La Couronne de Cuivre

Evidemment, le hall était vide...

Gabrielle serra les poings de frustration, mais avant qu'elle n'ait le temps de se poser d'autres questions, les portes de l'aile Nord s'ouvrirent tout à coup, dévoilant deux silhouettes : Yvette et Marie-Madeleine.

- Vous n'auriez pas vu passer mademoiselle Stöan par hasard ? demanda t-elle sans grand espoir.

Les deux domestiques s'échangèrent un regard inquiet.

"Mademoiselle Stoän... ?, répéta Yvette. Nous venons de la croiser dans le couloir, là, expliqua-t-elle en désignant la porte de l'aile Nord. Il se passe... quelque chose ?"

- Je veux juste lui parler, répondit Gabrielle avant de s'élancer dans la direction que lui avait indiquée Yvette.

De retour dans l'aile Nord...

Pas un bruit, pour le moment en tous cas.

Sur sa droite, se trouvaient les larges portes de la chambre des acteurs, - et depuis peu scène de crime...

Sur sa gauche, une autre porte, vers sans doute une autre chambre...

A l'intersection avec l'autre couloir, deux portes encore à gauche, deux autre vers la droite, et encore d'autres en face...

Sans parler des escaliers menant vers la chambre, le bureau du comte, et son atelier...

Gabriella passa sa tête dans la chambre des acteurs ainsi que dans la pièce sur sa gauche, afin de s'assurer que mademoiselle Stöan n'était pas cachée là.

La chambre sur la gauche semblait vide. Par acquis de conscience, Gabrielle frappa quelques coups brefs à la porte de la salle de bain, qu'elle entrouvrit ensuite. Personne non plus.

Dans la chambre des acteurs, le corps de Mylène était toujours étendu sous un drap. Peu probable que mademoiselle Stoän s'y soit réfugié, mais là encore, Gabrielle ouvrit les portes de la salle de bain ainsi que celle du bureau mitoyen. Mais là encore, personne...

Gabrielle n'avait pas le temps de fouiller toutes les pièces du château, aussi se dirigea t-elle directement là où elle pensait trouver mademoiselle Stöan : près de la chambre du comte.

Gabrielle s'arrêta en haut des marches, à mi chemin entre la chambre et l'atelier. Instinctivement, elle tendit l'oreille, et décela quelques pas sur sa gauche.

Et dans l'atelier du Comte, mademoiselle Stoän déambulait paisiblement, inspectant les divers objets exposés de toute part.

Gabrielle fit mine de passer là tout à fait par hasard, toqua à la porte en laçant un :

- Je vous dérange ?

Mademoiselle Stoän se tourna vers elle et la gratifia d'un sourire.

"Absolument pas. Que puis-je faire pour vous ?"

- Eh bien, j'aurais aimé vous parler de Mylène. Elle m'a semblé très agitée quelques heures avant d'être tuée et je ne sais toujours pas pourquoi. Se serait-elle confiée à vous ?

Mademoiselle Stoän se concentra un instant, les sourcils froncés.

"Oui, en effet, répondit-elle, je l'ai trouvé extrêmement agitée pour tout vous dire..."

Elle prit une nouvelle inspiration et cligna plusieurs fois des yeux.

"En fait, elle a failli me dire quelque chose... Mais malgré mes... encouragements, elle s'est ravisée. J'aurai dû insister, mais... J'avais si peur de me montrer impolie..."

Elle se racla la gorge, et se mordit machinalement la joue.

"Je... vous savez, vous êtes une femme, tout comme moi. Et vous savez également combien les hommes peuvent être... concupiscents."

Elle l'interrogea du regard.

"Il m'a semblé déceler chez le banquier, Gaston, une manière de regarder cette femme qui verse plutôt dans l'indécence, voyez-vous..."

Elle déglutit, marquant une pause involontaire.

"Enfin, vous savez, j'ai bien peur de ne pouvoir vous apporter plus d'informations. Tout ce que je peux vous dire, dans les faits, c'est que ce matin, au petit déjeuner, il se comportait étrangement à son égard. Et depuis cet instant... Mylène a été extrêmement agitée."

Gabrielle décortiquait chacune des réactions de la jeune femme, ce qui ne l'empêcha pas de prêter une oreille attentive à ce qu'elle lui confiait - même si cela ne la renseigna guère en vérité.

- Gaston Chambernaud est en garde à vue en ce moment même. Je pense effectivement qu'il a joué un rôle dans le meurtre de Mylène... et peut-être même dans celui du comte.

C'était faux, bien sûr, et elle n'avait dit ça que dans le but de la tester à nouveau. Allait-elle se montrer soulager de savoir qu'elle suspectait quelqu'un d'autre ? Allait-elle même enfoncer le clou ?

Mademoiselle Stoän hésita un instant.

"Vous... vous l'avez arrêté alors ? C'est... un soulagement pour Mylène, vous savez. Vraiment, il avait une drôle de façon de faire... elle semblait terrifiée."

Elle semblait davantage surprise que mal à l'aise, mais il était peut-être possible de faire sortir davantage de cette conversation en la poursuivant quelques temps.

"Je n'en sais pas plus, vous savez..., conclut-elle. J'espère avoir pu vous aider."

- M'aider ? Oh justement, vous pourriez peut-être m'aider encore.

Elle extirpa d'une de ses poches la photo qu'elle avait trouvé dans les affaires du comte et sur laquelle elle apparaissait. Elle la lui tendit.

- Parlez-moi un peu de cette photo...

Un malaise grandissant se lisait sur le visage de la demoiselle, qui déglutit péniblement plusieurs fois à la vue de la photographie.

"Certes...", consentit-elle à répondre après de longues secondes de silence.

"Vous savez, reprit-elle, nous avons été proches à une époque, Lucien et moi... Nous sommes... enfin, nous étions moins proches récemment..."

Elle frissonna imperceptiblement.

"Mais c'est la vie est ainsi faite, conclut-elle d'un sourire forcé, que voulez-vous ! C'est de l'histoire ancienne à présent."

- Et cela fait combien de temps que vous n'êtes plus... proches ?

Elle continua sur le ton de la conversation :

- Je crois également savoir que vous avez un fils. Quel âge a t-il ?

Le visage de mademoiselle Stoän se figea un instant à la vue de la photo, mais se ressaisit aussitôt.

"Il y a déjà plusieurs années que nous nous fréquentons moins, monsieur le Comte et moi-même..., expliqua-t-elle, mais il lui arrivait parfois d'être magnanime..."

Elle demeura un instant silencieuse, le regard fixé sur la photographie. Finalement, elle se redressa face à elle.

"Mon fils, Ivan, a 8 ans, madame l'inspectrice, répondit-elle avec aplomb. Mais je ne vois pas très bien le rapport avec ce qui nous occupe."

Tout à coup, elle perçut un bruit, un craquement, dans le vestibule, derrière elle.

Le rapport, c'est que l'enfant aurait pu, éventuellement, être celui du comte. Mais la lieutenante extrapolait sans doute beaucoup trop, même si elle était en droit de se poser la question.

Mais avant d'avoir pu répondre à la jeune femme, un bruit derrière détourna son attention et elle fit quelques pas en arrière pour jeter un oeil dans le vestibule. Encore quelqu'un qui jouait les apprentis inspecteurs, probablement...

Cela venait d'en dessous. Près des premières marches.

D'où elle perçut même quelques chuchotements...

Plutôt que de chercher à en savoir plus, Gabrielle s'isola davantage avec Sofia Stöan en fermant la porte derrière elle.

- La première fois que je vous ai demandé quels étaient vos rapports avec le comte, vous avez omis de mentionner votre liaison passée. Elle marqua une pause. Mais vous étiez sans doute trop bouleversée à ce moment là pour penser que cela méritait de s'y attarder. Maintenant que vous vous sentez un peu mieux, peut-être que vous ne verrez pas d'inconvénient à m'en parler ?

Mademoiselle Stoän paraissait nerveuse. La raison à un passé qu'elle aurait préféré oublier ? Ou pour un présent qu'il lui était nécessaire de cacher...

"Sauf votre respect, je ne vois pas tellement ce que je pourrais vous en dire, répondit-elle enfin. On s'est aimé, on s'est quitté. Comme le font de nombreuses personnes lorsqu'elles viennent d'origines trop différentes."

Elle haussa les épaules, ne sachant qu'ajouter de plus.

- Est-ce que vous vous êtes disputés vous et le comte le soir du meurtre ? poursuivit-elle.

"Non, répondit-elle aussitôt. En revanche, si la plupart des discussions ont été légères, nous avons eu... un léger différent à table, qui n'a pas eu l'air de perturber les autres invités."

Mademoiselle Stoän semblait préoccupée.

"Un léger différent... ? Pourriez-vous être plus précise ?", insista-t-elle.

Elle se tordit la joue, hésitante.

"Et bien, reprit-elle, le Comte a adopté une attitude... inconvenante à l'égard de l'une de ses domestiques... bien plus jeune que lui, notez bien. Voyant la jeune femme se décomposer, j'ai tâché d'intervenir afin qu'elle passe une soirée plus... calme."

Elle se tut quelques instants.

"Mais... rien n'a eu l'air de gêner les autres invités."

- Vous voulez parler de Marjorie ? Que s'est-il passé exactement ?

Mademoiselle Stoän prit une grande inspiration. Elle ferma les yeux un instant, et répondit.

"Avant même qu'elle entre dans la pièce, monsieur le Comte surnommait Marjorie la "garce"... Notez bien qu'une telle façon de parler m'a choquée, surtout venant d'un homme comme lui..."

Elle fit une courte pause, rassemblant ses souvenirs.

"Je suis intervenue avec toute la gentillesse dont je suis capable, et lorsque la domestique, Marjorie, est arrivée, elle semblait en état de panique. Une fois installée à côté du Comte - là encore, notez bien qu'il y a tenu dur comme fer- elle s'est tenue raide comme un piquet."

Elle poussa un soupir.

"Et il y avait de quoi. Monsieur le Comte avait sa main sur sa cuisse, ce qui semblait la gêner au plus haut point..."

- Je vois, répondit lentement la lieutenante, fronçant les sourcils. Plus elle en apprenait sur lui, et plus le comte lui était antipathique.

Mais Gabrielle n'avait pas envie de s'attarder sur ce sujet car il s'éloignait beaucoup de ce qui l'intéressait vraiment à cette instant : Sofia Stöan.

- Au fait, qu'est-ce que vous faîtes ici, dans son atelier ?

Sofia Stoän sembla passablement mal à l'aise à sa question.

"Je... m'intéresse un peu aux dernières lubies du Comte, expliqua-t-elle en désignant les alambics et autres machineries autour d'elles, histoire de voir quelles marches j'ai ratées..."

La lieutenante croisa les bras sur sa poitrine.

- Et alors ? Qu'avez-vous découvert d'intéressant jusque là ?

La Couronne de Cuivre

[MP] Histoire : Echo