La Couronne de Cuivre

Un jour ici pour une minute à l’extérieur ? Si le Despote disait vrai, voilà une très mauvaise nouvelle. Pour l’heure, Alchem jouait la comédie, mais il fallait être lucide. Comme tout le monde, il avait ses limites. Il n’avait jamais vraiment eu peur de la mort. Il était trop habitué à la côtoyer. En revanche, il redoutait de perdre l’esprit. Il avait vu les ravages que pouvaient provoquer les tortures Drow. Il avait vu certains des siens devenir fou ou céder à la corruption. Plutôt mourir que de subir ce sort... Mais le svirfnebelin n’en était pas encore là.
« Ho, tout ce temps en ta compagnie, chouette ! On va bien s’amuser ! Enfin non, j’en doute. L’éternité ne suffirait pas à te rendre intéressant. M’enfin, puisque je n’ai pas le choix, je devrais me contenter de toi. »
Il continuait de fuir. Il restait sur son plan.

Peut-être que le Despote perçut que son ton n’était plus tout à fait aussi spontané, peut-être que non. En tous cas, la liche changea d’attitude car il la sentit répliquer d’un ton marqué par l’ironie avant de commencer à s’éloigner en sifflotant :

- Bon, maintenant que tu as compris que j’avais tout mon temps pour m’occuper de toi, je vais te laisser découvrir un peu les limites de ta prison : je ne pense pas que tu souhaites une visite guidée ? Parce que là tout de suite j’ai plus intéressant à faire !

« Très bien. A plus tard ! »
Alchem, ne voulant pas dévoiler sa stratégie, ne pouvait s’acharner en moqueries pour retenir ici le Despote. Cela aurait fini par devenir louche. Il préféra opter pour l’indifférence. Les annonces de la liche l’inquiétaient certes, lui promettant une très longue captivité, mais elles étaient aussi une raison pour ne plus se soucier d’une menace immédiate et impérieuse. Des menaces, il y en aurait sans doute, mais rien de significatif puisque le monstre le voulait en vie. Voilà l’occasion rêvée pour recommencer à l’ignorer et lui donner ainsi le contraire de ce qu’il désirait. L’ignorance était le plus grand des mépris car il s’adressait aux insignifiants. Personne ne voulait être ignoré, surtout pas les mégalos qui désiraient être le centre de l’univers.

Il eut dès lors tout le loisir d'explorer les tunnels et les salles environnantes. il n'y eut plus de tentative de l'intimider ou de lui montrer des scènes troublantes impliquant ses connaissances ou ses amis.

Non, il découvrit une dizaine de salles - guère plus - reliées par de grands couloirs vides et qui se ressemblaient tous. Il se passa une heure - ou peut-être deux, c'était difficile de mesurer le temps - avant qu'il ne découvre une salle sortant un peu de l'ordinaire : il y avait un petit bassin en son centre où tombait un lent goutte à goutte. De l'eau pure d'après ce qu'il put déterminer. La liche n'avait pas mentie : elle comptait bien lui fournir de quoi survivre. Elle voulait le garder en vie.

Et bien, voilà qui présageait d’une longue attente. Conscient que le Despote pouvait épier ses pensées, Alchem se garda bien de manifester à nouveau de l’inquiétude. Au contraire, il trouva toutes les raisons de prendre la situation du bon côté. Attendre, il savait le faire, peut-être mieux que la liche. Vivre éternellement était une chose, avoir de la patience en était une autre. Il n’avait rien à craindre du Monstre qui s’était révélé incapable de vraiment le surprendre. Le Despote n’avait vraisemblablement jamais eu l’habitude des gens des profondeurs qui baignaient quotidiennement dans l’horreur. Sur ce point, le gnome avait été tout à fait honnête, pour lui, la liche n’était qu’une abomination de plus sur son chemin, certes l’une des plus importantes, mais en rien une différente. Quelle tente de lui faire croire quoi que ce soit, il allait considérer que c’était des illusions, il allait nier. Qu’elle tente de le tuer, tant mieux ! Qu’elle tente de le rendre fou, et ce serait lui qui mettrait fin à ses jours. Qu’elle ne fasse rien et il aurait la paix. Non il n’allait pas s’inquiéter, se morfondre. Non, il se retranchait plus que jamais dans sa coquille, cette coquille que Dotha n’appréciait pas, mais qui pourtant était tellement indispensable. En somme, le svirfnebelin se préparait à tenir tête au Despote pendant des veilles, peut-être des années. S’il avait songé à cette perspective, il en aurait été effrayé. Mais puisqu’elle s’imposait à lui, puisqu’il n’avait pas le choix, il s’adaptait et puis c’est tout. Marche ou crève avait toujours été une froide vérité dans l’Outreterre.
Après un regard au plan d’eau, il entreprit de poursuivre la visite.

Dans une salle attenante, il découvrit un parterre de mousses et de champignons qu’il reconnaissait pour ne pousser normalement qu’en Ombreterre. Certains lui apporteraient toutes les protéines, lipides et glucides nécessaires à sa survie s’il devait s’éterniser en ce lieu. En revanche, il ne trouva aucun autre élément susceptible d’améliorer son confort, pas même une couverture pour se garder du froid pendant ses périodes de sommeil.

Il ne semblait pas non plus y avoir de sorties mais seule une recherche approfondie de passages secrets éventuels pourraient le déterminer : une recherche exhaustive qui pourrait lui prendre des veilles sinon des mois.

Plusieurs heures passèrent avant qu’il ne commence à tourner en rond avec une idée plus précise de la cartographie des lieux mais sans véritable moyen d’action. Mais combien de temps était passé en dehors de sa bulle ? Une voix se fit entendre dans sa tête, floue et entrecoupée :

- Alchem ? C’est Dotha ! Comment allez-vous ?

Alors qu’Alchem arpentait sa prison, il ne put s’empêcher de songer à Dalius. Son absence était difficile à supporter. Il aurait presque préféré ne jamais avoir eu de familier pour ne pas risquer de le perdre. Mais à ce compte, peut-être n’aurait-il pas dû connaître la liberté pour ne pas se sentir captif. Peut-être n’aurait-il dû jamais avoir d’amis, de famille pour ne pas craindre qu’il leur arrive malheur. Il ne pouvait, même s’il le voulait, se rendre insensible à tout. Et d’ailleurs, c’était préférable. La voie de la froideur, du pragmatisme, était un terrain glissant. Certains disaient qu’à force de combattre des monstres, on finissait par en devenir un. Le gnome ne pouvait nier qu’il avait des pensées sombres, morbides. La petite voix dans sa tête se faisait un plaisir de le lui rappeler continuellement. Pour faire face aux plans Drow, il avait dû apprendre à penser comme eux. Les tortures machiavéliques, les machinations terribles, il était capable de les échafauder. C’était bien pour cette raison que le Despote ne le surprenait pas, pour cette raison aussi qu’il avait déjà envisagé des dizaines de possibilités pour la suite des événements, toutes plus ignobles les unes que les autres. Une pensée désagréable lui traversa l’esprit. Et s’il avait réellement des idées plus noir que celles de la liche, que devrait-il en conclure ? Non, il ne fallait pas exagérer. Lorsque Dotha lui parla, il n’hésita pas à lui répondre. S’il s’agissait du jeu du monstre, tant pis, ce serait distrayant. Dans le cas contraire, tant mieux. La règle d’or : détachement constant.
« Je vais bien, pour l’instant. Le Despote me garde captif. Il est probable qu’il puisse nous entendre. Ne me dites rien. Faites ce que vous avez à faire. »

Dotha ne le prit pas au mot, jugeant qu'elle pouvait se permettre de déroger à sa consigne pour une information qu'elle ne pensait pas de nature à leur nuire même si elle tombait entre de mauvaises mains :

- Cela fait une heure qu'on vous cherche : tenez bon !

Deux heures alors qu'il pensait - quant à lui - avoir passé à peu près huit heures dans la prison de la liche. Celle-ci devait donc avoir grandement exagéré l'ampleur de la distorsion temporelle.

A moins que ce message lui soit envoyé par la liche afin de lui faire avoir de faux espoirs. Les faux espoirs faisaient mal. Méfiance...
« Je vous rappelle que votre mission n’est pas de me sauver mais d’étudier la source de magie. Contrer le Despote est la priorité, ne l’oubliez pas ! »
Capturer quelqu’un et attendre que ses compagnons viennent le sauver pour les piéger à leur tour était un plan vieux comme le monde.

Dotha lui rappela un peu sèchement que la meilleure manière de faire tomber la liche était encore de bénéficier de ses compétences mais qu'ils cherchaient déjà activement à comprendre le fonctionnement des cristaux et de la source d'énergie qui les alimentaient. C'était peut-être livrer un peu trop d'informations que la liche pouvait entendre mais Alchem l'avait piqué au vif par ses remarques de svirfneblin buté !

Puis le silence revint sans qu'il ait le loisir de répondre - peut-être à dessin - et l'attente reprit ses droits, les minutes s'égrenant pour devenir des heures. La fatigue commençait inexplicablement à guetter le natif d'Ornegemme.

Ha, cette Dotha, toujours à s’enflammer pour un rien... Enfin, si c’était la vraie Dotha. Se sentant las, Alchem s’assis contre une paroi, dans une salle vide, non loin du point d’eau. Il ne dit plus rien, ne fit plus rien. Immobile comme l’aurait été la statue à laquelle il ressemblait, il se contenta d’attendre et de guetter quoi que ce soit qui puisse l’alarmer, c’est-à-dire, le moindre changement.

Rien ne vint et il finit par s'endormir sans avoir détecté un quelconque signe du retour de la liche. Il se réveilla en sursaut avec une voix dans la tête. Une voix familière :

- Alchem ! Alchem ! C'est Dotha ! Nous avons trouvé quelque-chose : nous savons ce qui alimente les cristaux de la grotte et la barrière de force. Alchem, vous m'entendez ? Vous allez bien ?

« Oui, oui, je suis là. Je vais bien, déclara Alchem, tout en rassemblant ses esprits. Je vous rappelle que le Despote doit sûrement pouvoir nous entendre. M’enfin, cela m’étonnerais qu’il ne soit pas déjà en train de vous espionner de toute façon... Quoi qu’il en soit, ne me communiquez que le stricts nécessaires. »
Mais que diable fabriquait la liche ? Pourquoi n’intervenait-elle pas ? Etait-elle si sûre d’elle pour ainsi laisser faire les choses ? Devait-elle s’occuper des autres groupes de mages de Lumenis ? Elle se devait de se montrer, au pire moment de préférence, et avec une mise en scène soignée. Alors qu’il se disait cela, une nouvelle question vint à l’esprit du gnome. Combien Dotha avait-elle de sort de télépathie en mémoire ? Cela faisait déjà trois fois qu’elle communiquait avec lui. Trois fois, c’était beaucoup.

La liche se fit encore attendre une heure - ou peut-être bien davantage d'après l'impression du svirfneblin dont la patience devait tout de même être mise à l'épreuve de ne pas pouvoir agir - puis elle se montra. Directement. Sans signe avant-coureur, Alchem se retrouva face à face avec le Despote. Ou plutôt une version holographique mais tout de même terrifiante de la liche.

- Alors, petit ? On ne s'ennuie pas trop ? Tes amis - ou plutôt tes connaissances - progressent bien ! Bientôt ils nous auront libéré. Tous les deux ! N'est-ce pas formidable ?

Forcément surpris, Alchem bondit sur ses pieds par réflexe. Lorsqu’il constata n’avoir affaire qu’à une image, il avait déjà à demi dégainé son épée. Il la rengaina tout en répondant d’un ton neutre :
« Alors c’est donc ça... Il me faut admettre que je n’avais pas pensé à cela. En fait, je te surestimais. J’imaginais que tu finirais par pouvoir sortir sans aide. C’est drôle, cette situation me rappelle un peu celle que j’ai vécu il y a peu. Ho, je te passe les détails, mais j’ai été amené à fuir un complexe Drow scellé qui servait de prison à une sympathique créature désincarnée. Elle se faisait appeler "celui qui a faim". Pour fuir sa prison, elle s’était réfugié dans le cadavre d’une de mes coéquipières. Elle espérait que nous n’y verrions que du feu et que nous la ferions sortir simplement en transportant le corps. Dommage pour elle, cela n’a pas marché. On verra si tu as plus de chance. »
Il esquissa un sourire fielleux.

Une expression de rage se dessina sur le visage de l'image qui faisait face à Alchem, signe que son nouveau coup avait porté au but. Elle répliqua d'un ton glacial, se voulant neutre mais qui peinait à cacher la folie furieuse de la liche :

- Ce n'est pas une affaire de chance ! J'ai étudié tes collègues : ils feront tout pour te libérer, toi ! Leur compassion est une faiblesse à exploiter. Ils me font simplement gagner un peu de temps et je trouve cette situation délectable. Drôle d'ironie que d'avoir provoqué ma libération sur le monde en ayant voulu m'annihiler, tu ne trouves pas ?

Il marqua une pause, esquissa un sourire mauvais puis ajouta d'un ton cette fois amusé :

- Et au cas où tu te dirais qu'il suffit de prévenir tes *amis* de ce piège, sache que j'ai coupé toutes les communications magiques qui sortent de cette prison. En revanche, tu pourras toujours entendre ta tendre Dotha et constater qu'elle s'enfonce dans un piège bien pire que la mort.

La liche ne parvint pas à ébranler l’assurance d’Alchem. Le gnome, avec sa froide neutralité, répliqua sur le champ :
« La belle affaire. Même si tu te libères et que tu nous massacre tous, ou que sais-je d’autre, cela ne va rien changer. N’étais-tu pas déjà libre lorsqu’on t’as trouvé dans ton sanctuaire ? Et pourtant, tu n’as guère fait parlé de toi. Tu étais un inconnu dans la forêt maudite, rien de plus. Or, à présent, tu n’es plus un inconnu. Tu as attiré sur toi l’attention de beaucoup de gens. Ta fin est proche, quoi qu’il arrive. »
Le pire, c’était que le svirfnebelin ne semblait même pas s’en réjouir. Il donnait à la chose le plus de banalité possible.

La liche décida une nouvelle fois de répondre au défi de volonté à sa manière, soucieuse de ne pas laisser le dernier mot à une créature aussi méprisable que le svirfneblin :

- Mais vois-tu, grâce à toi, j'ai découvert tout un monde mal défendu et qui ne demande qu'à tomber sous ma coupe. Je commençais à m'ennuyer un peu dans mon sanctuaire et tu es venu me réveiller. Je devrais te remercier en fait ! Mais ce n'est pas mon genre... Je vais plutôt conquérir cette cité de nains crasseux puis je descendrai sans doute jusqu'à ta propre cité. Qui se souciera de nains et de svirfneblins sinon eux-mêmes ? Certainement pas tes nouveaux soi-disant alliés de la surface, pas vrai ?

Tout un monde mal défendu ? Alchem se demanda s’il devait le prendre comme une provocation creuse ou une parfaite preuve d’ignorance. Car en effet celui qui pouvait dire que l’Ombreterre était un monde mal défendu n’y avait assurément jamais mis les pieds. Le gnome eut un rire sans joie.
« Mais que c’est original... Ho comme personne a dû y penser avant toi... C’est vrai, il faut être une liche millénaire de la surface pour songer à coloniser les profondeurs... Il est de notoriété publique que l’Outreterre est peuplé de bienveillants pacifistes. Que tu viennes ou non, une autre menace finira par venir, puis encore une autre et une autre. Ainsi va le monde. »
Soupir las.
« Tu me fais presque pitié, Despote. Peut-être qu’en ton temps tu étais redoutable, mais justement, du temps a passé. Je ne doute pas une seconde de l’étendu de ton savoir magique, mais à l’instar du magicien reclus dans sa tour, tu es déconnecté de la réalité. Viens dans les profondeurs et nous n’aurons même pas besoin de te détruire, un autre monstre s’en chargera à notre place, un monstre certainement moins puissant mais plus fourbe, moins intelligent, mais plus retors. Le pire ennemi du mal est bien souvent le mal. Et le mal se marche sur les pieds là-dessous. Non, moi si j’étais toi, sitôt libre, je disparaîtrai, je me ferai oublier, pour survivre et observer, étudier ce monde que tu ne connais pas. »
Le plus curieux, c’était que le conseil était véritable, un conseil qui avait l’avantage inavoué d’épargner Lameroy et Ornegemme. Un conseil vrai mais théoriquement inapplicable car Lumenis ne ferait sans doute pas l’erreur de laisser fuir la liche, sachant que l’Eclat était en leurs mains.

La liche poussa un grincement strident qui devait s'assimiler à un rire pour elle. Elle répliqua ensuite ironiquement :

- Oh, comme je suis flatté de recevoir les conseils d'un svirfneblin ! Un conseil digne de ton peuple pathétique : se cacher et ruser en espérant ne pas être attrapé par un gros monstre vous ressemble bien. Tu crois que je ne connais pas les profondeurs ? D'où crois-tu que je vienne, pauvre imbécile ? Me prends-tu pour un de ces elfes du soleil dont j'ai décimé le peuple autrefois ? Non, je vivais déjà dans les Tréfonds quand les tiens se contentaient de se blottir dans des trous.

« Si tu le dis, grand bien t’en fasse. Et puisque tu sais à quoi t’attendre, vas-y, amuse-toi. On verra bien qui avait raison en fin de compte. Et si je suis encore là lorsque viendra le dénouement de cette piteuse histoire, je me ferai une joie de te dire que je t’avais prévenu. Dans le cas contraire, pense à moi. »
Sourire fielleux.

La liche paraissait très agacée que le svirfneblin semble la prendre de haut et la mépriser ce qui la poussait à commettre l'erreur de dévoiler ses plans.

- J'ai bien l'intention de te garder en vie. Impuissant et en vie pendant que mes troupes massacreront les tiens jusqu'au dernier. Ne t'en fais pas, je te promènerai comme un trophée et ainsi tu ne manqueras rien. On verra qui rira le dernier, petit avorton !

« Ha, me voilà promu trophée de Monsieur. C’est trop d’honneur, vraiment. »
Alchem s’inclina de façon théâtrale. Il venait d’apprendre des choses utiles. Son petit manège apportait donc des résultats. Il devait avouer être un peu chanceux. La liche avait beaucoup plus de patience qu’il ne s’y était attendu au départ. Pas une seule fois elle ne l’avait malmené. Certes, il s’était douté qu’elle le voulait en vie, mais de là à ne même pas le toucher... Cela lui facilitait la vie. Il était toujours plus difficile de mentir sous le fouet, lui avait avoué un confrère malchanceux.
« Mais je reste sur ma conviction. Tu vas te planter. »
En tout cas, il l’espérait. Et il ferait tout pour que cela arrive.

La liche le dévisagea un long moment avant de hausser les épaules et de répondre d'un ton dédaigneux :

- Oh, ça te plairait, j'en suis certain ! Mais tu commences à penser comme un de ces idiots adorateurs du soleil de la surface si tu te laisses ainsi aveugler par l'espoir. Et dire que j'avais cru trouver un interlocuteur à la conversation distrayante. Je vais de déception en déception avec toi même si je ne m'attendais pas à grand chose...

« De l’espoir ? Qui n’en a pas ? Toi-même tu espères mener à bien tes plans. Les démons espèrent corrompre et détruire. Les Drow espèrent dominer, terroriser. Celui qui n’a plus d’espoir n’avance plus. Les machines, les zombis, les êtres brisés, voilà des gens sans espoir. On a coutume de donner à cette valeur un caractère bienveillant, lumineux. Ridicule, l’espoir est universel. L’espoir fait autant de bien que de mal. Donc oui, indéniablement, j’ai espoir que tu te plantes et mon petit doigt me dit que cela ne te dérange pas trop. Parce que tu peux ainsi tenter de briser cet espoir. Sans cela, à quoi bon être aussi démonstratif ? A quoi bon même être monstrueux sans tous ces espoirs à décevoir ? Personne n’a jamais éprouvé de plaisir à broyer des loques. Ne sois donc pas trop prompte à cracher sur cette notion. Cela dit, éprouver de l’espoir est une chose, être aveuglé par celui-ci en est une autre. »

L’image de la liche croisa les bras et fit la moue mais au moins prenait-elle le temps d’écouter le svirfneblin plutôt que de s’occuper à de sombres machinations contre le groupe qui cherchait à la contrer et à la détruire.

- Serais-je tombé sur un svirfneblin philosophe ? Je dois reconnaître que tu as du cran d’oser me parler ainsi : si tu croyais en ta propre théorie, tu te garderais bien d’apparaître aussi fier et plein d’espoir pour que je ne te détruise pas, non ? Mais tu vas me dire que tu n’as pas peur ? Il n’y a aucune honte à avoir peur face à un supérieur, pourtant…

« Non, aucune honte en effet. La peur est tout aussi indispensable que l’espoir. La peur est garante de la prudence, donc de la survie. A peur qui est conscient de ses limites. Mais comme toute chose, trop de peur conduit à se faire dominer par elle. La peur est comme un animal sauvage qu’il convient de dompter. »
Alchem marqua une petite pause. S’il pouvait orienter la discussion sur le débat d’idées, il pourrait capter l’attention de la liche sans pour autant être forcé de la provoquer.
« Philosophe, je ne sais pas. Mais l’étude des arcanes poussent aux questionnements et le calme des profondeurs, à la méditation. De surcroit, en ce qui concerne l’espoir, la peur, la haine, la rancœur, la mort, j’ai déjà amplement eu matière à y réfléchir du fait de mes expériences personnelles. »

La liche semblait désireuse de poursuivre cette conversation – quelle qu’en soit la raison – car elle enchaîna aussitôt par une question :

- Tes expériences personnelles, tiens donc ? Tu veux parler de tes années en tant que chef de patrouille ou d’autre chose ? Je suis tout ouïe. Pour le moment.

Elle semblait aussi s'être déjà intéressée de près à lui pour en savoir aussi long sur son compte...

« Bien évidemment. J’ai toujours considéré que comprendre était une nécessité, comprendre même ce qui à priori semble être inexplicable. C’est parfois étrange de chercher des justifications aux actes les plus horribles. Etrange mais utile. Pour savoir ce que va faire un Drow, il faut penser comme un Drow, saisir ses motivations. C’est valable pour tous les êtres doués de raison. »
Alchem eut un petit rire froid.
« C’est quoi ton rêve à toi ? Ta raison d’être ? Je ne parle même pas de ce qui se passe en ce moment. Non, à long terme, le but ultime, celui auquel on songe sans bien souvent avoir la moindre chance de l’atteindre. Le pouvoir ? Le savoir ? En dépit de ton surnom, tu ne me fait pas l’effet d’un grand conquérant. Si tu en avais été un, jamais tu ne serais resté si longtemps dans ton sanctuaire. C’est nous, moi, qui t’en a fait sortir. Alors je t’imagine plus versé vers les études. Ta seule maîtrise des illusions témoignent d’une longue expérience. »

Alchem était subtil : il savait mêler des flatteries à ses propos pour ne pas risquer de braquer la liche et de provoquer une réaction violente. Elle répondit donc sans trop hésiter, piquée au vif et encouragée à se livrer malgré elle :

- Mes aspirations vont bien au-delà de celles des simples mortels. Comme tu l’as dit, je suis passé maître dans un certain nombre de domaines. La maîtrise des illusions m’a mené à maîtriser la magie des plans. La maîtrise de la nécromancie qui m’a rendu immortel va bientôt m’apporter assez de fidèles pour devenir un dieu que l’on craindra. Et un dieu a l’utilité de fidèles mais aussi de prêtre. Penses-y, petit être.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Lameroy - cité naine ouverte