La Couronne de Cuivre

Arthur était surpris de la réaction de Luna : à son sens, tuer Elios avait toujours fait partie de leur mission de base. Oui, leur commanditaire leur avait suggéré d'essayer peut-être éventuellement de l'épargner, mais cela avait semblé un voeu pieu, le désir d'un père, respectable mais illusoire. Même sans cette entité démoniaque, le livre ensorcelé avait paru suffisamment dangereux pour rendre le jeune homme fou et le priver de toute rédemption. En cela, qu'il soit possédé par une chose ou une autre... Il pensait que Luna était au clair avec cet aspect des choses, le risque qu'ils doivent en finir avec lui. La voir soudain révoltée à cette perspective l'étonnait grandement, et l'inquiétait encore davantage. On ne devrait jamais mêler le coeur et la raison, et là, la barde était au bord de l'hystérie, une hystérie qui les mettrait tous en danger.
Aussi répondit-il pour l'apaiser plutôt que selon sa conviction intime.
" Nous n'en sommes pas là, fit-il. La sagesse recommande de ne pas nous inquiéter des choses qui sont hors de notre portée, mais de nous concentrer sur ce que nous pouvons faire."
C'était pragmatique. Du Maelwedd pur jus, à bien y réfléchir. Chandara pourrait sûrement enrober tout ça d'un peu de sensibilité féminine, non ?

Chandara sentit la gêne et la circonspection d’Arthur malgré son attitude toujours placide mais plus encore la détresse de Luna devant la révélation d’une réalité latente depuis le début de leur mission. La paladine avait une fâcheuse tendance à sous-estimer le danger, à agir avec impulsivité sans bien saisir toutes les implications de ses choix, bref, à foncer tête baissée comme un nain devant une armée de pillards gobelins. Mais pour ce qui était d’éprouver de la compassion et de l’empathie, elle était bien moins démunie, une faiblesse de plus jugeraient certains. Mais elle ne l’avait jamais vécu ainsi. Une fois de plus, elle prit la suite des paroles du Lathandrite :

- Arthur a raison : nous n’en sommes pas encore là. Nous ne savons pas ce qui nous attend. Si Elios est toujours ici, nous l’aiderons. Si ce n’est plus lui, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour le libérer. Mais nous avons besoin de vous pour cela. Vous devez être forte pour l’aider, pour nous aider.

Brus redoutait la réaction de Luna depuis le départ, aussi ne fut-il pas surpris de cette première révolte, qui préfigurait sans doute une ou plusieurs autres répliques jusqu'au face à face final, s'ils y parvenaient. Ce qui le mettait plus mal à l'aise étaient les nouvelles aussi mauvaises que vagues qu'apportaient les paladins. Le roublard se serait bien contenté du livre maudit et du nécromancien. Un détail le ramena à lui. Tandis que les paladins tentaient de contenir l'inquiétude de Luna, il se tourna vers leur deux nouveaux compagnons. Brus se demandait bien dans quelles circonstances ils avaient fait leur rencontre. Il fallait avoir une bonne raison pour traîner par ici, eux en avait une puisqu'ils poursuivaient Elios et son livre, mais quelle était celle des deux autres? Il en demanderait plus à Chandara en temps voulu, mais comme le général n'avait pas omis la possibilité d'une concurrence mélandienne ou autre, Brus se promit de garder un œil sur eux. Quoiqu'il en fût, ils étaient pour l'instant partenaires, aussi le jeune homme leur soumit-il son idée :

"Le cœur du temple vous avez dit? En venant, on a aussi croisé comme le fantôme des enfants morts de la surface, ils se sont fait entrainer dans un couloir par une sorte d'autre fantôme. Luna pense qu'ils ont été kidnappés après s'être perdu pour être sacrifiés par les Loviathes. Si c'est bien le cas, on peut peut-être les suivre, et ils nous mèneront à l'endroit où ils ont été sacrifiés. C'est un couloir en bas de l'escalier, derrière nous. Ou alors, ce n'est peut-être rien, ou un piège..."

Brus haussa les épaules sur cette dernière hypothèse.

"De toute façon, on a pas vraiment le choix ..., souffla Luna qui pour le moment semblait avoir retrouvé son calme, oui, il y a une galerie en bas des escaliers. Mais nous ne sommes pas allés plus loin. Dans tous les cas, ils sont allés dans cette direction et ça me semble plausible. Ils ont tout intérêt à cacher leur temple. Et plus encore l'endroit où ils sacrifient ..."

Le débit rapide de ses paroles laissait transparaître son angoisse. Mais au moins, elle semblait avoir retrouvé ses esprits.

"Qu'est-ce qu'on attend ?"

Il était évident que le petit discours des paladins n’avait pas suffi à rasséréner Luna mais ils n’auraient pas pu espérer mieux que parvenir à la calmer un peu de toute façon. Juste assez pour canaliser son énergie vers leur objectif : le cœur du temple et les sombres secrets qu’il leur faudrait révéler. Chandara agit dans un mouvement instinctif et spontané en posant sa main sur l’épaule de la jeune femme et en la serrant un bref instant, le temps de planter son regard émeraude dans les yeux de son ainée. Juste de quoi lui transmettre un peu de calme et de confiance. Un comble dont elle aurait bien ri si elle n’avait pas agi si spontanément.

- Nous attendons plus que vous nous montriez le chemin de cette galerie. Nous sommes avec vous, Luna.

Et aussitôt d’impulser le mouvement en se plaçant fièrement en tête et en faisant un pas dans la direction d’où étaient venus ses compagnons. Evidemment, elle devrait vite laisser la place à la barde ou à son ami roublard sous peine de prendre une mauvaise direction et de devoir se raviser, gâchant ainsi son effet grandiloquent.

Chandara mit plusieurs secondes à se détourner pour regarder à nouveau droit devant elle et plus encore à recouvrer pleinement sa concentration. Car le simple sourire d’Arthur l’avait laissée en proie à une vague d’émotions contradictoires : apaisement de ses craintes face à ce qu’ils allaient affronter mais tant d’autres choses qu’elle n’avait pas prévu du tout. Elle devait être honnête avec elle-même, si elle ressentait une soudaine hâte d’en découdre, de vaincre ses peurs, de s’illustrer, c’était aussi pour ne pas le décevoir, pour apparaître sous son meilleur jour devant ce si bel homme. Devant Arthur qui ne semblait même pas avoir conscience de l’effet d’une simple de ses attentions sans doute des plus innocentes. De son sourire qui lui était destiné, à elle. Son cœur s’accéléra à cette pensée et elle tenta de réprimer l’effet - bien trop visible sans doute - de ses rêveries inavouables. Elle fuyait bien trop ostensiblement le regard de Luna qui n’allait pas manquer de lui asséner un de ses commentaires acerbes. Mais surtout, elle brûlait autant qu’elle craignait de recroiser celui du paladin de peur qu’il lise en elle ce qui s’y trouvait caché, brûlant aussi de l’espoir qu’il le fasse peut-être. Sa voix murmurée lui parut bien peu assurée quand elle tenta de reprendre la direction des opérations :

- Brus, si vous voulez bien nous ouvrir la voie à partir de là. Ensuite nous allons apprendre à ces Loviates à souffrir un peu eux-mêmes !

D'un coté de l'éboulis ...

"Il n'y a rien à faire, c'est trop lourd. On arrivera pas les atteindre comme ça. Il faut qu'on trouve un autre chemin."

Luna soupira et se tourna vers les autres. Tous étaient maculés maculés de terre mais indemnes. Seule une victime de l'éboulis était à déplorer. Le loviate qui, emporté par une rage fanatique et destructrice n'avait pas attendu les effets de son sort. Il gisait, le visage enfoui sous une poutre. Et au vu de certains fluides s'échappant d'en dessous, il n'y avait plus grand chose à sauver. A part lui, il n'y avait personne.

**

De l'autre coté ...

Un léger souffle d'air vint caresser les joues des paladins. Un souffle sentant le renfermé mais preuve irréfutable que l'air circulait. En regardant autour d'eux, ils découvrirent un étroit boyau, proche du sol. Il leur faudrait sûrement ramper mais au moins, ils avaient peut-être trouvé une sortie.

Arthur répugnait à relâcher Chandara. Malgré son sourire, ses paroles apaisantes, malgré le goût de sa bouche qui s'attardait sur ses lèvres, il avait peur qu'elle ne s'évanouisse en fumée aussitôt qu'il ouvrirait les bras. Il ne parvenait pas à croire sa chance, d'être dans un lieu atroce, dans des circonstances horribles, et d'avoir une femme aussi belle abandonnée dans son étreinte. C'était un rêve. C'était la réalité. Et il n'avait qu'une envie, l'embrasser encore, et puis se perdre à nouveau dans l'océan vert de son regard...
Mais il était paladin, et le devoir revint frapper à la porte de son esprit. Il ne le repoussa pas : c'était le ferment de son être, l'essence de sa vie, et il savait que Chandara était sensible à ce qu'il était.
" Nous marcherons dans le soleil." souffla-t-il.
Il allait ajouter quelque chose lorsqu'un léger souffle lui frôla le visage, et il vit à son expression qu'elle l'avait senti, elle aussi. Il ne put que sourire. Leur baiser semblait avoir ouvert une porte là où il n'y en avait pas plus tôt.
Le miracle de l'amour, peut-être.
Cela paraissait un bien grand mot, mais que ressentait-il, au juste ?
" Vous avez senti ?"
Il ne l'avait toujours pas lâchée. Il ne la lâcherait plus jamais.

Chandara n’avait pas plus envie de se redresser, préférant de loin gouter à la félicité qui l’animait et au sentiment de bien-être qu’elle éprouvait dans les bras d’Arthur. Elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer confusément combien il serait bon qu’ils se retrouvent ainsi enlacés, sous le soleil, échangeant un nouveau baiser et débarrassés un instant de leur devoir pressant et de tous ses symboles à commencer par ces maudites armures encombrantes. Elle s’interdit de penser à ce qu’ils pourraient délaisser d’autre mais s’interdire de penser était tâche bien difficile. Puis elle sentit un souffle d’air frais sur sa joue et s'imprégna des mots du paladin qui devancèrent les siens, pour une fois. Alors, amusée par cette perspective inédite, elle répliqua d’un ton mutin :

- Bien sûr que j’ai senti ! Vous en doutiez ? Pourtant vous embrassez divinement bien…

Puis, après un bref éclat de rire et un tendre baiser sur sa joue pour être sûre qu’il ne se vexerait pas, elle ajouta d’un ton plus sérieux :

- Oh ! Mais vous ne parliez pas de ça ? Oui, j’ai senti : ce doit être notre sortie vers le soleil !

hrp : je suppose que Brus se trouve avec Luna et les deux autres personnages, hein? " Sinon peux-tu donner un peu plus de précisions sur l'environnement stp? L'éboulement est-il devant ou derrière eux? De même pour les paladins.

Un claquement douteux déchira l'atmosphère du tunnel, déchaînant un tourbillon de particules dans la somnolence statique des pellicules de poussières, qui volaient dans l'air. D'un revers de main, Brus s'essuya, penaud, le bas du visage, tout en tentant d'un reniflement bruyant de rattraper ce qui avait cherché à s'enfuir par ses narines. Il articula un faible "désolé", avant de se tourner vers ce qu'il restait des pans effondrés de la conduite qu'ils suivaient jusque là, où figurait notamment dans un piteuse état le corps de leur assaillant. Le roublard ajusta timidement du bout de sa botte la tête du Loviathe afin de s'assurer que celui-ci était bien mort puis, constatation faite, avisa les trois autres survivants.

"Ça va tous? On dirait qu'on a perdu les deux paladins."

Brus avait retenu un "encore" pour lui-même, mais cette fois-ci ils étaient quatre et étaient plus à même de se défendre, quoique la récente et si soudaine attaque pouvait avoir fragilisé toute certitude quant à ce point de vue. D'un autre côté, après s'être brièvement détourné vers le mort, Brus releva, un sourire large et bête aux lèvres :

"R'marquez, s'ils sont tous aussi doués, on n'devrait pas avoir autant d'mal que prévu!"

Le coté de l'éboulis occupé par les deux bardes et les deux roublards, était plongé dans la pénombre mais pas dans une totale obscurité. Il y avait sûrement une source de lumière non loin d'eux, pour le moment invisible.

Brus put voir que ses comparses étaient indemnes même si couvertes de poussière. Maelys, son chapeau en main tentait de lui redonner une forme adéquate en maugréant après les loviates imbéciles et tous ceux qui en avaient après son couvre chef. Luna tentait en vain de dégager le tunnel. Et Eli sourit malgré elle à la plaisanterie.

"Je crois que nous allons bien, acquiesça Luna, par contre, pas moyen de les rejoindre. Ils devront trouver une autre galerie."

Brus acquiesça aux paroles de Luna. Il restait à analyser les possibilités qui leur restaient, à eux, et elles n'étaient pas légion. En somme, dans la mesure où un tunnel n'a que deux issues et que dans le cas présent l'une de celle-ci était bouchée, ils n'avaient guère d'autres choix que de prendre l'autre.

"Bon, continuons alors, mais restons prudents, ce gars-là s'est raté mais il y en sans doute d'autres, d'autant plus qu'avec le bordel qu'il a mis, ça a dû s'entendre à des bornes et des bornes!"

Comme il n'y avait que des filles autour de lui, Brus choisit de prendre les devants, après tout, il devait être l'homme de la situation.

Brus -> détection des pièges

Arthur avait du mal à reprendre ses esprits. Devoir s'arracher aux bras de Chandara lui semblait être la chose la plus cruelle qui lui soit arrivée depuis... depuis sa naissance, au moins ! Mais il fallait que l'un d'entre eux le fasse et, la mort dans l'âme, il finit par la lâcher. Il avait envie de lui déclarer quelque chose de vrai, d'intime et de formidable, mais il n'osa pas, de peur de la brusquer. Il leur fallait se donner les moyens de survivre, c'était comme ça qu'ils devaient lire cette déchirure : elle était nécessaire à leurs lendemains.
Malheureusement, non seulement ils devaient se séparer, mais en plus ils allaient devoir ramper dans un conduit minuscule, le cauchemar ultime pour les personnes craignant les espaces clos. Il jeta un coup d'oeil anxieux à Chandara, espérant à moitié avoir réussi à lui donner suffisamment de confiance pour continuer, au moyen d'un baiser... C'était romantique et sûrement présomptueux mais voilà... Ils n'avaient pas mille possibilités.
" Je crois que... je vais peut-être passer devant ?"

Chandara serait bien restée ainsi des heures encore - voire des jours - mais elle aussi avait conscience que leur devoir pressant et la loyauté envers leurs compagnons devait interrompre ce moment qu’Arthur et elle s’accordaient enfin l’un à l’autre. Et il ne fallait pas négliger le danger de plus en plus grand à s’attarder en ce lieu inhospitalier et même hostile. Mais, quand Arthur se redressa et ouvrit ses bras pour la relâcher, le déchirement et le sentiment d’absence ne lui en parurent pas moins cruels et déstabilisants. Elle chercha dans son regard une confirmation que cet instant ne serait pas le dernier car, plus que des mots qu’il n’osait pas exprimer, elle avait besoin de sentir que pour lui aussi ce baiser signifiait bien plus qu’une marque d’affection agréable mais sans lendemain et guidée par les circonstances… Pas tout à fait certaine malgré l’air manifestement désolé d’Arthur, la paladine décida tout de même de faire confiance à l’élan d’espoir qu’il avait soulevé. Mais tout de même... Il l’avait tellement bien embrassée que ce n’était certainement pas sa première expérience de ce type. Et quoi de plus normal après tout ? Un si beau jeune homme et surtout si avenant, si galant… N’était-elle pas un peu jalouse malgré tout ?

La paladine dut cligner plusieurs fois des yeux pour se détacher de la contemplation de « son » paladin et se tourner enfin vers le passage qu’il lui désignait. Il lui fallut bien plus de temps encore pour comprendre la signification des mots qu’il venait de lui adresser. Et son absence était cette fois due à une nouvelle vague d’effroi qui lui fit attraper la main d’Arthur et la serrer très fortement durant un court instant : le trou était si petit qu’elle doutait presque d’y pouvoir passer la tête alors les épaules… Et si elle restait bloquée au beau milieu de sa progression sans plus pouvoir reculer ? Même en dégageant les quelques pierres qui l’avait masqué jusque-là, le boyau était effectivement horriblement réduit. La jeune femme leva un regard implorant vers son compagnon tout en sachant pertinemment qu’il n’y avait de toute façon pas d’autre issue, pas d’autre solution que d’affronter ses peurs les plus intimes. Au moins n’était-elle plus seule pour mener ce terrible combat contre elle-même.

- Oui, il vaut mieux que vous preniez la tête. Je pense arriver à vous suivre, même là dessous… Si seulement vous voulez bien me montrez comment faire. Mais vous devez me promettre de faire attention à vous et surtout de m’attendre de l’autre côté. Pour me rassurer encore, peut-être… J’en aurai besoin. J’aurai besoin de vous, Arthur.

Et pendant tout ce temps elle n’avait pas lâché sa main, un dernier lien qui lui donnait encore du courage. Et qui lui permit même de lui adresser un petit sourire timide.

Mû par un réflexe, ou peut-être une envie, Arthur se pencha vers elle et l'embrassa à nouveau sur les lèvres, cette fois une seconde seulement, juste un frôlement, une manière de lui dire toute la confiance et l'espoir qu'il plaçait en elle, et sa conviction qu'elle s'en sortirait sans difficultés.
" Je ne vous abandonnerai pas, Chandara. Je suis là, et je vais rester là, et je serai seulement quelques pouces devant vous... Si vous avez peur et bien... vous n'aurez qu'à me toucher la jambe..."
Ce n'était pas très convenable, mais ramper ne l'était de toute façon pas. Un instant, infime, il regretta qu'elle ne passe pas devant. Il aurait pu alors contempler de près son extraordinaire fess... Oh ! Le rouge lui monta aux joues, l'incendiant en une seconde.
"... et je m'arrêterai... Je vous promets que nous ne serons jamais bien loin l'un de l'autre. Et si je suis capable de passer dans ce boyau... c'est que vous y tenez au moins deux fois."
Ce qui n'était pas tout à fait vrai, car Chandara n'était pas de constitution frêle, mais presque vrai. De plus, elle était immanquablement plus souple, ne fût-ce que parce qu'elle n'était pas encombrée par un harnois protecteur, certes, mais pesant.

Chandara fut tellement surprise par le geste spontané d’Arthur qu’elle n’eut pas le temps d’y répondre et de le retenir. Le paladin l’avait donc échappé belle mais ne perdrait probablement rien pour attendre. D’autant que sa compagne était clairement émue et sensible à cette nouvelle marque d’amour à son égard et aux mots rassurants qui suivirent. Le luménien était le premier homme sachant exactement quoi dire ou quoi faire pour étouffer ses craintes, apaiser ses angoisses et, bien qu’étant paladine et donc prude à tout point de vue, à les remplacer par bien des pensées plus agréables. Pensées auxquelles il était bien difficile de s’arracher et qui la laissaient pour le moins confuse :

- D’accord… Le mieux est de ne plus tarder. Pour ne pas y penser. J’ai hâte de vous retrouver de l’autre côté et d’ici là je ne vous lâcherai pas d’une semelle. Au sens propre ! Voulez-vous que je vous prête mon marteau pour éclairer votre voie ?

La jeune femme récupéra rapidement son arme toujours au sol et fit mine de la lui tendre. Avait-il conscience que ce geste signifiait tant et plus dans la culture qu’on lui avait inculquée ? Mais c'est aussi le pragmatisme qui le guidait en cet instant : Arthur aurait besoin de lumière pour l'aider à percevoir un éventuel danger qui le menacerait.

" Je prends votre marteau, mais je vous confie mon épée." dit-il avec un sourire presque tranquille.
C'était un échange qui lui apparaissait presque intime, un peu comme s'il lui avait prêté sa brosse à dents (sauf que ces choses n'existaient pas en ces temps-là, bien entendu). Son épée, finalement, c'était un morceau de son être. Même si elle n'était plus de prime jeunesse et pas complètement bien équilibrée... Ce qui, l'espérait-il, n'était pas son cas.
Mais il chassa ces pensées parasites, hésita à embrasser une nouvelle fois la jeune femme, puis renonça (il ne voulait pas qu'elle le trouve envahissant), et se décida — enfin — à ramper dans ce tunnel obscur. Avec son marteau.

Le jeune paladin eut un temps d'arrêt en contemplant les orbites vides du trépassé et prit une profonde inspiration, ce qui était difficile compte tenu de l'étroitesse du conduit. Il pinça les lèvres. Jusqu'ici, Chandara avait fait preuve d'un impeccable sang-froid, du moins en apparence. C'était une chance car il aurait été incapable de faire quoi que ce soit pour la réconforter si elle avait commencé à paniquer. Il lui semblait nécessaire, cependant, de la prévenir de la zone dans laquelle ils pénétraient. L'odeur était nette : si elle avait un peu l'habitude des combats, elle l'avait déjà reconnue. Mais c'était autre chose de piétiner des squelettes.
" Bon... Chandara... Il y a ici... des os. Je dis ça juste pour vous en avertir. Ils sont inertes, apparemment. Ce n'est pas joli mais... vous pouvez peut-être fermer les yeux, si vous préférez... Ce n'est pas comme si vous risquiez de vous perdre..."

Chandara ne répondit pas immédiatement mais elle avait stoppé sa progression difficile en même temps que le paladin. Un instant effroyable, elle avait senti tout son corps se mettre à trembler de façon incontrôlable en réalisant que le tunnel menait peut-être à un cul-de-sac. Car si la paladine avait fait preuve d’une discipline quasiment sans faille jusque-là, la seule pensée d’avoir à se traîner dans le sens inverse lui était proprement insupportable. Le tunnel était en pente et pour passer certains passages, elle avait dû réunir toute la force de sa volonté : elle se sentait tout bonnement incapable de renouveler cet exploit si même il était encore possible. La jeune femme avait failli s’effondrer de peur à chaque fois que la terre s’était mise à dégringoler du plafond si bas, craignant à plusieurs reprises de finir ensevelie et d’étouffer lentement sans plus pouvoir faire un geste.

A chaque fois elle s’était retenue de hurler en serrant les dents et même la présence d’Arthur avait à peine suffi à la faire repartir de l’avant. Mais jamais jusqu’ici Arthur ne s’était arrêté aussi la paladine laissa sa panique s’exprimer comme il le lui avait autorisé, en recherchant son contact rassurant. Bien évidemment, l’armure empêchait un contact direct au grand dam de cette dernière mais cette brève étreinte lui suffit pour regagner un minimum d’assurance et répondre dans un souffle :

- Les morts ne me font pas peur… Pas comme ces tonnes de terre qui ne demandent qu’à s’écrouler sur nos têtes… Si… Quand nous sortirons d’ici, il faudra que je vous raconte comment nous sommes un jour sorti discrètement de la ville par la fosse commune d’un cimetière… Enfin non, ce ne serait pas très avisé peut-être… De grâce, avancez mon cher… J’ai tellement hâte de laisser ce cauchemar derrière nous.

" Bien sûr, pardonnez-moi, je ne voulais pas prolonger votre calvaire..." fit-il, embarrassé, avant de reprendre sa progression.
Il aurait bien voulu rajouter quelque chose, des mots de réassurance, d'encouragement, ou des félicitations pour sa maîtrise jusque là, mais l'urgence dans la voix de Chandara lui avait indiqué que la meilleure chose qu'il avait à faire pour lui prouver son affection était de trouver rapidement la sortie. Quelle qu'elle soit. Il essaya de repousser les images de cette créature époustouflante s'extirpant d'une fosse commune. Même si, il fallait bien l'avouer, Chandara était de ses femmes qui resplendissent dans toutes les situations, même les plus répugnantes.

Quand il eut repris sa progression, la paladine se traîna à sa suite en essayant de reprendre son souffle. Elle avait senti l’empressement de son compagnon mais aussi un soupçon de culpabilité dans sa voix. Et pourtant il n’avait rien à se reprocher, bien au contraire. Elle ne se serait jamais – au grand jamais – sentie capable d’affronter sinon surmonter ainsi ses peurs les plus intimes s’il n’avait pas été là, s’il n’avait pas ouvert la voie en lui montrant qu’il était possible d’avancer. Elle avait envie de lui dire toutes ces choses, l’assurer une fois de plus combien il était formidable à ses yeux mais elle trouvait à peine assez de souffle pour ne pas suffoquer tandis qu’ils rampaient péniblement. Mais puisqu’elle était Chandara et qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de quelque déclaration même laconique, elle répondit au bout d’un instant :

- Vraiment, que ne ferais-je sans vous ?

Puis, pour se redonner une bonne dose de courage, elle ajouta d'un ton mutin :

- Je vous pardonnerai ! A la sortie... Si vous m'embrassez encore comme tout à l'heure !

Les paroles de la paladine le firent rougir comme un coquelicot, tandis qu'un sourire irrépressible naissait sur son visage, en dépit de l'environnement sinistre et des relents immondes qui lui parvenaient.
" Je crois que ça devrait pouvoir s'arranger !" lança-t-il en continuant à jouer les taupes.
Bon, peut-être y aurait-il du public à la sortie... Si c'était Brus et les trois demoiselles, il pourrait s'en accommoder. Si c'étaient les Loviates ou le nécromancien dément, peut-être faudrait-il d'abord songer à survivre... Mais Chandara comprendrait... ou peut-être pas. Les filles étaient compliquées. Mais il avait l'impression d'un peu mieux s'en tirer cette fois-ci... Si c'était un leurre, il ne voulait pas le savoir.