La Couronne de Cuivre

"Nils ?, lança-t-il d'une voix compatissante. Toutes mes condoléances... Vous la connaissiez depuis longtemps ?"

Le directeur de la troupe ne lui avait jamais paru aussi vieux.

"Mylène n'était là que depuis deux ans, répondit-il d'un ton las, mais nous sommes une petite troupe, et nous sommes une famille..."

Roland s'approcha à son tour.

"Nils est mon cousin, nous avons fondé la troupe ensemble il y a plus de 20 ans. Et nous avons gardé contact avec chaque jeune que nous avons accueilli chez nous..."
"Mylène était une actrice prometteuse...", ajouta Nils.

L'inspectrice se fraya un chemin dans la chambre, et harangua la foule d'une voix forte.

"Excusez-moi ? Excusez-moi... ! Je vais vous demander de tous vous rendre dans la salle de jeu, dans l'aile Sud, là où avait lieu la partie de bridge. Vous trois, ajouta-t-elle en désignant les membres de la troupe de théâtre, restez ici un moment j'aimerais vous parler."

Les invités s'exécutèrent en silence, et Emile ne put que les suivre, l'instant ne se prêtant pas à défier un ordre direct...

Une fois tous rassemblés à l'étage, les conversations reprirent petit à petit leur cours.

"Quelle histoire...", soupira Georgette Marquand.
"Une histoire de fous..., renchérit mademoiselle Stoän. Trop de mystères planent sur cet endroit..."

"Et je crains que cela ne soit que le début hélas..." renchérit Emile

Personne ne parla plus pendant de longues minutes. Il n'était qu'à peine plus de 3h de l'après-midi, mais le soleil déclinait déjà sous les nuages.

L'inspectrice finit par arriver, et jaugea la salle du regard.

"Je vois que tout le monde est là, constata-t-elle. Bien, alors... qui a pris une arme à feu en partant de chez lui hier soir ?"

Un léger brouhaha fit écho à sa question.

Dans le même temps, la policière fit signe au docteur et lui murmura quelques mots en privés. Après un court échange, elle se retourna vers l'assemblée.

"Vous, vous, et vous, déclara-t-elle en le pointant lui, ainsi que Gaston Chambernaud et Nils. Venez par ici."

Nils et Gaston s'approchèrent, suivis par Emile.

"Oui ? Que se passe-t-il, mademoiselle ?, s'inquiéta Nils. Nous pouvons faire quelque chose pour vous ?"

"Nous vous écoutons mademoiselle."

L'inspectrice resta muette, mais inspecta longuement du regard leurs vêtements, croisant simplement de temps à autre leur regard.

Enfin elle le congédia, ainsi que Nils, ne gardant avec elle que Gaston Chambernaud.

Les autres n'avaient pas bougé, et attendaient en silence dans la salle de jeu.

"Emile ?, l'interrogea Yvette, passablement inquiète. Que vous voulait-elle ? Il s'est passé quelque chose ?"

Emile rabattit ses mains sur les pans de sa veste en signe d'impuissance.

"Je ne saurais que dire ma pauvre Yvette. Elle est resté là un moment à nous observer puis elle a souhaité rester seul avec Monsieur chambernaud."

Quelques minutes s'écoulèrent dans une apathie générale, finalement brisée par mademoiselle Stoän.

"Je suis lasse de toute cette agitation..., déclama-t-elle en soupirant. Je vous quitte quelques instants."

Elle franchit la porte de la salle de jeu, et descendit les marches vers le rez-de-chaussée.

Quelques secondes plus tard, Emile aperçut Marjorie, qui empruntait le même chemin.

Vraisemblablement, ni l'inspectrice ni Gaston Chambernaud ne se trouvaient encore dans la salle de théâtre à côté...

Emile attendit quelques minutes de plus avec les invités dans une ambiance plutôt tendue, tous parqués dans la salle de jeux. Fort heureusement, la vue sur le parc compensait au moins partiellement l'interminable calvaire qu'ils devaient endurer...

Enfin, Marjorie revint, suivie de peu de l'inspectrice, ainsi que de Gaston Chambernaud, qui demeura silencieux aux questions passablement affolées de sa femme.

La jeune domestique s'approcha de mademoiselle Lemaçon, et lui susurra quelques mots à l'oreille. Elles échangèrent quelques mots, et Marjorie repartit comme une flèche par là où elle est était arrivée...

Emile frotta ses mains l'un contre l'autre de manière assez vive avant de s'exclamer :

"Bien je suppose que le travail ne se fera pas tout seul."

Puis il entreprit d'allez vérifier le feu. Il était curieux de voir si cette tête de lion lui en apprendrait un peu plus sur cette mademoiselle stoan...

Emile rejoignit le rez de chaussée, traversa le hall sud, avant d'atteindre le petit salon.

La cheminée à tête de lion était toujours là, en tous cas. Près du canapé, Emile nota une mallette dont il n'identifia pas tout de suite la provenance...

L'inspectrice dormait dans cette chambre, lui sembla-t-il. Il devait sans doute s'agir de ses outils... voire des preuves qu'elle aurait pu amasser jusque là ?

Le majordome s'approcha du linteau de la cheminée. La pierre de granit semblait plus féroce que jamais, mais même un examen plus minutieux ne lui apporta pas davantage d'explications...

Emile regarda autour de lui visiblement très attentif aux bruits environnants. La lieutenante était-elle toujours en bas ? Cette mallette ne possédait peut être pas de système de sécurité après tout. Y avait-il seulement un verrou ?

Si elle n'était pas fermée, la mallette ne contenait rien de très intéressant... Mètre à mesurer, pinceaux, craies, crayons, loupe, pied de biche, appareil photo, pinces, sachets de taille diverse... Sans doute du matériel pour mener une enquête.

En revanche, aucune note d'aucune sorte. Le calepin sur lequel il l'avait vu de nombreuses fois griffonner ne se trouvait pas ici.

Un bruit familier sur le gravier juste au dehors le fit tout à coup sursauter. Une voiture.

Emile jeta un oeil par la fenêtre, et aperçut un véhicule de police, d'où descendit un agent. A première vue, il ne s'agissait pas du même que ceux de la matinée.

Quelques secondes plus tard, la sonnerie retentit dans tout le château.

La lieutenante envoyait des renforts ? Cela ne semblait rien présager de bon pour gaston. Aurait-il commis la betise de garder son arme sur lui ? Et si c'étais le cas est-ce que...?

Emile se rua vers la porte d'entrée d'un pas pressé.

Le hall d'entrée se trouvant juste à côté du salon, Emile fut aussitôt à la porte à peine le policier avait-il sonné.

Le jeune homme devait avoir à peine la trentaine. Taille moyenne, les cheveux bruns et courts.

"Bonjour, lança l'agent en agitant une plaque officielle à peine avait-il ouvert la porte. Lieutenant Antoine Chénon, du commissariat de Villeneuve. Pourrais-je parler à Gabrielle Lemaçon je vous prie ?"

Emile reconnut aussitôt sa voix. Il s'agissait du même "Antoine" que celui dont il avait espionné la conversation la matin même...

Il n'eut pas le temps de répondre qu'au même instant, l'inspectrice débarquait de la salle à manger.

"Ah, patron, vous êtes là !", s'exclama le jeune homme en entrant de son propre chef.
"Antoine !", répondit aussitôt sa supérieure.

L'inspectrice toisa le marjordome du regard, lui signifiant plus qu'ostensiblement son souhait d'un départ immédiat de la pièce...

Un sourire glissa sur les lèvres d’Émile. Enfin il allait avoir un vrai officier de police pour enquêter. Ca allait lui le rabattre le caquet à cette...

Emile se retira en silence.

Dans la salle à manger, les invités - maintenant "libérés" de leur gardienne - commençaient quelque peu à redescendre de l'étage où ils étaient consignés.

Toute cette histoire touchait-elle (enfin) à sa fin ?

Il demeurait cependant un élément que tout le monde semblait avoir oublié... Qu'en était-il du trésor du maître, qu'il avait évoqué dans son testament ?

Quelques minutes plus tard, la porte du hall sud s'ouvrit de nouveau, et les deux agents de police firent irruption dans la pièce. Sans un mot, mais les menottes à la main, ils montèrent au premier...

Emile jeta un œil cherchant maître marquand et mademoiselle stoan du regard. Comment réagissait-il ?

Louis Marquand se trouvait - ainsi que sa femme - dans le grand salon, avec la majeure partie des invités, exception notable faite de mademoiselle Stoän.

Quelques minutes plus tard, l'inspectrice entra dans la pièce, et se dirigea en direction du bureau et de la bibliothèque qui jouxtaient le salon.

"Emile ?, lui lança le notaire, passablement inquiet. Vous savez ce qui se passe... ? Les rumeurs disent que... Gaston a été arrêté ?"

"Je le crains hélas monsieur Marquand."

Puis s'approchant pour lui murmurer à l'oreille.

"Auriez vous vu mademoiselle stoän ? Je ne crains qu'elle ne soit au cœur de quelque manigances."

"Oh, vous croyez vraiment ?, répondit Louis, interloqué. Cette... jeune dame... hongroise, c'est ça ? Que se passe-t-il avec elle ?"

Il regarda autour de lui.

"Maintenant que vous le dites, c'est vrai que je ne l'ai pas croisée depuis un certain temps... Mais... vous avez vu quelque chose de particulier ?"

Il toussota.

"Et si c'est le cas... Croyez-vous que... nous devrions en parler... à la police ?"

"Pour l'instant maître je n'ai que des soupçons mais à se base sur ses allez retours incessants, j'observerais avec grande attention chacun de ses gestes..."

Louis hocha lentement de la tête.

"Je comprends, oui..."

L'inspectrice sortit de nouveau du bureau, et traversa le grand salon en direction de l'aile Nord.

Le notaire la suivit du regard, et une fois partie, se racla discrètement gorge et baissa d'un ton.

"Et... dites-moi, Emile. Qu'en est-il de ce fameux... trésor ? Je ne connais pas ce château aussi bien que vous, bien sûr, mais... j'ai cru remarquer... cette aile, là, dans laquelle personne ne va jamais... Croyez-vous que ce trésor, s'il existe, puisse s'y trouver ?"

Emile regarda le notaire l'air songeur.

"Oui c'est une possibilité... Mais pour ma part je ne m'y aventurerais pas sans un solide plan; le maître devenait vite paraboiaque dés qu'il s'agissait de ses "occupations" privé."

"Oh..., répondit monsieur Marquand, visiblement déçu. Je pensais que vous seriez plus... curieux. Ce fameux trésor de votre ancien maître ne vous intrigue-t-il donc pas ?"

Il toussota.

"Enfin, c'est... comme vous voulez, bien sûr."

Qu'attendaient-ils exactement, depuis le départ en trombe de l'inspectrice en direction de l'aile Nord ?

Emile se faisait l'effet d'être une petite noisette dans un mécanisme de rouage.

"Intrigué si évidemment. Et il est vrai que si il arrivait un accident à l'inspectrice cela pourrait nous être reproché..."

"Je ne crois pas qu'elle se soit particulièrement intéressé à cette partie du château... Après tout, elle n'est là que pour résoudre un crime, pas trouver le trésor !"

Il jeta furtivement un coup d'oeil aux autres invités, et baissa d'un ton.

"La porte a l'air solidement fermée... Connaîtriez-vous un moyen d'y accéder... ?"

Emile opina du chef, un lueur d'assentissement dans le regard. Il murmura a voix basse à l'intention du notaire.

"J'aurais bien une petite idée oui. Si vous voulez bien me suivre."

Louis chuchota quelques mots à l'oreille de sa femme, et hocha de la tête en réponse à Emile.

Le hall central semblait terriblement oppressant, les nuages noirs au dehors ayant fini d'assombrir le ciel. En face de la fenêtre, sur leur droite, la porte usée de l'aile Est était toujours scellée, immuable.

Au même moment, Yvette, Marie-Madeleine et Marjorie ouvraient la porte de l'aile Nord, et les saluèrent tous les deux.

"Vous avez bien fait les courses ce matin, Emile ?", l'interrogea Yvette au passage.

Il acquiesça, et tous deux poursuivirent leur chemin en direction du bureau du maître.

Une fois au pied des marches vers l'étage, Louis passa un bras devant le majordome.

"Chut, écoutez..."
"Qu..."
"Il y a quelqu'un à l'étage", chuchota-t-il.

Emile se tut à son tour.

Effectivement, "on" parlait dans la pièce au-dessus.

Quelqu'un à l'étage. Bon sang ces voix lui étaient -elle familière ?

L'une des deux ne devait pas être tournée dans le bon sens, ce qui n'aidait pas à l'identification, bien qu'il eut identifié une voix féminine. Emile reconnut en revanche sans peine l'autre : il s'agissait de mademoiselle Stoän.

Les deux devaient sans doute discuter quelque part à l'étage, mais sans monter quelques marches, il ne parvenait pas à en déterminer la provenance plus exacte... [du côté de l'atelier, ou du côté de la chambre et du bureau]

Emile tenta timidement de se rapprocher un tout petit peu, juste quelques marches...

La Couronne de Cuivre

[MP] Histoire : Armand