alors recruter des geôliers qui ne pourraient plus participer aux tâches plus cruciales ? Par ailleurs, d'autres se demandaient qui serait bien susceptible de se livrer, qui pourrait avoir envie d'être jugé, enfermé...
Pour ce qui était de sonder les auras, la chose paraissait nécessaire à l'immense majorité, sinon à la totalité de l'assistance. Sinon, l'on craignait que le doute ne finisse par s'installer, qu'on en vienne à se méfier de son voisin, ce qui créerait peu à peu une atmosphère délétère. Bien sûr, personne n'avait envie de devenir suspicieux, mais quand des personnes d'apparence aussi irréprochable qu'Agnès et Ignace s'étaient révélées être des monstres, comment faire autrement ?

Les colons se faisaient l'écho d'Ezéchiel — ou était-ce l'inverse — aussi Albérich ne fut-il pas surpris des objections soulevées par la communauté. Il essaya, du mieux qu'il le put, de leur expliquer en quoi il lui semblait nécessaire — puisque ces âmes noires n'avaient justement pas encore fauté — de laisser une chance aux gens de se révéler et de s'amender. Il ne poussa pas le vice jusqu'à invoquer Lathandre, et son goût pour les secondes chances, les arguments théologiques ne faisaient plus partie de son arsenal rhétorique. Il les rassura sur le fait que la possibilité de sonder les auras serait proposée au vote dès le soir, par écrit. Il ne semblait pas y avoir d'autres propositions, mais le Luménien demanda cependant à l'assemblée si elle estimait aussi dans ses attributions de décider de la manière dont la procédure serait ensuite exécutée, ou s'ils étaient prêts à s'en remettre aux choix de leurs autorités.

Les colons se trouvèrent un peu embarrassés, ne sachant guère comment l'on procédait à ce genre de choses, si on pouvait recourir à ce pouvoir autant qu'on le voulait ou s'il y avait un nombre d'utilisations limité, s'il existait des moyens de s'en prémunir et comment les surmonter... Lorsqu'Albérich les eut éclairés sur ces points, l'avis général fut de procéder en une fois, avec toutes les précautions nécessaires et le plus rapidement possible, afin de mettre cette triste histoire derrière eux. Quelqu'un, comprenant à quelles extrémités on pourrait en venir, proposa qu'on en profite pour demander à Giovanni de réaliser des esquisses pour sa fresque, afin que cela aussi soit réglé. La proposition fit beaucoup rire.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée